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Ce papier contribue à la littérature existante sous trois aspects. Elle (i) offre une meilleure compréhension sur l’ampleur et la fréquence de la fuite des capitaux au Cameroun, (ii) met empiriquement en évidence le mécanisme de Porte Financière Tournante (PFT) dans le contexte des Pays en Développement (PED) et (iii) fournit des éléments de réponse pour limiter la fuite des capitaux, et permettant une utilisation efficace des capitaux internes et extérieurs.
En outre, l’environnement institutionnel est capté de façon originale, sous forme de variables muettes que nous construisons en tenant compte des caractéristiques intrinsèques du pays, de son histoire, des chocs économiques ayant modifié le comportement des agents et des cycles juridiques et politiques.
Une explication de la nature indirecte du lien est que l’augmentation de la dette extérieure contribue à la détérioration des conditions économiques locales qui se traduit par une plus grande fuite des capitaux (Ajayi, 1995). Lorsque la gestion macroéconomique crée un environnement risqué, avec un accroissement de l’emprunt externe, la fuite des capitaux devient une réponse à de telles conditions. Aussi, la dette extérieure et la fuite des capitaux peuvent provenir de la corruption et de facteurs connexes.
D'autres chercheurs ont avancé que les emprunts extérieurs peuvent directement causer des fuites des capitaux en fournissant les ressources nécessaires pour les transferts de fonds (Henry, 1996 ; Cuddington, 1987). Dooley et Kretzer (1994) arguent que l’endettement extérieur peut encourager les investisseurs nationaux à faire des choix d'investissement très risqués. Il en résulte une augmentation du passif éventuel du gouvernement emprunteur induit par des placements des épargnants nationaux à l’étranger, qui prévoient une imposition future plus élevée des capitaux.
Une autre perspective d'association révèle que la causalité va de la fuite des capitaux aux emprunts extérieurs. Lessard et Williamson (1987) et Boyce (1992) notent que les créanciers étrangers peuvent être disposés à combler le vide créé par la fuite des capitaux s'ils perçoivent un avantage comparatif (fiscalité, taux d’intérêt, etc.).
Peu de travaux se sont appesantis sur les relations entre l’APD et la fuite des capitaux d’une part et entre les IDE et la fuite des capitaux d’autre part.
L’APD constitue un flux considérable pour l’économie camerounaise, atteignant en moyenne 17,5 milliards de dollars sur la période 1970-2010 (figure 2) ; montant nettement inférieur aux fuites des capitaux sur la même période (Boyce et Ndikumana 2012). Hermes et Lensink (2001) montrent que l’APD a un effet positif et statistiquement significatif sur la fuite des capitaux. Si l’on se réfère à Collier et al. (2004), des niveaux d’APD bas dissuaderaient la fuite des capitaux.
Les investissements nets directs étrangers sont de l’ordre de 3,7 milliards de dollars de 1977 à 2010 au Cameroun. Bien que cette somme soit inférieure à celle de l’APD ou la dette extérieure sur la même période, il n’en demeure pas moins que la PFT peut aussi être envisagée avec les flux d’IDE.
La relation entre la fuite des capitaux et les IDE reste très mitigée dans la littérature. Sicular (1998) établit une liaison positive entre les IDE et la fuite des capitaux dans le cas de la Chine et de la Russie alors que Kant (1996) indique une corrélation négative. A contrario, Lensink et al. (2000) soutiennent que les IDE n’ont pas d’effet significatif sur ce phénomène.
Le lien entre la fuite des capitaux et l’environnement institutionnel peut être appréhendé sous plusieurs aspects.
Le risque politique et la gouvernance sont considérés comme des facteurs explicatifs de la fuite des capitaux. Gibson et Tsakalotos (1993) et Fatehi (1994) montrent que le risque politique et un environnement des affaires dépréciatif sont des déterminants importants de la fuite des capitaux. Par ailleurs, Boyce et Ndikumana (2012) montrent que la mauvaise gouvernance, induite par la corruption, l’abus de pouvoir politique et une réglementation laxiste, est susceptible d'être corrélée avec la fuite des capitaux. La fuite des capitaux générée par les défaillances institutionnelles représente une ponction importante sur les ressources des PED (Nations Unies, 2015). Cerra et al. (2005), en utilisant des indicateurs de qualité institutionnelle et de gouvernance dans les PED, montrent que les ressources du système bancaire sont drainées sous forme de fuite des capitaux en présence de faibles institutions.
