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19 mars 2018
Grands projets d’infrastructure : rendre systématiquement compte de la prise en compte du climat
Publié par
Benoit Leguet
| Infrastructures
L’article 173 de la Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV) adoptée en 2015 instaure des obligations d’information pour les entreprises et les investisseurs institutionnels sur leur gestion des risques liés au climat. Plus généralement, il est demandé à ces acteurs de rendre compte de la contribution de leurs investissements à la transition écologique et énergétique. L’objectif de ce dispositif est de mettre en place une transparence et une circulation de l’information sur ces dynamiques fondamentales de changement. Au-delà de la question financière, les infrastructures de transport sont des actifs très importants pour l’économie et la société. Systématiser, dans l’esprit de cet article 173, un reporting sur la manière dont les nouveaux grands projets s’inscrivent dans une trajectoire de réduction des émissions de GES et d’adaptation au changement climatique pourrait être un élément d’information très riche pour la décision publique. Cet article propose deux pas pour avancer dans cette direction.
Comme l’illustrent les projets les plus médiatisés - aéroports, autoroutes, LGV, etc. - le développement d’infrastructures reste un enjeu économique et politique majeur. S’y ajoute l’immense défi de la modernisation des équipements et réseaux existants : ce sont par exemple plus de 45 milliards d’euros qui doivent être investis sur 10 ans pour renouveler le réseau ferroviaire français[1]. La conduite de tels projets s’inscrit dans un contexte caractérisé par une acceptabilité sociale de plus en plus discutée, des capacités de financement public limitées et un impératif de cohérence vis-à-vis des transformations technologiques, économiques et sociales en cours. Au premier rang de ces transformations figure la transition vers une économie neutre en carbone et résiliente au changement climatique.
Le rapport de la New Climate Economy (2016) rappelle que 90 000 milliards de dollars vont devoir être investis dans le monde pour développer et renouveler les infrastructures vitales d’ici 2030 et affirme qu’"investir dans des infrastructures durables est essentiel pour […] relancer la croissance mondiale, atteindre les objectifs de développement durable et réduire les risques climatiques". Le constat vaut également à l’échelle française. Penser ensemble ces impératifs, c’est possiblement bénéficier d’une incroyable fenêtre d’opportunité pour bâtir les bases d’une économie adaptée aux enjeux des décennies qui viennent. Pourtant, les grands projets de transports suivent leur logique et processus politiques propres. Faire le lien avec les objectifs climatiques formalisés dans la LTECV, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC[2]) et le Plan national d’adaptation au changement Climatique(PNACC[3]) est loin d’être évident. Il est cependant possible de progressivement se doter des outils méthodologiques et législatifs pour révéler ce défi.
C’est déjà ce qui se déploie dans le secteur financier qui, petit à petit, se prépare à gérer les risques que constituent la transition énergétique et le changement climatique (TCFD 2017, I4CE 2017, HLEG[4]). La logique sous-jacente consiste à inciter les investisseurs à évaluer les impacts actuels et à venir de cette dynamique sur la performance de leurs actifs. A partir d’obligations de reporting, une exigence de transparence se propage tout au long des chaînes de valeurs. En France, l’article 173[5] de la Loi de transition énergétique demande ainsi aux investisseurs institutionnels de décrire leur prise en compte de ces enjeux. Il n’impose pas de méthode prescriptive afin de favoriser le développement d’une diversité d’approches, adaptées à la nature des activités de chaque acteur et à permettre l’émergence des meilleures pratiques. L’idée étant que, progressivement, ces informations soient prises en compte dans la composition des portefeuilles et que le marché reflète ces nouveaux risques dans sa valorisation des actifs.
