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19 juillet 2019
De l'Insee à sa propre start-up, en restant pleinement statisticien - Portrait d'Antoine Moreau (1987)
Publié par
Francois Lequiller
| Nos alumni
Je rencontre Antoine, que j’ai connu à l’Insee au début des années 90, dans les bureaux de sa start-up en pointe dans le traitement de données, SLPV analytics, une entreprise spécialiste du big data.
L’endroit déconcerte. On s’attend à tomber dans des locaux hyper modernes d’une Silicon Valley parisienne. Pas du tout ! En plein 15e, dans un immeuble parisien on ne peut plus classique, on a d’abord l’impression, en traversant un patio décoré d’accueillantes plantes vertes, qu’on va pénétrer dans un atelier d’artiste. On comprend ensuite vite qu’à SLPV analytics on préfère la sobriété au clinquant. À l’image de son patron qui dégage, derrière sa modestie naturelle, une forte compétence et une culture ancrée de la vraie statistique. Au point d’avoir appelé sa société des initiales de Sébastien Le Prestre de Vauban, le génial architecte de Louis XIV, qui, Antoine me l’apprend, avait bien d’autres qualités dont le culte du chiffre. Comme son illustre prédécesseur, Antoine veut que sa petite société (deux associés, cinq experts) soit en même temps « rationnelle, pertinente et impertinente ». Pertinente grâce à son expertise pointue, impertinente jusqu’à annoncer tous les résultats à ses clients même s’ils ne sont pas trop plaisants… Il paraît que Vauban pouvait être volontiers provocateur, même avec le Roi Soleil.
Quand je lui demande quels souvenirs il a de son passage à l’institut, Antoine répond sans la moindre hésitation : « Je n’ai que de bons souvenirs, c’est là que j’ai appris tout ce qui fait aujourd’hui la colonne vertébrale de mon métier : les méthodes statistiques de pointe ». Il cite les noms de ses mentors : Laroque, Monfort, Gouriéroux… Mais alors, je lui demande, pourquoi l’avoir quitté ? Dans sa réponse tient toute sa philosophie : « Jusque-là j’y étais peu contraint, je faisais des choses qui me plaisaient. Mais j’ai compris que, par la suite, une carrière toute tracée me conduirait à des postes de responsabilité où je serai contraint de m’éloigner du terrain ». Voilà une vérité assez incroyable : il quitte l’Insee pour continuer à faire de la vraie statistique !
Il passe à IPSOS dix-sept ans, pendant lesquels il accompagne l’impressionnant succès d’une société qui passe de 150m€ de CA en 1996 à 1 800m€ en 2013, aussi bien par croissance interne qu’externe, et se développe magistralement à l’international. Il prend une grande part de la responsabilité de terrain des études de marketing en en gérant le moteur : la collecte des données, avec la gestion des centres d’appel et des enquêteurs (y compris leurs grèves…). Il dirige ensuite la filiale « media planning » dont les clients sont les grandes agences de publicité et y développe des logiciels d’aide à la structuration des campagnes. Puis il prend des responsabilités de plus en plus importantes dans le département Ipsos Loyalty, spécialisé dans la compréhension de la gestion des clients. Il y termine COO (chief operating officer) et harmonise au niveau international les plateformes de production d’un IPSOS maintenant présent sur tous les continents. Ses clients s’appellent Microsoft, PSA, AXA et en Chine, où IPSOS détient une bonne part de marché des études commerciales, Huaweï. C’est durant cette période qu’il voyage le plus, jusqu’à s’en fatiguer un peu. Sa spécialité : les baromètres de satisfaction des clients de ses propres clients.
Mais, comme à l’Insee, il finit par sentir qu’il s’éloigne de son véritable centre d’intérêt : le terrain, les méthodes statistiques ; et supporte de moins en moins les contraintes fixées par ses chefs même s’il garde avec eux de bonnes relations. La solution s’impose : créer sa propre boîte.
Quand je lui demande si sa start-up est innovante, il réfléchit un peu et répond : « Peut-être n’inventons-nous pas de nouvelles méthodes statistiques, mais nous sommes à la pointe de la recherche en ce qui concerne un assemblage innovant de méthodes pour répondre à un problème complexe donné ». La preuve, les papiers (signés avec son associé) analysant de manière fine et rigoureuse, en utilisant des techniques de variables instrumentales, la motivation de l’abstention, du vote RN ou LFI et leurs corrélations avec la densité des services publics dans les communes, en s’appuyant sur des données open-data de l’Insee ou du ministère de l’Intérieur. Le papier originel a obtenu le premier prix au séminaire Big Data d’ESOMAR, l’association internationale des professionnels des études de marché, à Berlin, en 2017. Autre étude particulièrement originale, réalisée chez Ipsos celle-là et sur commande d’EADS : « Demand analysis of suborbital space tourism » ! Il est très fier d’avoir prédit, avant même que Richard Branson et Elon Musk se jettent dans la bataille, qu’il y a là un marché de niche de plusieurs centaines de clients…
À sa faconde sereine, on sent qu’Antoine a atteint aujourd’hui son niveau de plénitude. Quand je lui mentionne que certains fondateurs de start-up finissent par vendre, il saute au plafond. Il est parfaitement bien là où il est. Cette combinaison de technique statistique et de contacts commerciaux d’une variété sans égale est pour lui particulièrement enrichissante. En plus, il garde des contacts avec les jeunes en enseignant les techniques du Big Data dans deux mastères. La seule chose qu’il regrette est de ne plus avoir le temps de se consacrer à sa deuxième passion : le piano et l’orgue. Il a des accents émouvants quand il parle de ses sessions passées sur l’orgue de Notre-Dame-des-Victoires… Je termine l’entretien par la question habituelle :
Et puis, il termine par : « faites d’abord, comme moi qui ai eu un parcours varié, ce que vous avez envie de faire… ».
