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24 septembre 2018

Les mégalopoles chinoises à l’âge de raison ?

Le touriste occidental fraîchement débarqué dans une mégalopole chinoise fait la cruelle expérience du désert : dans cet univers minéral hérissé à perte de vue de tours immenses, plombé par un smog tenace qui efface les points cardinaux, et – héritage d’une tradition militaire du secret ? – privé de plans lisibles (en caractères latins si possible), ses repères s’estompent. La grande ville chinoise est en Occident l’objet de fantasmes multiples. Qu’en est-il en fait ?

1. La Chine : une nation paysanne saisie par le vertige de la ville

Avant de répondre au cliché d’un pays réduit à ses mégalopoles, il faut se souvenir que la Chine est avant tout une nation paysanne. Tout dans sa culture, de son écriture idéogrammatique combinant à l’infini les images les plus concrètes pour exprimer les concepts les plus subtils, à l’extraordinaire pragmatisme de ses habitants, témoigne de ces racines paysannes.

Pourtant, plus qu’ailleurs, la campagne y est la mal aimée. L’exil des « intellectuels » à la campagne sous Mao a laissé des traces profondes et provoqué, dès son remplacement par le Petit Timonier et le lancement de la politique d’ouverture et de réforme en 1978, une ruée sur les villes. Mirage d’un destin meilleur, rêve du « bol de fer » rempli tous les soirs.

Pour les autorités chinoises, la préférence pour la ville découle de constats très simples, et à l’évidence simplistes. Depuis 40 ans, le taux de croissance du PIB suit assez fidèlement celui de l’urbanisation[1], et le citadin gagne en moyenne trois fois plus que le rural[2]. Pour faire de la Chine une nation prospère, il suffirait donc de poursuivre son urbanisation à marche forcée… C’est ainsi qu’un pays encore à 80 % rural il y a 40 ans a vu les deux courbes démographiques de la ville et de la campagne se croiser en 2010, pour atteindre aujourd’hui une balance 57 / 43 en faveur de la ville.

[caption id="attachment_3470" align="aligncenter" width="288"] Figure 1: Evolution comparée des taux de croissance du PIB et de l'urbanisation en Chine, source : Banque mondiale et DRC, juillet 2014

 

[caption id="attachment_3471" align="aligncenter" width="464"] Figure 2: Source: Chine, Etude économique de l’OCDE, mars 2017

 

[caption id="attachment_3472" align="aligncenter" width="415"] Figure 3: Croissance démographique et croissance urbaine en Chine à l'horizon 2030°, source: NI Jincheng, colloque "Métropoles d'avenir", 23 juin 2014

 

2. Qu’est-ce qu’une ville chinoise ?

La brutalité de cette mue, inédite dans l’histoire de l’humanité, n’est pas sans influence sur la physionomie des villes chinoises. Certes, dans un pays qui a le culte de la hiérarchie, la ville (chengshi ??) dont l’écriture symbolise un marché protégé à l’intérieur de murailles, a toujours été le lieu du pouvoir et des échanges. Mais les quelques villes d’histoire comme Xi’an ou Pékin évoluaient à l’intérieur de remparts tracés comme les limites d’un camp romain. Or la croissance effrénée de ces dernières décennies a fait exploser ce cadre millénaire.

Quand on parle de ville, en Chine, on est en fait confronté au même embarras statistique qu’en Europe ou en Amérique. Car l’organisation administrative du pays assigne à ses villes des dimensions souvent disproportionnées à la perception qu’on a concrètement d’une agglomération.

La Chine continentale est divisée en 31 provinces (sheng ?) ou entités de même rang (régions autonomes et municipalités). Les « villes » de Pékin, Tianjin, Shanghai et Chongqing, qui sont administrées directement par le pouvoir central, en sont. La dernière d’entre elles, souvent présentée comme la plus grande ville du monde avec ses 35 millions d’habitants, est en fait un territoire grand comme l’Autriche. Shanghai a l’étendue d’un grand département français. Ses 24 millions d’habitants sont pourtant concentrés pour moitié dans un noyau de 1 000 km² seulement – à comparer incidemment à l’agglomération parisienne qui accueille une population équivalente sur une surface 2,5 fois plus grande – et pour l’autre moitié dans des agglomérations satellites plus ou moins informelles. Les provinces sont elles-mêmes subdivisées en villes préfectures, de la taille d’un département français. La plupart des grandes métropoles régionales en sont. Ainsi, Jinan, capitale de la province du Shandong, égrène ses 7 millions d’habitants sur une bande de 90 kilomètres de long. Idem pour la ville voisine de Yantai, dont les 7 millions d’habitants (4 dans l’agglomération) sont répartis sur une surface plus grande que l’Ile-de-France.

