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20 mars 2017
L’Afrique, l’avenir de la francophonie ?
Publié par
Philippe Tassi
| Afrique
Le français est-il une langue d’avenir ? Et si oui, l’Afrique est-elle le creuset de son développement ? Deux questions auxquelles nous allons tenter d’apporter des éléments de réponse.
La géographie territoriale n’est pas forcément une aide ; si vivre en France métropolitaine, dans les DOM ou TOM, au Québec, en Wallonie, au Liban, au Gabon, par exemple, permet de comptabiliser les francophones, d’autres pays ont le français comme langue officielle unique (Bénin, Mali, Sénégal, …), ou comme langue d’enseignement. Et des pays ont plusieurs langues officielles (Belgique, Canada, Cameroun, …), et tous leurs habitants ne les parlent pas.
Les évaluations ou estimations sont donc nombreuses, et il existe divers classements des langues, d’autant plus que des hiérarchies multiples apparaissent : les langues des affaires, les langues sur internet ou les réseaux sociaux, les langues apprises à l’école, etc.
Une source sérieuse et pérenne est constituée par l’Organisation Internationale de la Francophonie. L’OIF a estimé en 2014 la francophonie à 274 millions de personnes, dont un cœur de 212 millions qui emploient quotidiennement le français. Les 62 autres millions de personnes ont appris le français comme langue étrangère dans leur pays, et se disent capables de lire, écrire, ou participer à une conversation en français, quelle que soit la fluidité de cette prise de parole.
Sur un total de 6000 langues parlées au monde, l’OIF place le français à la cinquième place au niveau mondial après le mandarin, l’anglais, l’espagnol, l’hindi ou l’arabe, selon les estimations retenues.
Si on ajoute à ce cœur les 62 millions de personnes capables de se faire comprendre, par apprentissage scolaire, c’est-à-dire si nous considérons les 274 millions de « francophones », l’Afrique subsaharienne en représente un tiers, et l’Afrique du Nord 10 %. L’Europe, où le français est présent dans l’apprentissage des langues étrangères, passe à 47 %.
L’Afrique est donc à un niveau proche de l’Europe en tant que continent dominant en matière de francophonie.
En 2010, la population mondiale est de l’ordre de 7 milliards, et l’OIF dénombre 220 millions de francophones, au total, soit un peu plus de 3 %. Quatre ans plus tard, cette proportion est passée à près de 4 %, soit un accroissement relatif de près de 25 % sur la période quand la population mondiale a crû d’un peu plus de 2 %. Les pays de l’Afrique subsaharienne sont la locomotive de cette progression, avec à leur tête le Sénégal.
Il est bien sûr tentant d’essayer de se projeter à long terme, ce qui a été fait par l’OIF à horizon 2060, soit pratiquement d’ici deux générations.
A cette échéance, les estimations du nombre d’habitants sur la planète conduisent à 10,2 milliards, selon la variante moyenne de l’ONU.
Les projections de l’OIF conduisent à un nombre total de francophones d’environ 770 millions de personnes, soit 7,5 % de la population. L’accroissement par rapport à la situation actuelle est donc très sensible. Ceci ne signifie pas, contrairement à ce que l’on a pu lire çà et là, que le français deviendra la langue dominante dans le monde, mais une tendance positive est toujours satisfaisante.
L’Afrique sera la locomotive de cette évolution, puisque les Africains en constitueront l’énorme majorité avec près de 85 % des locuteurs francophones, pour 42 % actuellement.
Comme toute vision prospective, celle-ci repose sur un certain nombre d’hypothèses.
D’une part, elles portent sur la nécessaire continuité, la qualité et l’efficacité des efforts d’enseignement du français, ce qui représente des moyens en nouveaux enseignants. D’autre part, les paramètres démographiques seront importants. La natalité, la fécondité, la mortalité, l’espérance de la durée de vie et plus généralement les politiques de santé et l’accès aux soins sont des facteurs majeurs. L’article La démographie africaine : atout ou handicap d’Eric Tazé-Bernard, à partir d’une conférence de David Bloom, professeur d’économie et de démographie à Harvard, à Cape Town, en fournit des éléments.
