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26 septembre 2018

Le grand âge : rester à domicile ou partir en institution ?

Publié par Gérard Bouvier | Retraites
Avec le vieillissement de la population, la tentation est forte de nous voir un avenir bien sombre : dépendance de plus en plus grande nous reléguant dans des maisons de retraites coûteuses où la vie est difficile et morne. Cela est excessif : nous mourrons majoritairement à notre domicile, avant d’être devenus fortement dépendants.

L’espérance de vie augmente régulièrement et, avec elle, le nombre d’octogénaires, de nonagénaires et de centenaires. L’Insee dénombrait 21 000 de ces derniers en France en 2016 et une projection de population établit à 270 000 le nombre probable de centenaires en 2070. Les démographes évoquent déjà les « super-centenaires », soit des personnes de plus de 105, 110 ans….  On attribue à A. Malraux l’aphorisme : « il faut ajouter de la vie aux années, pas des années à la vie ».  Au-delà de la vie en bonne santé, l’enjeu pour les personnes très âgées est aussi de rester autonomes. Le critère examiné ici est de résider à domicile plutôt qu’en institutions (les « maisons de retraite »). Il apparaît que l’entrée en institution est tardive, relativement rare et signale de grandes difficultés, notamment mentales, ainsi qu’un isolement marqué.

Le grand âge est une histoire de femmes … et de solitude

Les femmes sont légèrement majoritaires (52 %) parmi les sexagénaires. Cette surreprésentation s’accroît avec l’âge : deux octogénaires sur trois, trois nonagénaires sur quatre, cinq centenaires sur six, sont des femmes. A cette inégalité démographique, s’ajoutent des différences marquées quant au mode de résidence et à l’entourage familial. A tous âges (passé 70 ans), les hommes sont plus souvent en couple et moins souvent en maisons de retraite que les femmes. Pour les septuagénaires, une femme sur trois vit seule (donc à domicile), contre un homme sur six. Ces proportions passent à une sur deux pour les femmes de 80 à 99 ans, contre un sur quatre pour les hommes. Après 100 ans, une femme sur quatre vit seule, et 56 % d’entre elles sont en maison de retraite. Les hommes centenaires se répartissent équitablement par tiers entre personnes seules, personnes en maison de retraite et autres situations. Ainsi, les femmes atteignent plus fréquemment les grands âges et les maisons de retraite.

Vivre en institution plutôt qu’à domicile : d’abord une affaire genrée

Vivre en institution concerne bien davantage les femmes, du fait de leur plus grande espérance de vie et d’autres facteurs liés à la santé et à l’entourage. On présentera séparément les déterminants de « l’institutionnalisation » pour les femmes puis pour les hommes. Globalement, le taux d’institutionnalisation augmente avec l’âge. En 2009, l’âge où celui-ci dépasse 50 % se situait vers 97 ans. Depuis plusieurs décennies, les politiques publiques favorisent le maintien à domicile des personnes âgées : l’entrée en maison de retraite est maintenant tardive, signale en général un mauvais état de santé, mais aussi un isolement de la personne concernée.

En effet, la dépendance résulte d’un double jeu entre l’altération des performances physiques ou mentales d’une personne, et l’impossibilité d’y remédier avec des aides, que ce soit des prothèses, … (aides techniques) ou des aides humaines. Ces dernières sont majoritairement apportées par l’entourage proche (conjoint, enfants). Les hommes vivent moins longtemps et sont fréquemment en couple avec une compagne plus jeune, ayant de meilleures chances d’être restée en assez bonne santé, donc capable de pallier les altérations des performances physiques ou mentales de leur conjoint.

Comment définir la dépendance ?

Il n’existe pas de définition consacrée. De multiples approches peuvent être envisagées et se combinent le plus souvent. La grille la plus connue, parce qu’utilisée pour l’attribution de l’APA, allocation personnalisée d’autonomie, définit six niveaux de dépendance, de la plus sévère (groupe iso-ressource 1 ou GIR 1) au GIR 6. Début 2012, 1,2 million de personnes bénéficient de l’APA, et sont donc dans les GIR 1 à 4. Compte tenu du non recours aux aides, le chiffrage sous-estime sans doute un peu la réalité. La classification dans les 6 groupes « IR » repose sur une combinaison de critères, déficiences fonctionnelles et difficultés à accomplir certains gestes essentiels de la vie courante, croisant des limitations motrices et cognitives. D’autres grilles ou critères sont utilisés, plutôt dans le monde académique car la prise en compte de la dépendance liée aux difficultés psychiques est complexe. Environ 100 000 personnes sont en GIR 1, cinq d’entre elles sur six vivant en institution. Les personnes en GIR 2 vivent majoritairement en institution, celles en GIR 3 se répartissent à peu près équitablement entre domicile et institution, tandis que 3 personnes sur 4 en GIR 4 vivent encore à domicile.

Avoir une déficience n’entraîne pas (forcément) d’être dépendant

Un schéma simple a été proposé au début des années 1980 pour concevoir la dépendance, qu’elle résulte de maladies, d’accidents, …, ou du vieillissement. Ce schéma repose sur l’enchaînement maladie / déficience / incapacité / désavantage. Une maladie peut avoir pour conséquence une déficience (exemple, l’arthrose réduit la mobilité d’une articulation). L’apparition de la déficience peut être empêchée ou retardée par les soins. La déficience est susceptible d’entraîner une incapacité (par exemple, impossibilité de se servir d’une main). Les aides techniques (prothèses, …) ou humaines peuvent pallier l’incapacité. Dernier chaînon, le désavantage, fortement dépendant de l’environnement, qui est une conséquence plus ou moins marquée de l’incapacité (un pianiste ne souffrira pas de la même façon de l’impossibilité de se servir de sa main qu’un gaucher non manuel amputé de la main droite). La dépendance se situe ici entre incapacité et désavantage et l’on voit que l’aide, humaine ou technique est un élément essentiel dans l’appréciation de la dépendance. Autre terme important de l’équation, l’aide humaine est souvent apportée par les proches (conjoints, famille).

