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10 avril 2005

La microfinance : un remède efficace contre la pauvreté ?

François Plantureux est Conseiller pour le développement international de Dexia Crédit Local, la banque spécialisée dans le financement des collectivités locales, mais c’est à titre personnel qu’il s’intéresse à la microfinance.

Qu’entend-on par microfinance ?

Il y a quelques années, au cours d’un voyage professionnel en Indonésie, j’avais décidé de passer le week-end à Jodjakarta. Dans cette ville, un moyen typique de se rendre d’un point à un autre est d’utiliser un rickshaw (tricycle où le client est véhiculé à la force des tours de pédales donnés par le conducteur de l’engin). Comme celui à qui j’avais fait appel était bavard, j’en suis arrivé à lui demander comment il gagnait sa vie et il ne s’est pas fait prier pour décrire sa situation avec beaucoup de détails. Il gagnait en moyenne quatre dollars par jour, pour dix heures de travail. « Alors il était riche ? » lui fis-je en plaisantant. « Non, me répondit-il d’un ton amer, je dois payer deux dollars chaque jour au propriétaire du rickshaw ». Et que se passait-il s’il n’avait pas gagné assez ? Il devait alors prolonger sa journée de travail afin de réaliser un gain minimum de trois dollars qui lui était nécessaire pour nourrir sa famille, compte tenu du prélèvement du propriétaire. Le partage de la recette quotidienne entre ce dernier et le travailleur semblait totalement injuste et je me suis alors hasardé à lui demander s’il n’avait pas intérêt à acheter un rickshaw ? « Bien sûr, me dit-il, connaissant bien cette question, mais il faut débourser près de 140 dollars et je n’ai que 40 dollars d’économies ». Il lui aurait fallu un prêt pour la différence, qu’il n’aurait pas eu de mal à rembourser, même en payant des intérêts élevés, mais il n’avait trouvé aucune banque qui acceptait de prendre ce risque.

L’activité qui consiste à prêter de l’argent, généralement un faible montant et pour une durée courte, afin de permettre aux exclus du système bancaire de développer un projet professionnel générateur de revenus, est connue sous le nom de microfinance. Les entités qui, localement à l’échelle d’une ville, d’une région ou d’un pays, exercent l’activité de microfinance portent le nom d’Institutions de Microfinance (IMF). On les appelle également « Banques des pauvres ». Il s’agit généralement d’ONG ou de coopératives mais elles peuvent également prendre la forme d’une société (ayant parfois le statut de banque).

Il y a dans le monde 1,1 milliard de personnes qui vivent avec moins de un dollar par jour. Parmi elles, un grand nombre de microentrepreneurs potentiels ont envie de démarrer une activité génératrice de revenus. Malheureusement, n’ayant pas accès au système bancaire, ceux-ci n’arrivent pas à réunir les fonds nécessaires pour la réalisation de leur projet. La microfinance, en accordant des prêts de faible montant (microcrédits) aux exclus du système bancaire qui ont un projet professionnel, leur permet de s’en sortir. Aujourd’hui, ils sont des millions dans le monde à bénéficier d’un microcrédit mais ils sont encore plus nombreux à pouvoir y prétendre, sans qu’une réponse positive puisse leur être donnée, faute de moyens.

L’histoire de la Grameen Bank

La Grameen Bank, au Bangladesh, a été le précurseur des IMF. Dans le livre qu’il a publié en 1997, Vers un monde sans pauvreté (Editions Jean-Claude Lattès), son fondateur, le Professeur Muhammad Yunus, aujourd’hui âgé de 64 ans et toujours à la tête de la banque, raconte de manière très vivante sa propre histoire et les étapes qui l’ont conduit à la création et au développement de la Grameen.