Cependant, des incertitudes existent à propos de la validité de cette projection. Ainsi, même si sa probabilité est faible pour l’instant, il pourrait survenir une rupture démographique, par exemple due à une émergence forte des bio-nanotechnologies bloquantes pour certaines maladies et entraînant un accroissement très sensible de l’espérance de vie. Au-delà de cette remarque, les paramètres principaux pouvant influer négativement sur la croissance de la maîtrise de la langue française sont d’ordre comportemental : il s’agit de la concurrence des autres langues, comme l’anglais ou l’arabe, ou encore de la généralisation de l’anglais comme langue de dialogue dans le monde du travail et dans le monde des échanges par la communication numérique. L’hypothèse d’une évolution lisse de l’attraction des jeunes générations vers le français ne risque-t-elle pas d’être remise en cause par le développement de l’anglais ?
Pour conclure, nous avons considéré le français comme une langue unique ; comme toutes les langues, elle évolue et se transforme. Malgré tous les efforts de la Commission Nationale de Terminologie et de Néologie, nous voyons en permanence arriver en français des termes anglais, ou des formes typiquement anglaises et traduites mot à mot, que ce soit dans le domaine des affaires ou dans les échanges par internet ou les réseaux sociaux. Le français, en Afrique, s’adapte aussi et intègre des expressions nouvelles des langues de chaque pays, et gagne en couleur d’expression ce qu’il perd en homogénéité. Ainsi, « je connais faire » ou « tomber le bœuf » appartiennent à ce qu’au Cameroun, on a coutume d’appeler le « francamerounais », l’équivalent du pidjin anglophone, tout comme l’expression « beau dommage » a un tout autre sens au Québec qu’en France. Difficile d’entrer dans cette fragmentation ! Ces mélanges ne sont-ils pas, au contraire, la preuve de la richesse d’une langue ?
Qu’est-ce que « parler une langue » ?
Comme toute statistique, le dénombrement dépend de conventions précisant ce qu’est le fait de parler une langue vivante. Les francophones au sens large du mot sont d’une part les locuteurs dont le français est la langue dite maternelle, c’est-à-dire parlée couramment à domicile, d’autre part les personnes qui l’ont apprise à l’école et l’emploient quotidiennement (« langue seconde »). A ces deux catégories il convient d’ajouter les personnes maîtrisant suffisamment le français pour l’utiliser ponctuellement selon les circonstances.La géographie territoriale n’est pas forcément une aide ; si vivre en France métropolitaine, dans les DOM ou TOM, au Québec, en Wallonie, au Liban, au Gabon, par exemple, permet de comptabiliser les francophones, d’autres pays ont le français comme langue officielle unique (Bénin, Mali, Sénégal, …), ou comme langue d’enseignement. Et des pays ont plusieurs langues officielles (Belgique, Canada, Cameroun, …), et tous leurs habitants ne les parlent pas.
Les évaluations ou estimations sont donc nombreuses, et il existe divers classements des langues, d’autant plus que des hiérarchies multiples apparaissent : les langues des affaires, les langues sur internet ou les réseaux sociaux, les langues apprises à l’école, etc.
Une source sérieuse et pérenne est constituée par l’Organisation Internationale de la Francophonie. L’OIF a estimé en 2014 la francophonie à 274 millions de personnes, dont un cœur de 212 millions qui emploient quotidiennement le français. Les 62 autres millions de personnes ont appris le français comme langue étrangère dans leur pays, et se disent capables de lire, écrire, ou participer à une conversation en français, quelle que soit la fluidité de cette prise de parole.
Sur un total de 6000 langues parlées au monde, l’OIF place le français à la cinquième place au niveau mondial après le mandarin, l’anglais, l’espagnol, l’hindi ou l’arabe, selon les estimations retenues.
Les zones géographiques
Comment se répartit le cœur de la francophonie, les 212 millions de personnes ayant un emploi quotidien du français ? 55 % d’entre eux vivent en Afrique, 36 % en Europe, près de 8 % en Amérique (et Caraïbe).Si on ajoute à ce cœur les 62 millions de personnes capables de se faire comprendre, par apprentissage scolaire, c’est-à-dire si nous considérons les 274 millions de « francophones », l’Afrique subsaharienne en représente un tiers, et l’Afrique du Nord 10 %. L’Europe, où le français est présent dans l’apprentissage des langues étrangères, passe à 47 %.
L’Afrique est donc à un niveau proche de l’Europe en tant que continent dominant en matière de francophonie.
