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29 septembre 2016

Le processus de négociation de séparation entre l’UE et le Royaume-Uni : Quel avenir pour la place financière de Londres ?

Le Brexit a été voté, le Brexit aura lieu. Plus exactement, aura lieu la mise en place d’un dispositif nouveau qui à la fois maintiendra les conditions de la situation privilégiée créée pour Londres grâce à l’harmonisation européenne, tout en restituant au Royaume-Uni sa souveraineté législative ainsi qu’un contrôle des migrations en provenance de l’est de l’UE. Camarades « Quants » expatriés à Londres : ne préparez pas vos bagages, le Brexit est là pour que tout change pour que rien ne change.

1 - Londres a bâti sa fortune en tant que place financière européenne grâce à l’intégration européenne.

En particulier, la concentration de la liquidité des marchés financiers européens à Londres a été rendue possible et facilitée par l’harmonisation européenne du « plan d’action des services financiers », initié en 1999 et réalisé entre 2000 et 2004 ; c’est bien en particulier la création du passeport pour les services financiers qui a permis aux acteurs de marchés américains de concentrer l’ensemble de leurs activités européennes à Londres, y attirant les acteurs européens et vidant peu à peu de toute substance les anciennes places financières continentales. Jusqu’au début des années 2000, la place financière de Londres n’était que marginalement plus importante que les autres places financières européennes et, sans l’harmonisation européenne, aucune prédestination divine ou particularité (autre le cas échéant que linguistique) de Londres ne la désignait comme le centre financier européen écrasant qu’elle est aujourd’hui.

L’on a pu d’ailleurs observer, tout au long des vingt dernières années, une coïncidence étroite d’objectifs entre d’une part les banques d’investissement américaines, soucieuses d’harmonisation européenne maximale afin de pouvoir distribuer leurs services dans toute l’Europe depuis un seul point (Londres), et d’autre part la Commission européenne, soucieuse elle aussi par constitution d’étendre au maximum l’acquis communautaire aux dépens des Etats membres afin de renforcer son pouvoir bureaucratique (tout sujet touché par l’harmonisation législative européenne échappe en effet définitivement aux Etats membres et ne dépend plus que du monopole de l’initiative législative de la Commission européenne). Le vote en faveur du Brexit est vécu par la Commission européenne comme la trahison de son partenaire et allié objectif de long terme.

À cet effet « d’économie de réseaux » initié par la taille des banques américaines s’est jointe la capacité d’employer à Londres les meilleurs talents du continent (et notamment les « quants » français), grâce à la liberté de circulation et d’installation des citoyens européens qui forme la principale liberté de base de l’UE. Alors que l’on peut lire que les citoyens de l’UE représenteraient environ 30 % de l’emploi dans la City, la réalité est plus proche de 60 % si l’on exclut les emplois de soutien (concierges, sécurité, assistantes, agents de nettoyage, etc) ; toute personne ayant travaillé dans une banque d’investissement à Londres a pu observer que souvent, le simple contingent français présent dans une entité est supérieur au contingent britannique.

En revanche, l’arrivée à partir de 2004 de vagues de citoyens d’Europe centrale et orientale a concerné d’autres segments du marché du travail. Qualifiés, dynamiques et prêts à se faire employer sur tout type de travail, ces nouveaux immigrants « de l’Est » ont engendré un effet d’éviction important des classes populaires britanniques, accompagné d’une attraction des salaires ouvriers vers le bas, qui s’est finalement traduit par le vote du 23 juin en faveur du Brexit et du contrôle des flux migratoires intra-européens. Ce vote de rejet par les classes populaires (qualifié de « populiste » mais qui en réalité cherche effectivement à influer sur des données économiques impactant les électeurs) a rejoint la frustration des élites historiques britanniques, et notamment de ses parlementaires aux Communes et à la chambre des Lords, observant à juste titre que le cœur de l’élaboration législative avait été transféré au niveau de l’UE et qu’il ne leur restait plus guère que la tâche épisodique de copier-coller un règlement européen ou de transposer une directive.

2 - L’exclusion mutuelle annoncée entre maintien du passporting d’une part et la possibilité de restreindre la liberté de circulation des citoyens européens d’autre part ne tiendra pas face à la faiblesse de la main de l’UE dans les négociations à venir.

