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25 novembre 2016
Le GIEC et le consensus scientifique
Publié par
Francois-Marie Bréon
| Climat
Le grand public connaît mal le GIEC et son fonctionnement. Un certain nombre d’opposants à ses conclusions en profitent pour affirmer que c’est un organe politique qui est loin de la science, ou que le consensus se fait au vote et que le choix majoritaire devient alors une « vérité » qui oublie les opinions minoritaires [1,2,3].
Des mesures continues de la composition atmosphérique ont commencé vers la fin des années 50, au pôle sud et sur une île de l’archipel Hawaï. La communauté scientifique a ainsi pu prendre conscience de l’impact des activités humaines sur le taux de CO2 dans l’atmosphère. La contribution de ce gaz à l’effet de serre atmosphérique était bien connue et un nombre croissant de climatologues a alors alerté sur le potentiel d’un changement climatique significatif en lien avec l’augmentation du CO2 atmosphérique. Notons que cette prédiction d’un changement climatique consécutif à l’exploitation du charbon et aux émissions de CO2 qui y sont associés avait été faite dés la fin du 19e siècle par Svante Arrhenius qui recevra plus tard le prix Nobel de chimie pour d’autres travaux. En réponse à ces alertes de la communauté scientifique, plusieurs Etats ont poussé l’Organisation des Nations Unies à mettre en place en 1988 le Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC, IPCC en Anglais) avec mission d’analyser la science du changement climatique anthropique et de ses impacts, et d’envisager des stratégies d’adaptation et d’atténuation. Depuis cette date, le GIEC a produit 5 rapports d’évaluation, ainsi que des « rapports spéciaux » plus focalisés, le dernier étant paru en 2014.
Le GIEC est composé de trois groupes qui établissent des rapports indépendants qui sont suivis d’une synthèse. L’objet du premier groupe est de rédiger un rapport sur les sciences du climat. Le groupe 2 se focalise sur les impacts du changement climatique, alors que le groupe 3 rapporte sur les stratégies d’adaptation et d’atténuation.
Les travaux du groupe 1 sont les plus médiatisés et aussi ceux qui sont le centre des attaques. Rétablissons quelques vérités. Le groupe 1 est rédigé par environ 250 scientifiques dont les employeurs acceptent qu’ils consacrent une partie de leur temps à cette tâche. Ils sont sélectionnés par le bureau du GIEC sur la base de critères scientifiques à partir d’une liste proposée par les Etats. Ils ne reçoivent aucune rémunération supplémentaire pour ce travail.
Le GIEC ne fait pas de recherche. Il évalue la connaissance scientifique sur la base des articles publiés et établit un rapport qui synthétise cette connaissance et les incertitudes. Il n’y a pas de « modèle du GIEC » ou de « chercheurs du GIEC ». Cependant, la communauté scientifique des climatologues se positionne par rapport aux rapports du GIEC et leurs échéances. Ainsi, une inter-comparaison des différents modèles de climat existant dans le monde est organisée et ses résultats sont utilisés pour les rapports du GIEC.
Les rapports complets rédigés par les trois groupes sont bien sûr publics mais inaccessibles à l’immense majorité du fait de leur longueur (plusieurs milliers de pages) et du niveau de langage. Chaque groupe rédige donc un « Résumé pour les décideurs » d’une trentaine de pages, dans un langage qui doit être accessible. Ces résumés doivent être approuvés, phrase par phrase, par les représentants des gouvernements. Ce processus impliquant les décideurs est souvent utilisé pour affirmer que le message du GIEC est politique et non pas scientifique [1]. En fait, les modifications demandées sur la base du texte proposé par les scientifiques portent essentiellement sur la forme, et le texte qui est finalement approuvé par les Etats en reste très proche. Même si le texte du résumé doit être approuvé par les représentants des Etats, il doit aussi être en accord avec le rapport complet et ce sont les scientifiques qui ont le dernier mot.
