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09 octobre 2008

OstinatO

Publié par Entretien avec Jean-Luc Tingaud (1994) | N° 34 - Les métiers de l'environnement

Pour Jean-Luc Tingaud la finance ou l’assurance sont loin de sa pratique quotidienne : il a choisi la musique. Son instrument, c’est l’orchestre et pas n’importe lequel : il a crée une structure originale qui lui permet de partager sa passion au plus haut niveau. A l’occasion des 10 ans de l’orchestre OstinatO, nous revenons avec lui sur cette aventure marquée par le vœu de partager son bonheur.


Variances – Quelle était ta pratique de la musique avant et pendant l’ENSAE ?
Jean-Luc Tingaud – Je suis arrivé à l’ENSAE depuis l’Ecole polytechnique, et à l’origine, je suis pianiste. J’ai eu la possibilité de pratiquer intensément la musique à l’X, puisque la musique est, au même titre que le sport, considéré comme une activité parascolaire. Pendant cette période, j’ai passé le Concours de Piano des Grandes Ecoles, auquel j’ai d’ailleurs été reçu premier ex-æquo avec Karol Beffa (1991) qui lui aussi a choisi l’ENSAE comme école d’application et qui se consacre également à une brillante carrière artistique. C’est pendant mon année à l’ENSAE que c’est faite la grande transition : je me suis orienté vers une pratique plus théorique de la musique, je me suis intéressé à la direction d’orchestre, j’ai écrit des articles et mêmes trois livres sur la musique. Et j’ai préparé le concours d’entrée au Conservatoire de Paris.

V – Quel parcours t’a amené de l’ENSAE à la musique ?
J-L T. – La transition s’est faite rapidement mais en douceur. J’ai rapidement terminé mon parcours universitaire en économie et finance après un DEA écrit sous la direction de François Bourguignon. Parallèlement, j’ai pratiqué de plus en plus la musique, passant du piano à l’orchestre. Au fur et à mesure que ma passion pour la musique a pris de l’importance, j’ai réduit mon temps de travail, puis décidé de ne pas poursuivre dans la finance et j’ai finalement pris une année sabbatique pour préparer l’entrée au Conservatoire. En 1995, un an à peine après ma sortie de l’ENSAE, je me consacrais déjà entièrement à la musique!

Un « atelier orchestre » école

V – Comment s’est passé le début de ton activité professionnelle musicale ?
J-L T. – J’ai donné mes premiers concerts professionnels en 1997, mais c’est en 1999 que l’occasion m’a été donnée de remplacer un chef au pied levé, au Théâtre Mogador, pour Les noces de Figaro. Ce concert m’a valu beaucoup de reconnaissance, de nombreuses propositions et même dès le lendemain un contrat avec l’Opéra de Compiègne ! Puis de fil en aiguille, je me suis spécialisé dans le répertoire français.
Les deux années que j’ai passées au Conservatoire ont été marquées par ma rencontre avec Manuel Rosenthal, il est devenu mon maître et m’a proposé de le suivre comme assistant. Mon travail avec lui a constitué le début de ma carrière, et une formation par apprentissage.
V – Comment en es-tu venu à créer OstinatO ?
J-L T. – J’ai créé OstinatO à partir du constat qu’il existe un grand fossé entre la formation des musiciens et leur pratique professionnelle dans les orchestres. D’un côté les musiciens sont formés dans les conservatoires à une pratique de solistes et dans un esprit de compétition. Mais à l’inverse, le travail dans un orchestre nécessite de leur part de savoir jouer ensemble, de respecter les contraintes d’horaires et de temps, etc.… Les musiciens sont donc confrontés à une période de latence ou doivent subir les concours d’orchestres sans avoir pu se préparer à ce qui les attend.
Il existe dans les pays anglo-saxons des académies d’orchestres qui font ce lien entre la formation et la pratique en proposant une formation complémentaire d’un an ou deux. En France, ces formations sont proposées dans le domaine du théâtre et de la danse… J’ai eu envie d’en faire autant pour la musique. Et cette création était aussi une façon de relier ma passion de la musique, mon métier de chef d’orchestre et le métier de créateur d’entreprise, qui lui correspond plus à ma formation initiale.
Je me suis donc lancé dans ce projet avec l’aide de Manuel Rosenthal : nous avons défini une politique artistique, pris des contacts, rencontré des partenaires, puis, rejoints par Anne Maurel (également issue d’une grande école, elle est diplômée de l’Ensta et de l’Essec), nous avons créé cet orchestre d’un type nouveau.