Un volet non-négligeable de la littérature met en lumière l'association entre la fuite des capitaux et des résultats macroéconomiques tels que de faibles taux de croissance (Varman-Schneider, 1991), l'augmentation des flux d'aide (Collier et al. 2004).
En s’intéressant au Cameroun, on note que la relative stabilité socio-politique masque une instabilité institutionnelle marquée par des modifications quasi-permanentes de sa loi fondamentale, la Constitution, pouvant saper les bases d’une bonne gouvernance et d’un développement institutionnel.
En effet, les cinquante dernières années sont marquées par douze modifications de la Constitution, portant la durée moyenne de celle-ci à cinq années. Notre étude intègre cette dynamique institutionnelle dans l’analyse de la relation flux de capitaux-fuite des capitaux.
Nous testons l’hypothèse de PFT à travers le modèle ci-dessous :
La variable FC mesure la fuite des capitaux, la variable Flux correspond aux flux de capitaux. Les paramètres représentent les constantes, et , les termes d'erreurs. Nous nous attendons à ce que les flux de capitaux affectent la FC (équation 1) et vice-versa (équation 2) pour confirmer l’hypothèse de PFT. Nous introduisons également les rentes pétrolière et forestière pour expliquer la fuite des capitaux.
Aussi, nous introduisons des variables de contrôle , susceptibles d’affecter les flux de capitaux (équations 3 et 4). Cette modélisation présente l’avantage d’appréhender un effet causal, en évitant tout biais de variables omises :
Cette étude couvre la période 1970-2010. Les données proviennent des résultats de nos recherches, des bases de données de la Banque Mondiale (WDI, WITS), du Fonds Monétaire International (WEO, IFS, GFS), de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale, etc. Les données concernant la fuite des capitaux proviennent de Boyce et Ndikumana (2012).
Les variables explicatives comprennent les variables dépendantes retardées et , le taux de croissance du PIB et le degré d’ouverture commercial. Notre spécification comprend également des proxies de l'environnement politico-institutionnel, telles que la corruption, la stabilité du gouvernement et le respect des lois que nous construisons.
La stabilité du gouvernement dépend non seulement des remaniements ministériels (trente-quatre observés depuis 1982) mais surtout du Premier Ministre à la tête du gouvernement qui impulse une dynamique nouvelle. Aussi, les tentatives de coup d’Etat (Avril 1984) et soulèvement populaire (Février 2008), coïncident avec l’avènement d’un nouveau gouvernement, et constituent une mesure complémentaire de la stabilité du gouvernement. Nous construisons une variable muette qui prend la valeur 1 à chaque nomination d’un nouveau premier ministre, ou à chaque vacance du poste (période d’instabilité) ; et 0 pendant la durée de son mandat (période de stabilité).
La corruption est interprétée suivant l’histoire du pays dont l’économie est tributaire du secteur public. Le phénomène s’est davantage répandu en 1993 suite à la baisse des salaires des fonctionnaires (environ 66%) et s’est accentué suivant la dévaluation du franc CFA en 1994 sans mesures correctrices sur le niveau de revenu des agents publics. Toutefois, depuis 2008, les autorités contribuent à réduire activement ce phénomène. Nous définissons ainsi une variable muette qui prend la valeur 0 (faible corruption) sur les périodes 1970-1992 et 2008-2010 ; et la valeur 1 (corruption répandue) sur la période 1993-2007.
Pour ce qui est du respect des lois, nous nous appuyons sur l’évolution de la Constitution, loi fondamentale du pays. Nous construisons une variable muette qui prend la valeur 0 en période de relative stabilité institutionnelle (absence de modification) ; et la valeur 1 en cas de modification de la Constitution.