Contrairement à ce qui est souvent écrit, le GIEC fait état des avis divergents. Par exemple, sur le niveau des mers à la fin du siècle, on lira « De nombreuses projections du niveau moyen des mers par des modèles semi-empiriques fournissent des chiffres supérieurs à ceux des modèles basés sur des processus (jusqu’à deux fois plus importants), mais il n’existe pas de consensus au sein de la communauté scientifique concernant leur fiabilité et le degré de confiance dans leurs projections est donc faible ». Par ailleurs, chacune de ses assertions est complétée par une évaluation de la confiance associée. Celle-ci est évaluée de manière nécessairement subjective sur la base de la quantité et de la qualité des informations disponibles et sur la convergence de ces informations. Par exemple, dans le dernier rapport du groupe 1 du GIEC, on lira qu’ « il est quasiment certain qu’à l’échelle mondiale, la troposphère s’est réchauffée depuis le milieu du 20e siècle » mais que « le degré de confiance concernant la variation de la moyenne mondiale des précipitations sur les régions continentales depuis 1901 est faible avant 1951 et moyen après cette date ». De même, « il est extrêmement probable que plus de la moitié de l’augmentation observée de la température moyenne à la surface du globe entre 1951 et 2010 est due à l’augmentation anthropique des concentrations de gaz à effet de serre et à d’autres forçages anthropiques conjugués ». À l’inverse, « le degré de confiance dans la compréhension scientifique de la légère augmentation observée de l’étendue de la banquise en Antarctique est faible, en raison des explications scientifiques incomplètes et contradictoires des causes de ce changement et du faible degré de confiance concernant les estimations de la variabilité naturelle interne dans cette région ». Ces exemples montrent bien que le GIEC n’est pas toujours affirmatif et rapporte bien l’existence d’incertitudes lorsque nécessaire.
La rédaction des rapports du GIEC est un processus itératif et ouvert. Ainsi, il y a trois versions successives du rapport. Les deux premières sont largement diffusées à une communauté ouverte qui peut les critiquer. Les auteurs du rapport doivent répondre à chacune des critiques, souvent en l’acceptant et en proposant une nouvelle formulation qui en tienne compte, et les réponses sont publiques. Ce processus permet d’arriver à un document de très haute qualité scientifique. Certes, il y a eu des ratés, comme la trop fameuse histoire des glaciers de l’Himalaya dont la disparition était annoncée avant le milieu du 21e siècle. C’est là une énorme bourde qui a été reconnue par le GIEC, mais qui peut être jugée mineure : une phrase dans un rapport de plusieurs centaines de pages et qui n’était pas reprise dans le résumé pour les décideurs.
Références
[1] Claude Allègre, « Il faut supprimer le GIEC », 23 février 2010, www.slate.fr/story/17689/giec-allegre-climat-rechauffement-polemique-scandale
[2] Claude Allègre, L’imposture climatique, Plon 2010.
[3] François Gervais, L'innocence du Carbone : l'effet de serre remis en question, Albin Michel 2013.
Des mesures continues de la composition atmosphérique ont commencé vers la fin des années 50, au pôle sud et sur une île de l’archipel Hawaï. La communauté scientifique a ainsi pu prendre conscience de l’impact des activités humaines sur le taux de CO2 dans l’atmosphère. La contribution de ce gaz à l’effet de serre atmosphérique était bien connue et un nombre croissant de climatologues a alors alerté sur le potentiel d’un changement climatique significatif en lien avec l’augmentation du CO2 atmosphérique. Notons que cette prédiction d’un changement climatique consécutif à l’exploitation du charbon et aux émissions de CO2 qui y sont associés avait été faite dés la fin du 19e siècle par Svante Arrhenius qui recevra plus tard le prix Nobel de chimie pour d’autres travaux. En réponse à ces alertes de la communauté scientifique, plusieurs Etats ont poussé l’Organisation des Nations Unies à mettre en place en 1988 le Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC, IPCC en Anglais) avec mission d’analyser la science du changement climatique anthropique et de ses impacts, et d’envisager des stratégies d’adaptation et d’atténuation. Depuis cette date, le GIEC a produit 5 rapports d’évaluation, ainsi que des « rapports spéciaux » plus focalisés, le dernier étant paru en 2014.
Le GIEC est composé de trois groupes qui établissent des rapports indépendants qui sont suivis d’une synthèse. L’objet du premier groupe est de rédiger un rapport sur les sciences du climat. Le groupe 2 se focalise sur les impacts du changement climatique, alors que le groupe 3 rapporte sur les stratégies d’adaptation et d’atténuation.
Les travaux du groupe 1 sont les plus médiatisés et aussi ceux qui sont le centre des attaques. Rétablissons quelques vérités. Le groupe 1 est rédigé par environ 250 scientifiques dont les employeurs acceptent qu’ils consacrent une partie de leur temps à cette tâche. Ils sont sélectionnés par le bureau du GIEC sur la base de critères scientifiques à partir d’une liste proposée par les Etats. Ils ne reçoivent aucune rémunération supplémentaire pour ce travail.