Après avoir étudié puis enseigné l’économie au Bangladesh, Muhammad Yunus passe quelques années aux Etats-Unis où il obtient son doctorat. De retour dans son pays, il prend la direction du Département d’Economie de l’Université de Chittagong, située dans une zone rurale du Sud-Est. La terrible famine qui sévit en 1974 lui fait prendre conscience du fossé qui sépare le monde abstrait des théories économiques et le monde des pauvres qui meurent de faim. Voulant se rendre utile, il visite des familles du village voisin afin de voir de quelle manière il peut leur venir en aide. Il constate alors qu’il y a parmi elles des artisans qui réalisent des objets divers (comme, par exemple, des nattes tressées ou des tabourets en bambou) qui peuvent facilement être revendus. Mais ces artisans, ne disposant pas des quelques dollars nécessaires à l’achat des matières premières, se trouvent sous le joug d’usuriers qui leur prennent l’essentiel du fruit de leur travail. Pour faire cesser cette situation, il prête quelques dizaines de dollars sans intérêt à ces artisans, en leur demandant simplement de le rembourser quand ils pourront. Et tous parviennent à le rembourser sur les revenus de leur travail. Persuadé du bien-fondé de sa démarche, il essaie de trouver un relais financier auprès de la banque locale mais il se heurte à un refus, motivé notamment par l’absence de garantie des emprunteurs. Au bout de six mois de négociation, il obtient enfin une enveloppe de prêts de 300 dollars mais à la condition qu’il garantisse personnellement chacun des prêts. Un an plus tard, ce système ayant parfaitement fonctionné, il arrive à convaincre le Président d’une autre banque de créer une agence dédiée à cette activité qui prend le nom d’Agence Expérimentale Grameen (Grameen venant du mot gram qui veut dire « village »). En 1979 et 1980, d’autres agences expérimentales Grameen (une vingtaine au total) sont créées par plusieurs banques dont le montant cumulé des prêts versés atteint 5 millions de dollars. Ce réseau continue à se développer avec succès mais c’est une véritable banque indépendante que Muhammad Yunus ambitionne de créer. La Grameen Bank voit le jour en 1983, avec l’aide de l’Etat qui apporte 60 % du capital.

Au cours du temps, la Grameen a mis au point des procédures très efficaces. En premier lieu, la constitution de groupes d’emprunteurs (5 personnes sans liens familiaux). L’appartenance à un groupe donne aux pauvres une sensation de sécurité. Ils bénéficient du soutien et de l’émulation des autres et leur comportement en devient plus fiable. Les demandes de prêt individuel doivent être approuvées par le groupe qui, dès lors, endosse une certaine responsabilité. En cas de difficulté de l’un d’entre eux, les membres du groupe s’entraident. Le groupe doit d’abord suivre une formation pour lui permettre de comprendre le fonctionnement du système et les cinq membres du groupe doivent réussir un test pour que le système soit mis en œuvre. Deux premiers bénéficiaires reçoivent leur prêt, puis deux autres, seulement si les deux premiers remboursent leurs échéances de manière satisfaisante et, enfin, le dernier, généralement le Président élu du groupe. Le groupe doit se réunir une fois par semaine (dans son village), en présence du credit officer qui est à la fois le représentant de la banque qui octroie les crédits, le coach du groupe et le responsable du bon déroulement des opérations. Au cours de ces réunions hebdomadaires, il collecte les échéances des prêts, fait le point avec chacun des membres et facilite les échanges et discussions au sein du groupe. C’est également au cours de ces réunions que les candidats emprunteurs exposent leur projet qui doit recueillir l’adhésion du groupe. Au delà de la fiabilité du projet, qui est examinée soigneusement, la décision de la banque est basée sur une relation de confiance (il n’y a pas de garantie). Et, ce qui est extraordinaire, c’est que le taux de remboursement des prêts est très élevé (98 %), sensiblement supérieur à celui des banques commerciales. On peut s’interroger sur les raisons qui expliquent une telle performance, s’agissant d’emprunteurs très pauvres dont la plupart sont illettrés. En fait, il faut bien comprendre que, pour ces personnes en état de précarité, l’enjeu de leur démarche est considérable. Le prêt n’est pas seulement de l’argent qu’ils reçoivent, c’est un moyen pour eux de s’en sortir. Au fur et à mesure que l’emprunteur rembourse ses échéances, il prend conscience de ses propres capacités, il découvre qu’il est capable de gagner suffisamment pour rembourser ses dettes, il a réussi quelque chose, il se rend compte qu’il vaut mieux que ce que les autres croyaient, il retrouve sa dignité. On comprend dès lors pourquoi les pauvres mettent un point d’honneur à rembourser leurs dettes. S’ajoutent, pour expliquer le taux de remboursement très élevé, la pression sociale du groupe et celle de la banque qui, aux yeux de ses clients, apparaît cependant plus comme un partenaire que comme un créancier.

