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Leur origine tient à la nécessité de lisser l’impact de la volatilité des prix des hydrocarbures, après que les années 1970-1980 ont vu nombre de pays exportateurs victimes de ce que l’on a qualifié de « Dutch disease » (maladie hollandaise) : leurs recettes liées à l’exportation d’hydrocarbures ont alors conduit à une surévaluation des devises nationales et à une détérioration de la compétitivité de l’économie non pétrolière, et ainsi à une très forte vulnérabilité aux fluctuations des prix des matières premières. On peut également souligner que la création d’un fonds souverain a fréquemment été recommandée par le FMI dans ses programmes d’ajustement structurel appliqués aux pays exportateurs de matières premières, afin d’encourager l’épargne nationale et de lisser les fluctuations cycliques.
Le tableau suivant, publié par le Sovereign Wealth Fund Institute, fournit une estimation des encours gérés par les principaux fonds souverains dans le monde. On y constate, en dehors de la première place occupée par le fonds norvégien, la prééminence des institutions asiatiques (trois fonds chinois et deux singapouriens dans les 10 premiers) et moyen-orientales (Emirats Arabes Unis, Koweit, Arabie Saoudite).
On distingue généralement trois types de fonds souverains :
GPFG bénéficie des taxes et royalties générées par l’extraction de pétrole et gaz, mais aussi des revenus nets issus de la cession sur les marchés financiers des titres de la compagnie pétrolière nationale Statoil[2], ainsi que de la rentabilité générée par le fonds au-delà du seuil de rendement annuel, initialement fixé à 4 %, transféré au budget de l’Etat norvégien.
Le gouvernement construit en effet un budget hors pétrole, qui peut être déficitaire à hauteur de 4 % maximum des actifs du fonds souverain, ce chiffre de 4 % correspondant à la rentabilité annuelle anticipée en termes réels pour le portefeuille du fonds. Cette règle des 4 % représente un engagement implicite à court terme pour GFPG. Elle est appliquée avec une certaine souplesse puisqu’en cas de conjoncture économique très favorable, un budget contra-cyclique peut être voté, nécessitant de moindres transferts de la part de GFPG. On peut également remarquer qu’avec l’accroissement de la taille du fonds souverain, cette règle des 4 % donne au gouvernement la possibilité de fixer un déficit budgétaire hors pétrole de plus en plus élevé en pourcentage du PIB. Des discussions ont d’ailleurs eu lieu dès 2013 pour réviser cette « règle de dépenses », et une réduction de 4 à 3 % a finalement été décidée en février 2017.
Les actifs du fonds souverain norvégien ont considérablement progressé depuis l’origine. Ils représentaient ainsi quasiment 9 000 milliards de NOK (environ 900 milliards d’euro) à la fin du premier trimestre 2019, contre 2845 Mds (285 milliards d’euro) à la fin 2008, en raison de la progression des marchés mais également des apports de nouvelles ressources par le gouvernement.
Un objectif de 7 % d’allocation du portefeuille en actifs immobiliers avait également été fixé dès 2007, mais l’allocation en immobilier n’a commencé à être mise en œuvre qu’en 2010. La difficulté, pour une institution dont les actifs gérés sont si élevés, à identifier suffisamment de cibles d’investissement attrayantes, a d’ailleurs conduit le fonds à revoir à la baisse au début de l’année 2019 son objectif d’allocation en immobilier, vers une fourchette de 3 à 5 % (couvrant actifs immobiliers liquides et illiquides). A cette occasion, il a été décidé d’intégrer au sein de NBIM la structure NBREM qui avait été créée pour gérer les actifs immobiliers. Cette décision a été prise dans une perspective de maitrise des coûts, alors que NBREM avait été critiquée pour ses charges élevées et son excessive focalisation sur des « trophy assets », opérations immobilières internationales de prestige.
