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Dans une société globalement riche comme la France, la pauvreté fait de la résistance. Depuis quinze ans, elle concerne selon les années entre 13 et 14 % de la population. Ce n'est pas seulement un échec collectif, c'est aussi un gigantesque gâchis humain et une insulte à la justice sociale. La résistance de la pauvreté ne conduit guère à mettre ce sujet à l'agenda politique. Au lieu de renforcer la solidarité, elle pousse une fraction croissante de l'opinion publique – et des hommes politiques – à une condamnation des pauvres, accusés d'être responsables de leur état. On dénonce « l'assistanat », on réclame un travail obligatoire « en contrepartie » des allocations, on affirme qu'il faut rejeter les immigrés hors de la protection sociale – et des frontières… Nous en sommes convaincus : il est grand temps de réagir.
La pauvreté ne résulte pas principalement d'une responsabilité individuelle : manque de courage, opportunisme, choix personnel de se lever tard… Ainsi, plus des deux tiers des adultes en âge de travailler et qui sont en situation de pauvreté occupent un emploi ou en recherchent un activement. La pauvreté, comme le chômage, possède en France un caractère structurel. Elle ne se réduira pas sous le seul effet d'une reprise économique éventuelle. Elle résulte principalement de structures économiques et de modalités de régulation sociale qui raréfient l'emploi, le dispersent ou le fragmentent ; elle résulte aussi d'évolutions sociétales – comme l'instabilité familiale ou le nombre croissant de familles monoparentales – dont on n'a pas su tirer les aménagements nécessaires.
Ces tendances socio-économiques lourdes sont présentes dans toutes les économies européennes et ne s'estomperont pas. Pourtant, certains pays connaissent moins la pauvreté que le nôtre. Leur exemple peut nous aider à progresser.
La croissance économique et le déploiement de l'État-providence ont été les ressorts de la baisse de la pauvreté en France durant les Trente Glorieuses et jusqu'au début des années 1990. Ces ressorts sont sinon brisés, du moins très mal en point. Le nouveau contexte est celui d'une croissance molle et de contraintes budgétaires durablement serrées. C'est dans ce contexte qu'il nous faut trouver des voies réalistes pour réduire les causes structurelles de la pauvreté. Et aussi, dans une période difficile pour beaucoup, trouver comment aider les personnes en situation de pauvreté, notamment en leur permettant d'investir dans le développement de leur autonomie.
Fonder une politique de lutte contre la pauvreté nécessite de se départir de la vieille image d'Épinal opposant le pauvre méritant et le mauvais pauvre, image qui resurgit avec la dénonciation du « cancer de l'assistanat ». Une politique de lutte contre la pauvreté, avec les moyens et les réformes structurelles qu'elle suppose, ne peut être développée dans la durée que si ses orientations sont estimés conformes à la justice sociale par une large partie de l'opinion publique.
Deux angles d'attaque des causes structurelles de la pauvreté sont proposés : le premier concerne la lutte contre la pauvreté laborieuse, le second la lutte contre la reproduction intergénérationnelle de la pauvreté. Dans le premier cas, il s'agit de lutter contre l'exclusion de l'emploi de tous ceux qui ne peuvent faire face aux reconversions de métier, d'entreprise, de secteur, mais aussi de lutter contre le développement d'un travail en miette. Sont en cause l'orientation de la formation continue, mais aussi la nature des contrats de travail, le financement de l'assurance chômage, ou encore la conciliation entre vie professionnelle et responsabilités familiales.
Éviter que les enfants pauvres deviennent des adultes pauvres est tâche de longue haleine. Elle ne se résume pas à réduire la pauvreté des familles mais doit aussi viser, par une attention particulière des institutions publiques, à compenser les effets sur le développement des enfants des handicaps des parents (par exemple le faible niveau de formation scolaire). Tâche de longue haleine puisqu'elle va de la naissance à la sortie du système scolaire et à l'insertion professionnelle.
Quant à l'aide à apporter aux personnes pauvres, outre les voies d'amélioration d'un soutien financier bien maigre, l'effort doit porter surtout sur l'insertion économique et sociale, parent pauvre des dispositifs actuels. Un pays qui consacre plus d'un tiers de son produit intérieur brut à la protection sociale de ses habitants – un record européen – ne peut se contenter d'occuper une place moyenne dans l'Union européenne en matière de pauvreté. On peut faire mieux, nettement mieux, en actionnant les bons leviers, qui ne sont pas principalement financiers : il s'agit surtout de s'attaquer aux obstacles structurels, ce qui suppose davantage de résolution politique que de ressources financières, et davantage de réaffectations de crédits existants que de dépenses supplémentaires. L'objet de ce livre est de détailler les modalités possibles pour y parvenir.
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31 mars 2016
Livres d’alumni : Michel Dollé co-auteur de « Réduire la pauvreté »
Michel Dollé (1967) et Denis Clerc signent un essai paru le 10 mars 2016 au éditions Les Petits Matins (et co-édité avec Alternatives Economiques) : « Réduire la pauvreté, un défi à notre portée ». Il pose la situation de la pauvreté en France et propose des actions permettant de relever ce défi.
