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15 février 2017
La fausse bonne idée des Eurobonds structurés
Publié par
Olivier Garnier
| Gestion d'actifs
Le Comité européen du risque systémique (CERS), que préside Mario Draghi, vient de lancer une consultation sur le projet de création de Sovereign Bond-Backed Securities (SBS). Ceux-ci seraient émis par un véhicule de titrisation, dont l’actif serait constitué d’un portefeuille diversifié d’obligations de l’ensemble des Etats-membres de la zone euro. Ces SBS comprendraient une tranche senior et une tranche junior destinée à absorber les premières pertes. L’ensemble serait structuré de façon à ce que la tranche senior (qui représenterait alors environ 70% du total) soit notée AAA, ce qui conduirait à un rating proche de celui du Portugal (BB+) pour la tranche junior.
Cette proposition, qui reprend une idée formulée il y a déjà plusieurs années par des économistes académiques, vise à créer un actif « sans risque » commun à l’ensemble de la zone euro, mais sans recourir à des garanties mutuelles et solidaires entre les différents Etats-membres, à la différence des projets précédents d’Eurobonds rejetés par l’Allemagne. Dans le cadre de l’union bancaire, la détention de SBS seniors (plutôt que de dettes publiques domestiques) par les banques permettrait de réduire l’interdépendance systémique de ces dernières avec leur propre souverain. Corrélativement, vu des régulateurs, cela faciliterait l’introduction d’exigences en capital sur les portefeuilles de dettes publiques détenus par les banques, et donc de répondre à une condition mise par l’Allemagne pour accepter la mise en place du 3ème pilier de l’union bancaire, c’est-à-dire la garantie commune des dépôts.
Aussi séduisante soit-elle en théorie, cette proposition se heurte toutefois à des difficultés pratiques, dont on ne citera ici que certaines d’entre elles.
Premièrement, se poserait la question de l’appétit des investisseurs non seulement pour la tranche junior mais aussi pour celle senior des SBS. Même si l’on introduisait des traitements réglementaires favorables pour inciter à leur détention (notamment en les assimilant à des titres souverains plutôt qu’à des produits structurés), les SBS ne seraient pas considérés comme totalement équivalents aux obligations souveraines des pays cœur de même rating. En particulier, leur risque serait plus complexe à évaluer et plus instable au cours du temps, du fait notamment des corrélations entre les probabilités de défaut des différentes dettes souveraines sous-jacentes.
Deuxièmement, la titrisation a habituellement pour effet de transformer des actifs peu liquides en des titres plus liquides. Or ici, on pourrait aboutir à la transformation inverse, en créant des SBS possiblement moins liquides que les obligations souveraines auxquels ils seraient adossés. En outre, les marchés secondaires pour ces dernières deviendraient plus étroits et donc moins liquides.
Ce mécanisme de titrisation pourrait d’autant plus affecter la liquidité et la formation des prix sur les marchés de dettes publiques qu’il se juxtaposerait au programme d’achats d’actifs de la BCE. Selon les données évoquées dans le cadre de la consultation du CERS, la taille visée pour le marché des SBS serait d’environ 1500 Mds€, soit l’équivalent de près du quart de l’encours des obligations d’Etat de la zone euro. Or le portefeuille de titres publics achetés par l’Eurosystème dans le cadre de son programme actuel (dont l’encours était de 1250 Mds€ fin 2016) devrait lui aussi sous peu atteindre et même dépasser ce montant. Ainsi, à eux deux, le mécanisme de titrisation des SBS et l’Eurosystème, détiendraient la moitié de l’encours total des titres publics de la zone euro ! Comme la taille du portefeuille de l’Eurosystème n’est pas appelée à diminuer rapidement (un éventuel tapering consistant seulement à annuler progressivement les achats nets), on pourrait certes imaginer que la BCE échange des obligations nationales qu’elle possède contre des SBS. Mais un tel swap serait difficilement acceptable par la Bundesbank : cela reviendrait à lui transférer du risque souverain étranger, puisque dans le cadre du programme BCE elle ne porte dans son bilan que du risque souverain allemand.
Enfin et paradoxalement, la création des SBS (associée à la mise en place d’exigences en capital sur les titres souverains détenus par les banques) pourrait encore renforcer la rareté des actifs « sûrs » en zone euro, à l’opposé de l’objectif initial : la totalité des dettes publiques périphériques (et même celles des pays « cœur » les moins bien notés) perdraient en effet totalement ce statut - y compris du point de vue des institutions appartenant au même pays que le souverain-, sans que le marché des SBS seniors puisse plausiblement atteindre une taille suffisante pour compenser cette perte.
