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08 juin 2018

Colloque « Intelligence Artificielle : fiction ou actions ? » : L’IA dans les transports

Réinventer la voiture ?

Au niveau du grand public, deux questions, parfaitement légitimes, sont souvent posées : pourquoi l’Intelligence artificielle dans l’industrie automobile ? Et pourquoi maintenant ?

Rappelons que l’industrie automobile, une industrie plutôt lourde, c’est plus de 100 millions de véhicules produits par an, pour 1,2 milliard de véhicules roulant sur notre Terre. C’est en outre une industrie à dominante conservatrice, ce qui ne veut pas dire qu’elle innove rarement. Alors pourquoi ce buzz soudain ? L’organisation de l’industrie était la suivante : un travail par projet et un véhicule en remplace un autre. Par rapport à l’ancien, chaque nouveau véhicule est un petit peu mieux, un petit peu plus grand, un petit peu plus confortable, un petit peu plus sûr, un petit peu plus rapide, un petit peu moins consommateur, etc.

Cette martingale a bien fonctionné pendant cinquante ans. On peut dire que l’automobile a, dans une certaine mesure, façonné la ville du XXème siècle. Au XXIème siècle, on observe que la population se concentre dans les grandes mégalopoles. Le même objet automobile est devenu un objet très mature, marchant très bien, mais de moins en moins compatible avec les villes actuelles. Nos véhicules modernes sont capables de rouler à 150 km/h sinon plus, alors que dans la réalité, à Paris, nous roulons pratiquement à 15 km/h. Ils peuvent transporter quatre personnes ou plus et pour 80 % du temps d’utilisation, il n’y a qu’une seule personne à bord, le conducteur. Et surtout, nos véhicules ne sont pas du tout utilisés, puisque pendant 93 % du temps, ils restent au parking, et donc encombrent voies de circulation ou parkings souterrains.

Une conclusion est que l’objet a besoin de se réinventer. Le véhicule autonome apparaît comme issu d’une baguette magique, qui peut sinon régler, mais diminuer les problèmes de circulation dans ces centres-villes. Deux constats simples : d’une part, avec un véhicule dont la vitesse s’adapte en fonction des feux rouges, les embouteillages disparaissent dans Paris ; d’autre part, si les voitures redémarrent toutes ensemble, comme les wagons d’un train, les embouteillages sont réduits. En outre, il n’y a pas besoin d’investissements publics pour ce faire. Ça, c’est la première raison.

Pour espérer tout cela, une raison majeure : la technologie est prête, car sont disponibles des cartes capables d’effectuer des calculs supportant cette Intelligence artificielle. Les premières applications concernent le véhicule autonome. Une précision : véhicule autonome ne veut pas dire sans personne à bord. Les questions de l’interface ou de l’interaction homme/machine dans les véhicules dits autonomes sont importantes car, pendant encore très longtemps, le véhicule n’aura pas l’autonomie suffisante pour assurer seul sa mission complète. Cela signifie qu’il est nécessaire de rendre la main, de temps en temps, au conducteur. Et même ce qu’on appelle les véhicules complètement autonomes, comme les navettes ou les robots taxis, sont en fait des véhicules qui sont téléopérés par des opérateurs.

Donc toutes ces questions de compréhension de fonctionnement se posent au-delà des questions de technique et de positionnement dont va vous parler tout de suite Vanessa.

Le véhicule autonome et le rôle de l’IA

Le véhicule autonome est le sujet d’actualité, mis en évidence par de grandes sociétés dont les communications et démonstrations ont convaincu le grand public : ce n’est plus un rêve de 2050 que d’avoir une voiture qui se conduit toute seule. Tout ceci a généré une appétence auprès des clients, d’où un début d’emballement du marché. De nouveaux acteurs, les GAFA, sont entrés dans ce marché, accompagnés de nouveaux acteurs technologiques. Lors d’une prise de parole récente du PDG de NVIDIA, société américaine fournisseur mondial de processeurs, cartes et puces graphiques, ainsi que de consoles de jeux, 80 % de sa conférence ont été consacrés à l’automobile.

Ainsi, la voiture se transforme et le véhicule autonome en est le point de cristallisation. Comment voit-on, aujourd’hui et très concrètement, l’arrivée du véhicule autonome ? Deux approches existent.

La première approche est incrémentale. Il est question de niveau d’automatisation, ce qui est une néocapacité. L’objectif, c’est d’intéresser le plus grand nombre d’utilisateurs potentiels, dans un maximum d’endroits et de situations, mais avec un niveau d’automatisation relativement faible.