Quand on dit que 57 % de la population chinoise est citadine, c’est à l’échelle de la ville préfecture qu’on le mesure[3]. L’unité statistique comparable en France pourrait donc être l’aire urbaine.

[caption id="attachment_3473" align="aligncenter" width="244"] Figure 4: La tache urbaine de Shanghai en 2017, source : ZHUO Jian, Université Tongji, THNS 2017

3. Une volonté constante de croissance urbaine, puissamment outillée

La croissance effrénée du monde urbain en Chine depuis 40 ans est alimentée par de puissants moteurs.

Le plus fort est l’aspiration du peuple à la prospérité dont les campagnes de la Révolution culturelle sont la triste antithèse. Le second est le fruit de l’organisation politique même du pays. Car dans un Etat extrêmement centralisé, où les gouverneurs des provinces et les maires sont des hauts fonctionnaires nommés par le pouvoir central, il est essentiel aux responsables locaux de montrer à Pékin comment ils ont su faire de leur territoire une vitrine de la Chine. Les provinces concentrent de fait leurs forces sur leurs grandes capitales régionales, au détriment du tissu des plus petites villes. Les maires des grandes villes font assaut d’imagination pour bâtir chez eux « les plus » étonnantes constructions du pays, voire du monde.

Le Centre planétaire (huanqiuzhongxin ????) de Chengdu en est une vivante illustration. Avec ses 20 hectares d’emprise au sol et ses 100 mètres de haut, ce bâtiment abrite deux hôtels internationaux, une galerie marchande, une serre tropicale et des bureaux d’un luxe inouï. On dit qu’il est, avec la Grande Muraille, la seule construction humaine visible de l’espace. Pourtant, dans la grisaille d’une banlieue hérissée de tours, il faut tomber dessus pour le voir.

[caption id="attachment_3474" align="aligncenter" width="387"] Figure 5: Le Centre planétaire de Chengdu, octobre 2014

Un autre moteur, insidieux, est le régime fiscal des collectivités locales. En pratique en effet, contrairement à la France où l’essentiel des recettes fiscales locales sont assises sur le stock de richesse (la taxe foncière sur la valeur du foncier, la contribution économique territoriale sur le montant des capitaux investis…), en Chine, c’est la vente des terrains qui remplit les caisses des villes. Or le foncier y est propriété de la collectivité locale. Les citadins ne sont propriétaires que de leur appartement et pour une durée limitée, certes longue – 70 ans, voire 100 ans – et n’ont guère à craindre l’expropriation, mais ils ne possèdent pas le terrain d’assiette. Les paysans n’ont que l’usufruit de leur terre et peuvent en être aisément expropriés, même si la loi interdit désormais l’expropriation « sans raison et sans compensation ». La collectivité locale peut ensuite librement vendre le terrain aux promoteurs. Le système est ainsi structurellement spéculatif, il pousse à l’expansion indéfinie des villes.

4. Les limites de la croissance des villes

Si au sommet de l’Etat chinois, la doxa semble ne pas varier, en pratique la croissance des villes chinoises commence à toucher ses limites.

Le mirage urbain a, depuis 40 ans, gonflé la population urbaine de travailleurs venus des campagnes. Le régime du passeport intérieur (hukou ??) les a longtemps privés du bénéfice des services publics garantis aux citadins de souche, tels que la protection sociale, l’éducation des enfants et la retraite. Il a ainsi obligé de jeunes gens vigoureux (les mingong ??) à s’exiler dans les grandes villes, dans des conditions précaires, en laissant au village leurs enfants à la charge des grands-parents. Ce serait ainsi un tiers de la population des grandes villes qui y vivrait en citoyens de seconde zone. Ce système, destiné à maîtriser la croissance urbaine, a clairement montré ses limites. La ruée vers les aéroports et les gares des immigrés de l’intérieur rentrant au pays pour le Nouvel An en est le témoignage saisissant. De fait, la Chine a dû procéder à plusieurs assouplissements et élargissements successifs du hukou, le dernier en 2014 dans le cadre d’un plan pour une « urbanisation d’un nouveau type »[4].