[caption id="attachment_4269" align="aligncenter" width="717"] Source: Government Pension Fund Global, Annual Report 2018
Le gouvernement a fait une autre annonce importante en mars dernier en termes de politique d’investissement du fonds, qui doit désormais totalement désinvestir de toutes les entreprises d’exploration et de production pétrolière et gazière (qui représentaient 66 Mds de NOK fin 2018, soit 0,7 % des actifs totaux du fonds). Un tel objectif peut sembler paradoxal de la part d’une institution qui tire ses ressources des hydrocarbures, mais il reflète à la fois une volonté de diversification par rapport à une économie norvégienne qui reste dominée par le secteur de l’énergie, et un véritable engagement du pays pour lutter contre le changement climatique. La banque centrale norvégienne s’est d’ailleurs vu confier la responsabilité d’accentuer ses efforts pour réduire le risque climatique[5].
En revanche, le gouvernement a refusé au GFPG la possibilité d’investir en private equity (actions non cotées), pour des raisons de coût également, mais aussi de manque de transparence et d’impact potentiel sur le risque relatif du portefeuille ; la philosophie d’investissement du fonds reste en effet axée sur la faiblesse des coûts, le caractère largement passif de la gestion (en termes de volatilité relative par rapport à la référence) et un très haut niveau de transparence.
Jusqu’ici, sa taille n’a pas empêché l’institution de mettre en œuvre des mouvements d’allocation d’actifs « contrariants », en augmentant par exemple son allocation en actions après la crise de 2008, ou de nouveau suite à la forte correction des marchés à la fin de l’année 2018. GFPG a donc bien jusqu’ici bénéficié de son statut d’investisseur de long terme à même de saisir les opportunités de marché générées par des mouvements excessifs des cours. Mais plus ses encours grossissent, plus sa gestion risque de perdre en flexibilité.
Par ailleurs, si certains fonds souverains allouent une part importante de leurs actifs en immobilier, infrastructures ou private equity pour bénéficier de la prime d’illiquidité à laquelle leur horizon d’investissement leur permet de prétendre, on a vu que ce n’était pas le cas du fonds souverain norvégien du fait notamment de sa difficulté à identifier des cibles d’investissement attrayantes.
Autre sujet lié à la taille, GFPG représente aujourd’hui près de 2 % en moyenne de la capitalisation des entreprises dans lesquelles il investit. Sa responsabilité fiduciaire est donc importante, et l’oblige à exercer une analyse des enjeux environnementaux, sociaux ou de gouvernance des entreprises, d’autant plus poussée que sa gestion est scrutée par le monde politique, la population norvégienne et les marchés financiers en général : toute décision malencontreuse risque ainsi d’être sujette à critiques.
Comme tout investisseur, GFPG est par ailleurs confronté à la situation de faiblesse des taux d’intérêt et de détérioration des perspectives de rentabilité à long terme des actions. De ce fait, l’objectif initial de rentabilité annuelle de 4 % en termes réels semblait difficile à atteindre en maintenant une allocation de référence 70 % Actions / 30 % Obligations. En retenant, de manière très simplifiée, des hypothèses, qui nous semblent raisonnables, de rentabilité réelle des actions et des obligations mondiales, respectivement de 4,5 % et 0,5 % par an sur le long terme, on obtient une espérance de rentabilité de l’allocation actuelle plus proche de 3 à 3,5 % par an. Ceci justifie la décision prise par le fonds de réduire son objectif de distribution à 3 %, et peut l’inciter à poursuivre l’augmentation de son exposition en actions, mais avec les limites mentionnées plus haut.
Grâce à la clarté de sa cadre de gouvernance, et sans doute également à la forte maturité de l’environnement politique et économique norvégien, GFPG a fort bien réussi jusqu’ici à échapper aux interférences politiques. Le rejet de la proposition récente d’en faire une entité indépendante, pour le maintenir dans le giron de la banque centrale, montre toutefois qu’un débat existe dans le pays sur le degré d’indépendance de l’institution. Cette décision gouvernementale a d’ailleurs conduit Knut Kjaer, qui a dirigé le fonds de 1998 à 2007, à récemment sortir d’un long silence[6], pour exprimer ses craintes d’une politisation excessive de la gestion du fonds, et souligner qu’il n’est pas du ressort d’une banque centrale d’assurer la gestion d’un fonds d’une telle complexité.
