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29 juin 2018
Statistiques ethniques, interview de Hervé Le Bras
Publié par
Hervé Le Bras
| Statistiques
Vous venez de publier plusieurs contributions dans l’ouvrage collectif, « Diviser pour unir?* », publié par les éditions de la Maison des sciences de l’homme. L’ouvrage fait le point sur les statistiques ethniques. Pourriez-vous donner une définition de ces statistiques ethniques et les principaux arguments des personnes favorables et défavorables à l’établissement de telles statistiques?
En France, le terme de statistiques ethniques fait référence à une caractérisation des individus selon leurs origines culturelles ou leur aspect physique. On ne doit pas les confondre avec les statistiques d’orientations sexuelles, de nationalité, d’origine nationale ou de religion.
Les partisans des statistiques ethniques ont d’abord mis en avant la connaissance des populations (enquête MGIS de l’INED et de l’INSEE en 1994, enquête du CRAN en 2007), puis ils ont insisté sur leur rôle dans la lutte contre les discriminations (enquête TeO de l’INED et l’INSEE en 2008).
Les opposants aux statistiques ethniques ont, quant à eux, d’abord mis en avant l’impossibilité de définir des catégories ethniques indiscutables, en raison notamment de la mixité des origines. L’ouvrage « Diviser pour unir ? France, Brésil, Russie face aux comptages ethniques » en donne l’illustration non seulement dans les pays cités, mais en raison des changements presque incessants des catégories ethniques dans un même pays. Ensuite, les opposants ont souligné le risque performatif, celui d’essentialiser les catégories, de telle sorte que les individus perçoivent leur ethnicité comme la composante principale de leur identité (« je suis blanche avant d’être femme » déclarait une électrice de Trump). Enfin, les mesures de discrimination positive envers les minorités alimentent le populisme, voire le racisme des pauvres qui n’en bénéficient pas (petits blancs des Etats-Unis par exemple). Ils estiment avoir été, malgré eux, soumis à des conditions aussi défavorables que le fait d’être noir ou mexicain d’origine.
Vous-même êtes opposé à l’établissement de statistiques ethniques en France. Les expériences étrangères (USA, Russie, Brésil) vous semblent-elles critiquables, sont-elles le reflet d’une histoire spécifique non transposable à la France?
L’ouvrage met en évidence la longue genèse des statistiques ethniques aux Etats-Unis, en Russie et au Brésil. Sans l’esclavage qui figure dans les premiers recensements américains de la fin du XVIIIème siècle et dans ceux du Brésil, sans la politique léniniste des nationalités dans les années 1920, il est impossible de comprendre la diversité des nomenclatures utilisées dans chaque pays. La France a une histoire différente, celle d’un Etat qui a progressivement unifié un ensemble très disparate de régions, dès l’aube des temps modernes (par exemple avec l’édit de Villers-Cotteret de 1539). Les institutions et l’idéologie nationale de chaque pays sont profondément marquées par leur histoire singulière. La République une et indivisible, l’égalité de la loi sur l’ensemble du territoire caractérisent la France. Au contraire, les Etats-Unis, fondés sur la reconnaissance des sectes par opposition à l’ejus regio, cujus religio qui domina l’Europe après le traité de Westphalie, ont 50 législations différentes, une par Etat. De même le Brésil et la Russie sont des fédérations à l’intérieur desquelles les lois varient d’un Etat ou d’une république à l’autre.
Comme toute statistique, les statistiques ethniques visent un but. Aux USA par exemple, elles ont permis d’instituer des quotas. En Allemagne, elles contribuent au fléchage d’une partie des impôts vers les Eglises. Est-ce injuste, inefficace?
Parler de statistiques ethniques en général crée la confusion. Il faut spécifier de quelles statistiques on parle. Les désaccords entre partisans et opposants se réduisent alors considérablement. Michel Wieviorka qui était un partisan et moi, un opposant, avons trouvé une plage d’accord importante en distinguant trois niveaux statistiques : nous sommes d’accord pour proscrire une question sur l’ethnicité dans les recensements ; nous sommes aussi d’accord pour autoriser l’élaboration de critères ethniques ou physiques pour tout travail de recherche sur un sujet précis (monographie). Ainsi, l’excellente enquête de Fabien Jobard et René Lévy (CNRS) sur les contrôles au faciès, ou les enquêtes sur les discriminations à l’embauche : dans ces deux cas, les catégories utilisées sont très différentes, l’apparence physique et l’habillement dans le premier cas, le nom et le lieu de résidence dans l’autre. Restent les grandes enquêtes (TeO par exemple). Michel Wieviorka y est favorable pour les raisons que défendent les partisans des statistiques ethniques, j’y suis opposé pour les deux premières raisons qu’avancent les opposants (voir la réponse à 1.).