Autre innovation apportée par la Grameen dans ses modes de fonctionnement avec ses clients, les emprunteurs n’ont pas à venir au guichet des agences, ce sont les credit officers qui se rendent sur le terrain, d’abord pour aider à la constitution des groupes puis ensuite pour organiser les réunions hebdomadaires et s’assurer du bon déroulement des opérations. Comme ils se déplacent tous à bicyclette, on les appelles familièrement les bicycle bankers !

Notons, qu’au-delà de son rôle de « banquier des pauvres », la Grameen a pour objectif d’améliorer les conditions de vie de ses clients et de leur famille. Elle pratique un suivi régulier de l’état de santé financier des emprunteurs pour s’assurer qu’ils pourront rembourser leurs échéances et vérifie que toute leur famille bénéficie bien des revenus de la nouvelle activité. Son action se traduit, non seulement par des changements économiques pour les familles bénéficiaires, mais aussi par des changements sociaux. Des règles de vie (« Les seize Résolutions », qui vont du suivi des règles d’hygiène élémentaires à l’éducation des enfants) sont imposées aux emprunteurs. Et en octroyant ses crédits essentiellement aux femmes, la banque fait en sorte que celles-ci, entièrement dépendantes de leur mari dans leur statut traditionnel, deviennent des personnes responsables, capable de décider de leur sort et de celui de leurs enfants.

Au cours des vingt dernières années, le développement et le succès de la Grameen Bank ont été considérables. Aujourd’hui, c’est une véritable institution, mondialement connue, qui emploie 12 000 personnes. Elle a 3,1 millions de clients et ses encours de prêts s’élèvent à 280 millions de dollars. Financièrement, elle est totalement autonome, ne bénéficiant ni de subventions ni de refinancements à taux privilégié, et ses dix derniers exercices ont été bénéficiaires. Son capital est réparti entre ses clients (93 %) et l’Etat (7 %).

Le développement de la microfinance

Avant de voir comment le concept moderne de microfinance s’est développé dans le monde entier, il convient d’effectuer un retour en arrière sur ce qui existait avant. En effet, la problématique de la microfinance n’est pas apparue seulement il y a une trentaine d’années. Les besoins existaient depuis bien longtemps et des réponses avaient été données par ce qu’on appelle le secteur informel (ou encore endogène, créé par les populations sans intervention extérieure). Dans beaucoup de pays du tiers-monde, circulaient, de village en village, les « banquiers ambulants », exerçant la fonction de prêteur sur gages et/ou de collecteur d’épargne. Il faut savoir, même si cela surprend au premier abord, que les pauvres ont besoin d’épargner. Les pauvres épargnent en vue d’un événement familial (naissance, mariage, décès) ou d’une opportunité d’investissement (création ou développement d’une activité génératrice de revenus, amélioration du logement, …). De fait, lorsque l’on n’a pas beaucoup d’argent, il est important de bien le gérer, d’où le besoin d’épargner. Or, pour les pauvres, trouver un endroit sûr pour conserver leur argent n’est pas facile. Le besoin de mettre en sécurité leur épargne conduit même certains à payer quelqu’un pour la collecter et la conserver en lieu sûr. Cependant, même en payant ce service, le pauvre court le risque de se voir voler son épargne par un collecteur peu scrupuleux. Quant aux prêts sur gages, ils sont souvent pratiqués à des taux tellement élevés que l’emprunteur risque de ne pas être en mesure de rembourser les sommes dues et de devoir abandonner le bien donné en gage. C’est pourquoi, des formes d’entraide très anciennes se sont créées un peu partout dans le monde dont la plus répandue est l’association rotative d’épargne et de crédit, plus communément appelées tontine. Le principe de la tontine est de réunir un groupe de personnes, qui se connaissent ou qui ont des affinités professionnelles ou ethniques, où chacun fait une contribution régulière à un fonds commun qui est ensuite versé (sous forme de prêt) à l’un des membres du groupe (chaque membre ayant par la suite l’occasion d’en bénéficier à son tour). Ce système basé sur la confiance fonctionnant bien, des ONG ont cherché à le développer, en apportant leur aide aux tontines existantes, et à le dupliquer dans des zones géographiques où il était peu ou pas implanté. Mais le succès de la Grameen Bank a montré qu’on pouvait agir à plus grande échelle, en créant une véritable « banque des pauvres » qui, tout en rémunérant ses employés et en payant ses frais généraux, arrive par un bon professionnalisme et une gestion rigoureuse à atteindre l’autonomie financière.