On peut également se demander si le succès du fonds norvégien n’est pas simplement le reflet de la qualité du système démocratique consensuel et de la stabilité de l’économie norvégienne. Autrement dit, le modèle d’organisation du fonds norvégien paraît difficile à appliquer à d’autres fonds dans des pays ne bénéficiant pas du même environnement institutionnel et économique.
Tant en matière de gouvernance que de formalisation des objectifs d’investissement en fonction de son appétit pour le risque, GFPG fait donc face à de lourds enjeux pour conserver son rôle de modèle dans le monde des fonds souverains.
[1] Source, Invesco Global Sovereign Asset Management Study 2018
[2] Statoil est devenue Equinor durant l’été 2018
[3] A titre d’illustration, le rapport annuel fournit le détail des rémunérations des principaux cadres dirigeants de l’institution. Lire par exemple Government Pension Fund Global annual report 2018, Norges Bank Investment Management.
[4] On trouvera une intéressante discussion des fondements de l’allocation d’actifs de GFPG dans “The bond-equity allocation of the Norwegian sovereign wealth fund », de Espen Henriksen, Knut Anton Mork , publié par vox.eu en octobre 2016
[5] Voir également l’article « Les investisseurs institutionnels face aux externalités environnementales et sociales générées par les entreprises » publié par Marie Brière dans variances.eu en septembre 2018, qui s’intéresse notamment à la politique de vote du fonds souverain norvégien.
[6] Voir l’article du FT du 28 mai 2019 : « Norway wealth fund’s former chief hits out at governance »
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08 juillet 2019
Gestion à long terme d’une rente pétrolière ou gazière : L’exemple du fonds souverain norvégien
Publié par
Eric Tazé-Bernard
| Politique énergétique
A quoi servent les fonds souverains ?
Les fonds souverains sont devenus des acteurs majeurs de la finance internationale, si l’on en juge notamment par leur encours total sous gestion, estimé en 2017 à 9,4 trillions de dollars[1]. Leur essor rapide au cours des 20 dernières années a été favorisé par la hausse des prix des matières premières ou celle des excédents de balances des paiements de certains pays, notamment émergents.Leur origine tient à la nécessité de lisser l’impact de la volatilité des prix des hydrocarbures, après que les années 1970-1980 ont vu nombre de pays exportateurs victimes de ce que l’on a qualifié de « Dutch disease » (maladie hollandaise) : leurs recettes liées à l’exportation d’hydrocarbures ont alors conduit à une surévaluation des devises nationales et à une détérioration de la compétitivité de l’économie non pétrolière, et ainsi à une très forte vulnérabilité aux fluctuations des prix des matières premières. On peut également souligner que la création d’un fonds souverain a fréquemment été recommandée par le FMI dans ses programmes d’ajustement structurel appliqués aux pays exportateurs de matières premières, afin d’encourager l’épargne nationale et de lisser les fluctuations cycliques.
Le tableau suivant, publié par le Sovereign Wealth Fund Institute, fournit une estimation des encours gérés par les principaux fonds souverains dans le monde. On y constate, en dehors de la première place occupée par le fonds norvégien, la prééminence des institutions asiatiques (trois fonds chinois et deux singapouriens dans les 10 premiers) et moyen-orientales (Emirats Arabes Unis, Koweit, Arabie Saoudite).