Une sorte d’ « article 173 » pour les projets d’infrastructures pourrait prendre la forme d’un rapport indépendant associant des éléments quantitatifs et qualitatifs, élaboré à partir de recommandations communes à l’image de celles de la Task Force on Climate-related Financial Disclosure dans le champ financier :
Les approches de ce type sont fondées sur des hypothèses fortes quant aux usages de l’infrastructure et du système dans lequel elle s’inscrit et à ses évolutions : augmentation induite de la demande de mobilité ou report modal par exemple pour une infrastructure de transport. Les conclusions que l’on en tire doivent donc être fondées sur une discussion de ces hypothèses, de leur cohérence et de leur désirabilité dans un contexte de transition : par exemple, est-il souhaitable d’augmenter le trafic aérien de passagers ? Ce point est crucial si l’on considère leur caractère auto-réalisateur, l’équipement créant en partie la demande.
Par ailleurs, l’empreinte carbone d’un projet isolé doit être mise en perspective de la contribution du projet à des stratégies territoriales plus vastes tenant compte des objectifs de transition. Le caractère dynamique de ces stratégies et la forme de la trajectoire qu’elles dessinent dans le temps sont fondamentaux. Les risques d’immobilisation dans une trajectoire de développement non compatible à terme avec la neutralité carbone - par exemple lorsque le développement d’une nouvelle bretelle d’accès enferme un peu plus une agglomération dans sa dépendance à la voiture - doivent notamment être rendus visibles.
L’empreinte carbone peut ainsi être un indicateur parmi d’autres – par exemple des indicateurs de vulnérabilité climatique – avec lesquels nous devons nous familiariser. Sans consacrer trop de ressources à chaque bilan, ni imposer de méthodologies trop normatives, il s’agit avant tout de soutenir l’installation d’une plus grande transparence et d’une plus grande cohérence sur la manière dont on évalue et on discute des effets d’un nouveau projet au regard des transformations en cours et des objectifs que nous nous sommes collectivement fixés dans le cadre de la transition énergétique et écologique.
[1]Autour de plusieurs centaines de chantiers par an conduits par SNCF Réseau www.sncf-reseau.fr/fr/maintenir-la-performance-du-reseau-une-priorite-strategique
[2] www.ecologique-solidaire.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone La trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui doit être suivie pour répondre à l’objectif de -40% en 2030 par rapport à 1990 et de 0 émission nette en 2050 est déclinée par secteur dans la Stratégie nationale bas carbone, en cours de révision.
[3] Le premier Plan national d’adaptation datant de 2009 est également en cours de révision www.ecologique-solidaire.gouv.fr/nouveau-plan-national-dadaptation-au-changement-climatique-premieres-pistes
[4] www.i4ce.org/i4ce-salue-la-publication-du-rapport-interimaire-du-groupe-dexperts-de-haut-niveau-hleg-sur-la-finance-durable-reuni-par-la-commission-europeenne/
[5] Pour une présentation plus complète de cet article et de l’intention du législateur, voir : www.novethic.fr/fileadmin/user_upload/tx_ausynovethicetudes/pdf_complets/Essentiel-art-173-Novethic-2016.pdf
[6] CF. « Bilan Carbone global des projets de transport » - Conférence organisée par SNCF dans le cadre du Salon World Efficiency Solutions le 13 décembre 2017 https://www.youtube.com/watch?v=oR6-7GMzHqU&t=2s
[7] www.carbone4.com/wp-content/uploads/2017/12/20171123_Carbone-4_Diagnostic-carbone-NDDL-et-NA_Rapport-final-vf-pour-site-web.pdf
Bibliographie
Comme l’illustrent les projets les plus médiatisés - aéroports, autoroutes, LGV, etc. - le développement d’infrastructures reste un enjeu économique et politique majeur. S’y ajoute l’immense défi de la modernisation des équipements et réseaux existants : ce sont par exemple plus de 45 milliards d’euros qui doivent être investis sur 10 ans pour renouveler le réseau ferroviaire français[1]. La conduite de tels projets s’inscrit dans un contexte caractérisé par une acceptabilité sociale de plus en plus discutée, des capacités de financement public limitées et un impératif de cohérence vis-à-vis des transformations technologiques, économiques et sociales en cours. Au premier rang de ces transformations figure la transition vers une économie neutre en carbone et résiliente au changement climatique.