Les résultats de l’estimation du modèle VAR (Vectorial Autoregressive) révèlent que la dette extérieure encourage la fuite des capitaux et que la fuite des capitaux affecte négativement la dette extérieure. Une hausse de la fuite des capitaux réduit l’endettement extérieur. La spécification VAR ne décrit qu’une relation de court terme.
Les variables fuite des capitaux et dette extérieure présentent des ordres d’intégration différents. Par conséquent, une méthode alternative d’estimation de l’hypothèse de PFT est la méthode ARDL (Autoregressive Distributed Lag). A la différence de la modélisation VAR, elle permet de décrire la dynamique de long terme qui existerait entre la fuite des capitaux et la dette extérieure.
Avec la méthode ARDL, le coefficient positif et significatif de la dette extérieure révèle qu’une hausse de la dette extérieure encourage la fuite des capitaux. Sur le court terme, une hausse de la dette extérieure d’un dollar entraine une augmentation de la fuite des capitaux comprise entre 57 et 59 centimes de dollar.
A contrario, la fuite des capitaux n’impacte pas la dette extérieure à court et long terme. L’hypothèse de PFT n’est donc pas confirmée au Cameroun sur la période 1970-2010.
On observe une dynamique persistante de réduction de la fuite des capitaux par son niveau passé. Cet effet négatif observé au Cameroun pourrait provenir d’un effort indirect de lutte contre la fuite des capitaux, passant par une amélioration de l’environnement institutionnel ou un meilleur contrôle des mouvements de capitaux.
Une hausse de la dette extérieure privée entraîne un accroissement de la fuite des capitaux. Cet effet pourrait provenir d’une conditionnalité insuffisante ou inadaptée sur la dette extérieure privée. Par contre, l’effet de la dette extérieure publique est nul. Notons que cet effet différencié entre créanciers privés et publics persiste à l’introduction simultanée de la dette extérieure privée et publique dans le même modèle, bien que l’ampleur du coefficient change.
L’introduction de la rente de ressources naturelles accroit le pouvoir explicatif du modèle. A elles seules, la dette extérieure et la rente de ressources naturelles permettent d’expliquer plus de la moitié des fuites de capitaux (entre 52% et 62%).
Après avoir analysé l’hypothèse de PFT, nous nous intéressons à l’influence de l’environnement institutionnel dans la relation flux de capitaux-fuite des capitaux.
Nous spécifions le modèle ci-après :
L’équation inclut la mesure de l’environnement institutionnel. Cette spécification permet de capter deux aspects. Le coefficient mesure l’effet direct de l’environnement institutionnel sur la fuite des capitaux. Le coefficient capte l’effet de cet environnement sur la relation flux des capitaux-fuite des capitaux. Supposons que le coefficient soit positif et significatif, montrant que la dette extérieure par exemple accentue la fuite des capitaux. Nous nous attendrons à un coefficient négatif et significatif pour dire qu’un meilleur environnement institutionnel serait un frein à la fuite des capitaux induit par la dette extérieure. Le même raisonnement s’applique avec l’APD et les IDE.
L’impact de l’environnement institutionnel sur la relation APD-fuite des capitaux est mitigé, et se manifeste différemment selon qu’on considère le court terme ou le long terme. Cependant, les effets directs des variables institutionnelles sur la fuite des capitaux restent cohérents avec la littérature. Alors que la corruption exacerbe la fuite des capitaux, la stabilité du gouvernement serait un frein à ce phénomène.
Pour ce qui est des autres types de flux (APD et IDE), ils ont peu d’effet sur la fuite des capitaux. L’hypothèse de PFT semble donc ne pas être confirmée pour le cas du Cameroun. En outre, la fuite des capitaux est deux fois plus sensible à une hausse de la rente pétrolière qu’à une augmentation de la dette extérieure.
L'environnement institutionnel importe aussi beaucoup dans la relation dette extérieure-fuite des capitaux. La corruption encourage la fuite des capitaux. Cet effet pervers est dû au fait que celle-ci détériore l’environnement économique et réduit l'efficacité du secteur public. Cependant, la stabilité du gouvernement freine la sortie illicite de capitaux et réduit ainsi la fuite des capitaux induite par les variations de la dette extérieure. Ce constat fournit aux autorités un moyen efficace de limiter la fuite des capitaux.