On distingue généralement trois types de fonds souverains :
- Les fonds de stabilisation, destinés à faire face à des chocs macroéconomiques et à une crise soudaine de la balance des paiements, notamment dans le cas d’une forte baisse des prix des matières premières,
- Les fonds d’épargne, destinés à mettre de côté une partie des excédents courants pour faire face à la raréfaction à long terme des ressources naturelles détenues,
- Les fonds de développement, qui ont pour objectif principal d’investir dans l’économie locale pour favoriser son développement.
- Prudentes dans le cas des fonds de stabilisation, sujets à d’importants risques de retraits en cas de besoin de ressources supplémentaires de la part de leur gouvernement,
- Largement dominées par les actifs risqués mondiaux, actions et alternatifs, dans le cas des fonds d’épargne disposant d’un horizon d’investissement très long,
- Essentiellement domestiques dans le cas des fonds de développement.
Le fonds souverain norvégien : des règles précises en matière de dépenses et recettes
Créé en 2006, le Government Pension Fund Global, ou GPFG, a succédé au Petreoleum fund qui avait vu le jour dès 1990 pour gérer les excédents de réserves de change provenant de l’exportation de pétrole norvégien. Il se range clairement dans la catégorie des fonds d’épargne, et même s’il n’a pas un objectif explicite de financement des retraites futures, son intitulé souligne clairement son caractère intergénérationnel.GPFG bénéficie des taxes et royalties générées par l’extraction de pétrole et gaz, mais aussi des revenus nets issus de la cession sur les marchés financiers des titres de la compagnie pétrolière nationale Statoil[2], ainsi que de la rentabilité générée par le fonds au-delà du seuil de rendement annuel, initialement fixé à 4 %, transféré au budget de l’Etat norvégien.
Le gouvernement construit en effet un budget hors pétrole, qui peut être déficitaire à hauteur de 4 % maximum des actifs du fonds souverain, ce chiffre de 4 % correspondant à la rentabilité annuelle anticipée en termes réels pour le portefeuille du fonds. Cette règle des 4 % représente un engagement implicite à court terme pour GFPG. Elle est appliquée avec une certaine souplesse puisqu’en cas de conjoncture économique très favorable, un budget contra-cyclique peut être voté, nécessitant de moindres transferts de la part de GFPG. On peut également remarquer qu’avec l’accroissement de la taille du fonds souverain, cette règle des 4 % donne au gouvernement la possibilité de fixer un déficit budgétaire hors pétrole de plus en plus élevé en pourcentage du PIB. Des discussions ont d’ailleurs eu lieu dès 2013 pour réviser cette « règle de dépenses », et une réduction de 4 à 3 % a finalement été décidée en février 2017.
Les actifs du fonds souverain norvégien ont considérablement progressé depuis l’origine. Ils représentaient ainsi quasiment 9 000 milliards de NOK (environ 900 milliards d’euro) à la fin du premier trimestre 2019, contre 2845 Mds (285 milliards d’euro) à la fin 2008, en raison de la progression des marchés mais également des apports de nouvelles ressources par le gouvernement.
Une gouvernance considérée comme exemplaire
Le fonds souverain norvégien constitue une référence en matière de gouvernance, en particulier s’agissant :- De la séparation des pouvoirs entre les différents intervenants,
- D’engagement en matière de transparence[3],
- D’une approche consensuelle dans la prise de décision, qui permet de limiter l’influence des changements de gouvernement.
- Le Ministre des Finances joue le rôle du propriétaire du fonds et définit ses orientations stratégiques.
- Le Parlement vote toute législation concernant le fonds, approuve son budget annuel, nomme le conseil de surveillance et analyse les rapports sur les « guidelines » d’investissement du fonds et ses performances.
- Le Comité exécutif de la banque centrale joue le rôle de gérant opérationnel du fonds. Il est composé de 7 membres : le gouverneur de la banque centrale, qui le préside, le sous-gouverneur, qui joue le rôle de vice-président, et 5 membres externes, dirigeants d’entreprises, représentants des salariés ou issus du monde académique. Les administrateurs doivent jouir d’une bonne réputation, d’indépendance d’esprit, d’intégrité et d’expertise. Le Comité délègue la gestion quotidienne du fonds à NBIM, département de la banque centrale dédié à la gestion des actifs du fonds. Le management opérationnel du fonds est ainsi assuré par une entité publique indépendante. Le conseil de surveillance de la banque centrale supervise ses activités et fait état de son analyse au Parlement.
