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14 mai 2018

« Réinvestissons la France ! » : ce que les Français nous disent sur les infrastructures

La richesse et le rayonnement de la France plongent leurs racines dans l’Histoire : les territoires et les paysages portent une marque profonde de cette œuvre humaine et toute une partie de son identité renvoie à cette patiente construction du pays, ses équipements, son industrie, ses valeurs, génération après génération. Mais c’est un pays qui traverse aujourd’hui une période délicate de son histoire collective : le pays n’a jamais été aussi riche, sa jeunesse n’a jamais été aussi formée, sa société n’a jamais été autant organisée mais ses cadres et ses institutions semblent aujourd’hui en crise. Comme une métamorphose à engager mais qui tarde à se faire : une difficulté collective à passer à l’action, qu’il s’agisse de créer des entreprises ou mener des projets d’aménagement et qui se traduit par la menace d’un déclassement progressif du pays.

Il n’y a rien de rédhibitoire à cela, précisément parce que les atouts sur lesquels la France et les Français peuvent compter sont très nombreux, mais cela impacte la capacité à engager des investissements stratégiques et surtout à conduire les travaux faute de légitimité pour les porter : on ne compte plus les chantiers de toutes tailles arrêtés ou reportés. Cela fragilise le secteur des travaux publics. Au delà des enjeux économiques propres à la filière, c’est surtout un problème pour le pays car ce secteur est au carrefour d’enjeux stratégiques : enjeu d’attractivité économique, enjeu de durabilité du développement, enjeu d’aménagement du territoire…

C’est pour approfondir ces différents sujets que la Fédération Nationale des Travaux Publics (FNTP) est allée à la rencontre des Français en 2017. Menées pour partie en parallèle des Assises de la mobilité, ces réunions « grand public » ont rassemblé des publics nombreux (plus de 2500 participants au total) et variés : un travail spécifique a été mené pour inviter tous types de personnes, avec une attention aux jeunes, aux classes populaires, aux chefs d’entreprises, à tous ceux qui ne participent habituellement pas à ces rencontres et associant y compris des opposants identifiés. Elles ont prouvé qu’il était possible, sur ce terrain a priori très sensible politiquement, de mener des débats constructifs respectant les points de vue de chacun. Loin du pays résigné et fermé au changement que les médias dépeignent au quotidien, les très nombreux Français rencontrés aspirent à mener un dialogue serein, utile au développement du pays et déplorent que les espaces manquent pour avoir ce genre d’échanges ouverts et constructifs.

Les infrastructures, un sujet qui intéresse les Français

C’est ainsi que ces débats menés pendant plusieurs mois au contact des territoires les plus variés et de tous ceux qui y vivent ont fourni des enseignements très qualitatifs et particulièrement intéressants sur ce qui sous-tend la façon que les Français ont de voir l’équipement et l’aménagement du pays.

Le premier constat que l’on peut tirer de ces rencontres est que, à l’heure du numérique, les infrastructures sont un sujet qui intéresse toujours les Français : où que l’on soit dans le pays, à Aix, Caen, Strasbourg, Amiens, Verdun, Saint-Etienne, Montauban, Angers, etc., les habitants et acteurs locaux sont venus nombreux. Ils font clairement des infrastructures un sujet stratégique pour l’avenir du pays. Ils disent : les voies ferrés, autoroutes, TGV, aéroports ont modelé nos paysages, permis les équilibres entre les territoires, garanti la compétitivité du pays. S’ils mentionnent tout cela, ce n’est pas un constat figé. Les participants aux rencontres identifient de nouveaux besoins pour le XXIe siècle, à la fois de nouveaux types d’infrastructures (comme la fibre ou la 4G) et de nouveaux besoins pour les infrastructures existantes (les nouvelles logiques économiques et territoriales qui s’esquissent pour les prochaines décennies vont amener des déplacements de population et de nouveaux besoins d’aménagements). Constatant que rien n’est dit ni fait sur le sujet, ils s’inquiètent du pays que nous sommes en train de construire pour nos enfants.

