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19 octobre 2010

Une mesure de la solidité des fonds propres des banques

Publié par Elie Heriard-Dubreuil (2000), Director ; Thierry Grunspan (1991), Director et Bernard de Longevialle, Managing Director Standard & Poor’s, Financial Services | N° 38 - Variances 38

Aujourd’hui plus que jamais, l’attention des marchés est rivée sur les besoins des banques en fonds propres et sur les outils permettant de mesurer ceux-ci. La crise financière des deux dernières années a mis en lumière les faiblesses du cadre réglementaire existant, et les hommes politiques du monde entier demandent aux autorités bancaires de repenser les outils de mesure des fonds propres. Ainsi, on s’attend à une hausse significative des exigences en matière de capitaux propres réglementaires des banques au cours des années à venir.

Dans ce contexte de profonde évolution, Standard & Poor’s Ratings Services déploie son nouvel indicateur des fonds propres corrigés du risque (Risk-Adjusted Capital Framework, ou RACF), développé au cours des quatre dernières années dans la perspective de la mise en place de l’accord de Bâle II. L’objectif du RACF est de fournir un indicateur indépendant des régulations nationales, des options méthodologiques de Bâle II et des approches internes d’évaluation des risques des banques, tout en offrant un cadre cohérent pour analyser différentes banques et zones géographiques.

Nous présentons ici notre première comparaison mondiale de l’adéquation des fonds propres des banques, sur la base de notre ratio des fonds propres corrigés du risque (Risk-Adjusted Capital, ou RAC) comparé aux ratios Tier 1 et aux ratios de levier réglementaires, pour un échantillon large de 45 grandes banques internationales.

Notre étude permet de constater que le ratio RAC des grandes banques internationales s’inscrivait à 6,7 % au 30 juin 2009, plus de 3 points en dessous des ratios Tier 1 moyens. Les résultats obtenus jusqu’ici semblent confirmer notre opinion selon laquelle le niveau des fonds propres demeure une faiblesse relative pour la notation de la majorité des grandes banques mondiales. Nos analyses illustrent également les limites des ratios Tier 1 et de levier. L’écart est ainsi de plus de 300 points de base entre les Tier 1 moyens des grandes banques et notre ratio RAC, en raison de l’évolution attendue des règles de calcul des ratios de fonds propres réglementaires, dont une définition plus stricte des fonds propres Tier 1 et une augmentation des charges liées aux risques de marché.

De grandes disparités entre banques en termes de fonds propres

Le cadre RACF montre que l’impact des fonds propres dans la notation de la majorité des banques varie entre neutre et négatif. Le ratio RAC moyen de notre échantillon, en tenant compte des augmentations de capital effectuées jusqu’au 30 juin 2009, s’inscrivait à environ 6,7 % après prise en compte d’ajustements de diversification / concentration et à moins de 6 % avant ces ajustements. Une minorité des banques affichait un ratio RAC de 8 %, qui correspond à la pleine couverture du niveau de stress intégré dans notre ratio.

Le ratio RAC, développé pour faciliter les comparaisons, est le point de départ de notre analyse des fonds propres. Nous y ajoutons des facteurs qualitatifs, ainsi qu’une analyse des indicateurs existants sur le marché, comme le ratio Tier 1 de Bâle II, afin d’arriver à une opinion qualitative bien fondée de l’adéquation relative des fonds propres d’une banque corrigés des risques1.

Nous constatons cependant une nette amélioration des niveaux de fonds propres des banques depuis fin 2007. Par delà des considérations de court terme liées à la pression des marchés, l’incertitude de l’environnement économique, le souci de reconstruire des bilans affaiblis par la crise, les banques semblent avoir également commencé à se préparer à une augmentation structurelle des exigences en fonds propres réglementaires. Les levées de capitaux, la conversion d’instruments hybrides en actions ordinaires, les cessions d’actifs et la réduction des positions ont permis à de nombreuses banques de renforcer leurs ratios de fonds propres au cours des 18 derniers mois.

Après avoir touché un point bas en 2007, le ratio Tier 1 moyen des banques de notre échantillon avait progressé de 250 points de base (pb) au 30 juin 2009, avec une accélération depuis fin 2008 (Cf. Graphique 1). Des tendances similaires s’observent sur les ratios de levier. Le ratio RAC moyen des grandes banques de l’échantillon ressortait à 5,5 % dans notre étude mondiale de 2008, comparé à environ 6,7 % actuellement, en tenant compte des capitaux levés jusqu’au 30 juin 2009. En intégrant les augmentations de capital et les conversions d’instruments hybrides en actions ordinaires depuis le 30 juin 2009, ainsi que la réduction des actifs de nombreuses banques, les ratios RAC moyens à fin 2009 devraient afficher une nouvelle amélioration. Nous prévoyons une poursuite de la tendance au renforcement des ratios de fonds propres au cours des 18 mois à venir afin de respecter des normes réglementaires plus strictes. Un échec à cet égard pourrait remettre nos notations sous pression.

