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21 février 2018
L’Insee : une singularité au sein du Système statistique européen ?
Publié par
Herve Piffeteau
| Insee
La construction de l’Union Européenne a conduit à la mise en place de relations très étroites entre les systèmes statistiques officiels des États membres. Cette association des pays membres dans la production d’un service d’informations harmonisées pour répondre aux besoins grandissants exprimés principalement par la Commission dans le cadre de l’intégration européenne constitue le système statistique européen (SSE). Le système statistique européen (SSE) est donc un réseau entre, d’une part, l’autorité statistique de la Commission, à savoir la direction générale Eurostat, et, d’autre part, les instituts nationaux de statistique (INS) et les autres autorités nationales responsables dans chaque État membre de l’Union Européenne du développement, de la production et de la diffusion des statistiques européennes. En France, de telles autres autorités statistiques correspondent principalement à des services statistiques ministériels. Au sein du réseau SSE, Eurostat est chargé de promouvoir la production de statistiques comparables, en étroite collaboration avec les autorités statistiques nationales. Les systèmes nationaux de statistiques se sont développés au cours des décennies en fonction de leur histoire politique et administrative. Au sein de l’Union européenne, les systèmes nationaux sont assez peu similaires entre d’une part un système allemand où la production d’une statistique est soumise à l’approbation d’une loi fédérale et des Länder et où l’accès aux fichiers administratifs est proscrit, et d’autre part le système statistique des pays scandinaves où les registres de population sont largement exploités à des fins de production statistique.
Le système statistique public français (SSP) est plutôt fonctionnellement plus décentralisé qu’à l’étranger même si la statistique publique en Europe n’est jamais complètement centralisée : les statistiques monétaires, par exemple, sont généralement établies par les banques centrales. En France, les statistiques sectorielles (agricoles, santé, …) ne sont pas produites par l’Insee mais par des services statistiques ministériels. L’analyse comparée des systèmes statistiques au sein du SSE tend à montrer que le système français se caractérise par une décentralisation limitée. L’Insee concentre en effet les trois quarts des effectifs du SSP contre 35 % à 55 % dans les autres systèmes décentralisés (Italie, Allemagne, Suède). Le système statistique français se distingue des autres systèmes statistiques européens par une coordination forte:
Pour l’Insee, la comparabilité des données constitue par ailleurs un enjeu central d’analyse qui est considéré comme plus marginal par Eurostat et par beaucoup d’INS européens, qui n’ont pas de missions d’études à la différence de l’Insee. Cette pratique des études ne concerne pas uniquement l’Insee, elle concerne également la plupart des services statistiques ministériels français. Cette caractéristique n’est pas spécifique au SSP. Elle se retrouve souvent (parfois ?) dans les systèmes statistiques des pays européens les plus décentralisés, comme au Royaume-Uni, mais est plus rare dans les systèmes centralisés comme au Danemark.
Autre spécificité française, l’Institut présente la particularité de remplir des fonctions dites régaliennes sur la gestion des répertoires (répertoire des personnes physiques, fichier électoral, répertoire des entreprises), ainsi que celle de compléter la production de statistiques par celle de prévisions conjoncturelles et celle d’études afin d’ « éclairer le débat public ».
Enfin, au sein du système statistique européen, le système statistique français jouit d’une structure institutionnelle quasi unique : il dispose à la fois d’une autorité de la statistique publique garante du respect des principes fondamentaux et d’un Conseil national de l’information statistique permettant de consulter les utilisateurs des statistiques mais aussi l’ensemble des parties prenantes notamment les répondants aux enquêtes. Le statut de l’Insee en tant que direction générale du ministère de l’Économie et des Finances est une des singularités fortes du système statistique français, alors qu’une très grande majorité des autres instituts européens prennent la forme d’agence, jouissant d’une très large autonomie. L’indépendance et la crédibilité de l’Insee ne sont toutefois pas remises en cause même si les garanties légales et réglementaires sont plus limitées que dans d’autres États. La récente révision de la loi statistique européenne adoptée en 2015, destinée à combler les lacunes détectées à l’occasion de la crise grecque, a permis d’adopter des garanties européennes minimales pour l’indépendance professionnelle des instituts nationaux de statistiques.