V – Quelles sont les grandes lignes de la formation ?
J-L T. – Les musiciens sont engagés à la sortie du Conservatoire, sur la base d’un contrat d’apprentissage de deux ans. L’« Atelier Orchestre OstinatO » est à la fois organisme de formation et employeur. Les musiciens sont donc payés, ce qui permet d’exiger d’eux de la discipline, une présence sans faille, de la préparation. Ils subissent également des contrôles réguliers.
Pour le travail de pupitre, ils sont encadrés par des musiciens qui font partie des grands orchestres français et internationaux. Ces musiciens « formateurs » leur transmettent les « trucs » du métier. Nous recevons aussi des chefs internationaux, des directeurs musicaux d’orchestres, qui eux aussi partagent leur connaissance du métier en assurant le travail préparatoire et les répétitions. Tout cela facilite le passage vers la vie professionnelle.
Sur le plan technique par exemple : à la sortie du Conservatoire, les musiciens savent jouer de leur instrument, mais pas forcément avec les autres ! Ils doivent apprendre à écouter les autres instrumentistes et les autres pupitres. Le travail que nous leur demandons est basé sur l’écoute et les techniques de groupe.
Sur le plan stylistique, ils ont également beaucoup à apprendre, car ils auront besoin d’être souples et polyvalents pour interpréter des programmes variés. Notre formation aborde donc des styles différents : depuis le classique avec Schubert, Haydn et Mozart, en passant par les romantiques tels que Mendelssohn, la musique française, le 20ème siècle et jusqu’aux créations contemporaines.
Apprendre à écouter, apprendre à accompagner
Ces jeunes musiciens doivent également apprendre à accompagner, et en particulier, les opéras. C’est dans ce domaine qu’il y a le plus de travail, en particulier à l’Opéra de Paris, et un tiers du temps de formation y est donc consacré, en partenariat avec l’Atelier lyrique de l’Opéra National de Paris. Cette partie de la formation donne lieu chaque saison à une à trois productions lyriques mises en scène : les jeunes musiciens apprennent ainsi à gérer les contraintes du théâtre, et acquièrent les réflexes et la souplesse nécessaire. C’est aussi l’occasion d’apprendre à jouer en fosse.
Leur passage par OstinatO dure donc deux ans, parfois trois, et nous les encourageons à trouver des contrats dans d’autres structures pendant cette période.
L’insertion est l’objectif premier d’OstinatO, les formateurs ont donc de préférence 20 ans de métier au moins, et si les Anciens d’OstinatO ne sont pas encore revenus pour assurer à leur tour la formation, il existe déjà une association d’Anciens, qui comme celle des Anciens de l’ENSAE, pratique la solidarité y compris envers les élèves. Les Anciens d’OstinatO sont présents dans presque tous les orchestres français, ainsi que dans les pays européens limitrophes.

V – OstinatO vient déjà de fêter ses dix ans, quel bilan ?
J-L T. – La reconnaissance est venue grâce à une résidence à l’Opéra Comique, qui a été possible après cinq ans d’existence, et qui a permis également un travail de meilleure qualité.
Actuellement, OstinatO travaille avec le Théâtre du Chatelet, avec des solistes et des chefs très prestigieux tels que Youri Bashmet et Maxime Vengerov. Ces solistes sont très exigeants, ce sont d’excellents musiciens qui hissent l’orchestre vers une autre dimension. C’est avec eux qu’est organisée la série de concerts Prima la Musica à Vincennes .