A la lumière de ces résultats, une conditionnalité adéquate accompagnant la dette extérieure, tout comme de l’APD permettrait de réduire la fuite des capitaux. Cette conditionnalité devrait favoriser une gestion plus efficace des finances publiques. Par ailleurs, l’environnement institutionnel pourrait être renforcé afin de lutter plus efficacement contre la fuite des capitaux. Ceci passe par la réduction de la corruption dans la scène publique, la promotion d’une gestion transparente des ressources naturelles, principalement les ressources pétrolières et forestières. Aussi, la stabilité du gouvernement permettrait de réduire la fuite des capitaux et promouvoir une meilleure utilisation des ressources.
Bibliographie
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06 mars 2017
L'environnement institutionnel et les liens entre les flux de capitaux et la fuite des capitaux en Afrique : cas du Cameroun
Publié par
Jean-Marie Gankou
| Afrique
1. Introduction
Notre objectif est d’analyser la relation entre différents flux de capitaux (dette extérieure, APD – Aide Publique au Développement –, et IDE – Investissement Direct Etranger) et la fuite des capitaux au Cameroun en tenant compte de l’environnement institutionnel, afin de répondre aux interrogations suivantes : existe-t-il une relation bidirectionnelle entre les flux de capitaux et la fuite des capitaux ? Quel est le rôle de l’environnement institutionnel dans la relation entre flux de capitaux et fuite des capitaux ? Nous étudions conséquemment la relation entre les dotations en ressources naturelles (pétrole et bois) et la fuite des capitaux.Ce papier contribue à la littérature existante sous trois aspects. Elle (i) offre une meilleure compréhension sur l’ampleur et la fréquence de la fuite des capitaux au Cameroun, (ii) met empiriquement en évidence le mécanisme de Porte Financière Tournante (PFT) dans le contexte des Pays en Développement (PED) et (iii) fournit des éléments de réponse pour limiter la fuite des capitaux, et permettant une utilisation efficace des capitaux internes et extérieurs.
En outre, l’environnement institutionnel est capté de façon originale, sous forme de variables muettes que nous construisons en tenant compte des caractéristiques intrinsèques du pays, de son histoire, des chocs économiques ayant modifié le comportement des agents et des cycles juridiques et politiques.
2. Revue de la littérature et modélisation
Nombre de travaux ont mis en exergue l’hypothèse de PFT entre la dette extérieure et la fuite des capitaux. Cependant, concernant les flux d’APD et d’IDE, beaucoup d’efforts restent à fournir. Nous examinons d’abord la relation ?directe et indirecte? entre la dette extérieure et la fuite des capitaux. En second lieu, nous passons en revue la littérature sur le lien entre la fuite des capitaux, l’APD et les IDE.Une explication de la nature indirecte du lien est que l’augmentation de la dette extérieure contribue à la détérioration des conditions économiques locales qui se traduit par une plus grande fuite des capitaux (Ajayi, 1995). Lorsque la gestion macroéconomique crée un environnement risqué, avec un accroissement de l’emprunt externe, la fuite des capitaux devient une réponse à de telles conditions. Aussi, la dette extérieure et la fuite des capitaux peuvent provenir de la corruption et de facteurs connexes.
D'autres chercheurs ont avancé que les emprunts extérieurs peuvent directement causer des fuites des capitaux en fournissant les ressources nécessaires pour les transferts de fonds (Henry, 1996 ; Cuddington, 1987). Dooley et Kretzer (1994) arguent que l’endettement extérieur peut encourager les investisseurs nationaux à faire des choix d'investissement très risqués. Il en résulte une augmentation du passif éventuel du gouvernement emprunteur induit par des placements des épargnants nationaux à l’étranger, qui prévoient une imposition future plus élevée des capitaux.
