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13 novembre 2003

Témoignages d'expatriés

Publié par Pierre DEUSY-FOURNIER (88) | N° 16 - Les marchés financiers émergents

Nombreux sont les anciens qui rêvent de travailler et de vivre, au moins quelques années, à l'étranger. D'autres les ont précédés et peuvent leur donner des conseils. L'ASTEC a entrepris, avec un succès notable, de constituer un fichier des expatriés par mél. Voici les témoignages que quelques anciens nous ont offerts.


Pierre est fonctionnaire à la Commission Européenne ; il travaille au sein de la Direction Générale en charge du développement, dans l’unité chargée des questions macro﷓économiques et de l'ajustement structurel.

La Commission européenne
Au sein de la commission, j'ai la responsabilité de la participation communautaire à l'initiative internationale de réduction de la dette des pays pauvres très endettés. J'ai préparé la décision qui a permis de mettre plus d'un milliard d'euros sur la table pour ces pays, et je travaille maintenant à sa mise en oeuvre. Je m'occupe aussi du processus d'ajustement structurel d'un certain nombre de pays comme l'Angola, le Guyana, Trinidad et Tobago, Sâo Tome et Principe, les Comores et Madagascar.
On devient fonctionnaire européen par concours... Pour celui que j'ai réussi, il y avait plus de 55.000 candidats pour quelques centaines de places. Avec de tels taux de réussite, on se lance un peu sans y croire, et d'abord par idéal. Pour ma part, je venais de finir une thèse sur la concurrence entre devises et le futur international de l'euro, et je voulais vraiment travailler de l'intérieur sur cette question. J'avais toujours été sensible aux questions de développement. J'ai donc saisi cette opportunité et je suis venu travailler à la DG Développement.
Nous travaillions en contact permanent avec les administrations nationales, mais aussi, surtout dans ma Direction Générale, avec les organisations internationales et les ONG. C'est un milieu très ouvert.
Officiellement, il y a trois langues de travail (l'allemand, le français et l'anglais). Dans les faits, l'allemand n'a pas réussi à s'imposer et chaque service a sa propre culture linguistique (à la Direction chargée de l'Amérique Latine, la langue de travail est de fait l'espagnol ... ). L’anglais a aujourd'hui plutôt tendance à prendre le dessus, surtout depuis l'élargissement aux pays nordiques.
Le fait de travailler dans un contexte multiculturel impose des ajustements. Les modes de leadership et les relations entre collègues sont par exemple différents d'un pays à l'autre. Même s'il y a une vraie dynamique d'européanisation des comportements et même si la culture de la Commission permet à chacun d'avoir effectivement la possibilité de s'exprimer, ce n'est pas toujours évident, surtout au début. Par ailleurs, la volonté d'une transparence maximale et le respect de la prééminence des Etats Membres conduisent à des processus décisionnels sophistiqués et complexes. Cela n'a pas que des avantages, les délais de concertations imposant une lenteur parfois frustrante des décisions.
L’intérêt de vivre dans tel environnement international est toutefois évident pour qui cherche à remettre en question ses modes de faire et à s’ouvrir sur la différence. L’essentiel est peut-être d'abord de découvrir, en décalque, ce qu'on considère comme implicite et naturel, les valeurs qui fondent votre propre comportement.
Si je devais caractériser la spécificité des Français, ce serait sans doute un sens particulièrement aigu de la hiérarchie. Les modes de managements étrangers sont généralement moins directifs et certains messages « trop diplomatiques » peuvent n'être pas immédiatement perçus. Surtout, les Français sont les seuls à connaître un système de formation aussi élitiste et finalement assez conforme : les profils de Formation me semblent beaucoup plus diversifiés et ouverts dans l'administration européenne que dans l'administration française, y compris parmi les fonctionnaires d'origine française.

Bruxelles
C'est une ville plutôt cosmopolite et mélangée. Il n'y a pas vraiment de quartiers nationaux, comme c'est le cas aux USA. En fait c'est un mélange plutôt original : la ville est très belge par son côté bourgeois, pratique, tranquille, et confortable, mais on trouve des produits de tous les pays et les gens parlent plus qu'ailleurs une grande variété de langues dans les rues. Avant même le Marché Commun, la ville était déjà un carrefour de cultures différentes, à travers son bilinguisme original.
La culture européenne n'est nulle part ailleurs aussi présente. D'abord, parce qu'il y a la présence des fonctionnaires européens, qui dans leur immense majorité, sont acquis à l'idéal communautaire ; ensuite parce que beaucoup de multinationales y ont leur siège « européen » ; enfin parce que certains belges, désorientés par les oppositions entre Wallons et Flamands (opposition dont Bruxelles et à la fois le symbole et le cœur), ont trouvé dans l'identité européenne un niveau adéquat de reconnaissance identitaire.
Bruxelles est une ville incroyablement facile à vivre. Les logements y sont beaux, confortables, et surtout très bon marché. La première chose qui change, c'est la place. Il y a aussi une richesse et une diversité architecturale qui frappent, même si les promoteurs ont allègrement massacré certains quartiers. Il y a des maisons avec jardin jusqu'au cœur de la ville et les embouteillages sont ridicules comparés à Paris. J'ai passé mes six premiers mois ici à pleurer Montparnasse que je venais de quitter, mais j'y suis très bien aujourd'hui. En plaisantant, je dis souvent que c'est la seule ville de province vraiment dépaysante et proche de Paris 1 h 20 avec le TGV!).