Le rapport de la New Climate Economy (2016) rappelle que 90 000 milliards de dollars vont devoir être investis dans le monde pour développer et renouveler les infrastructures vitales d’ici 2030 et affirme qu’"investir dans des infrastructures durables est essentiel pour […] relancer la croissance mondiale, atteindre les objectifs de développement durable et réduire les risques climatiques". Le constat vaut également à l’échelle française. Penser ensemble ces impératifs, c’est possiblement bénéficier d’une incroyable fenêtre d’opportunité pour bâtir les bases d’une économie adaptée aux enjeux des décennies qui viennent. Pourtant, les grands projets de transports suivent leur logique et processus politiques propres. Faire le lien avec les objectifs climatiques formalisés dans la LTECV, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC[2]) et le Plan national d’adaptation au changement Climatique(PNACC[3]) est loin d’être évident. Il est cependant possible de progressivement se doter des outils méthodologiques et législatifs pour révéler ce défi.
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Vers un reporting ouvert et systématique
C’est déjà ce qui se déploie dans le secteur financier qui, petit à petit, se prépare à gérer les risques que constituent la transition énergétique et le changement climatique (TCFD 2017, I4CE 2017, HLEG[4]). La logique sous-jacente consiste à inciter les investisseurs à évaluer les impacts actuels et à venir de cette dynamique sur la performance de leurs actifs. A partir d’obligations de reporting, une exigence de transparence se propage tout au long des chaînes de valeurs. En France, l’article 173[5] de la Loi de transition énergétique demande ainsi aux investisseurs institutionnels de décrire leur prise en compte de ces enjeux. Il n’impose pas de méthode prescriptive afin de favoriser le développement d’une diversité d’approches, adaptées à la nature des activités de chaque acteur et à permettre l’émergence des meilleures pratiques. L’idée étant que, progressivement, ces informations soient prises en compte dans la composition des portefeuilles et que le marché reflète ces nouveaux risques dans sa valorisation des actifs.
Une sorte d’ « article 173 » pour les projets d’infrastructures pourrait prendre la forme d’un rapport indépendant associant des éléments quantitatifs et qualitatifs, élaboré à partir de recommandations communes à l’image de celles de la Task Force on Climate-related Financial Disclosure dans le champ financier :
- Inscrivant le projet dans son contexte et discutant des hypothèses d’usage qu’il retient et des développements qu’il entend favoriser ;
- Décrivant en quoi le projet contribue tout au long de sa vie à une économie compatible avec les objectifs climatiques et notamment les trajectoires d’émissions inscrites dans la loi et déclinées dans la Stratégie nationale bas carbone ;
- Evaluant les risques que font porter sur le projet les transformations attendues de l’économie à court, moyen et long terme (par exemple : sa pertinence serait-il réinterrogée si un prix du carbone significatif était mis en place ?) et décrire la manière dont ils sont identifiés, suivis et gérés dans le cadre du projet. Cette évaluation devrait se faire sur la base d’une pluralité de scénarios explorant une diversité des futurs possibles – en l’appuyant sur les connaissances scientifiques disponibles.
- Décrivant comment la conception du projet proposée intègre des critères de flexibilité et de robustesse lui permettant de s’adapter à ces transformations et aux changement climatiques qui ne pourront pas être évités.
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Un usage systématique et réfléchi d’indicateurs comme l’empreinte carbone
Les approches de ce type sont fondées sur des hypothèses fortes quant aux usages de l’infrastructure et du système dans lequel elle s’inscrit et à ses évolutions : augmentation induite de la demande de mobilité ou report modal par exemple pour une infrastructure de transport. Les conclusions que l’on en tire doivent donc être fondées sur une discussion de ces hypothèses, de leur cohérence et de leur désirabilité dans un contexte de transition : par exemple, est-il souhaitable d’augmenter le trafic aérien de passagers ? Ce point est crucial si l’on considère leur caractère auto-réalisateur, l’équipement créant en partie la demande.