Quant au cas de l’Allemagne, il ne s’agit pas d’ethnicité, mais de religion. Les données recueillies par le ministère des finances servent seulement à taxer ceux qui se déclarent protestant, catholique ou juif, afin que l’Etat salarie les responsables de ces trois religions. Cela ne constitue pas une statistique ethnique puisque les catégories sont clairement spécifiées et qu’elles ne sont pas utilisées dans la lutte contre des discriminations.
D’un point de vue purement statistique, est-il raisonnable de penser que l’ethnie n’est pas une variable pertinente pour l’analyse des inégalités et que l’âge, le sexe, les revenus, la nationalité, le territoire (variables peu sujettes à la subjectivité) sont suffisants? Pour en avoir le coeur net, ne faudrait-il pas, justement faire une enquête pour le prouver, une bonne fois pour toute?
La réponse est dans la question. L’appartenance ou l’origine ethnique ne sont pas pertinentes car « sujettes à la subjectivité ». Comme on ne peut pas donner une définition précise de l’ethnicité, on s’appuie sur des déclarations (« auto-évaluation » ou « ressenti d’appartenance » en jargon sociologique) qui varient fortement en fonction de la question posée et au cours de l’existence. Ainsi, l’enquête MGIS posait une question sur « la langue parlée dans la petite enfance ». Un premier problème avait surgi quand plusieurs réponses étaient données, par exemple par les enfants d’unions mixtes. Cela avait été réglé arbitrairement en ne retenant que « la langue la moins fréquente ». Un second problème, devant la variété des réponses, avait été de regrouper plusieurs langues minoritaires, ce qui supposait que la linguistique comparée était une science exacte. En troisième lieu, si au lieu de cette question, on avait directement demandé « quelle est votre appartenance ethnique ? », le résultat aurait sans doute été très différent, de nombreux immigrés naturalisés français (38 % le sont) auraient, par exemple, répondu qu’ils étaient français, et certains non-immigrés qu’ils étaient basques, alsaciens ou bretons.
La statistique de l’âge n’est pas subjective car ce dernier est compté à partir de la date de naissance, mais si la question était « quel est votre ressenti d’âge », on aurait quelques surprises. De même, la statistique du sexe n’est pas celle du genre.
Vous indiquez que la statistique ethnique renforce le communautarisme et son autre face, la stigmatisation. Cependant, ces phénomènes sont à l’oeuvre sans statistiques ethniques. Quelle est alors la meilleure solution statistique pour réduire ces phénomènes ?
Si le communautarisme progresse en France, il faut bien sûr éviter de l’encourager par des statistiques ethniques qui reconnaitraient son bien-fondé. Cela dit, rien ne prouve que le communautarisme ethnique progresse, c’est plutôt le contraire avec l’ancienneté croissante de l’immigration et l’élévation du niveau de diplôme de la seconde génération et des nouveaux migrants. En revanche, le communautarisme religieux progresse vraisemblablement chez les musulmans comme chez les chrétiens, en particulier chez les évangélistes. La question migratoire s’est déportée sur la question religieuse.
Quant aux moyens de lutter contre le communautarisme, ce serait présomptueux de ma part de recommander une solution à cette question difficile. Deux pistes peuvent cependant être explorées :
la discrimination positive territoriale. L’excellent travail mené sous le ministère de François Lamy a fixé avec une définition précise les zones prioritaires à l’intérieur desquelles des mesures favorables à l’enseignement (doublement des instituteurs dans le primaire) et à l’emploi sont mises en place. En ciblant un lieu, on évite de stigmatiser les individus. Quand on est noir ou né algérien en Algérie, on le reste toute sa vie, mais quand on habite Trappes ou Livry-Gargan, on peut changer de résidence.
la mixité sociale. Ce n’est certes pas une réussite, mais cela reste une direction qu’il faut continuer d’explorer, sans oublier que les véritables ghettos sont ceux des riches, à Neuilly, dans le 7ème arrondissement, à Cannes ou à Antibes.