Au total, la statistique publique est organisée de manière différente et couvre des périmètres variables selon les pays européens, mais tous les instituts nationaux statistiques (INS) mettent en œuvre la législation européenne relative aux statistiques, ce qui conduit à un socle de travaux ou d’opérations partagés. Selon le principe de subsidiarité, les statistiques européennes sont essentiellement produites par les systèmes statistiques officiels des États membres selon les méthodes qu’ils jugent les plus adaptées : choix de recourir à des enquêtes statistiques ou d’utiliser des sources administratives, choix des modes d’enquêtes, des techniques d’échantillonnage et des méthodes de traitement des données, etc. Mais ces méthodes doivent aboutir à des statistiques conformes aux définitions et autres normes de qualité adoptées dans le cadre législatif européen. Les statistiques européennes sont définies principalement par des règlements du Parlement européen et du Conseil, ce qui leur confère un statut juridique fort et une priorité dans l’allocation des ressources.
Afin de rechercher des solutions communes aux problèmes analogues qu’ils rencontrent, notamment la conjonction d’une demande sociale de statistiques en croissance et d’une réduction régulière de leurs ressources, Eurostat et les INS européens ont mis en place en 2009 et révisé en 2013 une démarche stratégique baptisée Vision 2020. Cette dernière est née du besoin exprimé par tous les partenaires du SSE de moderniser leur production statistique afin de rester compétitifs dans un environnement externe mouvant et de plus en plus concurrentiel. La Vision 2020 se décline selon cinq orientations : promouvoir un processus de production robuste et efficace, améliorer la gestion de la qualité, faire usage des nouvelles sources de données, développer les relations avec les utilisateurs pour répondre au mieux à leurs besoins, développer la communication et la diffusion des statistiques européennes. Ces interrogations ne sont pas complètement nouvelles et certains des membres du SSE ont mis au point des projets ou des programmes nationaux qui y répondent en partie. L’apport de la Vision 2020 tient dans la rationalisation des actions préexistantes et la consolidation d’une stratégie commune partagée par tous les membres avec l’objectif de bénéficier de rendements d’échelle croissants. Cette stratégie est mise en œuvre par des projets qui portent à la fois sur les méthodes et les infrastructures informatiques, les méthodes de traitement statistique des données et le développement d’outils à partager entre les INS. De nombreuses opérations ont été envisagées et un premier portefeuille de projets a reçu l’assentiment du comité du système statistique européen en février 2015. Il s’agit de développer des réponses communes à apporter aux INS, soit sur des sujets où les échanges de données entre pays européens sont importants pour améliorer la qualité de l’information statistique produite (répertoire européen de groupes, échanges de biens intracommunautaires) soit sur des problématiques communes rencontrées par tous les INS (big data, intégration des données administratives, amélioration de la communication vis-à-vis de tous les publics). L’engagement de l’Insee porte notamment sur le développement en commun d’un catalogue de services statistiques partagés, et la mise en place des outils informatiques facilitant la réutilisation de ces services au sein du SSE.
Le système statistique français est plutôt un système atypique au sein du système statistique européen. Il est le système le plus centralisé parmi les systèmes statistiques dont la production est ventilée à travers plusieurs services/autorités statistiques. Son architecture institutionnelle, ses fondements légaux et ses missions sont autant de singularités qui tranchent avec les autres instituts européens. Elles n’en constituent pas pour autant un handicap à l’intégration grandissante du SSE. L’Insee et le SSP sont fortement impliqués dans les comités, groupes d’experts du SSE à tous les échelons hiérarchiques et participent activement au déploiement de la Vision 2020 portée par Eurostat.