Conscient de son succès et de l’aide que l’expérience de la Grameen pouvait apporter dans la lutte contre la pauvreté dans le monde, le Professeur Yunus a très vite créée, au sein de sa banque, une structure pour aider à construire des entités basées sur le modèle de la Grameen Banq. Ainsi, ce modèle Gramen a pu être exporté dans de nombreux pays, plus d’une cinquantaine, en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud, et également dans les pays développés dont les Etats-Unis et la France. Mais beaucoup d’autres initiatives sont apparues au cours des deux dernières décennies, un peu partout dans le monde. Les moteurs en ont été des associations locales, des ONG des pays du Nord, les Pouvoirs Publics dans certains pays et même parfois des banques commerciales (comme, par exemple, le réseau Finadev créé par la Financial Banq dans plusieurs pays africains). L’ONU, la Banque Mondiale, l’Union Européenne et les Agences de Développement qui, jusque dans les années 80, ne finançaient que les Etats ou de gros projets économiques, sont maintenant convaincus de l’efficacité de la microfinance et en sont devenus d’importants bailleurs de fonds. Ce qui a permis au secteur de connaître une croissance extraordinaire : on dénombre aujourd’hui dans le monde de 6 000 à 8 000 Institutions de Microfinance qui servent près de 80 millions de clients !

Une constante que l’on retrouve en microfinance dans tous les pays est la priorité donnée aux femmes. Pourquoi ? Parce qu’elles sont plus sérieuses que les hommes et remboursent mieux. En outre, tous les membres de la famille profitent de leurs revenus (y compris le mari). Dans le cas idéal, après quelques années de réussite, sa famille vivra dans un logement plus confortable, les enfants seront scolarisés et la santé de la famille s’améliorera. En postulant à un microcrédit qui va lui permettre de générer un revenu, la femme montre qu’elle est capable d’apporter sa contribution économique à la famille, ce qui lui donne accès à un nouveau statut social qui lui donnera plus d’influence sur les décisions du ménage. Lorsque j’ai rencontré le Professeur Yunus, je lui ai demandé : « Que dites-vous à un homme qui vient vous demander un microcrédit ? ». Il m’a simplement répondu : « Je lui suggère de venir avec sa femme ! ».

Aujourd’hui, la microfinance est implantée dans plus de 90 pays. Mais le Bangladesh mérite une mention spéciale. Ayant vu naître la microfinance sous sa forme actuelle, ce pays est aujourd’hui le plus avancé dans le monde dans ce domaine : environ un millier d’IMF sont présentes et servent au total 14 millions d’emprunteurs (soit 10 % de la population). Au cours d’un voyage récent dans ce pays, j’ai pu visiter plusieurs de ces IMF et accompagner les équipes de l’une d’entre elles sur le terrain en milieu rural. Leurs façons d’opérer sont plus ou moins les mêmes. L’IMF dispose d’un réseau d’agences qui couvrent une zone géographique où les credit officers peuvent visiter leurs clients à bicyclette. Les agences sont en fait de simples cabanes en bois qui servent à la fois de lieu de réunion pour le personnel (3 ou 4 credit officers encadrés par un manager) et de logement (pour le personnel célibataire). Selon les IMF, chaque credit officer est responsable de 20 à 40 groupes (composés de 5 à 25 personnes). J’ai participé à plusieurs réunions de ces groupes dans les villages et j’ai été frappé par la discipline et le sérieux qui y règnent, chaque membre (presque toujours des femmes) tenant à la main son carnet de crédit avec, à l’intérieur, les billets correspondants à l’échéance hebdomadaire de son prêt (en moyenne l’équivalent de deux dollars). Ces réunions donnent au groupe l’occasion d’échanges fructueux et contribuent à créer des liens d’amitié qui se prolongent au-delà des réunions hebdomadaires obligatoires.