Le big data permet sans doute déjà d’établir des « statistiques » ethniques, au profit des entreprises. Est-il raisonnable de laisser les acteurs privés s’emparer d’un thème aussi majeur sans contrôle public ?
Les segmentations du marché recherchées par les entreprises sont en général spécifiques, donc ne soulèvent pas le risque d’essentialisation des catégories d’autant que le marquage par une entreprise privée n’a pas le même poids symbolique que le marquage par l’Etat. Par exemple, les industries cosmétiques comme l’Oréal s’intéressent inévitablement aux différentes textures des chevelures et aux couleurs des peaux. Les entreprises pharmaceutiques peuvent cibler certaines régions d’origine où un gène létal particulier est fréquent, comme c’était le cas pour la détection de la luxation congénitale de la hanche chez les nourrissons d’ascendance bretonne. Dans le cas des HLM, où les offices ont souvent cherché à diversifier les origines des locataires d’un même immeuble, la sélection n’était pas ethnique, mais fonction des nationalités et des lieux de naissance. C’était un moyen d’éviter le communautarisme.
Un mot supplémentaire ?
Sur des questions qui n’ont pas été posées : les menus dans les cantines scolaires, le voile dans l’espace public, les prières dans la rue par exemple. La diversité des cas rencontrés suggère d’éviter une législation générale pour rechercher de préférence des « accommodements raisonnables » comme disent les Canadiens. Par exemple, un menu sans viande de porc peut être proposé quand un nombre significatif d’élèves le demande, quel que soit leur motif, de même qu’un menu végétarien. Pour le voile, on peut rappeler que la limite de sa forme est que la personne puisse être identifiée dans l’espace public. Après tout, il y a peu, les femmes étaient obligées de mettre un voile quand elles pénétraient dans une église. Quant aux lieux de culte, où l’aide publique est contraire à la législation de 1905, des emprunts à taux faible peuvent être proposés pour la construction de mosquées ou de temples. Tout ce qui peut éviter les vexations symboliques, donc les crispations identitaires, est bienvenu, du moins dans le respect des lois (ainsi, la mixité homme-femme dans les piscines ou à l’hôpital ne saurait être mise en cause).
NDLR : le sujet des statistiques ethniques a été traité l’année dernière dans DE QUOI LES STATISTIQUES ETHNIQUES SONT-ELLES LE NOM ? Dans la tribune, l'auteur discute de définitions plus larges que l'on peut donner aux statistiques ethniques
* "Diviser pour unir ?" aux Éditions de la Maison des sciences de l'homme, Paris
En France, le terme de statistiques ethniques fait référence à une caractérisation des individus selon leurs origines culturelles ou leur aspect physique. On ne doit pas les confondre avec les statistiques d’orientations sexuelles, de nationalité, d’origine nationale ou de religion.
Les partisans des statistiques ethniques ont d’abord mis en avant la connaissance des populations (enquête MGIS de l’INED et de l’INSEE en 1994, enquête du CRAN en 2007), puis ils ont insisté sur leur rôle dans la lutte contre les discriminations (enquête TeO de l’INED et l’INSEE en 2008).
Les opposants aux statistiques ethniques ont, quant à eux, d’abord mis en avant l’impossibilité de définir des catégories ethniques indiscutables, en raison notamment de la mixité des origines. L’ouvrage « Diviser pour unir ? France, Brésil, Russie face aux comptages ethniques » en donne l’illustration non seulement dans les pays cités, mais en raison des changements presque incessants des catégories ethniques dans un même pays. Ensuite, les opposants ont souligné le risque performatif, celui d’essentialiser les catégories, de telle sorte que les individus perçoivent leur ethnicité comme la composante principale de leur identité (« je suis blanche avant d’être femme » déclarait une électrice de Trump). Enfin, les mesures de discrimination positive envers les minorités alimentent le populisme, voire le racisme des pauvres qui n’en bénéficient pas (petits blancs des Etats-Unis par exemple). Ils estiment avoir été, malgré eux, soumis à des conditions aussi défavorables que le fait d’être noir ou mexicain d’origine.
Vous-même êtes opposé à l’établissement de statistiques ethniques en France. Les expériences étrangères (USA, Russie, Brésil) vous semblent-elles critiquables, sont-elles le reflet d’une histoire spécifique non transposable à la France?