Les altérations fonctionnelles

Dans l’article de Bouvier et alii, le concept d’altération fonctionnelle est utilisé. Ce concept dérive du schéma précédent, en prenant en compte les travaux plus récents visant à définir le handicap et la dépendance. L’altération fonctionnelle combine une déficience avec l’incapacité induite par celle-ci. Pour résumer, on distingue trois types d’altérations : les altérations physiques (perte de mobilité, vieillissement viscéral, …), les altérations sensorielles (vue, ouïe, …) et les altérations cognitives. Ces dernières sont plus difficiles à définir. Bien évidemment, différentes altérations peuvent affecter la même personne.  Ces altérations deviennent de plus en plus fréquentes avec l’âge. Ainsi, le seuil des 20 % est atteint, pour les altérations motrices, vers 70 ans, pour les altérations sensorielles, vers 80 ans, enfin pour les altérations cognitives vers 85 ou 90 ans.

L’entourage

L’article cité est une analyse reposant sur une base de données construite par les services statistiques du ministère de la santé et l’Insee, il y a une dizaine d’années. L’originalité de la base et de l’étude est d’avoir combiné des données de personnes vivant à domicile ou vivant en institution. L’entourage est donc défini par trois « cercles » de proches. En premier lieu, le conjoint. Viennent ensuite les enfants ou la fratrie (on parle de personnes très âgée…) et, enfin, d’amis, soit des personnes que l’on rencontre de temps ou temps ou davantage. L’entourage, on va le préciser, est un facteur majeur de maintien au domicile. Des études plus récentes confirment également l’importance de cet entourage (conjoint, famille, amis) au regard de la qualité de vie des personnes hébergées en maison de retraite.

Perdre sa femme (pour les hommes), ou la tête (pour les femmes)

On rend compte ici brièvement d’une analyse « toutes choses égales par ailleurs ». Pour les personnes de 60 à 79 ans, les principaux « déterminants » de l’état « vivre en maison de retraite plutôt qu’en ménage » diffèrent selon le sexe. Le déterminant de loin le plus important pour les hommes est le fait de ne pas avoir de conjointe. Un défaut d’entourage au sens large (peu d’amis) et des altérations cognitives sont des déterminants marqués. En troisième lieu, l’absence d’enfant en vie, des altérations motrices ou encore le besoin de soins (spécialisés) constituent des déterminants notables.

Le déterminant de loin le plus important pour les femmes est d’être affectées d’altérations cognitives. Le défaut d’entourage, notamment de conjoint, joue fortement, quoique de façon moindre. Le troisième groupe de déterminants (ne pas avoir d’enfants, recours à des soins) est identique pour les hommes et les femmes. Cependant, les écarts entre ce deuxième et ce troisième groupe de facteurs sont moindres pour les femmes. En revanche, pour les femmes, être affecté d’altérations motrices n’est pas lié à une plus ou moins fréquente présence en maison de retraite.

Avec le grand âge, les différences par sexe s’atténuent

Après 80 ans, les déterminants se différencient moins par sexe. L’âge devient le déterminant principal, différenciant les plus de 90, 95 ans, … des autres et semble résumer l’ensemble des difficultés, de santé ou d’isolement. Il convient de noter que les altérations sont très fréquentes (après 90 ans, 80 % des personnes en maison de retraite souffrent d’altérations motrices, 65 % d’altération cognitives). Ce sont seulement les altérations cognitives qui apparaissent encore comme discriminantes. Le défaut d’entourage joue également (avec l’âge, les personnes ont de moins en moins souvent un conjoint et un cercle d’amis). Enfin, le besoin de soins spécialisés est aussi un facteur assez important.

Vivre heureux en attendant la mort

L’enjeu des prochaines décennies est donc d’abord de progresser pour une meilleure prise en compte de la dépendance liée aux altérations mentales. Compte tenu de l’évolution générale des liens familiaux (qui impliquent maintenant le plus souvent quatre générations), la prise en charge collective de l’isolement, notamment l’appui et le financement de l’aide apportée par les proches, n’est pas un moindre défi.




Bibliographie

Auteur

1980-1983 : Bac C, CPGE Strasbourg (Lycée Kléber)
1983-1987 : Ens Cachan (mathématiques)
1986 : Agrégation mathématiques
1987-1988 : Service militaire, scientifique contingent
1988-1989 : Professeur collège (Aube)
1989-2001 : Professeur CPGE (Rhône-Isère)
2001-2002 : Préparation ENA (IEP Grenoble)
2002-2003 : Professeur lycée, proviseur adjoint, Isère
2003-2005 : ENSAE, - Administrateur Insee
2005-2008 : Insee, Chef d'unité, DESE, comptes nationaux
2008-2011 : Insee, chef de projet, DSDS, enquête handicap.
2011-2015 : Ministère intérieur, chef de division
2015-.... : Ministère de l'intérieur, adjoint chef du SSM Voir les 14 Voir les autres publications de l’auteur(trice)

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Commentaires

1 Commentaire

Cazes
Il y a 6 ans
Bonjour, c'est très clair. Je lis dans l'introduction de l'article que nous mourrons en majorité à domicile, et trouve sur un article Insee de 2017 le chiffre de 26% de morts à domicile en 2016 ? Cordialement, Jérôme Cazes

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