Une deuxième approche est disruptive, parallèle à la première : la voiture sans chauffeur. Waymo, société filiale d’Alphabet consacrée au développement de la voiture autonome, a présenté des expérimentations impressionnantes. Des vidéos ont circulé sur YouTube. Certes, nous sommes là dans des périmètres géographique et environnemental restreints, mais avec une fonctionnalité extrêmement développée.



Quel est le rôle de l’Intelligence Artificielle dans le véhicule autonome ? Aujourd’hui, l’apprentissage profond est considéré comme une brique fondamentale sans laquelle la voiture autonome ne verra pas le jour ; dans ce contexte, deux enjeux majeurs se présentent.

Le premier est la robustesse fonctionnelle. Il est inenvisageable de mettre sur la route une voiture qui n’engendrera pas, de façon significative, moins d’accidents qu’un conducteur humain. Le niveau de performance algorithmique doit donc être extrêmement développé. La solution actuellement perçue par l’industrie automobile consiste à utiliser l’Intelligence Artificielle et les réseaux de neurones profonds.

Le deuxième levier concernant ce type de technologies est l’extrême complexité de l’environnement d’un véhicule. Valeo a été le premier à faire des expérimentations dans Paris. La capitale présente une diversité et une dynamique d’éléments et d’objets dans un environnement pas très structuré : des intersections, des piétons un peu partout, imprévisibles, des feux rouges, des deux-roues, etc. C’est un environnement très dense et complexe.

Pour gérer ces environnements, l’Intelligence artificielle est nécessaire. Elle intervient à trois niveaux. En premier, elle aide à comprendre l’environnement, détecter, classifier, positionner les objets dans un monde 3D, avec des caméras, bien sûr, parce qu’il est beaucoup question d’images dans le Deep Learning. Néanmoins, notre vie ne se réduit pas à des images. Nous employons diverses technologies de capteurs : caméras, capteurs laser, capteurs radars. Le Deep Learning est utilisé pour améliorer la détection de l’environnement réalisée par ces technologies, et fusionner tous les capteurs des grandes voies. Ce seront les premiers pas du Deep Learning dans l’automobile.

Le deuxième niveau consiste à prédire la trajectoire des autres voitures. Comme nous l’avons appris à l’auto-école, un bon conducteur est quelqu’un qui sait anticiper ce que vont faire les voitures autour de nous. Or il y a un aspect « social » très régional du comportement routier. Est-ce que la voiture va me laisser passer ou pas ? Est-ce qu’elle va ralentir ou accélérer ? Est-ce que le feu va bientôt passer au rouge ? Pour tous ces aspects-là, sont développés des algorithmes de Deep Learning avec l’idée qu’ils permettent une bien meilleure prédiction que les algorithmes classiques.

Troisième aspect, certainement le moins mature pour l’instant en termes d’implémentation, c’est décider, c’est-à-dire contrôler la trajectoire de la voiture à partir d’algorithmes d’Intelligence artificielle. Il y a encore du chemin à parcourir, car se présentent des difficultés liées à des problématiques d’explicabilité, de capacité à prédire ce que va faire l’algorithme de Deep Learning à partir du moment où existera une responsabilité légale et éthique sur le fait de n’écraser personne.

A la question : le véhicule autonome, fiction ou actions au niveau de l’Intelligence artificielle, la réponse est très clairement : actions. L’Intelligence artificielle se développe énormément dans l’automobile. Valeo a renforcé récemment son potentiel avec l’arrivée de M. Patrick Perez en janvier de cette année, comme directeur scientifique de valeo.ai, centre mondial de recherche sur l’intelligence artificielle et l’apprentissage profond dans les applications automobiles.

Pour illustrer ce qui précède, et montrer les limites de ce qui est possible sans ou avec IA, Valeo a mis sur le marché il y a deux ans, avec Mercedes, un système permettant à un véhicule de se garer seul, le conducteur ayant seulement à actionner le Bluetooth sur son Smartphone. Pour réaliser cette fonction somme toute simple, il a fallu 3 millions de lignes de code, comparable au logiciel d’un avion Rafale. Cela représente 1 million d’heures d’ingénieurs. De 2008 à 2018, Valeo est passé, dans ses fonctions études, de 6 000 personnes à plus de 20 000, et envisage bientôt 30 000 ingénieurs. Ces quelques chiffres montrent l’invraisemblable consommation de ressources pour développer ces fonctions de véhicules autonomes, connectés et électriques, trois piliers indissociables de cette révolution.