Tout ceci montre que l’ingéniosité financière ne peut à elle seule suppléer aux déficiences de la volonté politique en matière d’intégration européenne. Des Eurobonds, quelles que soient leurs modalités, devraient nécessairement aller de pair avec un partage de souveraineté dans le champ des politiques communes qu’ils financeraient ou garantiraient.
Cet article a auparavant été publié dans "l’Agefi-Hebdo" (19 janvier 2017)
Cette proposition, qui reprend une idée formulée il y a déjà plusieurs années par des économistes académiques, vise à créer un actif « sans risque » commun à l’ensemble de la zone euro, mais sans recourir à des garanties mutuelles et solidaires entre les différents Etats-membres, à la différence des projets précédents d’Eurobonds rejetés par l’Allemagne. Dans le cadre de l’union bancaire, la détention de SBS seniors (plutôt que de dettes publiques domestiques) par les banques permettrait de réduire l’interdépendance systémique de ces dernières avec leur propre souverain. Corrélativement, vu des régulateurs, cela faciliterait l’introduction d’exigences en capital sur les portefeuilles de dettes publiques détenus par les banques, et donc de répondre à une condition mise par l’Allemagne pour accepter la mise en place du 3ème pilier de l’union bancaire, c’est-à-dire la garantie commune des dépôts.
Aussi séduisante soit-elle en théorie, cette proposition se heurte toutefois à des difficultés pratiques, dont on ne citera ici que certaines d’entre elles.
Premièrement, se poserait la question de l’appétit des investisseurs non seulement pour la tranche junior mais aussi pour celle senior des SBS. Même si l’on introduisait des traitements réglementaires favorables pour inciter à leur détention (notamment en les assimilant à des titres souverains plutôt qu’à des produits structurés), les SBS ne seraient pas considérés comme totalement équivalents aux obligations souveraines des pays cœur de même rating. En particulier, leur risque serait plus complexe à évaluer et plus instable au cours du temps, du fait notamment des corrélations entre les probabilités de défaut des différentes dettes souveraines sous-jacentes.
Deuxièmement, la titrisation a habituellement pour effet de transformer des actifs peu liquides en des titres plus liquides. Or ici, on pourrait aboutir à la transformation inverse, en créant des SBS possiblement moins liquides que les obligations souveraines auxquels ils seraient adossés. En outre, les marchés secondaires pour ces dernières deviendraient plus étroits et donc moins liquides.
Ce mécanisme de titrisation pourrait d’autant plus affecter la liquidité et la formation des prix sur les marchés de dettes publiques qu’il se juxtaposerait au programme d’achats d’actifs de la BCE. Selon les données évoquées dans le cadre de la consultation du CERS, la taille visée pour le marché des SBS serait d’environ 1500 Mds€, soit l’équivalent de près du quart de l’encours des obligations d’Etat de la zone euro. Or le portefeuille de titres publics achetés par l’Eurosystème dans le cadre de son programme actuel (dont l’encours était de 1250 Mds€ fin 2016) devrait lui aussi sous peu atteindre et même dépasser ce montant. Ainsi, à eux deux, le mécanisme de titrisation des SBS et l’Eurosystème, détiendraient la moitié de l’encours total des titres publics de la zone euro ! Comme la taille du portefeuille de l’Eurosystème n’est pas appelée à diminuer rapidement (un éventuel tapering consistant seulement à annuler progressivement les achats nets), on pourrait certes imaginer que la BCE échange des obligations nationales qu’elle possède contre des SBS. Mais un tel swap serait difficilement acceptable par la Bundesbank : cela reviendrait à lui transférer du risque souverain étranger, puisque dans le cadre du programme BCE elle ne porte dans son bilan que du risque souverain allemand.
Enfin et paradoxalement, la création des SBS (associée à la mise en place d’exigences en capital sur les titres souverains détenus par les banques) pourrait encore renforcer la rareté des actifs « sûrs » en zone euro, à l’opposé de l’objectif initial : la totalité des dettes publiques périphériques (et même celles des pays « cœur » les moins bien notés) perdraient en effet totalement ce statut - y compris du point de vue des institutions appartenant au même pays que le souverain-, sans que le marché des SBS seniors puisse plausiblement atteindre une taille suffisante pour compenser cette perte.
Tout ceci montre que l’ingéniosité financière ne peut à elle seule suppléer aux déficiences de la volonté politique en matière d’intégration européenne. Des Eurobonds, quelles que soient leurs modalités, devraient nécessairement aller de pair avec un partage de souveraineté dans le champ des politiques communes qu’ils financeraient ou garantiraient.
Cet article a auparavant été publié dans "l’Agefi-Hebdo" (19 janvier 2017)
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