Le GIEC ne fait pas de recherche. Il évalue la connaissance scientifique sur la base des articles publiés et établit un rapport qui synthétise cette connaissance et les incertitudes. Il n’y a pas de « modèle du GIEC » ou de « chercheurs du GIEC ». Cependant, la communauté scientifique des climatologues se positionne par rapport aux rapports du GIEC et leurs échéances. Ainsi, une inter-comparaison des différents modèles de climat existant dans le monde est organisée et ses résultats sont utilisés pour les rapports du GIEC.
Les rapports complets rédigés par les trois groupes sont bien sûr publics mais inaccessibles à l’immense majorité du fait de leur longueur (plusieurs milliers de pages) et du niveau de langage. Chaque groupe rédige donc un « Résumé pour les décideurs » d’une trentaine de pages, dans un langage qui doit être accessible. Ces résumés doivent être approuvés, phrase par phrase, par les représentants des gouvernements. Ce processus impliquant les décideurs est souvent utilisé pour affirmer que le message du GIEC est politique et non pas scientifique [1]. En fait, les modifications demandées sur la base du texte proposé par les scientifiques portent essentiellement sur la forme, et le texte qui est finalement approuvé par les Etats en reste très proche. Même si le texte du résumé doit être approuvé par les représentants des Etats, il doit aussi être en accord avec le rapport complet et ce sont les scientifiques qui ont le dernier mot.
Contrairement à ce qui est souvent écrit, le GIEC fait état des avis divergents. Par exemple, sur le niveau des mers à la fin du siècle, on lira « De nombreuses projections du niveau moyen des mers par des modèles semi-empiriques fournissent des chiffres supérieurs à ceux des modèles basés sur des processus (jusqu’à deux fois plus importants), mais il n’existe pas de consensus au sein de la communauté scientifique concernant leur fiabilité et le degré de confiance dans leurs projections est donc faible ». Par ailleurs, chacune de ses assertions est complétée par une évaluation de la confiance associée. Celle-ci est évaluée de manière nécessairement subjective sur la base de la quantité et de la qualité des informations disponibles et sur la convergence de ces informations. Par exemple, dans le dernier rapport du groupe 1 du GIEC, on lira qu’ « il est quasiment certain qu’à l’échelle mondiale, la troposphère s’est réchauffée depuis le milieu du 20e siècle » mais que « le degré de confiance concernant la variation de la moyenne mondiale des précipitations sur les régions continentales depuis 1901 est faible avant 1951 et moyen après cette date ». De même, « il est extrêmement probable que plus de la moitié de l’augmentation observée de la température moyenne à la surface du globe entre 1951 et 2010 est due à l’augmentation anthropique des concentrations de gaz à effet de serre et à d’autres forçages anthropiques conjugués ». À l’inverse, « le degré de confiance dans la compréhension scientifique de la légère augmentation observée de l’étendue de la banquise en Antarctique est faible, en raison des explications scientifiques incomplètes et contradictoires des causes de ce changement et du faible degré de confiance concernant les estimations de la variabilité naturelle interne dans cette région ». Ces exemples montrent bien que le GIEC n’est pas toujours affirmatif et rapporte bien l’existence d’incertitudes lorsque nécessaire.
La rédaction des rapports du GIEC est un processus itératif et ouvert. Ainsi, il y a trois versions successives du rapport. Les deux premières sont largement diffusées à une communauté ouverte qui peut les critiquer. Les auteurs du rapport doivent répondre à chacune des critiques, souvent en l’acceptant et en proposant une nouvelle formulation qui en tienne compte, et les réponses sont publiques. Ce processus permet d’arriver à un document de très haute qualité scientifique. Certes, il y a eu des ratés, comme la trop fameuse histoire des glaciers de l’Himalaya dont la disparition était annoncée avant le milieu du 21e siècle. C’est là une énorme bourde qui a été reconnue par le GIEC, mais qui peut être jugée mineure : une phrase dans un rapport de plusieurs centaines de pages et qui n’était pas reprise dans le résumé pour les décideurs.
Références
[1] Claude Allègre, « Il faut supprimer le GIEC », 23 février 2010, www.slate.fr/story/17689/giec-allegre-climat-rechauffement-polemique-scandale
[2] Claude Allègre, L’imposture climatique, Plon 2010.
[3] François Gervais, L'innocence du Carbone : l'effet de serre remis en question, Albin Michel 2013.
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