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07 juin 2017

Data science sans conscience n'est que ruine de l'humanité

Nul ne saurait remettre en question les retombées positives de la révolution numérique lorsqu’il s’agit d’améliorer notre santé, de maîtriser notre consommation d’énergie ou d’optimiser nos déplacements.

En contrepartie, la dictature grandissante du numérique et du big data a des conséquences alarmantes dans au moins deux domaines.

Première mauvaise nouvelle : nos libertés de pensée et d’action sont restreintes chaque jour davantage. L’avalanche matinale de mails, les publicités intrusives, les interruptions incessantes de messages ou la recherche d’informations pertinentes dans le maquis des « fake news » et des faux avis laissent de moins en moins de temps à la réflexion ou à la créativité et peuvent être un frein à la productivité des entreprises.

Qui plus est, nos moindres agissements et, demain, nos pensées (mesurées par des capteurs physiologiques ou le décodage de nos émotions sur nos visages) sont désormais numérisés et enrichissent à chaque instant de gigantesques bases de données nourrissant l’insatiable "big data". Les géants du web puisent alors dans ces immenses réservoirs et s’immiscent dans nos vies privées pour nous proposer des produits prétendus personnalisés, influencer nos comportements et, progressivement, programmer nos moindres actions. Degré ultime de la manipulation, la noria incessante de mots savants, des algorithmes quasi magiques à l’intelligence artificielle, diffuse un halo de mystère et évoque des progrès scientifiques indiscutables pour occulter des manœuvres peu recommandables.

Seconde mauvaise nouvelle : les nouveaux moyens de communication numériques amplifient de façon phénoménale la puissance et le rayon d’action de prédateurs en tout genre, individus ou groupes mal intentionnés, cyber-escrocs et organisations rêvant de domination planétaire.

La liste des actions délictueuses sur la toile est en croissance permanente, du harcèlement sur les réseaux sociaux à l’attaque récente du virus Wanna Cry, en passant par le piratage d’espaces numériques en période électorale. Rappelons, pour imaginer un des scénarios cataclysmiques possibles, qu’Alibaba, regroupant aujourd’hui la plupart des services offerts sur le net (moteur de recherche, réseaux sociaux, e-commerce, échanges de biens, système de paiement, internet des objets connectés…) est en relation quotidienne avec plusieurs centaines de millions de Chinois, et demain, peut-être, avec la moitié des terriens. Qu’arriverait-il si, dans quelques années, ce géant poursuivait d’autres buts qu’une domination commerciale, avec la bénédiction du gouvernement chinois ?

Il est donc urgent de s’interroger sur les contrefeux qu’il est encore possible d’activer face aux dérives du monde numérique, en complément de toutes les mesures nécessaires pour se protéger de cyberpirates mondiaux.

Des organismes de contrôle, comparables à la CNIL en France, ont été créés dans la plupart des pays pour se prémunir d’actions malfaisantes sur le web ou éviter le pillage quotidien de nos données personnelles. Leur efficacité est néanmoins limitée, compte tenu des moyens financiers colossaux des multinationales leaders de l’économie numérique et des innovations incessantes de cyberpirates agissant depuis de lointains pays. Une lueur d’espoir pourrait apparaître lors de la prochaine application, en 2018, du nouveau RGPD (Règlement Général pour la Protection des Données Personnelles) de l’Union Européenne qui alourdira considérablement les contraintes imposées aux entreprises et les sanctions prévues pour les contrevenants.

On pourrait également penser que les entreprises du numérique aient un comportement vertueux pour mieux servir des clients lassés du harcèlement publicitaire et en quête de transparence. Certes, elles affichent souvent une image irréprochable par des actions humanitaires ou le financement de recherches médicales.

Hélas, une longue liste de malversations démontre que le chemin vers une économie numérique éthique sera long. Régulièrement, des grandes entreprises sont prises en défaut et parfois sanctionnées par des organismes de régulation. Parmi de nombreux exemples : booking.com, leader mondial de la réservation hôtelière, qui impose des commissions disproportionnées allant jusqu’à 30% (pour apparaître en tête de liste avec des avis positifs fictifs), le logiciel Adblockplus dont on découvre qu’il bloque toutes les publicités sur le web, à l’exception de celles émanant d’un « liste blanche » d’entreprises qui échappent au contrôle moyennant le paiement de quelques millions de dollars…

Tout récemment, Facebook a été lourdement condamné par des instances européennes pour n’avoir pas tenu ses promesses d’étanchéité des données personnelles entre le réseau social et WhatsApp.

Dans ce contexte, trois voies principales doivent être suivies pour contrecarrer toutes ces dérives.

La première voie consiste à changer radicalement nos comportements sur le web. Comme un drogué se désintoxiquant, tout internaute doit apprendre à diminuer ses moments de connexion et, plus généralement, à mieux gérer son temps pour préserver sa vie « réelle » de réflexions, de loisirs ou de méditation. Il est également vital d’acquérir un ensemble de pratiques pour résister à l’infobésité, utiliser prudemment les réseaux sociaux et se protéger d’intrusions abusives ou criminelles.

Deuxièmement, il est indispensable de favoriser des contrefeux collectifs. Tel un judoka utilisant la force de son adversaire pour le déstabiliser, nous devons mobiliser la puissance du numérique dans des initiatives collectives, animées par des espaces d’alertes ou de pétitions, voire dans des sites d’actions de groupe ou de boycott.

Dans le même esprit, les plateformes collaboratives sont une alternative vertueuse à l’hégémonie des champions internationaux de l’économie participative. Nous citerons ici fairbooking qui fédère près de 2000 hôteliers souhaitant échapper à l’emprise de booking.com ou différentes aventures comparables de coopératives de taxis pour contrecarrer la dictature d’Uber.

Ces contrefeux collectifs doivent respecter des règles d’éthique et de transparence irréprochables que seuls garantissent des financements par abonnement ou provenant de donateurs connus et indépendants.

En troisième lieu, en ces temps où nos dirigeants s’interrogent sur la place réservée au latin dans l’enseignement, il nous semble plus urgent de déployer un programme ambitieux pour former, dès l’école primaire, des « citoyens numériques libres ».

Ce programme doit s’adresser autant aux élèves qu’aux enseignants et aux parents.

Les thèmes essentiels de bon usage individuel et collectif du numérique sont évoqués ci-dessus et pourraient être enrichis par une sensibilisation à l’éthique.

Cette période de transition pour absorber une mutation technologique et sociétale sans précédent dans l’histoire de l’humanité sera sans doute longue. Espérons que notre message se révèle plus efficace que des digues dérisoires érigées pour combattre la montée inéluctable du niveau des océans.

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