Une question d’égalité, de développement de démocratie

Le second constat issu de ces rencontres et que l’on a pu vérifier soir après soir, c’est que les mêmes types de questions se posent, partout dans les mêmes termes, que l’on soit à Vannes, Paris, Besançon ou Agen.
  • L’égalité entre les citoyens où qu’ils habitent : c’est d’abord le modèle territorial français qui est en question à travers l’accès aux infrastructures. Les rencontres ont permis de vérifier que le débat sur l’existence de « Deux France » opposant les « métropoles » et la « France périphérique » faisait certes écho à une vraie préoccupation de nos concitoyens mais qu’il était surtout très mal posé. Partout, les rencontres ont montré une France en mouvement ! De nombreux participants ont dit qu’ils voulaient de meilleures infrastructures précisément pour pouvoir développer leurs projets et leur territoire : « les jeunes s’en vont faute de perspectives alors qu’il y a des projets et des envies, mais les infrastructures sont mal entretenues ou pas au niveau ». Retards et disparités de traitement nourrissent l’inquiétude des Français et alimentent un sentiment d’abandon. Ils savent que tout n’est pas possible immédiatement mais souhaitent que les efforts soient connus, planifiés et répartis de façon équitable : sachant les budgets contraints, ils demandent plus d’entretien et moins de grands projets.
  • Investir dans le développement durable du pays : les Français rencontrés ont aussi dit que les infrastructures jouaient un rôle essentiel dans l’accès à l’emploi, au savoir, à la santé. Demandeurs d’emploi, jeunes, chefs d’entreprise, familles, beaucoup sont revenus sur la nécessité d’avoir des infrastructures modernes pour que nos entreprises et nos territoires soient en capacité de faire face à la grande mutation qu’annonce la numérisation massive de nos économies… en soulignant qu’il ne suffisait pas de mettre la fibre et la 4G mais que les infrastructures « classiques » devaient suivre aussi, en intégrant les enjeux de durabilité. S’ils ont les contraintes budgétaires à l’esprit, ils considèrent que, bien choisies, les infrastructures ne sont pas des dépenses mais des investissements stratégiques. Ils soulignent les différences entre territoires, l’inventivité des entreprises ou des simples porteurs de projets et appellent à pouvoir innover, expérimenter, tester les solutions de demain.
  • La question démocratique : enfin, les participants ont tous appelé à de nouvelles façons de choisir et concevoir les investissements. C’est de leur point de vue à la fois un gage d’innovation (amener de nouvelles idées, de nouvelles façons de voir) et un gage de réussite pour les projets (prévenir les blocages politiques et les surcoûts en anticipant mieux). Le sentiment global est que l’« on ne peut pas continuer comme ça » : multiplier les conflits autour de chaque projet d’aménagement alors que tout le monde se dit globalement favorable à l’idée de développer le pays est le signe que l’on s’y prend mal, disent les participants. Quel que soit leur horizon politique, ils demandent que les citoyens soient impliqués plus en amont dans les décisions, au moment où les enjeux stratégiques sont instruits et pas seulement in fine pour valider ou contester les options techniques retenues.

Expérimenter pour accompagner partout les projets et les innovations

Si l’on se concentre pour finir sur les enseignements de ces rencontres d’un strict point de vue économique, deux enjeux émergent.
  • Un enjeu direct de développement des territoires car, derrière les demandes qui ont été formulées en matière d’infrastructures et de connexions dans les zones « non métropolitaines », ce sont autant de projets en difficulté ou en jachère, autant d’opportunités de création d’entreprises ou d’emplois qui sont bridées. Ce que disent ces rencontres et qui est confirmé dans les travaux de nombreux économistes, c’est qu’en n’étant pas attentifs au potentiel de tous les territoires, c’est la croissance potentielle du pays qui est atteinte. Les débats sur les infrastructures ont servi de révélateurs de cette inquiétude plus large sur la capacité à porter des projets où que l’on soit en France. D’un point de vue très pratique, il y a là un appel à permettre des politiques nationales et locales différenciées, plus adaptées aux besoins d’expérimentations qui s’expriment partout.
  • Un enjeu indirect aussi car les participants affirment que ce déficit d’aménagement autour des villes moyennes ou dans les zones rurales n’est pas juste dommageable pour les porteurs de projets des territoires défavorisés (et les territoires eux-mêmes par la même occasion). Si le débat a été porté dans les mêmes termes à Aix qu’à Agen, à Besançon qu’à Strasbourg, à Verdun qu’à Paris, c’est aussi que tout le monde considère que la priorisation des investissements sur les seules relations « entre métropoles » plutôt qu’entre les métropoles et leurs régions est profondément dommageable pour les cœurs métropolitains eux-mêmes. D’un strict point de vue économique, leurs fonctions d’intermédiation ont besoin de la variété des projets et des personnes qui vivent autour d’eux ! Au delà, les participants déplorent que l’ensemble de la société soit fragilisé par l’agitation de supposées fractures entre des bouts de France ou entre des populations.