Une des IMF que j’ai visitées au Bangladesh se pose en challenger de la Grameen Bank. Son fondateur, étudiant révolutionnaire dans les années 70, décida à cette époque de créer une association pour la défense des droits de l’homme et, plus particulièrement, ceux des pauvres : Association for Social Advancement (ASA). Douze ans plus tard, il fit le constat que le principal problème des pauvres n’était pas celui de leurs droits mais celui de leurs revenus. Il décida alors de reconvertir son association en IMF. Lui ayant posé la question de savoir s’il s’était inspiré du modèle de la Grameen, il m’a répondu avec orgueil : « Surtout pas ! Je voulais construire quelque chose de beaucoup plus efficace ! ». De fait, s’étant lancée dans la microfinance une quinzaine d’années après Grameen, ASA a connu un succès considérable, comptant aujourd’hui 2,5 millions de clients. Son secret : une gestion et des procédures extrêmement rigoureuses qui génèrent d’importantes économies (ainsi, les coûts d’exploitation de ASA ne représentent que 7 % de ses encours de crédits, contre 14 % pour Grameen) grâce auxquelles ASA a pu financer son exceptionnelle croissance. Et son fondateur annonce fièrement son double objectif : dépasser Grameen en 2005 et atteindre 4 millions de clients en 2006 !

Les acteurs français de la microfinance

Les Français sont très actifs dans le domaine de la microfinance et on ne peut tous les citer.

En premier lieu, il convient de mentionner l’Association pour le Droit à l’Initiative Economique (ADIE), IMF exerçant son activité essentiellement en France, créée en 1989 par Maria Nowak en s’inspirant du modèle de la Grameen Bank : 5 300 microcrédits octroyés en 2003, financés sur fonds propres et avec l’aide d’une dizaine de banquiers partenaires.

Le secteur public, par l’intermédiaire de l’Agence Française de Développement (AFD) et la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), investit chaque année d’importantes sommes d’argent pour soutenir IMF et ONG actives dans la microfinance.

Dans le secteur bancaire et financier privé, il faut citer le Centre International du Crédit Mutuel, actif depuis déjà longtemps dans de nombreux pays, Horus Banque et Finance qui exerce, depuis une dizaine d’années, une activité de conseil et d’assistance technique dans tous les domaines de la microfinance et, plus récemment, une activité d’investisseur en fonds propres, Dexia qui a créé en 1998 la sicav Dexia Micro-Credit Fund destinée au refinancement d’IMF, la Société Générale et Investisseur & Partenaire pour le Développement (société d’investissement et de financement créée en 2002 par des personnes physiques).

Le secteur associatif comprend, notamment, le Groupe de Recherche et d’Echanges Technologiques (GRET), fondé en 1976, aux multiples activités dont la microfinance constitue un pôle important, la Solidarité Internationale pour le Développement et l’Investissement (SIDI), créée en 1983 par le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement, qui a apporté son aide (prise de participation, prêt et/ou appui opérationnel) à des IMF situées dans une trentaine de pays, Epargne Sans Frontière (ESF), association fondée en 1987 spécialisée dans l’étude du financement du développement et plus particulièrement la microfinance, qui publie la revue Techniques financières et développement, et Planet Finance, créée en 1998 par Jacques Attali, qui offre une plate-forme de services diversifiés en microfinance à un réseau de près de 400 IMF dans le monde.

La microfinance est-elle efficace ?

Il n’est pas surprenant qu’une activité qui se développe aussi rapidement et avec autant de succès suscite des jalousies et des critiques.

Mais il est normal de se poser la question : est-ce que la microfinance peut lutter efficacement contre la pauvreté ? Il s’agit d’un problème complexe. Les causes de la pauvreté sont multiples et difficiles à établir. Augmenter les revenus des pauvres est nécessaire mais les problèmes de santé et d’éducation sont également importants. C’est tout le problème du développement. Pour y voir plus clair, des études d’impact ont été financées par les bailleurs de fonds et concluent généralement en faveur de la microfinance. Il faut cependant souligner que les difficultés méthodologiques de ces études et leur coût élevé en limitent la portée.