L’endroit déconcerte. On s’attend à tomber dans des locaux hyper modernes d’une Silicon Valley parisienne. Pas du tout ! En plein 15e, dans un immeuble parisien on ne peut plus classique, on a d’abord l’impression, en traversant un patio décoré d’accueillantes plantes vertes, qu’on va pénétrer dans un atelier d’artiste. On comprend ensuite vite qu’à SLPV analytics on préfère la sobriété au clinquant. À l’image de son patron qui dégage, derrière sa modestie naturelle, une forte compétence et une culture ancrée de la vraie statistique. Au point d’avoir appelé sa société des initiales de Sébastien Le Prestre de Vauban, le génial architecte de Louis XIV, qui, Antoine me l’apprend, avait bien d’autres qualités dont le culte du chiffre. Comme son illustre prédécesseur, Antoine veut que sa petite société (deux associés, cinq experts) soit en même temps « rationnelle, pertinente et impertinente ». Pertinente grâce à son expertise pointue, impertinente jusqu’à annoncer tous les résultats à ses clients même s’ils ne sont pas trop plaisants… Il paraît que Vauban pouvait être volontiers provocateur, même avec le Roi Soleil.
Les années Insee : l’apprentissage de la rigueur
Sortant de l’X en 1985, Antoine choisit l’ENSAE, et partant, l’Insee, puisqu’il est administrateur, « par intérêt pour l’économie ». Mais très vite, ce qui le motive, c’est la méthodologie statistique et la rigueur qu’elle demande dans le traitement et l’analyse des données. Il passe neuf ans à l’Insee, de 1987 à 1996, d’abord au département de la recherche, puis à la tête d’une division qui produit des indices de prix de produits industriels. C’est là que je l’ai connu. Il y crée un indice de prix des micro-ordinateurs basé sur une méthode économétrique avancée. C’est le seul indice de son genre dans le monde à l’exception de celui du Bureau of Labour Statistics américain et ce projet constitue la première synthèse de ce qui fera ensuite le cœur de son métier : la collecte de données et leur traitement. Cet indice est une fierté pour l’Insee et un outil pertinent d’analyse économique qui confirma la baisse drastique du prix des micro-ordinateurs relativement aux autres produits industriels.Quand je lui demande quels souvenirs il a de son passage à l’institut, Antoine répond sans la moindre hésitation : « Je n’ai que de bons souvenirs, c’est là que j’ai appris tout ce qui fait aujourd’hui la colonne vertébrale de mon métier : les méthodes statistiques de pointe ». Il cite les noms de ses mentors : Laroque, Monfort, Gouriéroux… Mais alors, je lui demande, pourquoi l’avoir quitté ? Dans sa réponse tient toute sa philosophie : « Jusque-là j’y étais peu contraint, je faisais des choses qui me plaisaient. Mais j’ai compris que, par la suite, une carrière toute tracée me conduirait à des postes de responsabilité où je serai contraint de m’éloigner du terrain ». Voilà une vérité assez incroyable : il quitte l’Insee pour continuer à faire de la vraie statistique !