La conduite de la négociation sera extrêmement favorable aux intérêts britanniques. Tout d’abord, les négociateurs britanniques défendront de manière étroitement coordonnée les intérêts homogènes d’une nation particulière. En face d’eux, les négociateurs de l’UE seront fragmentés et leurs positions de négociation ne représenteront qu’une valeur moyenne des priorités et intérêts divergents des 27 Etats membres.

Les décisions se feront au sein du Conseil, sur la base certes d’une préparation technique de la part des services de la Commission (équipe dirigée par Michel Barnier) mais qui n’engagera en rien les participants du Conseil. Le Parlement Européen n’aura lui qu’un rôle d’enregistrement ex-post des décisions du Conseil. Or, depuis au moins 2004 et l’adhésion des nouveaux États membres, processus accéléré avec la crise financière de 2008 et 2011, les positions au sein du Conseil sont notoirement fragmentées selon les intérêts individuels étroits des États membres. Les processus européens sont devenus de moins en moins collectifs et de plus en plus étroitement intergouvernementaux ; la composante de promotion des intérêts généraux « européens » n’est plus que rarement présente.

La position de l’Allemagne jouera en faveur des intérêts britanniques. Dans un contexte d’absence de « volonté générale européenne » qui s’exprimerait au Conseil, l’Allemagne bénéficie d’une prééminence relative du fait de son poids institutionnel post-Traité de Lisbonne. Or, face à la menace tactique britannique d’un « Hard Brexit » qui se traduirait notamment par la restauration de barrières douanières, les Allemands considéreront qu’ils ont plus à perdre que les Britanniques. En effet, l’excédent commercial allemand sur le Royaume-Uni est un multiple de l’excédent de la balance des services financiers du Royaume-Uni sur l’Allemagne.

Les grandes entreprises exportatrices allemandes (en particulier automobiles) vont donc joindre leur voix à celle de Deutsche Bank, banque allemande sur le papier mais dont les opérations sont centrées à Londres et New York, ainsi qu’à celle de Deutsche Börse, qui s’avèrera victime d’un reverse takeover par le London Stock Exchange et dont les actionnaires seront principalement soucieux de préserver les bénéfices de la concentration de la liquidité à Londres. Ces puissants lobbies s’allieront pour conseiller à leur gouvernement de tout faire pour pouvoir conserver la libre circulation des marchandises entre le RU et l’UE en même temps que le maintien du bénéfice du passporting pour les prestataires de services financiers londoniens.

Les positions pro-britanniques au sein du Conseil seront facilitées par les prochaines présidences de l’UE. Les Britanniques bénéficieront de manière significative du blocage institutionnel relatif dans les grands pays de l’UE. La France et l’Allemagne seront engagées en 2017 dans leurs processus électoraux ; l’Italie (suite au référendum de novembre) encourra le risque d’un gouvernement eurosceptique et l’Espagne reste à ce jour engoncée dans son blocage institutionnel. Par ailleurs, les Britanniques bénéficieront de manière importante de la succession de trois « premières » présidences de l’UE : Slovaquie ce semestre, suivie par Malte puis l’Estonie en 2017. Trois présidences dont la proximité idéologique voire culturelle avec le Royaume-Uni est importante ; les ministères britanniques ont d’ailleurs, comme ils le font toujours pour les présidences de « petits pays », mis à la disposition de ces administrations des dizaines de cadres qui travailleront de l’intérieur à orienter le curseur en faveur de Londres. Enfin, l’ensemble des institutions financières et bancaires notamment américaines feront du lobbying auprès des autres gouvernements de l’UE afin de s’assurer du maintien des arrangements existants en matière de passporting et la concentration des activités de marché à Londres.

Le fait que les Britanniques conservent la main sur le déclenchement de l’article 50 constitue également une force. En effet, l’interdiction qui a été faite par l’Allemagne aux services de la Commission et du Conseil d’engager une quelconque négociation avec les Britanniques avant l’invocation de l’article 50 fait que, de facto, les services de la Commission et du Conseil sont l’arme au pied et dans l’expectative. Il leur est en effet impossible de travailler à des scenarii de dispositifs de sortie de l’UE et de remplacement sans être en contact avec leurs homologues britanniques, afin de pouvoir réduire l’extrême multiplicité du champ des possibles en matière de développements envisageables et qui se conditionnent les uns aux autres en arborescence. En face, les négociateurs britanniques travaillent eux à définir leurs objectifs, étudient leurs scénarii préférés et leurs différentes positions de repli et déferleront en « blietzkrieg » le moment venu (lorsque le gouvernement britannique décidera de déclencher l’article 50).