Détaillons maintenant l’exemple de Tesla. Tesla est connue pour être une très belle voiture premium électrique. En réalité, Tesla a changé les règles du jeu car il s’agit du premier véhicule dénommé « over the air », ce qui signifie qu’il est possible de changer la programmation à distance. Pour les non-spécialistes, cela n’a l’air de rien, mais c’est un bouleversement de l’industrie. En effet, précédemment, quand un véhicule était mis sur la route, il était testé pendant des centaines de milliers de kilomètres ou des millions de kilomètres et la fonction était garantie. Or ici, apparaît un nouvel acteur qui sélectionne des clients et leur demande de devenir testeur. Ces personnes vont prendre le « risque » de tester une fonction qui n’existe pas.

Évidemment, par cette pratique, vont être cumulés en test des milliards de kilomètres, et il sera possible de garantir encore plus précisément, parce que, auparavant, « jamais d’accident » sur un million de kilomètres n’est pas « zéro accident » : c’est moins d’un accident par milliard de kilomètres ou par milliard d’heures, ce qui représente la fiabilité de la robotique. Pour atteindre ceci, il faut des milliards de kilomètres de conduite sur route. Or, en France, en 2017, 560 milliards de kilomètres ont été parcourus.

Ainsi se posent des questions complètement interdépendantes entre le véhicule électrique autonome et la nouvelle mobilité, ouvrant la boîte de Pandore puisque l’Intelligence Artificielle peut être aussi utilisée pour des fonctions beaucoup plus perceptibles par l’être humain, des fonctions que chacun peut apprécier dans sa voiture, des fonctions prédictives et surtout adaptatives à nos propres besoins.



Ci-dessus sont présentées des fonctions que réalise Valeo avec une filiale, certaines d’entre elles étant d’ores et déjà sur le marché. Nous estimons qu’environ 30 000 propositions de ce type existent à travers le monde. Ces propositions viennent des plus grands, mais aussi de start-ups, et bien malin qui sera capable de prédire les vainqueurs.

Une certitude : la chaîne de valeur établie « depuis toujours » dans l’automobile, en fait depuis la Seconde guerre mondiale, est à la fois complexe et simple, puisque nous sommes dans l’industrie lourde. Coexistent en amont, des fournisseurs de composants, des systémiers, des constructeurs automobiles, et en aval l’après-vente. Avec l’over the air, la frontière entre la première monte et l’after market s’estompe, le supervisionnement de la voiture disparaît, en raison des services en ligne et d’autres fonctionnalités.

La fonction même du véhicule, qui est de transporter ses passagers d’un point A à un point B, tend à disparaître, notamment avec les robots taxis : en effet, quel est le point A ? Il est possible, pour un conducteur, de partager la course avec d’autres personnes, donc les points A sont multiples. Le véhicule peut venir chercher son passager à sa porte et ce n'est plus lui qui va vers le véhicule. Tout ceci va changer vraiment et rapidement l’industrie automobile. Bien sûr, tout le monde s’y prépare et chacun veut sortir vers le haut.

Évidemment, toutes ces nouveautés vont soulever d’immenses problèmes. Les premières nouvelles fonctions arriveront dès 2020, avec le véhicule autonome ou les robots taxis. 2020, c’est demain. Il sera demandé au conducteur de reprendre la main, car le véhicule ne sera pas capable de faire toute la variété de la mission de transport ; de son domicile, le conducteur ira manuellement jusqu’au périphérique, puis passera en autonome, malgré l’environnement motos et autres voitures, puis prendra l’autoroute en mode automatique, et arrivé au point de destination, reprendra le contrôle manuel. Cette mixité oblige à surveiller à chaque instant l’état de conscience et l’état de vigilance du conducteur.

Il faut donc l’identifier formellement, par algorithme. Ensuite, il faut être capable de comprendre son état de santé, son niveau de vigilance. A partir du diamètre de sa pupille, on sait instantanément s’il est sous l’emprise de l’alcool ou de drogues. D’autres données sont fournies par les mouvements des yeux ou des paupières, par le rythme cardiaque, etc. cerise sur le gâteau, la gestion des émotions est indispensable, notamment pour supprimer le mal des transports. Un élément à connaître : quand on ne conduit pas, 20 % de la population, une personne sur cinq, est sensible au mal des transports.