La fragilité des finances publiques locales est un autre frein. Depuis la réforme de 1994 qui a instauré un système de remontée au niveau central de la plupart des taxes et de redistribution aux collectivités territoriales d’une fraction d’entre elles, une bonne moitié des budgets des grandes villes chinoises est alimenté par la vente de terrains[5]. Si l’expansion des villes devait marquer le pas, le spectre de leur faillite ferait son apparition. Or la réforme s’est vraiment faite au désavantage des collectivités locales. De fait, la plupart d’entre elles sont aujourd’hui très endettées. Par ailleurs, leurs investissements structurants sont contrôlés. La construction d’une ligne de métro de décide à Pékin. C’est incidemment une chance pour des solutions modestes comme le tramway, à la main des municipalités.

Mais désormais, le frein le plus puissant serait le prix de l’immobilier. Les quartiers centraux de Pékin et Shanghai sont devenues plus chères que les métropoles occidentales. Les cadres chinois, dont les salaires n’ont rien à envier aux nôtres, s’en accommodent. En revanche, les moins fortunés sont relégués dans des banlieues lointaines.

[caption id="attachment_3475" align="aligncenter" width="404"] Figure 6: source: Chine, Etude économique de l'OCDE, mars 2017

5. Mobilité urbaine

De fait, l’organisation de la mobilité dans les villes chinoises est devenue cruciale.

La mise en réseau du système urbain du pays est en passe d’être achevée par la réalisation du plus grand réseau de lignes à grande vitesse au monde qui, avec déjà plus de 20 000 kilomètres, 2 à 3 000 kilomètres supplémentaires chaque année, et un objectif à terme de 38 000 kilomètres, a bouleversé la géographie humaine du pays. Outre le réseau interurbain à 300 km/h, la Chine vient de se doter d’un concept de « super-RER » pour relier à 200 km/h les noyaux urbains des grandes conurbations comme le Grand Pékin (le jingjinji), le delta du Yangzi ou la Rivière des Perles. Mais il n’est pas toujours possible d’implanter les gares en plein centre ville. De fait, le quartier de la gare TGV devient souvent une ville nouvelle, dont la liaison avec la ville historique peut s’avérer fastidieuse.

[caption id="attachment_3476" align="aligncenter" width="628"] Figure 7: gares TGV à Wuhan et Paris, source: Banque Mondiale et DRC, juillet 2014

Mais c’est dans le domaine de la mobilité urbaine au quotidien que l’expérience chinoise est la plus impressionnante. En effet, le gigantisme des agglomérations et l’absence de véritable autorité organisatrice des transports y ont accouché tout dernièrement de réseaux de métros assez lâches et peu coordonnés. La question qui se pose à l’usager est celle du « dernier kilomètre ». C’est ainsi qu’ont surgi depuis quelques années une multitude de services privés plus ou moins informels mais admirablement structurés, dont Didi (le Uber chinois) et les vélos en libre service sont une illustration frappante. Passionné de technologie, le Chinois se pilote en temps réel à l’aide de son smartphone. Deux sociétés privées, Ofo et Mobike, dominent le marché du vélo en libre service. Créées en 2016, leurs vélos étaient encore invisibles au début de l’année 2017. Moins d’un an plus tard, ils avaient envahi la chaussée et les trottoirs, au point qu’il est parfois difficile de s’y frayer un chemin. Sachant que le vélo a longtemps été assimilé dans l’imaginaire chinois aux souffrances de l’ère Mao, et que l’automobile a été vue a contrario comme un extraordinaire instrument de libération, ce retour en grâce du vélo témoigne à l’envi de la résilience extraordinaire de ce peuple gourmand de la vie. Aujourd’hui, le vélo, c’est l’objet connecté par excellence. Les jeunes Chinois des villes en raffolent.

[caption id="attachment_3477" align="aligncenter" width="483"] Figure 8: vélos en libre service à Shanghai, novembre 2017

 

[caption id="attachment_3478" align="aligncenter" width="314"] Figure 9: au siège de Mobike à Shanghai, novembre 2017

 

[caption id="attachment_3479" align="aligncenter" width="299"] Figure 10: vélos en libre service dans les rues d'une grande ville chinoise, source: ZHUO Jian, Université Tongji, THNS 2017

6. Le pilotage de la croissance urbaine : un colosse aux pieds d’argile ?

Si la politique nationale semble encore favorable aux grandes métropoles, plusieurs signaux commencent à montrer un réel souci de temporisation.