Il faut enfin noter le maintien en pleine activité des citoyens britanniques, au sein des institutions européennes, fonctionnaires détachés, administrateurs et parlementaires européens, dont beaucoup sont positionnés sur des dossiers stratégiques, et qui notoirement s’attachent d’ores et déjà à placer autant qu’ils le peuvent des « sleepers » ou chevaux de Troie qui assureront, le moment venu, un traitement du Royaume-Uni sur un pied d’égalité avec les Éats membres. La démission de Lord Hill de ses fonctions de Commissaire a été une exception majeure, mais bien la seule à cette règle, sur la demande expresse de JC Juncker.

Au total, nous n’avons donc aucun doute sur la capacité du Royaume-Uni à obtenir de l’UE-27 un accord qui permettra le maintien de l’accès complet au marché unique des services financiers (que ce soit par passporting stricto sensu ou par une version généralisée des régimes d’équivalences accordés aux pays tiers, jusqu’à présent de manière très limitée) ainsi dans le même temps que la mise en place de « freins d’urgence » qui contraindraient l’immigration en provenance de l’UE pour les emplois moins qualifiés.

De rares pertes collatérales pourraient être enregistrées, comme le rapatriement en zone euro (ou du moins au sein de l’UE) des chambres de compensation chargées du clearing en euro, qui serait réclamée par la BCE, cette fois avec succès vraisemblablement. Mais la localisation du post-trade ne changera pas la fortune de Londres, comme le montre par exemple depuis des décennies la localisation de l’origination des eurobonds à Londres alors que Bruxelles et Luxembourg en assurent la compensation et la conservation.

Le Royaume-Uni continuera d’influencer l’élaboration législative européenne en matière de services financiers. À la fois en participant aux travaux en amont de l’élaboration législative de la Commission européenne (participation aux consultations, lobbying ad hoc), et en continuant de propager ses position papers auprès des États membres les plus réceptifs ; il est ainsi monnaie courante que des position papers issus de certains ministères d’États membres aient été rédigés directement soit par des lobbyistes de l’industrie, soit par les services d’un autre État membre (tout lecteur soucieux de vérification est le bienvenu à demander quelques anecdotes à ce sujet au rédacteur de cet article).

Il est même possible que le Royaume-Uni puisse obtenir un rôle consultatif particulier, qui serait validé institutionnellement à travers une nouvelle configuration du Conseil qui associerait les représentants de HM Treasury. Ce type d’arrangements contribuera au renforcement d’une logique d’intégration européenne « concentrique », entre un noyau central et une périphérie participant à l’UE sous forme de « cherry picking ». La vitesse des progrès de l’intégration du noyau central européen, autour de l’eurozone, étant actuellement extrêmement faible (on en prendra pour exemple l’incapacité à mettre en place le troisième pilier de l’union bancaire, l’assurance de dépôts mutualisée au niveau européen EDIS), l’institutionnalisation des tendances centrifuges contribuerait à la transformation de l’UE en une zone de libre-échange à la carte, conforme à la vision de long terme américano-britannique.

Ce type de construction européenne (vers une zone de libre-échange à la carte) permettrait d’assurer à moyen terme un parcours d’intégration à l’Ukraine et surtout à la Turquie, Turquie dont la candidature ne pourrait jamais aboutir si elle devait se traduire par l’application des mécanismes institutionnels existants (en application des règles de Lisbonne, la Turquie se retrouverait avec des droits de vote au Conseil équivalents à ceux de l’Allemagne). Pour le meilleur ou pour le pire, suite au Brexit, un trade-off sera présenté à nouveau aux États membres existants, aux candidats et aux pays des voisinages Est et Sud, entre une intégration politique d’un groupe de pays considérés comme homogènes et à l’inverse une architecture ouverte fondée sur l’accès aux marchés.

Sébastien Cochard

 



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