Cependant, les fonds propres ne constituent qu’un élément de l’analyse. Les notations de plusieurs des banques incluses dans notre échantillon intègrent ainsi un soutien explicite de l’Etat. Par ailleurs, notre échantillon n’est pas représentatif de la moyenne générale de l’univers bancaire. Comme nous l’avons déjà démontré dans l’étude mondiale menée en 2008, le ratio RAC moyen des grandes banques se situait en dessous de la moyenne du secteur bancaire, aussi bien avant qu’après nos ajustements pour tenir compte de la diversification ou de la concentration.

Les ratios Tier 1 et de levier ne sont pas le fin mot de l’histoire

Utiliser les ratios Tier 1 ou de levier pour faire des comparaisons directes entre positions relatives des banques en capitaux peut induire en erreur, tant au niveau national qu’international. Non seulement parce que ces indicateurs ne sont pas calculés de manière homogène, mais également, pour ce qui est du ratio de levier, parce qu’il n’est pas sensible au risque. Nous ne croyons pas que ces deux ratios de fonds propres, les plus courants sur les marchés, suffisent pour évaluer l’adéquation des fonds propres des banques.

Les ratios Tier 1, de levier et RAC donnent chacun une image différente de la position en capital des banques. Dans certains cas, il existe un écart important entre notre ratio RAC et les ratios réglementaires. Les banques américaines se situent en première place au sein de notre échantillon pour les ratios de levier et en deuxième place pour les ratios Tier 1, alors qu’elles sont près de la moyenne pour le ratio RAC. Inversement, le ratio RAC est plus favorable que le ratio de levier moyen pour les banques de notre échantillon au Canada, dans les pays nordiques, au Benelux, en France et au Royaume-Uni, relativement à leurs concurrentes des Etats-Unis. Les ratios Tier 1 des banques allemandes et japonaises de notre échantillon ressortent près de la moyenne, alors que leurs ratios RAC s’inscrivent clairement en dessous de la moyenne. Les deux grandes banques suisses affichaient toutes deux les ratios Tier 1 les plus élevés de l’échantillon, alors qu’ UBS AG avait l’un des ratios RAC les plus bas au 30 juin 2009, et que le ratio RAC de Credit Suisse Group AG ressortait seulement très légèrement au-dessus de la moyenne.

De fortes disparités sont observées au sein des différents pays : des banques comme Citigroup Inc. ou Danske Bank affichent des ratios RAC estimés en dessous de la moyenne à la mi-2009, alors que d’autres groupes comme The Goldman Sachs Group Inc. et Nordea Bank AB bénéficient de ratios RAC relativement plus solides. La poursuite des augmentations de capital et/ou des conversions de fonds propres hybrides, comme l’échange massif de fonds propres hybrides de Citigroup au troisième trimestre 2009, d’un montant de 64 milliards de dollars, ont une incidence sur les niveaux des ratios, poussant le ratio RAC moyen à la hausse trimestre après trimestre.

Une pondération plus forte des risques, notamment de marché

Standard & Poor’s utilise sa propre définition des fonds propres, les fonds propres totaux ajustés (total adjusted capital, ou TAC), comme le numérateur du ratio RAC, alors que les autorités de tutelle utilisent les fonds propres Tier 1 comme le numérateur du ratio Tier 1. Les différences constatées entre les numérateurs témoignent principalement du niveau moins élevé de fonds propres hybrides dans le TAC comparé aux fonds propres Tier 1 calculés par les régulateurs. Parmi les autres différences, notons le traitement des déficits des fonds de retraite, les écarts de réévaluation et les éléments intangibles.

Nous croyons que les actions ordinaires et les réserves doivent représenter la majeure partie des fonds propres, parce qu’elles affichent des caractéristiques plus robustes en matière d’absorption des pertes. Nous limitons en règle générale la proportion de fonds propres hybrides à 25 % du TAC d’une banque. En revanche, la proportion des capitaux propres inclus dans les fonds propres Tier 1 peut varier de façon significative d’une banque à l’autre. Au 30 juin 2009, les instruments hybrides représentaient 81 % des fonds propres Tier 1 d’UBS, avant de diminuer au cours du trimestre suivant. Selon nous, des exemples extrêmes de ce type devraient disparaître au cours des années à venir, avec la mise en place par les régulateurs d’une définition plus stricte et plus cohérente au plan international des fonds propres Tier 1. Des accords de transition et des clauses de droits acquis pourraient cependant continuer à compliquer la comparaison pendant plusieurs années.