La course au gigantisme semble passée de mode. Ainsi la municipalité de Shanghai (24 millions d’habitants) envisageait encore naguère de pousser les feux jusqu’à 40 millions. L’objectif est désormais une stabilisation à 25 millions[6]. Sachant que le desserrement des populations est, là-bas comme ici, une réalité, cela suppose de construire en banlieue. La municipalité s’efforce de structurer de nouveaux noyaux urbains, millionnaires, pourvus du statut, des fonctions et de l’attractivité d’une vraie ville et bien reliés à la ville centre. Mais les balbutiements de cette politique laissent quelque peu dubitatifs. Il n’est que de déambuler dans la ville nouvelle implantée en tête du viaduc qui sur 35 kilomètres survole la Baie de Hangzhou jusqu’au nouveau port en eau profonde de Shanghai : elle semble avoir été construite selon les canons soviétiques, avec de très larges avenues, de vastes esplanades, des blocs de tours d’habitation… Pas de convivialité urbaine ni d’entreprises en vue. Un terminus de métro reliant ce nouveau quartier à Shanghai, à 70 kilomètres de là… L’alchimie urbaine reste à inventer.

Les plus grandes agglomérations s’emploient à inventer le même modèle de ville satellite. Mais parallèlement, la tache d’huile continue à s’étaler, selon une skyline de tours dont on peut craindre qu’elle ne conduise, toutes proportions gardées, aux mêmes problèmes sociaux que ceux que nos banlieues rencontrent depuis quelques décennies. Par chance, la Chine est plus pragmatique que l’Occident, elle n’hésite pas à procéder par essais et erreurs. La tâche qui l’attend sera néanmoins rude.

Au cœur même des villes, les classes aisées rejettent l’urbanisme concentrationnaire au profit d’ensembles à taille humaine et socialement homogènes. Le pays a vu ainsi fleurir une myriade de communautés fermées (gated communities). Ce sont des ensembles fermés et gardiennés, joliment aménagés, de densité modérée. Les premiers d’entre eux ont été construits pour les cadres du Parti. Désormais, les citoyens les plus fortunés les plébiscitent. Aux yeux des planificateurs, ils sont un obstacle au trafic et à la densification du tissu urbain. Le Président XI s’en est lui-même ému et est parti en campagne contre eux. Mais il suffit de parcourir les revues distribuées dans les avions, montrant votre future résidence de vacances au milieu des fleurs de l’île de Hainan, pour se convaincre que la lutte contre ce « retour à la terre » en pleine ville n’est pas gagnée d’avance. Le modèle traditionnel de la cour carrée (siheyuan ???) pourrait être l’horizon d’une classe moyenne de plus en plus exigeante quant à son environnement.

Au demeurant, à côté de réalisations douteuses, on se doit de saluer la grande élégance de l’architecture, à laquelle les plus grandes signatures du monde – et notamment des Français – ont contribué, et le souci des autorités locales de créer au cœur de leurs villes des espaces de respiration et de valorisation de leur très riche patrimoine. Sur ces points-là, la France aurait de bonnes leçons à recevoir de la Chine.

Enfin, le gouvernement lui-même commence à prendre des mesures discriminatoires en faveur des petites villes. Ainsi, le plan de 2014 prévoit la fin du hukou pour tous les ruraux migrants de l’intérieur installés dans des villes de moins de 500 000 habitants[7]. En l’attente d’une politique vraiment ambitieuse de développement de l’attractivité de ces petites villes, c’est un signal positif à leur endroit.

[caption id="attachment_3480" align="aligncenter" width="600"] Figure 11: La ville chinoise typique, une page à tourner ?

 

[caption id="attachment_3481" align="aligncenter" width="251"] Figure 12: Quartier en construction dans la banlieue de Wuhan, janvier 2017

 

[caption id="attachment_3482" align="aligncenter" width="600"] Figure 13: La ville nouvelle en projet de Tianfu, proche de Chengdu, source: NI Jincheng, colloque "Métropoles d'avenir", 23 juin 2014

7. Xiong’an : vitrine de la nouvelle urbanisation ou chant du cygne de la planification centralisée ?

Désormais convaincus que la croissance en tache d’huile des grandes métropoles doit être canalisée au sein de villes nouvelles satellites, le gouvernement chinois et les autorités locales s’emploient à réussir ces nouvelles vitrines de leur modèle de développement. En théorie, ils ont plus de cartes en mains que les aménageurs des territoires occidentaux : il y est plus facile de délocaliser un ministère ou une université, et les investisseurs étrangers sont assez volontiers orientés vers des sites spécialisés où ils trouvent au demeurant un écosystème entrepreneurial intéressant, à l’image de la ville nouvelle de Jiading, au nord de Shanghai, dédiée à l’automobile. En pratique, néanmoins, le pouvoir rencontre ses limites.