Une autre perspective d'association révèle que la causalité va de la fuite des capitaux aux emprunts extérieurs. Lessard et Williamson (1987) et Boyce (1992) notent que les créanciers étrangers peuvent être disposés à combler le vide créé par la fuite des capitaux s'ils perçoivent un avantage comparatif (fiscalité, taux d’intérêt, etc.).
Peu de travaux se sont appesantis sur les relations entre l’APD et la fuite des capitaux d’une part et entre les IDE et la fuite des capitaux d’autre part.
L’APD constitue un flux considérable pour l’économie camerounaise, atteignant en moyenne 17,5 milliards de dollars sur la période 1970-2010 (figure 2) ; montant nettement inférieur aux fuites des capitaux sur la même période (Boyce et Ndikumana 2012). Hermes et Lensink (2001) montrent que l’APD a un effet positif et statistiquement significatif sur la fuite des capitaux. Si l’on se réfère à Collier et al. (2004), des niveaux d’APD bas dissuaderaient la fuite des capitaux.
Les investissements nets directs étrangers sont de l’ordre de 3,7 milliards de dollars de 1977 à 2010 au Cameroun. Bien que cette somme soit inférieure à celle de l’APD ou la dette extérieure sur la même période, il n’en demeure pas moins que la PFT peut aussi être envisagée avec les flux d’IDE.
La relation entre la fuite des capitaux et les IDE reste très mitigée dans la littérature. Sicular (1998) établit une liaison positive entre les IDE et la fuite des capitaux dans le cas de la Chine et de la Russie alors que Kant (1996) indique une corrélation négative. A contrario, Lensink et al. (2000) soutiennent que les IDE n’ont pas d’effet significatif sur ce phénomène.
Le lien entre la fuite des capitaux et l’environnement institutionnel peut être appréhendé sous plusieurs aspects.
Le risque politique et la gouvernance sont considérés comme des facteurs explicatifs de la fuite des capitaux. Gibson et Tsakalotos (1993) et Fatehi (1994) montrent que le risque politique et un environnement des affaires dépréciatif sont des déterminants importants de la fuite des capitaux. Par ailleurs, Boyce et Ndikumana (2012) montrent que la mauvaise gouvernance, induite par la corruption, l’abus de pouvoir politique et une réglementation laxiste, est susceptible d'être corrélée avec la fuite des capitaux. La fuite des capitaux générée par les défaillances institutionnelles représente une ponction importante sur les ressources des PED (Nations Unies, 2015). Cerra et al. (2005), en utilisant des indicateurs de qualité institutionnelle et de gouvernance dans les PED, montrent que les ressources du système bancaire sont drainées sous forme de fuite des capitaux en présence de faibles institutions.
Un volet non-négligeable de la littérature met en lumière l'association entre la fuite des capitaux et des résultats macroéconomiques tels que de faibles taux de croissance (Varman-Schneider, 1991), l'augmentation des flux d'aide (Collier et al. 2004).
En s’intéressant au Cameroun, on note que la relative stabilité socio-politique masque une instabilité institutionnelle marquée par des modifications quasi-permanentes de sa loi fondamentale, la Constitution, pouvant saper les bases d’une bonne gouvernance et d’un développement institutionnel.
En effet, les cinquante dernières années sont marquées par douze modifications de la Constitution, portant la durée moyenne de celle-ci à cinq années. Notre étude intègre cette dynamique institutionnelle dans l’analyse de la relation flux de capitaux-fuite des capitaux.
Nous testons l’hypothèse de PFT à travers le modèle ci-dessous :
La variable FC mesure la fuite des capitaux, la variable Flux correspond aux flux de capitaux. Les paramètres représentent les constantes, et , les termes d'erreurs. Nous nous attendons à ce que les flux de capitaux affectent la FC (équation 1) et vice-versa (équation 2) pour confirmer l’hypothèse de PFT. Nous introduisons également les rentes pétrolière et forestière pour expliquer la fuite des capitaux.