Les années IPSOS ou marcher sur deux jambes : méthodologie et commerce
C’est dans cet institut « passionnément curieux des individus, des marchés, des marques et de la société » qu’il va trouver sa nouvelle voie. Le grand public ne connaît d’IPSOS que son côté « sondage politique ». En fait, sa branche « opinion publique » ne représente qu’environ 12 % du chiffre d’affaires. Le reste, c’est essentiellement les études marketing pour de grands comptes. C’est dans ce domaine, qu’après deux ans dans un poste administratif transversal pour apprendre comment fonctionne ce milieu et y acquérir une certaine légitimité, qu’Antoine va exceller au point de devenir, sans que ce soit un titre officiel, le directeur scientifique de la société. C’est sa jambe technique. En même temps, il y apprend la deuxième jambe d’un cadre d’entreprise commerciale : le contact avec les clients. Être pointu en statistique ne suffit pas, il faut savoir leur parler et les convaincre. En particulier, savoir leur expliquer dans des termes simples la pertinence et la rigueur des méthodes et de l’analyse.Il passe à IPSOS dix-sept ans, pendant lesquels il accompagne l’impressionnant succès d’une société qui passe de 150m€ de CA en 1996 à 1 800m€ en 2013, aussi bien par croissance interne qu’externe, et se développe magistralement à l’international. Il prend une grande part de la responsabilité de terrain des études de marketing en en gérant le moteur : la collecte des données, avec la gestion des centres d’appel et des enquêteurs (y compris leurs grèves…). Il dirige ensuite la filiale « media planning » dont les clients sont les grandes agences de publicité et y développe des logiciels d’aide à la structuration des campagnes. Puis il prend des responsabilités de plus en plus importantes dans le département Ipsos Loyalty, spécialisé dans la compréhension de la gestion des clients. Il y termine COO (chief operating officer) et harmonise au niveau international les plateformes de production d’un IPSOS maintenant présent sur tous les continents. Ses clients s’appellent Microsoft, PSA, AXA et en Chine, où IPSOS détient une bonne part de marché des études commerciales, Huaweï. C’est durant cette période qu’il voyage le plus, jusqu’à s’en fatiguer un peu. Sa spécialité : les baromètres de satisfaction des clients de ses propres clients.
Mais, comme à l’Insee, il finit par sentir qu’il s’éloigne de son véritable centre d’intérêt : le terrain, les méthodes statistiques ; et supporte de moins en moins les contraintes fixées par ses chefs même s’il garde avec eux de bonnes relations. La solution s’impose : créer sa propre boîte.
Une nouvelle aventure : être son propre patron
Il donne donc naissance à son entreprise en 2013 (« le plus difficile ça a été de trouver son nom », rigole Antoine), spécialisée dans « l’intelligence des données, le data mining et la modélisation statistique ». SLPV analytics ne fait pas de collecte de données mais travaille à partir de données internes d’entreprise, notamment en sous-traitance des instituts de sondage (y compris IPSOS…). Il avoue sans détour une motivation essentielle pour cette nouvelle aventure : être son propre patron et décider ainsi lui-même de ce qu’il fait, en privilégiant bien sûr les techniques les plus pointues de data science, notamment dans ce qu’on appelle dans son jargon le « trade-off » ou comment positionner un nouveau produit parmi ses concurrents.Quand je lui demande si sa start-up est innovante, il réfléchit un peu et répond : « Peut-être n’inventons-nous pas de nouvelles méthodes statistiques, mais nous sommes à la pointe de la recherche en ce qui concerne un assemblage innovant de méthodes pour répondre à un problème complexe donné ». La preuve, les papiers (signés avec son associé) analysant de manière fine et rigoureuse, en utilisant des techniques de variables instrumentales, la motivation de l’abstention, du vote RN ou LFI et leurs corrélations avec la densité des services publics dans les communes, en s’appuyant sur des données open-data de l’Insee ou du ministère de l’Intérieur. Le papier originel a obtenu le premier prix au séminaire Big Data d’ESOMAR, l’association internationale des professionnels des études de marché, à Berlin, en 2017. Autre étude particulièrement originale, réalisée chez Ipsos celle-là et sur commande d’EADS : « Demand analysis of suborbital space tourism » ! Il est très fier d’avoir prédit, avant même que Richard Branson et Elon Musk se jettent dans la bataille, qu’il y a là un marché de niche de plusieurs centaines de clients…
À sa faconde sereine, on sent qu’Antoine a atteint aujourd’hui son niveau de plénitude. Quand je lui mentionne que certains fondateurs de start-up finissent par vendre, il saute au plafond. Il est parfaitement bien là où il est. Cette combinaison de technique statistique et de contacts commerciaux d’une variété sans égale est pour lui particulièrement enrichissante. En plus, il garde des contacts avec les jeunes en enseignant les techniques du Big Data dans deux mastères. La seule chose qu’il regrette est de ne plus avoir le temps de se consacrer à sa deuxième passion : le piano et l’orgue. Il a des accents émouvants quand il parle de ses sessions passées sur l’orgue de Notre-Dame-des-Victoires… Je termine l’entretien par la question habituelle :
Quels conseils pour les jeunes ENSAE ?
Antoine répond deux choses du tac au tac. La première : « s’accrocher aux enseignements de méthodologie statistique de cette formidable école. Cette précieuse formation initiale, je m’en sers aujourd’hui tous les jours et c’est cette expertise qui fait le succès de SLPV analytics ». La seconde : « si vous voulez, comme moi, être votre propre patron et créer votre entreprise, apprenez à soigner le contact avec les clients. Investissez dans l’expression orale, la vulgarisation intelligente. Si le client ne comprend pas, ce n’est pas qu’il est bête, c’est que vous avez mal expliqué ».Et puis, il termine par : « faites d’abord, comme moi qui ai eu un parcours varié, ce que vous avez envie de faire… ».
2 Commentaires
Peut être peut on ajouter un sous titre « portrait d Antoine Moreau »
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