Transition énergétique : enjeux et limites
Etat des lieux
Sur l’état des lieux, il convient, au premier chef, de noter que si le parc de bâtiments reste très énergivore, avec 44% du total national de la consommation d’énergie et 23% des émissions de gaz à effet de serre (GES), cet état n’exclut en rien un mouvement d’amélioration. Les résultats des politiques d’économies d’énergie et de leur montée en puissance ont été en effet spectaculaires. Depuis 1974, les consommations énergétiques d’un logement neuf, toutes choses égales par ailleurs, ont été divisées par neuf, les émissions de gaz à effet de serre par trois. Et le processus va se poursuivre, puisqu’à l’horizon 2020 se profilent les bâtiments à énergie positive (BEPOS), qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment.Les résultats sont moins spectaculaires, sans être négligeables, sur le parc existant. Chaque année, de l’ordre de 35 milliards d’euros de travaux (HT) sont réalisés au titre des économies d’énergie[1], ce qui représente plus d’un quart du chiffre d’affaires du bâtiment et un peu moins de la moitié du chiffre d’affaires en amélioration-entretien. En termes d’emplois, ce marché mobilise pas moins de 630 000 équivalents temps plein (ETP) chaque année. Mais, ce n’est qu’au niveau global que l’on est en mesure d’apprécier l’impact des efforts réels, tant sur le neuf que sur le parc existant. Ces derniers ont permis, sur la période 1990-2015, une stabilisation des émissions alors même que le parc croissait de plus d’un quart !
Malgré un appareil incitatif puissant (TVA à taux réduit, CITE[2], éco-PLS, etc.), tout au moins sur le segment du logement, les travaux liés à la transition énergétique ne progressent chaque année que très légèrement. Ces hausses ont indéniablement permis d’atténuer le recul de l’activité du bâtiment, mais on reste loin de l’objectif affiché de la stratégie bas carbone. Il suppose un effort hors de proportion du bâtiment par rapport aux autres secteurs, en lui faisant supporter près de 45 milliards d’euros d’investissement supplémentaire, d’ici cinq ans, en 2020, dont près des trois quarts reposeraient sur les seuls ménages. Rappelons que le chiffre d’affaires de l’ensemble du secteur du bâtiment avoisine 125 milliards d’euros HT. Il supporterait ainsi à lui seul et dans des délais irréalistes, près de 80% du surinvestissement total de l’économie française dans l’effort collectif de la Nation vers le facteur 4[3]. L’ensemble des autres secteurs ne porteraient qu’environ 20% du surinvestissement total, alors qu’ils représentent au moins 70% des émissions de GES[4].
La faible progression du marché des travaux d’économies d’énergie appelle une explication. La raison en est simple : le coût de l’énergie. Contrairement à la doxa, la réduction de la facture énergétique et les économies monétaires générées ne permettent pas d’amortir les surcoûts liés aux travaux. Une étude[5] parmi tant d’autres, réalisée par l’Agence parisienne du climat (APC) et Efficacity (Institut de recherche et développement pour la transition énergétique des villes), ne le montre que pour les constructions antérieures à 1914[6], cible privilégiée en termes d’enjeux énergétiques. Les temps de retour sont plutôt longs : en moyenne de vingt-neuf ans. Seuls 6% des projets ont un temps de retour inférieur à dix ans et 32% inférieur à vingt ans. Dans ces conditions, l’argument économique n’est ni audible, ni avéré aux yeux des propriétaires, d’autant plus que, dans de nombreux cas, les comportements réels effacent une grande partie des économies théoriques (effet rebond).
Quelques perspectives
Cet état de fait a de lourdes conséquences :- en l’absence de très forte augmentation des prix de l’énergie, il n’y a guère de raisons que les acteurs augmentent significativement leurs dépenses d’investissement ;
- les outils mis en place pour « doper » la demande s’avèrent trop souvent inadaptés.