Aussi, nous introduisons des variables de contrôle , susceptibles d’affecter les flux de capitaux (équations 3 et 4). Cette modélisation présente l’avantage d’appréhender un effet causal, en évitant tout biais de variables omises :
Cette étude couvre la période 1970-2010. Les données proviennent des résultats de nos recherches, des bases de données de la Banque Mondiale (WDI, WITS), du Fonds Monétaire International (WEO, IFS, GFS), de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale, etc. Les données concernant la fuite des capitaux proviennent de Boyce et Ndikumana (2012).
Les variables explicatives comprennent les variables dépendantes retardées et , le taux de croissance du PIB et le degré d’ouverture commercial. Notre spécification comprend également des proxies de l'environnement politico-institutionnel, telles que la corruption, la stabilité du gouvernement et le respect des lois que nous construisons.
La stabilité du gouvernement dépend non seulement des remaniements ministériels (trente-quatre observés depuis 1982) mais surtout du Premier Ministre à la tête du gouvernement qui impulse une dynamique nouvelle. Aussi, les tentatives de coup d’Etat (Avril 1984) et soulèvement populaire (Février 2008), coïncident avec l’avènement d’un nouveau gouvernement, et constituent une mesure complémentaire de la stabilité du gouvernement. Nous construisons une variable muette qui prend la valeur 1 à chaque nomination d’un nouveau premier ministre, ou à chaque vacance du poste (période d’instabilité) ; et 0 pendant la durée de son mandat (période de stabilité).
La corruption est interprétée suivant l’histoire du pays dont l’économie est tributaire du secteur public. Le phénomène s’est davantage répandu en 1993 suite à la baisse des salaires des fonctionnaires (environ 66%) et s’est accentué suivant la dévaluation du franc CFA en 1994 sans mesures correctrices sur le niveau de revenu des agents publics. Toutefois, depuis 2008, les autorités contribuent à réduire activement ce phénomène. Nous définissons ainsi une variable muette qui prend la valeur 0 (faible corruption) sur les périodes 1970-1992 et 2008-2010 ; et la valeur 1 (corruption répandue) sur la période 1993-2007.
Pour ce qui est du respect des lois, nous nous appuyons sur l’évolution de la Constitution, loi fondamentale du pays. Nous construisons une variable muette qui prend la valeur 0 en période de relative stabilité institutionnelle (absence de modification) ; et la valeur 1 en cas de modification de la Constitution.
3. Principaux résultats
Nous évaluons l’hypothèse de PFT en prenant en considération le lien entre les ressources naturelles (pétrole et bois), l’environnement institutionnel et la fuite des capitaux.Les résultats de l’estimation du modèle VAR (Vectorial Autoregressive) révèlent que la dette extérieure encourage la fuite des capitaux et que la fuite des capitaux affecte négativement la dette extérieure. Une hausse de la fuite des capitaux réduit l’endettement extérieur. La spécification VAR ne décrit qu’une relation de court terme.
Les variables fuite des capitaux et dette extérieure présentent des ordres d’intégration différents. Par conséquent, une méthode alternative d’estimation de l’hypothèse de PFT est la méthode ARDL (Autoregressive Distributed Lag). A la différence de la modélisation VAR, elle permet de décrire la dynamique de long terme qui existerait entre la fuite des capitaux et la dette extérieure.
Avec la méthode ARDL, le coefficient positif et significatif de la dette extérieure révèle qu’une hausse de la dette extérieure encourage la fuite des capitaux. Sur le court terme, une hausse de la dette extérieure d’un dollar entraine une augmentation de la fuite des capitaux comprise entre 57 et 59 centimes de dollar.
A contrario, la fuite des capitaux n’impacte pas la dette extérieure à court et long terme. L’hypothèse de PFT n’est donc pas confirmée au Cameroun sur la période 1970-2010.
On observe une dynamique persistante de réduction de la fuite des capitaux par son niveau passé. Cet effet négatif observé au Cameroun pourrait provenir d’un effort indirect de lutte contre la fuite des capitaux, passant par une amélioration de l’environnement institutionnel ou un meilleur contrôle des mouvements de capitaux.