- L’auditeur général est chargé de l’audit de l’activité du fonds.
Allocation d’actifs : un poids croissant des actions[4]
La première étape de la construction du portefeuille de GFPG consiste à définir un portefeuille de référence, dont l’objectif est de maximiser le profil rendement/risque à l’intérieur des contraintes fournies par le management. La référence actuelle du fonds en matière d’allocation d’actifs est constituée à hauteur de 70 % d’actions internationales et de 30 % d’obligations internationales. Le poids des premières a progressivement été accru, de 20 % à l’origine à 40 % en 2002, puis 60 % en 2007, pour atteindre 70 % en 2017. La structure géographique des placements en actions est très proche de celle des grands indices de référence internationaux (elle est représentée par l’indice FTSE Global All Cap Index), et exclut le marché domestique, en raison de son étroitesse par rapport à la taille des actifs du fonds et par conséquent du risque qu’il soit déstabilisé par des mouvements d’allocation. La structure du portefeuille obligataire est également internationale, avec une prédominance des investissements en obligations gouvernementales, et représentée par une référence composée d’indices Bloomberg Barclays Global. Le fonds est donc essentiellement exposé en devises étrangères.Un objectif de 7 % d’allocation du portefeuille en actifs immobiliers avait également été fixé dès 2007, mais l’allocation en immobilier n’a commencé à être mise en œuvre qu’en 2010. La difficulté, pour une institution dont les actifs gérés sont si élevés, à identifier suffisamment de cibles d’investissement attrayantes, a d’ailleurs conduit le fonds à revoir à la baisse au début de l’année 2019 son objectif d’allocation en immobilier, vers une fourchette de 3 à 5 % (couvrant actifs immobiliers liquides et illiquides). A cette occasion, il a été décidé d’intégrer au sein de NBIM la structure NBREM qui avait été créée pour gérer les actifs immobiliers. Cette décision a été prise dans une perspective de maitrise des coûts, alors que NBREM avait été critiquée pour ses charges élevées et son excessive focalisation sur des « trophy assets », opérations immobilières internationales de prestige.
Evolution des encours du fonds et de leur structure par classe d’actifs
[caption id="attachment_4269" align="aligncenter" width="717"] Source: Government Pension Fund Global, Annual Report 2018
Le gouvernement a fait une autre annonce importante en mars dernier en termes de politique d’investissement du fonds, qui doit désormais totalement désinvestir de toutes les entreprises d’exploration et de production pétrolière et gazière (qui représentaient 66 Mds de NOK fin 2018, soit 0,7 % des actifs totaux du fonds). Un tel objectif peut sembler paradoxal de la part d’une institution qui tire ses ressources des hydrocarbures, mais il reflète à la fois une volonté de diversification par rapport à une économie norvégienne qui reste dominée par le secteur de l’énergie, et un véritable engagement du pays pour lutter contre le changement climatique. La banque centrale norvégienne s’est d’ailleurs vu confier la responsabilité d’accentuer ses efforts pour réduire le risque climatique[5].
En revanche, le gouvernement a refusé au GFPG la possibilité d’investir en private equity (actions non cotées), pour des raisons de coût également, mais aussi de manque de transparence et d’impact potentiel sur le risque relatif du portefeuille ; la philosophie d’investissement du fonds reste en effet axée sur la faiblesse des coûts, le caractère largement passif de la gestion (en termes de volatilité relative par rapport à la référence) et un très haut niveau de transparence.