Ces échecs traduisent, selon nous, une erreur de diagnostic initial et, par là même, une inadaptation aux réalités des instruments développés. C’est pourquoi, sans s’illusionner sur les objectifs, une politique équilibrée et efficace en faveur de la transition énergétique doit marcher sur deux jambes.
a) Une incitation, appuyée sur un cocktail TVA à taux réduit et CITE, pour les opérations ponctuelles. Ces politiques d’incitation ont eu des effets notables en conduisant les ménages soit à entreprendre des travaux d’économies d’énergie, soit le plus souvent à réaliser (à embarquer) des travaux d’économies d’énergie supplémentaires à l’occasion d’autres travaux (réfection de toiture, ravalement, etc.). Ces politiques, pour utiles et efficaces qu’elles soient, se révèlent insuffisantes, comme le note la Cour des comptes, dans un récent rapport : « le CITE est suffisant pour provoquer un effet d’incitation... mais il est, en revanche, insuffisant pour déclencher des travaux globaux visant à atteindre en une seule fois le meilleur niveau règlementaire des performances»[9].
b) Une politique ciblée sur les rénovations énergétiques lourdes s’impose donc en complément. La réalité du marché montre qu’en France, chaque année en moyenne nos concitoyens restaurent lourdement quelque 200 000 logements (hors HLM). Or, même aujourd’hui, ces rénovations lourdes n’incluent pas dans, de trop nombreux cas, une exigence forte en matière d’économie d’énergie ou de réduction des émissions de GES.
Des retours d’expérience, en particulier en Allemagne, montrent pourtant qu’il est possible de susciter une « demande » pour des rénovations lourdes et efficaces.
Une mesure forte pourrait donc consister à mettre en place une aide importante pour les opérations de rénovation sur l’existant ayant une réelle ambition, correspondant, soit au label actuel BBC rénovation, soit à un niveau d’exigence significativement proche du neuf actuel (bénéficiant d’une aide fortement majorée). L’ensemble des opérations de rénovations lourdes faisant l’objet de subventions élevées seraient financées dans le cadre du dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE)[10]. Un programme ad hoc pourra faire l’objet de cette demande.
Sur la base de 70 000 opérations par an, soit un tiers de la population cible, on arrive à un montant de travaux associés qui se situe a minima entre 4,2 milliards et 4,9 milliards d’euros. Il faut noter qu’à de tels niveaux d’exigences, les effets d’aubaine sont négligeables pour ne pas dire inexistants.
[1] Dont 20 milliards d’euros pour le seul logement.
[2] Crédit d’Impôt pour la Transition Energétique
[3] Engagement écologique qui consiste à diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d’un pays ou d’un continent à l’échelle de temps de 40 ans (en général la référence est 2050).
[4] Avis du CSCEE.
[5] http://www.lemoniteur.fr/article/l-agence-parisienne-du-climat-identifie-les-leviers-pour-stimuler-la-renovation-energetique-33406748, Frédérique Vergne, Le Moniteur, 11 octobre 2016.
[6] Cette date n’est pas la plus pertinente au plan national pour les enjeux énergétiques, mais elle a du sens au plan parisien.
[7] Rénovation énergétique : la SAEML créée en 2015 pour développer le tiers financement en Nord-Pas-de-Calais est dissoute. Dépêche N° 563604, AEF, 9 juin 2017 par Anne Farthouat.
[8] La région Île-de-France suspend ses aides pour la réalisation des audits énergétiques en copropriété, 30/05/2017, par Elise Jollain, AEF.
[9] Page 63, in L’efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable, septembre 2016, Cour des comptes.
[10] La CEE sort des documents, émis avec l’accord de l’État, attestant qu’une action d’économie d’énergie a été réalisée. Dans les faits, les obligés ou fournisseurs d’énergie sont tenus de réaliser des économies d’énergie en entreprenant et en soutenant financièrement différentes actions réalisées par les maîtres d’ouvrage.
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