Par ailleurs, l’empreinte carbone d’un projet isolé doit être mise en perspective de la contribution du projet à des stratégies territoriales plus vastes tenant compte des objectifs de transition. Le caractère dynamique de ces stratégies et la forme de la trajectoire qu’elles dessinent dans le temps sont fondamentaux. Les risques d’immobilisation dans une trajectoire de développement non compatible à terme avec la neutralité carbone - par exemple lorsque le développement d’une nouvelle bretelle d’accès enferme un peu plus une agglomération dans sa dépendance à la voiture - doivent notamment être rendus visibles.
L’empreinte carbone peut ainsi être un indicateur parmi d’autres – par exemple des indicateurs de vulnérabilité climatique – avec lesquels nous devons nous familiariser. Sans consacrer trop de ressources à chaque bilan, ni imposer de méthodologies trop normatives, il s’agit avant tout de soutenir l’installation d’une plus grande transparence et d’une plus grande cohérence sur la manière dont on évalue et on discute des effets d’un nouveau projet au regard des transformations en cours et des objectifs que nous nous sommes collectivement fixés dans le cadre de la transition énergétique et écologique.
[1]Autour de plusieurs centaines de chantiers par an conduits par SNCF Réseau www.sncf-reseau.fr/fr/maintenir-la-performance-du-reseau-une-priorite-strategique
[2] www.ecologique-solidaire.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone La trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui doit être suivie pour répondre à l’objectif de -40% en 2030 par rapport à 1990 et de 0 émission nette en 2050 est déclinée par secteur dans la Stratégie nationale bas carbone, en cours de révision.
[3] Le premier Plan national d’adaptation datant de 2009 est également en cours de révision www.ecologique-solidaire.gouv.fr/nouveau-plan-national-dadaptation-au-changement-climatique-premieres-pistes
[4] www.i4ce.org/i4ce-salue-la-publication-du-rapport-interimaire-du-groupe-dexperts-de-haut-niveau-hleg-sur-la-finance-durable-reuni-par-la-commission-europeenne/
[5] Pour une présentation plus complète de cet article et de l’intention du législateur, voir : www.novethic.fr/fileadmin/user_upload/tx_ausynovethicetudes/pdf_complets/Essentiel-art-173-Novethic-2016.pdf
[6] CF. « Bilan Carbone global des projets de transport » - Conférence organisée par SNCF dans le cadre du Salon World Efficiency Solutions le 13 décembre 2017 https://www.youtube.com/watch?v=oR6-7GMzHqU&t=2s
[7] www.carbone4.com/wp-content/uploads/2017/12/20171123_Carbone-4_Diagnostic-carbone-NDDL-et-NA_Rapport-final-vf-pour-site-web.pdf
Bibliographie
- CGDD-SOeS. (2017). Chiffres clés du climat France et Monde - Édition 2017.
- Cochran, I., Dépoues, V., Hubert, R., & Nicol, M. (2017). Les plans d’adaptation des entreprises?: ou la pression mise par la finance. In Adaptation au changement climatique, une question de sociétés (CNRS Editions).
- Dépoues, V., Hainaut, H. (2018). Renouvellement des infrastructures de transport et objectifs climatiques. Revue TEC, n°236.
- (2017). Panorama des financements climat, édition 2017.
- (2017). Trois notes sur la gestion des risques climatiques de transition par les acteurs financiers.
- Task Force on Climate-related Financial Disclosures. (2017). Recommendations of the Task Force on Climate-related Disclosures.
- The New Climate Economy. (2016). The sustainable Infrastructure Imperative.
- Accord de Paris sur le Climat. (2015).
- Loi de transition énergétique pour la croissance verte. (2015).
- Plan national d’adaptation au changement climatique. (2011).
- Stratégie Nationale Bas Carbone. (2016).
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