L’ouvrage met en évidence la longue genèse des statistiques ethniques aux Etats-Unis, en Russie et au Brésil. Sans l’esclavage qui figure dans les premiers recensements américains de la fin du XVIIIème siècle et dans ceux du Brésil, sans la politique léniniste des nationalités dans les années 1920, il est impossible de comprendre la diversité des nomenclatures utilisées dans chaque pays. La France a une histoire différente, celle d’un Etat qui a progressivement unifié un ensemble très disparate de régions, dès l’aube des temps modernes (par exemple avec l’édit de Villers-Cotteret de 1539). Les institutions et l’idéologie nationale de chaque pays sont profondément marquées par leur histoire singulière. La République une et indivisible, l’égalité de la loi sur l’ensemble du territoire caractérisent la France. Au contraire, les Etats-Unis, fondés sur la reconnaissance des sectes par opposition à l’ejus regio, cujus religio qui domina l’Europe après le traité de Westphalie, ont 50 législations différentes, une par Etat. De même le Brésil et la Russie sont des fédérations à l’intérieur desquelles les lois varient d’un Etat ou d’une république à l’autre.
Comme toute statistique, les statistiques ethniques visent un but. Aux USA par exemple, elles ont permis d’instituer des quotas. En Allemagne, elles contribuent au fléchage d’une partie des impôts vers les Eglises. Est-ce injuste, inefficace?
Parler de statistiques ethniques en général crée la confusion. Il faut spécifier de quelles statistiques on parle. Les désaccords entre partisans et opposants se réduisent alors considérablement. Michel Wieviorka qui était un partisan et moi, un opposant, avons trouvé une plage d’accord importante en distinguant trois niveaux statistiques : nous sommes d’accord pour proscrire une question sur l’ethnicité dans les recensements ; nous sommes aussi d’accord pour autoriser l’élaboration de critères ethniques ou physiques pour tout travail de recherche sur un sujet précis (monographie). Ainsi, l’excellente enquête de Fabien Jobard et René Lévy (CNRS) sur les contrôles au faciès, ou les enquêtes sur les discriminations à l’embauche : dans ces deux cas, les catégories utilisées sont très différentes, l’apparence physique et l’habillement dans le premier cas, le nom et le lieu de résidence dans l’autre. Restent les grandes enquêtes (TeO par exemple). Michel Wieviorka y est favorable pour les raisons que défendent les partisans des statistiques ethniques, j’y suis opposé pour les deux premières raisons qu’avancent les opposants (voir la réponse à 1.).
Quant au cas de l’Allemagne, il ne s’agit pas d’ethnicité, mais de religion. Les données recueillies par le ministère des finances servent seulement à taxer ceux qui se déclarent protestant, catholique ou juif, afin que l’Etat salarie les responsables de ces trois religions. Cela ne constitue pas une statistique ethnique puisque les catégories sont clairement spécifiées et qu’elles ne sont pas utilisées dans la lutte contre des discriminations.
D’un point de vue purement statistique, est-il raisonnable de penser que l’ethnie n’est pas une variable pertinente pour l’analyse des inégalités et que l’âge, le sexe, les revenus, la nationalité, le territoire (variables peu sujettes à la subjectivité) sont suffisants? Pour en avoir le coeur net, ne faudrait-il pas, justement faire une enquête pour le prouver, une bonne fois pour toute?
La réponse est dans la question. L’appartenance ou l’origine ethnique ne sont pas pertinentes car « sujettes à la subjectivité ». Comme on ne peut pas donner une définition précise de l’ethnicité, on s’appuie sur des déclarations (« auto-évaluation » ou « ressenti d’appartenance » en jargon sociologique) qui varient fortement en fonction de la question posée et au cours de l’existence. Ainsi, l’enquête MGIS posait une question sur « la langue parlée dans la petite enfance ». Un premier problème avait surgi quand plusieurs réponses étaient données, par exemple par les enfants d’unions mixtes. Cela avait été réglé arbitrairement en ne retenant que « la langue la moins fréquente ». Un second problème, devant la variété des réponses, avait été de regrouper plusieurs langues minoritaires, ce qui supposait que la linguistique comparée était une science exacte. En troisième lieu, si au lieu de cette question, on avait directement demandé « quelle est votre appartenance ethnique ? », le résultat aurait sans doute été très différent, de nombreux immigrés naturalisés français (38 % le sont) auraient, par exemple, répondu qu’ils étaient français, et certains non-immigrés qu’ils étaient basques, alsaciens ou bretons.