Les autorités locales chinoises concèdent volontiers aux grandes signatures de l’architecture et de l’urbanisme de vastes espaces agricoles aux portes de leurs villes comme terrains de jeu. Carte blanche (ou presque) leur est donnée pour interpréter leurs rêves les plus fous (dès lors qu’ils sont financés, toutefois). C’est ainsi que la France, dans le cadre de l’accord de coopération franco-chinois sur la ville durable de 2007, a été invitée à concevoir la ville durable de ses rêves au large de Wuhan. La « reconstruction de la ville sur la ville », si chère au cœur des urbanistes français depuis la loi SRU de 2000, n’était absolument pas à l’ordre du jour. Heureusement, à Wuhan comme ailleurs, des équipes d’architectes occidentaux spécialisés dans les espaces de transport ont su produire de très intéressants projets autour de gares et de lieux de passage. Périodiquement, l’équipe d’un promoteur chinois vient en Europe faire l’apologie de la ville millionnaire qu’il a conçue dans la campagne et tester ses idées auprès de ses interlocuteurs occidentaux. La ville à la chinoise a encore le vertige de la page blanche.

Le projet de création, dans le secteur lacustre de Xiong’an (dont le nom signifie grande paix), à plus de 100 kilomètres au sud de Pékin, dans la campagne pauvre du Hebei, d’une ville nouvelle dont l’ambition est d’atteindre les 10 millions d’habitants, a été inspiré par XI Jinping, nouveau Président élu au 18ème Congrès du Parti en 2012. Le Président XI a appelé à une stratégie de développement coordonnée du jingjinji (???), ensemble des trois provinces et municipalités de Pékin, Tianjin et Hebei, dont la surface est presque égale à la moitié de la France. Cette ambition s’est cristallisée dans la décision du Comité central du Parti et du Conseil d’Etat, le 1er avril 2017, de créer cette ville nouvelle de Xiong’an.

Le bruit court aujourd’hui que des grandes administrations et des départements des grandes universités pékinoises y seraient délocalisés. Il sera intéressant de voir s’ils réussissent à entraîner le mouvement. Province rurale assez pauvre, le Hebei est en effet vu avec condescendance par les Pékinois. Saura-t-il les séduire durablement ? Le site ne manque certes pas d’atouts : il est proche du futur deuxième aéroport de la capitale, et le cadre de vie y est plutôt agréable. Mais saura-t-il surmonter le vertige de la page blanche ? La Chine n’est plus tout à fait le pays communiste qui a réussi Shenzhen il y a 40 ans. Les intérêts privés y sont puissants, les revendications individuelles aussi. Après l’Occident, la Chine découvre que l’aménagement du territoire ne peut plus procéder de la seule volonté politique. Si elle ne trouve pas la martingale, Xiong’an pourrait être le chant du cygne de la planification centralisée à la chinoise.

8. Demain, la ville chinoise

Que sera demain la ville chinoise ? Pour un Européen, aménageur d’un territoire patiemment façonné par les siècles, la question est vertigineuse. L’obsession d’ordre public du peuple chinois devrait heureusement le préserver de trop brutales montées d’humeur dans ses banlieues. Sa capacité à capitaliser sur ses erreurs et à remettre sur le métier ses chantiers les plus fous, son engagement impressionnant en faveur de l’environnement, qui se traduit par un smog plus discret et au cœur des villes par une floraison de jardins publics et d’espaces de convivialité, devraient lui permettre de surmonter ses erreurs de jeunesse. Mais pour préparer l’avenir, il faudra que les pouvoirs publics engagent enfin une politique cohérente de développement des petites villes et du monde rural, dotée d’outils adaptés à leur attractivité. Il y a encore du pain sur la planche. Belle perspective de coopération avec l’Europe !

 




[1] Source : Urban China / Towards efficient, inclusive and sustainable urbanization, Banque mondiale et Centre de recherche sur le développement (DRC) du Conseil d’Etat de la République populaire de Chine, juillet 2014.

[2] Source: Chine, Etude économique de l’OCDE, mars 2017.

[3] Cf. article Administration territoriale de la République Populaire de Chine sur Wikipedia.

[4] Cf. China’s Urban Century, François Gipouloux et al., Elgar, 2015.

[5] Cf. Understanding China’s Urbanization, ZHANG Li et al., Elgar, 2016.

[6] Les actes du Forum THNS qui, depuis 10 ans, réunit à l’Université Tongji à Shanghai les planificateurs chinois et français de la mobilité, sont très intéressants en ce sens.

[7] Cf. China’s Urban Century, François Gipouloux et al., Elgar, 2015.

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