Le système statistique public français (SSP) est plutôt fonctionnellement plus décentralisé qu’à l’étranger même si la statistique publique en Europe n’est jamais complètement centralisée : les statistiques monétaires, par exemple, sont généralement établies par les banques centrales. En France, les statistiques sectorielles (agricoles, santé, …) ne sont pas produites par l’Insee mais par des services statistiques ministériels. L’analyse comparée des systèmes statistiques au sein du SSE tend à montrer que le système français se caractérise par une décentralisation limitée. L’Insee concentre en effet les trois quarts des effectifs du SSP contre 35 % à 55 % dans les autres systèmes décentralisés (Italie, Allemagne, Suède). Le système statistique français se distingue des autres systèmes statistiques européens par une coordination forte:
- Outre une concentration forte des effectifs au sein de l’institut national, cette coordination est renforcée par l’homogénéisation des cadres statisticiens au sein du SSP qui sont tous formés par des écoles étroitement liées à l’Insee. De plus la fluidité des carrières des cadres statisticiens au sein du SSP constitue là encore un puissant outil de coordination.
- Cette coordination, animée par l’Insee est aussi le résultat d’une organisation qui confère à l’institut le soin de piloter les orientations internationales. Ainsi dans le cadre de l’établissement de la législation européenne, l’Insee coordonne les négociations techniques françaises préparatoires à l’élaboration des propositions de règlement européen en matière de statistiques. Il coordonne également la position française pour la négociation au sein du groupe statistique du Conseil, en relation avec le Secrétariat Général aux Affaires Européennes (SGAE). En matière d’adoption du droit dérivé européen (règlements de la Commission), c’est principalement l’Insee qui représente la position française au sein des comités compétents. Cette coordination a été renforcée au niveau européen avec le transfert de presque tous les pouvoirs de comitologie à un comité, le comité du Système Statistique Européen créé par le règlement 223/2009 (la « loi statistique » de l’Union européenne). Ce comité définit les principes techniques de la statistique européenne et le cadre du partenariat entre les Instituts Nationaux de Statistiques et Eurostat.
- L’Insee exerce également une coordination méthodologique. Il appartient notamment à l’Insee de coordonner les producteurs français de statistiques européennes, en édictant des lignes directrices en matière de qualité que doivent suivre ces autres producteurs. En tant qu’institut national de statistiques, l’Insee s’engage non seulement à respecter le code de bonnes pratiques mais doit également veiller à ce que ce dernier soit suivi par les autres producteurs. La récente révision du code de bonnes pratiques au niveau européen précise même que la responsabilité de ce suivi incombe aux INS.
Pour l’Insee, la comparabilité des données constitue par ailleurs un enjeu central d’analyse qui est considéré comme plus marginal par Eurostat et par beaucoup d’INS européens, qui n’ont pas de missions d’études à la différence de l’Insee. Cette pratique des études ne concerne pas uniquement l’Insee, elle concerne également la plupart des services statistiques ministériels français. Cette caractéristique n’est pas spécifique au SSP. Elle se retrouve souvent (parfois ?) dans les systèmes statistiques des pays européens les plus décentralisés, comme au Royaume-Uni, mais est plus rare dans les systèmes centralisés comme au Danemark.
Autre spécificité française, l’Institut présente la particularité de remplir des fonctions dites régaliennes sur la gestion des répertoires (répertoire des personnes physiques, fichier électoral, répertoire des entreprises), ainsi que celle de compléter la production de statistiques par celle de prévisions conjoncturelles et celle d’études afin d’ « éclairer le débat public ».
Enfin, au sein du système statistique européen, le système statistique français jouit d’une structure institutionnelle quasi unique : il dispose à la fois d’une autorité de la statistique publique garante du respect des principes fondamentaux et d’un Conseil national de l’information statistique permettant de consulter les utilisateurs des statistiques mais aussi l’ensemble des parties prenantes notamment les répondants aux enquêtes. Le statut de l’Insee en tant que direction générale du ministère de l’Économie et des Finances est une des singularités fortes du système statistique français, alors qu’une très grande majorité des autres instituts européens prennent la forme d’agence, jouissant d’une très large autonomie. L’indépendance et la crédibilité de l’Insee ne sont toutefois pas remises en cause même si les garanties légales et réglementaires sont plus limitées que dans d’autres États. La récente révision de la loi statistique européenne adoptée en 2015, destinée à combler les lacunes détectées à l’occasion de la crise grecque, a permis d’adopter des garanties européennes minimales pour l’indépendance professionnelle des instituts nationaux de statistiques.