La statistique de l’âge n’est pas subjective car ce dernier est compté à partir de la date de naissance, mais si la question était « quel est votre ressenti d’âge », on aurait quelques surprises. De même, la statistique du sexe n’est pas celle du genre.
Vous indiquez que la statistique ethnique renforce le communautarisme et son autre face, la stigmatisation. Cependant, ces phénomènes sont à l’oeuvre sans statistiques ethniques. Quelle est alors la meilleure solution statistique pour réduire ces phénomènes ?
Si le communautarisme progresse en France, il faut bien sûr éviter de l’encourager par des statistiques ethniques qui reconnaitraient son bien-fondé. Cela dit, rien ne prouve que le communautarisme ethnique progresse, c’est plutôt le contraire avec l’ancienneté croissante de l’immigration et l’élévation du niveau de diplôme de la seconde génération et des nouveaux migrants. En revanche, le communautarisme religieux progresse vraisemblablement chez les musulmans comme chez les chrétiens, en particulier chez les évangélistes. La question migratoire s’est déportée sur la question religieuse.
Quant aux moyens de lutter contre le communautarisme, ce serait présomptueux de ma part de recommander une solution à cette question difficile. Deux pistes peuvent cependant être explorées :
la discrimination positive territoriale. L’excellent travail mené sous le ministère de François Lamy a fixé avec une définition précise les zones prioritaires à l’intérieur desquelles des mesures favorables à l’enseignement (doublement des instituteurs dans le primaire) et à l’emploi sont mises en place. En ciblant un lieu, on évite de stigmatiser les individus. Quand on est noir ou né algérien en Algérie, on le reste toute sa vie, mais quand on habite Trappes ou Livry-Gargan, on peut changer de résidence.
la mixité sociale. Ce n’est certes pas une réussite, mais cela reste une direction qu’il faut continuer d’explorer, sans oublier que les véritables ghettos sont ceux des riches, à Neuilly, dans le 7ème arrondissement, à Cannes ou à Antibes.
Le big data permet sans doute déjà d’établir des « statistiques » ethniques, au profit des entreprises. Est-il raisonnable de laisser les acteurs privés s’emparer d’un thème aussi majeur sans contrôle public ?
Les segmentations du marché recherchées par les entreprises sont en général spécifiques, donc ne soulèvent pas le risque d’essentialisation des catégories d’autant que le marquage par une entreprise privée n’a pas le même poids symbolique que le marquage par l’Etat. Par exemple, les industries cosmétiques comme l’Oréal s’intéressent inévitablement aux différentes textures des chevelures et aux couleurs des peaux. Les entreprises pharmaceutiques peuvent cibler certaines régions d’origine où un gène létal particulier est fréquent, comme c’était le cas pour la détection de la luxation congénitale de la hanche chez les nourrissons d’ascendance bretonne. Dans le cas des HLM, où les offices ont souvent cherché à diversifier les origines des locataires d’un même immeuble, la sélection n’était pas ethnique, mais fonction des nationalités et des lieux de naissance. C’était un moyen d’éviter le communautarisme.
Un mot supplémentaire ?
Sur des questions qui n’ont pas été posées : les menus dans les cantines scolaires, le voile dans l’espace public, les prières dans la rue par exemple. La diversité des cas rencontrés suggère d’éviter une législation générale pour rechercher de préférence des « accommodements raisonnables » comme disent les Canadiens. Par exemple, un menu sans viande de porc peut être proposé quand un nombre significatif d’élèves le demande, quel que soit leur motif, de même qu’un menu végétarien. Pour le voile, on peut rappeler que la limite de sa forme est que la personne puisse être identifiée dans l’espace public. Après tout, il y a peu, les femmes étaient obligées de mettre un voile quand elles pénétraient dans une église. Quant aux lieux de culte, où l’aide publique est contraire à la législation de 1905, des emprunts à taux faible peuvent être proposés pour la construction de mosquées ou de temples. Tout ce qui peut éviter les vexations symboliques, donc les crispations identitaires, est bienvenu, du moins dans le respect des lois (ainsi, la mixité homme-femme dans les piscines ou à l’hôpital ne saurait être mise en cause).
NDLR : le sujet des statistiques ethniques a été traité l’année dernière dans DE QUOI LES STATISTIQUES ETHNIQUES SONT-ELLES LE NOM ? Dans la tribune, l'auteur discute de définitions plus larges que l'on peut donner aux statistiques ethniques
* "Diviser pour unir ?" aux Éditions de la Maison des sciences de l'homme, Paris
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