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02 juin 2017
La reconversion des footballeurs professionnels
Publié par
Richard Duhautois
| Sport
Avant de plonger dans le vif du sujet, rappelons que la carrière moyenne d’un footballeur professionnel n’est que de 5 ans environ (voir par exemple Bernd Frick et al., The Football Players’ Labor Market : Empirical Evidence from the Major European Leagues, Scottish Journal of Political Economy, Vol. 54, jul. 2007) et que beaucoup ne font qu’un passage éclair dans le monde professionnel avant de changer définitivement d’activité. Fréderic Rasera, dans son livre « Des footballeurs au travail » (2016, Ed. Agone), évoque le cas d’un gardien de but d’un club de Ligue 2 n’ayant eu qu’une année de contrat professionnel – non renouvelé – sans jouer un seul match avec l’équipe professionnelle, année qu’il a essentiellement passée à jouer avec l’équipe 3, en division d’honneur…
Les chanceux qui ont des carrières très honorables – disons entre 12 et 17 ans – prennent leur retraite autour de 35 ans. Après le crève-cœur que constitue la fin de carrière professionnelle, on sait que certaines stars du ballon rond sont ruinées par des divorces : d’après Xpro, le syndicat des footballeurs retraités anglais, 33 % divorcent l’année de leur retraite et pratiquement tous souffrent d’arthrose du genou. Quelques-uns, comme le célèbre argentin Gabriel Batistuta, veulent même se couper les jambes pour supprimer la douleur…
En dehors de leurs déboires amoureux et physiques, les anciens footballeurs se reconvertissent car ils n’ont pas cotisé assez – et restent jeunes dans l’absolu – pour arrêter toute activité. Contrairement à ce que l’on croit, non seulement la plupart n’ont pas assez d’argent pour « se dorer la pilule » sous les cocotiers, mais ils ne sont pas non plus tous consultants pour la télévision. Effectivement, ce sont essentiellement les superstars – notamment, en France, les joueurs ayant gagné la coupe du monde 1998 – qui ont eu l’opportunité de devenir consultant. D’autres – comme Zinedine Zidane, Didier Deschamps et Laurent Blanc (encore des vainqueurs de la coupe du monde) – deviennent des entraîneurs connus et reconnus. Même parmi les Champions du monde 98, certains ont été contraints de trouver une nouvelle activité professionnelle n’ayant rien à voir avec le foot : c’est notamment le cas de Stéphane Guivarc’h, qui est devenu agent commercial pour une entreprise de construction de piscines. Mais la question qui nous taraude est : que deviennent tous les autres joueurs dont même le nom ne nous dit rien ?
Grâce au magazine France Football qui a tenu une rubrique « Que deviens-tu ? » entre 2013 et 2015, j’ai pu récupérer les interviews de 108 joueurs nés entre la fin des années 1950 et le début des années 1980. Les joueurs ont donc actuellement entre 35 et un peu moins de 60 ans, et ont tous eu une véritable « carrière », c’est-à-dire une durée moyenne qui avoisine les 14 ans dont 8 en Ligue 1 et 6 en Ligue 2. Ils constituent le haut du panier des footballeurs ayant évolué en première division (pour les plus jeunes lecteurs, c’est l’ancienne appellation de la Ligue 1).
Premier constat (sans surprise) : aucun de ces footballeurs n’est assez riche pour vivre de ses rentes. Les 108 joueurs se sont reconvertis et ont une activité professionnelle en dehors du foot… ou essaient d’en avoir une. En effet, trois d’entre eux, de nombreuses années après leur fin de carrière, n’ont jamais trouvé d’emploi stable. C’est le cas de Didier Monczuk (né en 1961), trois fois meilleur buteur de D2 entre 1990 et 1992 avec Strasbourg, qui galère depuis son dernier match professionnel en 1999. Les footballeurs nés dans les années 1960 qui rentraient plus jeunes que leurs aînés dans les clubs professionnels par l’intermédiaire des centres de formation (la création de l’INF Vichy date de 1972 et celle du premier centre de formation de 1973) ont souvent abandonné leur scolarité, ce qui s’en est ressenti lors de leur reconversion. Aujourd’hui, il faut en principe un bon dossier scolaire pour être pris en formation dans un club : étant donné la faible probabilité de devenir footballeur lorsqu’on rentre dans un centre de formation, il faut mieux bétonner sa scolarité…. Même si en pratique la plupart des élèves suivent une filière technologique et courte, ils sont plus aptes à se reconvertir… Il faudrait même sans doute contraindre les clubs à faire suivre une formation scolaire même lorsque les jeunes joueurs signent un contrat professionnel : un tiers des joueurs ne jouent qu’une saison dans les premières divisions professionnelles et sont directement relégués dans le football amateur !