Au total, la statistique publique est organisée de manière différente et couvre des périmètres variables selon les pays européens, mais tous les instituts nationaux statistiques (INS) mettent en œuvre la législation européenne relative aux statistiques, ce qui conduit à un socle de travaux ou d’opérations partagés. Selon le principe de subsidiarité, les statistiques européennes sont essentiellement produites par les systèmes statistiques officiels des États membres selon les méthodes qu’ils jugent les plus adaptées : choix de recourir à des enquêtes statistiques ou d’utiliser des sources administratives, choix des modes d’enquêtes, des techniques d’échantillonnage et des méthodes de traitement des données, etc. Mais ces méthodes doivent aboutir à des statistiques conformes aux définitions et autres normes de qualité adoptées dans le cadre législatif européen. Les statistiques européennes sont définies principalement par des règlements du Parlement européen et du Conseil, ce qui leur confère un statut juridique fort et une priorité dans l’allocation des ressources.
Afin de rechercher des solutions communes aux problèmes analogues qu’ils rencontrent, notamment la conjonction d’une demande sociale de statistiques en croissance et d’une réduction régulière de leurs ressources, Eurostat et les INS européens ont mis en place en 2009 et révisé en 2013 une démarche stratégique baptisée Vision 2020. Cette dernière est née du besoin exprimé par tous les partenaires du SSE de moderniser leur production statistique afin de rester compétitifs dans un environnement externe mouvant et de plus en plus concurrentiel. La Vision 2020 se décline selon cinq orientations : promouvoir un processus de production robuste et efficace, améliorer la gestion de la qualité, faire usage des nouvelles sources de données, développer les relations avec les utilisateurs pour répondre au mieux à leurs besoins, développer la communication et la diffusion des statistiques européennes. Ces interrogations ne sont pas complètement nouvelles et certains des membres du SSE ont mis au point des projets ou des programmes nationaux qui y répondent en partie. L’apport de la Vision 2020 tient dans la rationalisation des actions préexistantes et la consolidation d’une stratégie commune partagée par tous les membres avec l’objectif de bénéficier de rendements d’échelle croissants. Cette stratégie est mise en œuvre par des projets qui portent à la fois sur les méthodes et les infrastructures informatiques, les méthodes de traitement statistique des données et le développement d’outils à partager entre les INS. De nombreuses opérations ont été envisagées et un premier portefeuille de projets a reçu l’assentiment du comité du système statistique européen en février 2015. Il s’agit de développer des réponses communes à apporter aux INS, soit sur des sujets où les échanges de données entre pays européens sont importants pour améliorer la qualité de l’information statistique produite (répertoire européen de groupes, échanges de biens intracommunautaires) soit sur des problématiques communes rencontrées par tous les INS (big data, intégration des données administratives, amélioration de la communication vis-à-vis de tous les publics). L’engagement de l’Insee porte notamment sur le développement en commun d’un catalogue de services statistiques partagés, et la mise en place des outils informatiques facilitant la réutilisation de ces services au sein du SSE.
Le système statistique français est plutôt un système atypique au sein du système statistique européen. Il est le système le plus centralisé parmi les systèmes statistiques dont la production est ventilée à travers plusieurs services/autorités statistiques. Son architecture institutionnelle, ses fondements légaux et ses missions sont autant de singularités qui tranchent avec les autres instituts européens. Elles n’en constituent pas pour autant un handicap à l’intégration grandissante du SSE. L’Insee et le SSP sont fortement impliqués dans les comités, groupes d’experts du SSE à tous les échelons hiérarchiques et participent activement au déploiement de la Vision 2020 portée par Eurostat.
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