Une des principales critiques sur la microfinance concerne les taux d’intérêt élevés qu’elle pratique. Le problème auquel doit faire face une IMF qui n’est pas subventionnée est de couvrir ses frais généraux avec des opérations dont le montant unitaire est très faible (une centaine de dollars) et dont le suivi est très lourd. Il n’y a pas d’autre moyen que des taux élevés pour assurer la pérennité de l’institution. Il faut cependant souligner que, si les taux demandés sont élevés, les revenus que tirent les bénéficiaires de leur microcrédit sont généralement très élevés et le paiement des intérêts est rarement un problème.

Dans le même esprit, on accuse les IMF de conduire les pauvres au surendettement. Cela peut arriver. Il faut que la sélection des emprunteurs s’effectue très sérieusement pour réduire ce risque. Mais il faut aussi pratiquer un accompagnement rapproché tout au long de la période de crédit. On constate que les bonnes IMF ont un taux de remboursement compris entre 95 % et 99 %. Ce n’est pas par hasard, c’est une question de méthode et de professionnalisme.

Autre critique que l’on entend : la microfinance n’atteint pas les plus pauvres, dans la mesure où ceux-ci sont inactifs. Ce n’est qu’en partie vrai : des études ont montré que les IMF se donnaient souvent pour objectif d’atteindre les plus pauvres. Mais il s’agit d’un mauvais débat. Même si la microfinance était réservée aux pauvres se situant juste au dessous du seuil de pauvreté, cela constituerait déjà un grand succès. Et qui aurait le droit d’interdire à la microfinance d’intervenir dans ce segment de population si son action y est efficace ?

On reproche aussi à la microfinance d’être un accélérateur de différenciation sociale, créant un nouveau fossé entre ceux qui en bénéficient et les autres. C’est vrai mais cela devrait inciter les autres à s’y engager !

Enfin, certains critiquent le fonctionnement des IMF, leur reprochant d’être mal gérées et d’être elles-même parfois en situation de précarité. Malheureusement, cela arrive ! Si des IMF connaissent le succès, il ne faut cependant pas cacher que d’autres sont confrontées à de sérieuses difficultés financières, notamment en Afrique de l’Ouest. Certaines faillites retentissantes ont eu un impact très négatif sur l’image de la microfinance. Les problèmes rencontrés par les IMF peuvent résulter de causes externes (économiques, climatiques ou politiques) qui conduisent à une baisse des revenus des emprunteurs. Mais ce sont surtout les causes internes aux IMF qui sont à l’origine des problèmes : mauvaise gestion, manque de compétence du personnel, absence de culture d’entreprise, système d’information rustique, absence de procédures et de contrôle interne, croissance mal maîtrisée, mauvaise sélection des crédits, suivi laxiste, fonds propres insuffisants …

On vient de le voir, les critiques existent. Mais elles ne remettent pas vraiment en cause le bien-fondé de la microfinance. Et, surtout, elles n’offrent aucune solution alternative.

La charité est indispensable pour faire face aux situations d’urgence. Mais, pour lutter efficacement et durablement contre la pauvreté, la charité n’est pas la solution. Elle a un effet pervers en n’encourageant pas les initiatives des pauvres et en créant un assistanat qui contribue à perpétuer la pauvreté. La vraie solution consiste plutôt à donner aux pauvres des moyens pour qu’ils puissent se prendre en charge et construire un projet qui leur permettra, outre d’en tirer des revenus, de reconstruire leur identité et de retrouver une dignité.

Des études d’impact ont clairement montré que les actions des IMF permettaient à leurs clients d’améliorer substantiellement leurs revenus, leur alimentation, leur santé, l’éducation de leurs enfants, le confort de leur logement et, plus généralement, la qualité de leur vie. On peut également observer que la microfinance n’a pas seulement un impact sur les individus mais sur l’ensemble de l’économie d’une région. Ainsi, on considère que la microfinance a été l’un des facteurs qui ont contribué au développement du Bangladesh ces dernières années.

La microfinance n’est certes pas la panacée universelle dans la lutte contre la pauvreté mais elle constitue un instrument très efficace qui s’inscrit bien dans une stratégie de lutte durable contre la pauvreté. Et la preuve en est que l’accès au microcrédit a complètement changé la vie de dizaine de millions de pauvres.

Ce n’est pas sans raison que l’ONU a décidé de faire de 2005 l’Année Internationale du Microcrédit !

Autrice

François Plantureux (1969).

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