Le livre a été cité et commenté dans l'émission « La librairie de l'éco » sur BFM Business ISBN : 978-2-36383-211-5 200 pages, 14 euros |
Présentation du livre qui nous a été transmise par l'auteur :
Dans une société globalement riche comme la France, la pauvreté fait de la résistance. Depuis quinze ans, elle concerne selon les années entre 13 et 14 % de la population. Ce n'est pas seulement un échec collectif, c'est aussi un gigantesque gâchis humain et une insulte à la justice sociale. La résistance de la pauvreté ne conduit guère à mettre ce sujet à l'agenda politique. Au lieu de renforcer la solidarité, elle pousse une fraction croissante de l'opinion publique – et des hommes politiques – à une condamnation des pauvres, accusés d'être responsables de leur état. On dénonce « l'assistanat », on réclame un travail obligatoire « en contrepartie » des allocations, on affirme qu'il faut rejeter les immigrés hors de la protection sociale – et des frontières… Nous en sommes convaincus : il est grand temps de réagir.
La pauvreté ne résulte pas principalement d'une responsabilité individuelle : manque de courage, opportunisme, choix personnel de se lever tard… Ainsi, plus des deux tiers des adultes en âge de travailler et qui sont en situation de pauvreté occupent un emploi ou en recherchent un activement. La pauvreté, comme le chômage, possède en France un caractère structurel. Elle ne se réduira pas sous le seul effet d'une reprise économique éventuelle. Elle résulte principalement de structures économiques et de modalités de régulation sociale qui raréfient l'emploi, le dispersent ou le fragmentent ; elle résulte aussi d'évolutions sociétales – comme l'instabilité familiale ou le nombre croissant de familles monoparentales – dont on n'a pas su tirer les aménagements nécessaires.
Ces tendances socio-économiques lourdes sont présentes dans toutes les économies européennes et ne s'estomperont pas. Pourtant, certains pays connaissent moins la pauvreté que le nôtre. Leur exemple peut nous aider à progresser.
La croissance économique et le déploiement de l'État-providence ont été les ressorts de la baisse de la pauvreté en France durant les Trente Glorieuses et jusqu'au début des années 1990. Ces ressorts sont sinon brisés, du moins très mal en point. Le nouveau contexte est celui d'une croissance molle et de contraintes budgétaires durablement serrées. C'est dans ce contexte qu'il nous faut trouver des voies réalistes pour réduire les causes structurelles de la pauvreté. Et aussi, dans une période difficile pour beaucoup, trouver comment aider les personnes en situation de pauvreté, notamment en leur permettant d'investir dans le développement de leur autonomie.
Fonder une politique de lutte contre la pauvreté nécessite de se départir de la vieille image d'Épinal opposant le pauvre méritant et le mauvais pauvre, image qui resurgit avec la dénonciation du « cancer de l'assistanat ». Une politique de lutte contre la pauvreté, avec les moyens et les réformes structurelles qu'elle suppose, ne peut être développée dans la durée que si ses orientations sont estimés conformes à la justice sociale par une large partie de l'opinion publique.
Deux angles d'attaque des causes structurelles de la pauvreté sont proposés : le premier concerne la lutte contre la pauvreté laborieuse, le second la lutte contre la reproduction intergénérationnelle de la pauvreté. Dans le premier cas, il s'agit de lutter contre l'exclusion de l'emploi de tous ceux qui ne peuvent faire face aux reconversions de métier, d'entreprise, de secteur, mais aussi de lutter contre le développement d'un travail en miette. Sont en cause l'orientation de la formation continue, mais aussi la nature des contrats de travail, le financement de l'assurance chômage, ou encore la conciliation entre vie professionnelle et responsabilités familiales.
Éviter que les enfants pauvres deviennent des adultes pauvres est tâche de longue haleine. Elle ne se résume pas à réduire la pauvreté des familles mais doit aussi viser, par une attention particulière des institutions publiques, à compenser les effets sur le développement des enfants des handicaps des parents (par exemple le faible niveau de formation scolaire). Tâche de longue haleine puisqu'elle va de la naissance à la sortie du système scolaire et à l'insertion professionnelle.
Quant à l'aide à apporter aux personnes pauvres, outre les voies d'amélioration d'un soutien financier bien maigre, l'effort doit porter surtout sur l'insertion économique et sociale, parent pauvre des dispositifs actuels. Un pays qui consacre plus d'un tiers de son produit intérieur brut à la protection sociale de ses habitants – un record européen – ne peut se contenter d'occuper une place moyenne dans l'Union européenne en matière de pauvreté. On peut faire mieux, nettement mieux, en actionnant les bons leviers, qui ne sont pas principalement financiers : il s'agit surtout de s'attaquer aux obstacles structurels, ce qui suppose davantage de résolution politique que de ressources financières, et davantage de réaffectations de crédits existants que de dépenses supplémentaires. L'objet de ce livre est de détailler les modalités possibles pour y parvenir.
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