Notre pondération des risques diffère significativement de celle des autorités de tutelle. Pour les banques relevant de Bâle II dans notre échantillon, notre estimation des risques pondérés se situait en moyenne plus de 70 % au-dessus des risques pondérés Bâle II avant prise en compte de l’effet diversification, et 45 % au-dessus en tenant compte de cet effet. Ces estimations de risques plus élevées s’expliquent par plusieurs facteurs :

• notre ratio RAC intègre déjà une charge en capital pour le risque de marché liée au portefeuille de négociation qui est trois à quatre fois plus élevée que les charges réglementaires actuelles tirées des modèles de VaR (Value-at-Risk). Même après la mise en place par les régulateurs du nouveau régime de portefeuille de négociation en 2011, nous pensons que la charge en capital dans notre ratio restera 1,5 fois plus élevée que celle découlant du cadre de Bâle II en excluant le nouveau traitement du risque de contrepartie.

Les risques de marché et actions représentaient ainsi 20 % de l’estimation Standard & Poor’s des actifs pondérés des risques des banques, contre seulement 9 % des actifs pondérés des risques de Bâle II.

• nos pondérations des risques de crédit sont elles aussi plus élevées en moyenne que les charges prévues sous Bâle II, même si cette moyenne masque des divergences, car nos charges peuvent varier en fonction de l’approche bâloise utilisée par les banques, de la prudence des calibrages de leurs modèles internes et des profils de risque spécifiques des banques comparés à la moyenne du secteur dans un pays donné.

Les différences de pondération des risques entre banques dans un même pays découlent, selon nous, autant des différences des systèmes internes, des hypothèses de modélisation, que des dif différences réelles au niveau des risques sous-jacents. Dans un pays comme la France, l’écart est de un à trois entre la pondération la plus basse et la plus élevée allouée aux portefeuilles domestiques de prêts hypothécaires résidentiels sous l’approche IRB. Nous croyons que cet écart découle autant des différences d’estimations internes des banques que des différences de risques sous-jacents entre réseaux en matière de prêts hypothécaires. Notre pondération de 18,5 % du risque RAC pour les prêts hypothécaires en France se compare à une fourchette allant de 6 % à 24 % en fonction des estimations IRB des banques françaises et à un niveau de 35 % pour les réseaux qui utilisent l’approche standard de Bâle II.

Les différences de transcription nationales du cadre Bâle II peuvent également avoir une incidence importante aussi bien sur le numérateur que sur le dénominateur des ratios de Bâle II, et contribuer à expliquer l’écart entre le ratio Tier 1 Bâle II et notre ratio RAC.

Les ratios RAC des grands groupes de notre échantillon intègrent un gain de diversification de 15 % en moyenne. Les ajustements que nous effectuons couvrent la concentration sur les principales contreparties dans le portefeuille de prêts aux entreprises, la concentration, en termes de secteurs d’industrie, de zones géographiques, et de lignes de métier et types de risque. Au total, l’ajustement de diversification des actifs pondérés des risques varie entre un gain de 26 % pour Bank of America, la banque la plus diversifiée de notre échantillon, à 1 % pour la banque la moins diversifiée, DBS Bank Ltd. à Singapour. Ce gain de diversification est bien en deçà de ceux intégrés généralement dans les modèles internes de capital économique des banques. Nous croyons en effet que les corrélations des risques peuvent augmenter de manière significative dans des périodes de stress, plafonnant ainsi le gain potentiel de diversification au plan global.

Le calcul des fonds propres réglementaires va évoluer

En décembre 2009, le Comité de Bâle sur la supervision bancaire a émis une série de recommandations majeures, surnommées « Bâle 3 », parmi lesquelles des restrictions sur l’utilisation des hybrides dans les fonds propres Tier 1 et la mise en place de matelas de fonds propres contra-cycliques et d’un ratio de levier, ainsi que la possibilité d’exiger des capitaux propres supplémentaires pour des banques d’une importance systémique. Par ailleurs, les exigences en capitaux réglementaires pour couvrir le portefeuille de marché doivent augmenter au 1er janvier 2011.

Alors que le calibrage de ces mesures reste incertain, nous pensons que les exigences de capitaux propres des banques devraient augmenter de façon significative au cours des prochaines années, et que les régulateurs changeront le calcul des actifs à risque et des fonds propres réglementaires.

Nous prévoyons d’appliquer le RACF à tous les groupes bancaires notés dans le monde entier avant la fin 2010. Nous publions des analyses détaillées des ratios dans nos études sur les banques individuelles à mesure que nous appliquons ce cadre. Notre intention est, au cours des prochains trimestres, une fois que nous aurons déployé le cadre RAC sur un grand nombre de banques, de produire de nouvelles orientations permettant de relier les ratios RAC à nos opinions sur la solvabilité et son impact sur les notations.

1 - Pour avoir des détails sur le RACF, veuillez vous reporter au « Methodology And Assumptions: Risk-Adjusted Capital Framework For Financial Institutions » publié le 21 avril 2009

Autrice

Elie Heriard-Dubreuil (2000), Director ; Thierry Grunspan (1991), Director et Bernard de Longevialle, Managing Director Standard & Poor’s, Financial Services
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