V – Quels sont les axes de développement d’OstinatO pour les prochaines années ?
J-L T. – L’international est une dimension très importante : 20 % des musiciens sont étrangers. C’est passionnant de constater combien les approches musicales sont différentes d’un pays à l’autre, alors que l’on imagine que la musique est un langage universel ! La mission d’OstinatO est d’assurer une formation au meilleur niveau tout en se garantissant que l’insertion fonctionne vraiment bien. Maintenant que cet objectif est atteint en France, nous souhaitons lui ajouter une dimension internationale. Nous allons donc continuer de travailler à ce niveau d’excellence, avec des chefs, des solistes, et créer un réseau européen en participant à des festivals et en coopérant avec des orchestres étrangers de jeunes professionnels.

Ce développement international est accompagné par notre mécène Pernod-Ricard : l’an dernier, nous avons joué Cosi Fan Tutte à Shanghai et, cette année, Carmen à New Delhi ! La vie en tournée est une expérience de plus pour ces jeunes musiciens ; ils ont entre 18 et 25, certains n’ont encore jamais quitté la France, un tel voyage est une expérience inoubliable, qui a aussi pour effet de souder l’orchestre.
Nous gardons également présent à l’esprit un autre objectif : associer des partenaires privés, notamment des entreprises, car c’est une autre façon de lier la musique et la création d’entreprise. Cela me tient à cœur et c’est là que je me réalise. Dans les entreprises, on peut voir l’orchestre comme un miroir de la société : chacun y a sa place, la musique ne peut exister que si chaque individu assume sa part de l’œuvre commune. Nous invitons les cadres de Pernod-Ricard à assister aux répétitions – et les installons au cœur de l’orchestre.
Le développement des enregistrements fait également partie des objectifs pour les prochaines années d’OstinatO, et nous poursuivrons notre partenariat avec Mezzo qui diffusera deux concerts ainsi que des séances de travail.

V – Quels plaisirs particuliers trouves-tu dans cette aventure ?
J-L T. – Et bien j’ai la chance de cumuler les fonctions de chef d’orchestre, de directeur musical et de chef invité dans d’autres institutions ! Je suis responsable du recrutement, de la formation, de la programmation et du développement d’OstinatO. En tant que chef invité, j’ai l’occasion de me déplacer en Europe et en France. Je travaille régulièrement pour l’Opéra de Reims et de nombreuses autres structures à Lille, Rennes, Avignon…
J’ai mené avec OstinatO une passionnante collaboration avec William Sheller. Sa formation classique et ses dons de composition ouvrent le chemin vers d’autres univers .

V – Quelles sont les grandes dates d'OstinatO pour la saison qui s’ouvre cet automne ?
J-L T. – Notre saison sera marquée par des concerts à la Bibliothèque nationale de France, à Vincennes, à l’Opéra Comique, par une collaboration avec l’Atelier Lyrique de l’Opéra National (Nous jouerons Le mariage secret à Bobigny). Nous nous déplacerons à Suresnes pour la Damnation de Faust de Berlioz. OstinatO est soutenu par la Région Ile de France. Nous sommes donc attentifs à donner des concerts en dehors de Paris et à destination du jeune public, comme par exemple cette saison à Herblay (95), où nous jouerons Faust de Gounod. Comme l’an dernier, nous serons également en résidence à la BNF pour valoriser le répertoire français : nous y jouerons des inédits issus des collections de la bibliothèque. La saison démarre en novembre, cela ne nous laisse que peu de temps !

Toutes les informations sur les concerts sont disponibles sur le site www.OstinatO.fr

www.tingaud.com

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Entretien avec Jean-Luc Tingaud (1994)
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