Performances satisfaisantes et risque maîtrisé
Avec un rendement réel annualisé de 3,56 % sur 20 ans, et de 6,46 % sur 10 ans, on peut considérer que le fonds souverain norvégien a atteint les objectifs qui lui étaient assignés. Ce résultat a été obtenu dans un cadre de risque maîtrisé, puisque la tracking-error, c’est-à-dire la volatilité de l’écart entre le portefeuille et sa référence, dont la borne supérieure a été fixée à 1,25 %, a été de seulement 0,68 % sur 20 ans, et 0,56 % sur 10 ans. Cette modeste prise de risque relatif n’a pas empêché le fonds d’afficher une performance relative positive, de 25 points de base en moyenne sur 20 ans. La maîtrise du risque prend également la forme d’une contrainte de « shortfall » anticipé de 3,75 % maximum, qui correspond à la rentabilité relative du portefeuille contre son indice de référence pour les 2,5 % des semaines les plus négatives en termes de performance.Le succès est-il pérenne ?
Grâce à des règles claires en matière de dépenses et de ressources, un très haut niveau de transparence, et de bonnes performances de gestion, GFPG est ainsi considéré (sans doute avec le fonds singapourien GIC et les fonds souverains chiliens) comme un exemple à suivre. La question se pose toutefois de la pérennité de cette réussite : GFPG ne serait-il pas devenu un colosse aux pieds d’argile ?Jusqu’ici, sa taille n’a pas empêché l’institution de mettre en œuvre des mouvements d’allocation d’actifs « contrariants », en augmentant par exemple son allocation en actions après la crise de 2008, ou de nouveau suite à la forte correction des marchés à la fin de l’année 2018. GFPG a donc bien jusqu’ici bénéficié de son statut d’investisseur de long terme à même de saisir les opportunités de marché générées par des mouvements excessifs des cours. Mais plus ses encours grossissent, plus sa gestion risque de perdre en flexibilité.
Par ailleurs, si certains fonds souverains allouent une part importante de leurs actifs en immobilier, infrastructures ou private equity pour bénéficier de la prime d’illiquidité à laquelle leur horizon d’investissement leur permet de prétendre, on a vu que ce n’était pas le cas du fonds souverain norvégien du fait notamment de sa difficulté à identifier des cibles d’investissement attrayantes.
Autre sujet lié à la taille, GFPG représente aujourd’hui près de 2 % en moyenne de la capitalisation des entreprises dans lesquelles il investit. Sa responsabilité fiduciaire est donc importante, et l’oblige à exercer une analyse des enjeux environnementaux, sociaux ou de gouvernance des entreprises, d’autant plus poussée que sa gestion est scrutée par le monde politique, la population norvégienne et les marchés financiers en général : toute décision malencontreuse risque ainsi d’être sujette à critiques.
Comme tout investisseur, GFPG est par ailleurs confronté à la situation de faiblesse des taux d’intérêt et de détérioration des perspectives de rentabilité à long terme des actions. De ce fait, l’objectif initial de rentabilité annuelle de 4 % en termes réels semblait difficile à atteindre en maintenant une allocation de référence 70 % Actions / 30 % Obligations. En retenant, de manière très simplifiée, des hypothèses, qui nous semblent raisonnables, de rentabilité réelle des actions et des obligations mondiales, respectivement de 4,5 % et 0,5 % par an sur le long terme, on obtient une espérance de rentabilité de l’allocation actuelle plus proche de 3 à 3,5 % par an. Ceci justifie la décision prise par le fonds de réduire son objectif de distribution à 3 %, et peut l’inciter à poursuivre l’augmentation de son exposition en actions, mais avec les limites mentionnées plus haut.