Une hausse de la dette extérieure privée entraîne un accroissement de la fuite des capitaux. Cet effet pourrait provenir d’une conditionnalité insuffisante ou inadaptée sur la dette extérieure privée. Par contre, l’effet de la dette extérieure publique est nul. Notons que cet effet différencié entre créanciers privés et publics persiste à l’introduction simultanée de la dette extérieure privée et publique dans le même modèle, bien que l’ampleur du coefficient change.
L’introduction de la rente de ressources naturelles accroit le pouvoir explicatif du modèle. A elles seules, la dette extérieure et la rente de ressources naturelles permettent d’expliquer plus de la moitié des fuites de capitaux (entre 52% et 62%).
Après avoir analysé l’hypothèse de PFT, nous nous intéressons à l’influence de l’environnement institutionnel dans la relation flux de capitaux-fuite des capitaux.
Nous spécifions le modèle ci-après :
L’équation inclut la mesure de l’environnement institutionnel. Cette spécification permet de capter deux aspects. Le coefficient mesure l’effet direct de l’environnement institutionnel sur la fuite des capitaux. Le coefficient capte l’effet de cet environnement sur la relation flux des capitaux-fuite des capitaux. Supposons que le coefficient soit positif et significatif, montrant que la dette extérieure par exemple accentue la fuite des capitaux. Nous nous attendrons à un coefficient négatif et significatif pour dire qu’un meilleur environnement institutionnel serait un frein à la fuite des capitaux induit par la dette extérieure. Le même raisonnement s’applique avec l’APD et les IDE.
Environnement institutionnel, dette extérieure et fuite des capitaux
L'environnement institutionnel impacte la fuite des capitaux. A court terme, une corruption répandue accroit la fuite des capitaux via la dette extérieure. La corruption impacte négativement l’environnement économique et financier, affaiblit le secteur privé et réduit l'efficacité du gouvernement. Au contraire, la stabilité du gouvernement freine la fuite des capitaux. Cependant, nous n’arrivons pas à établir de lien entre la stabilité du gouvernement et la relation fuite des capitaux-dette extérieure.Environnement institutionnel, IDE et fuite des capitaux
Les variables politico-institutionnelles affectent la relation fuite des capitaux-IDE. Nous constatons une association positive entre l’afflux d’IDE et la fuite des capitaux. Cette sortie des capitaux engendrée par les IDE est aggravée par la corruption sur le court terme. Cet impact de la corruption sur la relation fuite des capitaux-IDE semble mitigé puisque sur le long terme nous observons l’effet inverse. L’impact de la variable loi reste mitigé, avec des effets de réduction de la fuite des capitaux sur le court terme et d’augmentation sur le long terme.Environnement institutionnel, APD et fuite des capitaux
Les coefficients associés à ces variables restent peu significatifs. Cependant, nous trouvons que la stabilité du gouvernement permet de ralentir sur le court terme, la fuite des capitaux liée aux flux d’APD multilatérale.L’impact de l’environnement institutionnel sur la relation APD-fuite des capitaux est mitigé, et se manifeste différemment selon qu’on considère le court terme ou le long terme. Cependant, les effets directs des variables institutionnelles sur la fuite des capitaux restent cohérents avec la littérature. Alors que la corruption exacerbe la fuite des capitaux, la stabilité du gouvernement serait un frein à ce phénomène.
4. Conclusion et implications de politique économique
Ce papier s’intéresse à l’hypothèse de porte financière tournante au Cameroun, en considérant les effets de l’environnement institutionnel et des ressources naturelles sur la période 1970-2010. Le document met en évidence l’impact de la dette extérieure sur la fuite des capitaux. Une augmentation de la dette extérieure d’un dollar entraine une hausse de la fuite des capitaux comprise entre 47 et 62 centimes de dollar, liée à des changements dans la composante privée de la dette extérieure. Toutefois, la fuite des capitaux n'a pas d'incidence significative sur la dette extérieure.Pour ce qui est des autres types de flux (APD et IDE), ils ont peu d’effet sur la fuite des capitaux. L’hypothèse de PFT semble donc ne pas être confirmée pour le cas du Cameroun. En outre, la fuite des capitaux est deux fois plus sensible à une hausse de la rente pétrolière qu’à une augmentation de la dette extérieure.