Le modèle territorial en question

Oui il y a des dynamiques et des atouts différents en fonction des territoires. Mais une attente forte s’est exprimée dans les débats pour entendre les questions de cohésion et de développement sous-jacentes : si les seules réflexions engagées portent sur le logement et la mobilité, on continuera à alimenter à la fois une consommation croissante d’espaces naturels et un besoin croissant de déplacements… Interrogés sur les infrastructures, les citoyens ont ainsi posé plus largement la question de notre modèle territorial, appelant notamment à plus d’attention et de soutien aux projets et activités économiques localisées dans le périurbain et le rural : les infrastructures ne doivent pas seulement permettre à tout le monde d’avoir « accès à la métropole », elles doivent permettre à tout le monde de se développer localement pour ne plus dépendre uniquement des métropoles.

Les dynamiques différenciées des territoires nationaux se nourrissent à la même source et s’inscrivent dans un même horizon politique et économique. Pour le développement de la France, de ses entreprises, de l’emploi, pour mieux vivre ensemble dans les territoires, l’enjeu n’est pas de fragmenter le pays en spécialisant les besoins de chaque zone ou chaque pôle, en séparant et segmentant les populations à grand renfort de typologies hâtives. L’enjeu est d’identifier, analyser et expérimenter des leviers actifs de co-développement dans un système territorial français et européen en profonde évolution. C’est de cela qu’il est question quand on parle d’infrastructures. Notre territoire et notre pays sont en pleine mutation, à travers les territoires où l’on vit, les lieux que l’on fréquente, leur équipement, l’attention dont ils bénéficient dans les politiques publiques ou les médias, c’est un peu de la place de chacun dans le récit de la France qui se joue. Ces questions renvoient donc à des enjeux économiques et budgétaires évidents. Elles ont aussi des échos directs et très puissants dans le contrat social et politique du pays : les infrastructures sont avant tout un enjeu démocratique.

Auteurs

Docteur en économie, ENSAE (2000), Frédéric Gilli est lauréat du prix du jeune urbaniste en 2010. Chercheur associé à Sciences Po, où il enseigne et co-fondateur de metropolitiques.eu, il est directeur associé de l’agence Campana Eleb Sablic, spécialisée depuis plus de 30 ans dans l’accompagnement du changement.

Auteur d’articles et ouvrages sur l’organisation des systèmes productifs et la géographie de l’emploi, il a également publié plusieurs ouvrages sur le grand Paris (dernièrement "Grand Paris; l'émergence d'une métropole" aux Presses de Sciences Po, 2014).
Il réfléchit également à la façon de dynamiser les projets économiques et urbains au moyen de processus participatifs plus performants ("Territoires et innovation", La Documentation française, 2012).

Au sein de l'agence Campana-Eleb-Sablic dont il est l'un des associés, il accompagne de grandes entreprises (EDF, SNCF, PSA, Fnac, Genrali, MAIF, etc.), des collectivités locales (Paris, Bordeaux, Région Ile-de-France, Région Rhône-Alpes) ou des institutions (Ministères) dans l'appropriation et l'enrichissement de projets stratégiques par les salariés/citoyens.

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