Grâce à la clarté de sa cadre de gouvernance, et sans doute également à la forte maturité de l’environnement politique et économique norvégien, GFPG a fort bien réussi jusqu’ici à échapper aux interférences politiques. Le rejet de la proposition récente d’en faire une entité indépendante, pour le maintenir dans le giron de la banque centrale, montre toutefois qu’un débat existe dans le pays sur le degré d’indépendance de l’institution. Cette décision gouvernementale a d’ailleurs conduit Knut Kjaer, qui a dirigé le fonds de 1998 à 2007, à récemment sortir d’un long silence[6], pour exprimer ses craintes d’une politisation excessive de la gestion du fonds, et souligner qu’il n’est pas du ressort d’une banque centrale d’assurer la gestion d’un fonds d’une telle complexité.
On peut également se demander si le succès du fonds norvégien n’est pas simplement le reflet de la qualité du système démocratique consensuel et de la stabilité de l’économie norvégienne. Autrement dit, le modèle d’organisation du fonds norvégien paraît difficile à appliquer à d’autres fonds dans des pays ne bénéficiant pas du même environnement institutionnel et économique.
Tant en matière de gouvernance que de formalisation des objectifs d’investissement en fonction de son appétit pour le risque, GFPG fait donc face à de lourds enjeux pour conserver son rôle de modèle dans le monde des fonds souverains.
[1] Source, Invesco Global Sovereign Asset Management Study 2018
[2] Statoil est devenue Equinor durant l’été 2018
[3] A titre d’illustration, le rapport annuel fournit le détail des rémunérations des principaux cadres dirigeants de l’institution. Lire par exemple Government Pension Fund Global annual report 2018, Norges Bank Investment Management.
[4] On trouvera une intéressante discussion des fondements de l’allocation d’actifs de GFPG dans “The bond-equity allocation of the Norwegian sovereign wealth fund », de Espen Henriksen, Knut Anton Mork , publié par vox.eu en octobre 2016
[5] Voir également l’article « Les investisseurs institutionnels face aux externalités environnementales et sociales générées par les entreprises » publié par Marie Brière dans variances.eu en septembre 2018, qui s’intéresse notamment à la politique de vote du fonds souverain norvégien.
[6] Voir l’article du FT du 28 mai 2019 : « Norway wealth fund’s former chief hits out at governance »
Auteur
Eric Tazé-Bernard est Senior Advisor au sein de l'Amundi Institute. Il a été Chief Allocation Adviser au sein de l'équipe OCIO Solutions d'Amundi de 2013 à 2022, après avoir rejoint Amundi en 2008 en tant que responsable de la Multigestion "long-only". Il était précédemment Directeur Général de la Gestion Financière de la société INVESCO Asset Management (2001-2008), après avoir été Responsable de la Multigestion de BNP Paribas Asset Management de 1999 à 2001, et Responsable Stratégie et Allocation d'actifs de Credit Agricole Asset Management de 1993 à 1998. Il a commencé sa carrière professionnelle en 1983 à la SEDES (Groupe Caisse des Dépôts) avant de rejoindre la Banque Indosuez en 1987 comme économiste. ENSAE 1978, il est également
titulaire d'un Master en Economie de l'Université de Californie à Berkeley, d'un DEA d'Economie Publique et d'une Licence en Droit. Il a enseigné la gestion d'actifs à HEC et à l'Université Paris Dauphine, et est membre du Comité Financier de la Ligue Nationale Contre le Cancer. Il a publié en 2010 avec Pierre Hervé: "La Multigestion; une méthode de gestion d'actifs" chez Economica et est le responsable de la publication variances.eu. Voir les 25 Voir les autres publications de l’auteur(trice)
titulaire d'un Master en Economie de l'Université de Californie à Berkeley, d'un DEA d'Economie Publique et d'une Licence en Droit. Il a enseigné la gestion d'actifs à HEC et à l'Université Paris Dauphine, et est membre du Comité Financier de la Ligue Nationale Contre le Cancer. Il a publié en 2010 avec Pierre Hervé: "La Multigestion; une méthode de gestion d'actifs" chez Economica et est le responsable de la publication variances.eu. Voir les 25 Voir les autres publications de l’auteur(trice)
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