Deuxième constat : les anciens footballeurs aiment les bars, les restaurants et les brasseries. Non pas qu’ils soient tous comme George Best, joueur nord-irlandais et ballon d’or 1968, qui a enchainé les problèmes d’alcools et qui a notamment déclaré : « en 1969, j’ai arrêté les filles et l’alcool, ça a été les 20 minutes les plus dures de ma vie ». De nombreux anciens joueurs professionnels ouvrent un de ces lieux de vie dans leur région natale car cette activité correspond à la sociologie de la profession (des « deuxièmes vies ») ; en outre, elle ne nécessite pas de diplômes particuliers et cela permet d’investir leurs économies accumulées. Enfin, c’est un lieu de rencontres et de sociabilité qui correspond à l’origine sociale des footballeurs de cette époque.
Troisième constat : les anciens footballeurs se reconvertissent souvent dans l’immobilier. C’est le cas par exemple de Bruno Germain (né en 1960 et père de Valère Germain, l’actuel joueur de l’AS Monaco), qui a investi dans l’achat, la rénovation et la revente de biens. De la même façon que pour le secteur Hôtels-Cafés-Restaurants, le secteur de l’immobilier permet, sans diplôme avec un peu d’économies, de se reconvertir. Dans une veine différente, d’autres sont partis travailler dans les assurances, un secteur où il existe une sorte de « filière foot »…
Enfin dernier constat : beaucoup de retraités aimeraient rester dans le football car ils n’ont fait que jouer depuis leur enfance. Beaucoup d’entre eux entraînent des équipes de jeunes dans différents clubs mais la plupart n’arrivent pas à s’imposer au haut niveau en tant qu’éducateur ou entraîneur. Comme Bastien Drut et moi-même le signalons dans notre livre « Sciences Sociales football Club », (2015, éditions DeBoeck), les joueurs ont du mal à se remettre de leur « petite mort » qu’est la fin de leur carrière…
Pour en savoir plus (en plus des ouvrages cités)
Drut Bastien, Duhautois Richard, 2017, « Assortative matching using soccer data: evidence of mobility bias », à paraître in Journal of Sports Economics.
Duhautois Richard, Gilles Fabrice, Petit Héloise, 2016, « Decomposing the relationship between wage and churning», International Journal of Manpower, 4, Vol 37.
Duhautois Richard, Eyssautier Romain, 2016, « La victoire à trois points dans le football a-t-elle rendu les équipes plus offensives ?», Revue Economique, Vol 67(6).
Duhautois Richard, Petit Héloise, 2015, « Are Worker flows in France and the US so Different? Revisiting French Empirical Evidence », Economics Letters, Vol 130, pp 60-62.
Drut Bastien, Duhautois Richard, 2014, « L’effet d’âge relatif : une expérience naturelle sur les footballeurs », Revue Economique, vol 64.
Les chanceux qui ont des carrières très honorables – disons entre 12 et 17 ans – prennent leur retraite autour de 35 ans. Après le crève-cœur que constitue la fin de carrière professionnelle, on sait que certaines stars du ballon rond sont ruinées par des divorces : d’après Xpro, le syndicat des footballeurs retraités anglais, 33 % divorcent l’année de leur retraite et pratiquement tous souffrent d’arthrose du genou. Quelques-uns, comme le célèbre argentin Gabriel Batistuta, veulent même se couper les jambes pour supprimer la douleur…
En dehors de leurs déboires amoureux et physiques, les anciens footballeurs se reconvertissent car ils n’ont pas cotisé assez – et restent jeunes dans l’absolu – pour arrêter toute activité. Contrairement à ce que l’on croit, non seulement la plupart n’ont pas assez d’argent pour « se dorer la pilule » sous les cocotiers, mais ils ne sont pas non plus tous consultants pour la télévision. Effectivement, ce sont essentiellement les superstars – notamment, en France, les joueurs ayant gagné la coupe du monde 1998 – qui ont eu l’opportunité de devenir consultant. D’autres – comme Zinedine Zidane, Didier Deschamps et Laurent Blanc (encore des vainqueurs de la coupe du monde) – deviennent des entraîneurs connus et reconnus. Même parmi les Champions du monde 98, certains ont été contraints de trouver une nouvelle activité professionnelle n’ayant rien à voir avec le foot : c’est notamment le cas de Stéphane Guivarc’h, qui est devenu agent commercial pour une entreprise de construction de piscines. Mais la question qui nous taraude est : que deviennent tous les autres joueurs dont même le nom ne nous dit rien ?