Tout cela nous amène à penser que l’usage du véhicule automobile, dans dix à quinze ans, sera aussi différent de celui des voitures actuelles, tout comme l’usage d’aujourd’hui du smartphone n’a plus rien à voir avec celui des téléphones mobiles au début des années 2000. Certes, il est possible de continuer à téléphoner avec un smartphone, mais l’essentiel des fonctions est ailleurs. Ce sera identique pour la voiture : l’essentiel des fonctions du véhicule de demain ne sera pas lié au fait de conduire. Nous nous y préparons.

Ces évolutions, ces ruptures sont l’apport de l’Intelligence Artificielle au produit ou aux fonctions qu’offrira l’automobile dans les années à venir.

Pour aller vers la conclusion, quels sont les impacts sur les organisations ?

Expérience personnelle : il y a quelques décennies, examens et concours imposaient la règle à calcul, ce qui était ressenti comme un pensum absolu puisque les calculettes étaient en vente libre. Le service méthodes d’un constructeur était alors le royaume des planches à dessin et des dessins industriels. Est arrivée la transformation liée à l’informatique et surtout à la Conception Assistée par Ordinateur qui, à son origine, était une affaire de bureau d’études.

Avec vingt ans de recul, la CAO a fait beaucoup plus que seulement supprimer les lames de rasoir pour gratter l’encre de Chine des dessins en les remplaçant par une souris et une console. La CAO a créé les équipes projet. Aujourd’hui, dans le monde entier, tout le monde a accès à un accueil virtuel, que l’on soit au service des études, au marketing, à l’industrialisation ou dans les usines. Donc tout dossier est partagé.

L’un des constats, invisibles au départ, est que c’est un prérequis absolument indispensable à la mondialisation, car actuellement il n’existe plus aucune étude d’automobile qui ne soit pas partagée entre plusieurs continents. Ceci illustre bien que l’introduction d’une nouvelle technique change très profondément l’organisation interne d’une entreprise et ses compétences.

Toujours il y a quelques décennies, c’était l’époque des petits carnets, où chaque ingénieur consignait soigneusement ses « recettes ». De nos jours existent d’immenses bases de données accessibles. C’était aussi l’époque où seuls les chefs de service étaient autorisés à avoir le préfixe 16 pour téléphoner en province ; maintenant tout le monde va en Chine, qui représente un tiers du marché automobile actuel.

L’Intelligence Artificielle est déjà en train de provoquer des changements similaires dans les bureaux d’études et bientôt dans les usines. Apparaissent, dans les bureaux d’études de Valeo, des philosophes, des ethnologues, car les questions de compréhension des fonctions et l’intelligibilité de ce qui est fait n’est plus qu’une affaire d’ingénieurs.

Des métiers séparés comme directeur artistique, responsable de la mise en couleur, designer, ergonome, sont en train de se rapprocher ou fusionner dans un monde complètement différent et basé sur l’expérience utilisateur. Il est probable que les ingénieurs soient les mieux placés.

Le véhicule autonome n’est pas simple à comprendre ; ce qui est sûr n’est pas forcément confortable. Si l’on conduit très conformément au code de la route, on ne double pas souvent. Rappelons-nous les leçons de code : dès qu’un petit point noir est visible dans le rétroviseur, il est interdit de doubler. Certes, mais qui ne le fait pas ? Si l’on arrive place de l’Étoile-Charles de Gaulle, et nous avons fait des essais sur cette place, et si l’on respecte scrupuleusement la priorité à droite, le tour de l’Arc de Triomphe risque d’être long.

Ainsi, tous les services d’une entreprise vont travailler complètement différemment ; dans les usines, les bases de données vont être générées par des véhicules roulants, instrumentés. Pour illustrer, dans un véhicule, le moindre capteur est relié à un ordinateur central ; il existe des capteurs de température, d’humidité, de pluviométrie, etc. Il pourrait être donc envisagé de construire une magnifique station météo. Une application parmi 30 000 !

Tous ces innovations ont bouleversé l’industrie, à la fois de l’extérieur, par des services complètement nouveaux, et de l’intérieur, puisque pour y répondre, l’organisation ne sera plus ce qu’elle est aujourd’hui. Dans ce but, Valeo a créé un centre séparé du reste de l’organisation avec des règles de fonctionnement différentes, et notamment pas de propriété industrielle, puisque l’entreprise devra s’adapter à ces nouvelles règles du jeu. Un beau défi !

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