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18 décembre 2017

Evolutions récentes du marché du travail japonais

Publié par Gérard Bouvier | Tribune
Le Japon compense son déclin démographique en mettant de plus en plus les femmes au travail. Celles-ci restent moins bien payées que les hommes, mais l’écart se réduit. Seules les jeunes femmes restant célibataires arrivent véritablement à tirer avantage d’une demande de travail assez soutenue.

Le Japon est encore la troisième économie mondiale, le niveau de vie par habitant s’y compare à celui des grands pays d’Europe occidentale (France, Allemagne, Grande- Bretagne). La très forte croissance observée durant le troisième quart du vingtième siècle n’est plus qu’un souvenir : l’inflation est nulle ou négative, la croissance du PIB reste atone depuis près de 30 ans. Ce pays possède de nombreux traits qui incitent à la réflexion comme modèle ou contre-modèle de développement socio-économique dans un contexte de stagnation de la population et de la croissance.

Parmi les pays très développés hors Europe, le Japon retient l’attention car sa démographie et son économie présentent de nombreux traits originaux. La population totale amorce un déclin depuis quelques années. L’espérance de vie est parmi les plus élevées au monde, tandis que les indicateurs de nuptialité et de fécondité sont très bas. Ainsi, la population actuelle est de 127 millions de personnes, et les projections prévoient une baisse jusqu’à 100 millions à l’horizon 2050. La proportion des moins de 15 ans est l’une des plus faibles du monde (12 %) et celle des plus de 65 ans dépasse les 28 %, sans doute le record mondial. A titre de comparaison, la population allemande devrait se maintenir entre 80 et 85 millions tout au long de la première moitié du XXIème siècle, la proportion des moins de 15 ans est à peu près similaire à celle du Japon, mais celle des plus de 65 ans n’est encore que de 21 %. Le Japon n’a jamais connu la colonisation, et n’a été lui-même que peu de temps puissance colonisatrice. Le pays est traditionnellement fermé à la migration. La population ne comprend que 2 % d’immigrés, l’obtention de la nationalité japonaise étant considérée extrêmement difficile. Le système d’enseignement supérieur japonais est très réputé, mais n’attire (ou n’accepte) que peu d’étrangers comparativement à des pays en concurrence directe, tels que l’Allemagne et l’Australie, voire la France. Dans ce contexte démographique, il est déjà paradoxal que le Japon maintienne une position favorable en matière économique.

Ce paradoxe fait l’objet d’analyses ; on reprend ici celle de D. Kawaguchi et H. Mori, parue dans les analyses de l’IZA_World of Labor (https://wol.iza.org/articles/the-labor-market-in-japan/long ).

La population active se maintient, grâce à une augmentation substantielle de l’activité des femmes

La population en âge de travailler (15-64 ans) décline substantiellement sur la période 2000-2016, de 87 à 77 millions de personnes. Cela n’a pas d’impact sur la population active (les personnes en emploi ou en recherche d’emploi) : le fléchissement observé sur cette période, de 68 à 67 millions, est à peine marqué et la tendance récente, à l’augmentation, relativise encore cette baisse.

Le taux d’activité (= taux de participation) des hommes décline lentement, restant au-delà de 96 % pour les hommes de 25 à 54 ans, supérieur aux taux observés dans les pays les plus développés. En revanche, le taux d’activité des femmes, plutôt faible à l’aube du XXIème siècle, croît vigoureusement, la crise de 2008 n’ayant eu d’autre impact que de ralentir cette hausse. Ce taux dépasse maintenant celui des États-Unis et atteint 77 % en 2016.

La hausse du taux d’activité est uniforme pour les femmes, à l’exception des plus jeunes (15-24 ans), tandis que la stabilité de ce taux, voire un faible déclin, s’observe à tous âges pour les hommes. Exception notable, les plus âgés (60-64 ans) restent actifs en proportion croissante.

Le maintien de la population active au Japon résulte donc d’une participation accrue de personnes (femmes, personnes âgées) déjà présentes sur le territoire.

L’économie japonaise se restructure aux dépens de l’industrie et de la construction et au profit des services à la personnes

La « désindustrialisation » affecte le Japon, comme bien d’autres pays très développés. L’économie japonaise a gagné près d’un million d’emploi sur la période 2000-2016. Premier solde, les femmes sont 2 millions de plus à travailler, les hommes un peu plus d’un million en moins. Industrie et construction perdent plus de deux millions d’emplois. En revanche les services se sont beaucoup développés. Cependant, la croissance de ces services s’observe très majoritairement dans les services des soins aux personnes, notamment les personnes âgées, qui concernent 3 millions de personnes de plus en 2016  qu’en 2000, dont plus de deux millions de femmes. Cela est cohérent avec le vieillissement général de la population japonaise, déjà signalé. Il convient de remarquer que les services aux jeunes personnes, donc l’éducation, ne se sont pas beaucoup développés. Un recours à une main d’œuvre non nécessairement très qualifié est donc requis.