Grâce au magazine France Football qui a tenu une rubrique « Que deviens-tu ? » entre 2013 et 2015, j’ai pu récupérer les interviews de 108 joueurs nés entre la fin des années 1950 et le début des années 1980. Les joueurs ont donc actuellement entre 35 et un peu moins de 60 ans, et ont tous eu une véritable « carrière », c’est-à-dire une durée moyenne qui avoisine les 14 ans dont 8 en Ligue 1 et 6 en Ligue 2. Ils constituent le haut du panier des footballeurs ayant évolué en première division (pour les plus jeunes lecteurs, c’est l’ancienne appellation de la Ligue 1).
Premier constat (sans surprise) : aucun de ces footballeurs n’est assez riche pour vivre de ses rentes. Les 108 joueurs se sont reconvertis et ont une activité professionnelle en dehors du foot… ou essaient d’en avoir une. En effet, trois d’entre eux, de nombreuses années après leur fin de carrière, n’ont jamais trouvé d’emploi stable. C’est le cas de Didier Monczuk (né en 1961), trois fois meilleur buteur de D2 entre 1990 et 1992 avec Strasbourg, qui galère depuis son dernier match professionnel en 1999. Les footballeurs nés dans les années 1960 qui rentraient plus jeunes que leurs aînés dans les clubs professionnels par l’intermédiaire des centres de formation (la création de l’INF Vichy date de 1972 et celle du premier centre de formation de 1973) ont souvent abandonné leur scolarité, ce qui s’en est ressenti lors de leur reconversion. Aujourd’hui, il faut en principe un bon dossier scolaire pour être pris en formation dans un club : étant donné la faible probabilité de devenir footballeur lorsqu’on rentre dans un centre de formation, il faut mieux bétonner sa scolarité…. Même si en pratique la plupart des élèves suivent une filière technologique et courte, ils sont plus aptes à se reconvertir… Il faudrait même sans doute contraindre les clubs à faire suivre une formation scolaire même lorsque les jeunes joueurs signent un contrat professionnel : un tiers des joueurs ne jouent qu’une saison dans les premières divisions professionnelles et sont directement relégués dans le football amateur !
Deuxième constat : les anciens footballeurs aiment les bars, les restaurants et les brasseries. Non pas qu’ils soient tous comme George Best, joueur nord-irlandais et ballon d’or 1968, qui a enchainé les problèmes d’alcools et qui a notamment déclaré : « en 1969, j’ai arrêté les filles et l’alcool, ça a été les 20 minutes les plus dures de ma vie ». De nombreux anciens joueurs professionnels ouvrent un de ces lieux de vie dans leur région natale car cette activité correspond à la sociologie de la profession (des « deuxièmes vies ») ; en outre, elle ne nécessite pas de diplômes particuliers et cela permet d’investir leurs économies accumulées. Enfin, c’est un lieu de rencontres et de sociabilité qui correspond à l’origine sociale des footballeurs de cette époque.
Troisième constat : les anciens footballeurs se reconvertissent souvent dans l’immobilier. C’est le cas par exemple de Bruno Germain (né en 1960 et père de Valère Germain, l’actuel joueur de l’AS Monaco), qui a investi dans l’achat, la rénovation et la revente de biens. De la même façon que pour le secteur Hôtels-Cafés-Restaurants, le secteur de l’immobilier permet, sans diplôme avec un peu d’économies, de se reconvertir. Dans une veine différente, d’autres sont partis travailler dans les assurances, un secteur où il existe une sorte de « filière foot »…
Enfin dernier constat : beaucoup de retraités aimeraient rester dans le football car ils n’ont fait que jouer depuis leur enfance. Beaucoup d’entre eux entraînent des équipes de jeunes dans différents clubs mais la plupart n’arrivent pas à s’imposer au haut niveau en tant qu’éducateur ou entraîneur. Comme Bastien Drut et moi-même le signalons dans notre livre « Sciences Sociales football Club », (2015, éditions DeBoeck), les joueurs ont du mal à se remettre de leur « petite mort » qu’est la fin de leur carrière…
Pour en savoir plus (en plus des ouvrages cités)
Drut Bastien, Duhautois Richard, 2017, « Assortative matching using soccer data: evidence of mobility bias », à paraître in Journal of Sports Economics.
Duhautois Richard, Gilles Fabrice, Petit Héloise, 2016, « Decomposing the relationship between wage and churning», International Journal of Manpower, 4, Vol 37.
Duhautois Richard, Eyssautier Romain, 2016, « La victoire à trois points dans le football a-t-elle rendu les équipes plus offensives ?», Revue Economique, Vol 67(6).
Duhautois Richard, Petit Héloise, 2015, « Are Worker flows in France and the US so Different? Revisiting French Empirical Evidence », Economics Letters, Vol 130, pp 60-62.
Drut Bastien, Duhautois Richard, 2014, « L’effet d’âge relatif : une expérience naturelle sur les footballeurs », Revue Economique, vol 64.
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