L'environnement institutionnel importe aussi beaucoup dans la relation dette extérieure-fuite des capitaux. La corruption encourage la fuite des capitaux. Cet effet pervers est dû au fait que celle-ci détériore l’environnement économique et réduit l'efficacité du secteur public. Cependant, la stabilité du gouvernement freine la sortie illicite de capitaux et réduit ainsi la fuite des capitaux induite par les variations de la dette extérieure. Ce constat fournit aux autorités un moyen efficace de limiter la fuite des capitaux.
A la lumière de ces résultats, une conditionnalité adéquate accompagnant la dette extérieure, tout comme de l’APD permettrait de réduire la fuite des capitaux. Cette conditionnalité devrait favoriser une gestion plus efficace des finances publiques. Par ailleurs, l’environnement institutionnel pourrait être renforcé afin de lutter plus efficacement contre la fuite des capitaux. Ceci passe par la réduction de la corruption dans la scène publique, la promotion d’une gestion transparente des ressources naturelles, principalement les ressources pétrolières et forestières. Aussi, la stabilité du gouvernement permettrait de réduire la fuite des capitaux et promouvoir une meilleure utilisation des ressources.
Bibliographie
- Ajayi, S. I. (1995). Capital flight and external debt in Nigeria. African Economic Research Consortium (AERC), Research Paper 35.
- Boyce, J. K. (1992). The revolving door? External debt and capital flight: Philippine case study. World Development, 20 (3): 335-49.
- Boyce, J. K., Ndikumana, L. (2012). Capital Flight from Sub-Saharan African Countries: Updated Estimates, 1970-2010. PERI Research Report.
- Cerra, V., Rishi, M., Saxena, S. C. (2005). Robbing the Riches: Capital Flight, Institutions, and Instability. IMF Working Paper, WP/05/199.
- Collier, P., Hoeffler, A., Patillo, C. (2004). Aid and Capital Flight. Oxford University: Center for the Study of African Economies.
- Cuddington, J. T. (1987). Macroeconomic Determinants of Capital flight: An Econometric Investigation. In Capital Flight and Third World Debt, Lessard, D. R. and Williamson, J. Eds, Washington DC: Institute for International Economics, pp. 85-96.
- Dooley, M. P., Kletzer, K. M. (1994). Capital flight, external debt, and domestic policies. FRBSF Economic Review, pp. 29-37.
- Fatehi, K. (1994). Capital Flight from Latin America as a Barometer of Political Instability. Journal of Business Research, Vol. 30.
- Gibson, H. D., Tsakalotos, E. (1993). Testing a Flow Model of Capital Flight in Five European Countries. Manchester School of Economic and Social Studies, Vol. 61, N°2, pp. 144-66.
- Henry, L. (1996). Capital Flight from beautiful places: The case of three Caribbean countries. International Review of Applied Economics N°10, pp. 263-72.
- Hermes, N., Lensink, R. (2001). Capital Flight and the Uncertainty of Government Policies. Economic Issues, 71 (3): 377-381.
- Kant, C. (1996). Foreign Direct Investment and Capital Flight. Princeton Studies in International Finance N°80, NJ: Princeton University.
- Lensink, R., Hermes, N., Murinde, V. (2000). Capital Flight and Political Risk. Journal of International Money and Finance, 19 (1): 73-92.
- Lessard, D. R., Williamson, J. (1987). Capital Flight and Third World Debt. Institute of International Economics, Washington DC.
- Ndikumana, L., Boyce, J. K. (2013). La dette odieuse de l’Afrique : comment l’endettement et la fuite des capitaux ont saigné un continent. Editions Amalion, 188 pages.
- Sicular, T. (1998). Capital Flight and Foreign Investment: Two tales from China and Russia. University of Western Ontario Working Paper.
- United Nations (2015). Illicit Financial Flows, Human Rights and the Post-2015 Development Agenda, Human Rights Council Twenty-eighth session.
- Varman-Schneider, B. (1991). Capital Flight from Developing Countries. Boulder, Colorado: Westview Press.
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