Les femmes se portent sur le marché du travail dans un contexte de forte offre, d’inflation maitrisée et de chômage faible

Le taux de chômage est resté très bas, comparativement aux autres pays de l’Ocde et malgré le choc de 2008. Le taux de chômage est resté inférieurs à 5 % tout au long de la période 2000-2016. Celui des 15-24 ans a été de l’ordre du double (jusqu’à 10 % pour les jeunes hommes). La crise de 2008 a affecté le Japon, comme tous les autres pays très développés. Cependant l’impact en termes de taux de chômage est relativement modéré.

Elles ne profitent que modérément de ces conditions en termes de salaires

La raréfaction de l’offre de travail aurait dû avoir un effet de majoration de salaires, tandis que la réallocation des emplois vers les emplois peu qualifiés de services à la personne devrait jouer en sens inverse. Les salaires des femmes progressent en termes réels et rattrapent très lentement ceux des hommes (qui stagnent), mais les inégalités demeurent massives.

Le Japon s’est longtemps caractérisé par un traitement très inégal entre hommes et femmes, l’indicateur de développement sexospécifique de l’ONU le signalant comme l’un des pays les plus inégalitaires parmi les pays développés ou très développés. Ces écarts se résorbent très lentement. A l’aube des années 2000, l’écart salarial entre femmes et hommes était de plus de 40 % au détriment des premières. En termes réels, les hommes n’ont connu que peu d’évolutions. En revanche, les femmes amorcent un rattrapage sensible, mais somme toute modéré. La croissance des salaires réels concerne les femmes, pour toutes les tranches d’âge. Les jeunes femmes (qualifiées) arbitrent entre vie privée et vie professionnelle au profit du célibat et de professions mieux rémunérées. Cela pose la question de la soutenabilité d’un tel modèle, car le déclin démographique ne semble pas devoir  s’enrayer à moyen terme.

Un volume d’heure travaillées en baisse

Dans le courant des années 1980 voire 1990, le nombre d’heures travaillées par les personnes en emploi au Japon se situait très largement au-dessus de celui observé aux Etats-Unis. Toutefois, une décroissance s’amorçait déjà. Elle s’est poursuivie depuis 2000. A cette date la durée annuelle était de 1 800 heures environ dans les deux pays. Selon les dernières données, elle est tombée à 1 720 heures environ au Japon, n’ayant que peu évolué aux Etats-Unis. L’essentiel des gains de productivité permettrait donc au travailleur japonais de réduire son temps de travail. Ce constat est sans doute à relativiser : le débat national fait encore largement place à la nécessité d’une réduction des heures de travail supplémentaires mais non rémunérées, par définition non mesurées et probablement massives.

Le Japon maintient donc un niveau de vie élevé en dépit d’un déclin démographique, une stagnation de l’offre de travail et le développement de services peu qualifiés. Les femmes rattrapent lentement un retard salarial encore important.

Ce pays développe une réponse originale au vieillissement de sa population. Celle-ci comprend un refus de recourir à l’immigration, qui n’est pas sans rappeler le « sakoku » (= politique de fermeture) à l’œuvre de 1641 à 1853. La contrepartie est de mobiliser la main d’œuvre féminine, ce qui obère la capacité de renouvellement démographique. Il reste une ressource : la main d’œuvre offerte par les seniors. Permet-elle de maintenir à la pointe de l’innovation une société qui ne progresse plus que par ses gains de productivité ? Le Japon, grande puissance de l’hémisphère pacifique, est aussi confronté à des voisins « hyper puissants », Etats-Unis et Chine, ou dont le dynamisme s’appuie sur des migrations d’installations, l’Australie en premier lieu. La Chine, déjà densément peuplée, bénéfice cependant d’une migration intérieure considérable. Le Japon est-il contraint à une telle originalité ? Une nation profondément identitaire peut-elle survivre dans un monde de plus en plus ouvert ? Pour tout autre pays, la réponse serait évidemment non…

Auteur

1980-1983 : Bac C, CPGE Strasbourg (Lycée Kléber)
1983-1987 : Ens Cachan (mathématiques)
1986 : Agrégation mathématiques
1987-1988 : Service militaire, scientifique contingent
1988-1989 : Professeur collège (Aube)
1989-2001 : Professeur CPGE (Rhône-Isère)
2001-2002 : Préparation ENA (IEP Grenoble)
2002-2003 : Professeur lycée, proviseur adjoint, Isère
2003-2005 : ENSAE, - Administrateur Insee
2005-2008 : Insee, Chef d'unité, DESE, comptes nationaux
2008-2011 : Insee, chef de projet, DSDS, enquête handicap.
2011-2015 : Ministère intérieur, chef de division
2015-.... : Ministère de l'intérieur, adjoint chef du SSM Voir les 14 Voir les autres publications de l’auteur(trice)

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