Les évolutions récentes et les projections
Il est pertinent d’analyser le gradient des données de l’OIF entre 2010 et 2014.En 2010, la population mondiale est de l’ordre de 7 milliards, et l’OIF dénombre 220 millions de francophones, au total, soit un peu plus de 3 %. Quatre ans plus tard, cette proportion est passée à près de 4 %, soit un accroissement relatif de près de 25 % sur la période quand la population mondiale a crû d’un peu plus de 2 %. Les pays de l’Afrique subsaharienne sont la locomotive de cette progression, avec à leur tête le Sénégal.
Il est bien sûr tentant d’essayer de se projeter à long terme, ce qui a été fait par l’OIF à horizon 2060, soit pratiquement d’ici deux générations.
A cette échéance, les estimations du nombre d’habitants sur la planète conduisent à 10,2 milliards, selon la variante moyenne de l’ONU.
Les projections de l’OIF conduisent à un nombre total de francophones d’environ 770 millions de personnes, soit 7,5 % de la population. L’accroissement par rapport à la situation actuelle est donc très sensible. Ceci ne signifie pas, contrairement à ce que l’on a pu lire çà et là, que le français deviendra la langue dominante dans le monde, mais une tendance positive est toujours satisfaisante.
L’Afrique sera la locomotive de cette évolution, puisque les Africains en constitueront l’énorme majorité avec près de 85 % des locuteurs francophones, pour 42 % actuellement.
Comme toute vision prospective, celle-ci repose sur un certain nombre d’hypothèses.
D’une part, elles portent sur la nécessaire continuité, la qualité et l’efficacité des efforts d’enseignement du français, ce qui représente des moyens en nouveaux enseignants. D’autre part, les paramètres démographiques seront importants. La natalité, la fécondité, la mortalité, l’espérance de la durée de vie et plus généralement les politiques de santé et l’accès aux soins sont des facteurs majeurs. L’article La démographie africaine : atout ou handicap d’Eric Tazé-Bernard, à partir d’une conférence de David Bloom, professeur d’économie et de démographie à Harvard, à Cape Town, en fournit des éléments.
Cependant, des incertitudes existent à propos de la validité de cette projection. Ainsi, même si sa probabilité est faible pour l’instant, il pourrait survenir une rupture démographique, par exemple due à une émergence forte des bio-nanotechnologies bloquantes pour certaines maladies et entraînant un accroissement très sensible de l’espérance de vie. Au-delà de cette remarque, les paramètres principaux pouvant influer négativement sur la croissance de la maîtrise de la langue française sont d’ordre comportemental : il s’agit de la concurrence des autres langues, comme l’anglais ou l’arabe, ou encore de la généralisation de l’anglais comme langue de dialogue dans le monde du travail et dans le monde des échanges par la communication numérique. L’hypothèse d’une évolution lisse de l’attraction des jeunes générations vers le français ne risque-t-elle pas d’être remise en cause par le développement de l’anglais ?
Pour conclure, nous avons considéré le français comme une langue unique ; comme toutes les langues, elle évolue et se transforme. Malgré tous les efforts de la Commission Nationale de Terminologie et de Néologie, nous voyons en permanence arriver en français des termes anglais, ou des formes typiquement anglaises et traduites mot à mot, que ce soit dans le domaine des affaires ou dans les échanges par internet ou les réseaux sociaux. Le français, en Afrique, s’adapte aussi et intègre des expressions nouvelles des langues de chaque pays, et gagne en couleur d’expression ce qu’il perd en homogénéité. Ainsi, « je connais faire » ou « tomber le bœuf » appartiennent à ce qu’au Cameroun, on a coutume d’appeler le « francamerounais », l’équivalent du pidjin anglophone, tout comme l’expression « beau dommage » a un tout autre sens au Québec qu’en France. Difficile d’entrer dans cette fragmentation ! Ces mélanges ne sont-ils pas, au contraire, la preuve de la richesse d’une langue ?
Auteur
Philippe est directeur général adjoint de Médiamétrie, acteur incontournable de la mesure d’audience en France et en Europe. En parallèle à cette carrière, Philippe a conduit des activités de recherche et d’enseignement au CEPE, à l’ENSAE et à l’ENSAI. Il est également l'auteur de nombreux ouvrages en théorie et méthodes statistiques, en marketing décisionnel et en théorie des sondages, qui ont accompagné des générations d'anciens élèves...
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