La chose qui continue à me manquer, c'est l'absence d'une vraie culture monumentale propre à architecturer la ville, et la pauvreté de l'offre de certains spectacles (théâtre et cinémas d'art et d'essai ... ). Parisianisme incorrigible ?
A ceux tentés par cette voie, je dirais de ne jamais croire que les Belges sont des Français avec un faux nez. Tout ici est différent, hormis la langue (et encore ... ).
On nous reproche aussi beaucoup notre arrogance et il faut faire très attention sur ce point.

Gilles MANGIN (97)

Gilles est installé à Singapour où il exerce une activité de manager pour TAG Heuer

Travailler en Asie ?
Avec une économie parmi les plus dynamiques de la planète (+ 1 % en 98 en pleine crise, + 7 % en 1999 et + 7,,4 % au premier trimestre 2000), un taux de chômage autour de 2 % et une population limitée (3 millions d'habitants) Singapour a dû mettre en place une politique volontariste pour attirer les travailleurs qualifiés du monde entier (« foreign talents »). Il est, à présent, très facile d'obtenir un permis de travail pour une durée de un à trois ans. Si on ajoute à ça que l'anglais est une des langues officielles (avec le mandarin, le malais et le tamil), que les méthodes de travail sont très européanisées et que l'environnement général est plus qu'agréable (climat, espaces verts, mode de vie ... ), cela fait vraiment de Singapour un lieu de résidence extraordinaire. 3 000 Français sont établis à Singapour mais ils ne représentent qu'une trop faible part de la communauté étrangère expatriée: 9 000 allemands, 30 000 japonais...
Les secteurs les plus dynamiques sont l'informatique, les grands services et infrastructures (téléphone, eau, construction), les services financiers (banque, départements financiers des grandes entreprises), distribution (luxe, agro﷓alimentaire, médicaments)...
Les autres pays d'Asie où les conditions de travail et de vie sont attirantes sont, à mon sens et dans l'ordre décroissants : la Malaisie, Hong Kong, la Thaïlande, les Philippines, l'Indonésie et les pays d'Indochine. Pour la Chine, Taiwan, la Corée et le Japon, la culture et la langue deviennent des obstacles qu'il faut être prêt à surmonter.

Pour plus de renseignements
PEE ﷓ French Economic and Commercial Section 331 North Bridge Road # 18﷓03/06,
Odeon Towers, Singapore 188720
Tel : +65 339 97 10.
Fax: +65 339 31 37

French Business Centre
89 Neil Road, Singapore 088849
Tel : + 65 221 93 81.
Fax : + 65 222 85 91
Gilles.mangin@tagheuer.com
NDLR : Gilles a aussi écrit un article sur la crise asiatique, vue de l'intérieur, dans le DOSSIER.

Frédéric SCAVÉNIUS (90)

Frédéric est installé en Floride, à Dunedin, où il exerce une activité de consultant manager en informatique

Dimanche 2 Avril 2000 Dunedin, Floride, USA
Ma famille et moi sommes installés aux USA depuis 1995. A l'époque j'ai été recruté par une société de consulting spécialisée dans l'installation du progiciel SAP. Avant notre départ nous avons effectué un certain nombre de démarches administratives en France et aux USA.
En France deux choses principales, obtenir un quitus fiscal de la part de l'administration des impôts et s'inscrire a la CFE (Caisse des Français à PEtranger). La CFE peut couvrir a la fois les cotisations de retraite et d'assurance maladie. Une fois installés nous nous sommes inscrits au consulat de France dont notre résidence dépendait. Cela permet entre autres de continuer à voter aux élection nationales.

Aux USA l'obtention des visas nécessaires a été effectuée par le cabinet d'avocat de ma nouvelle entreprise. J'ai obtenu un visa H B qui me donne le droit de travailler pour mon employeur uniquement et pour une durée maximum de 6 ans. Ma femme et mon fils ont eux un visa H4 qui ne les autorise pas à travailler. L'ensemble de ces démarches a pris environ 2 mois. Le statut juridique sous lequel on travaille est une des choses importantes à négocier avant le départ. Notamment l'obtention de la carte verte, processus long et coûteux qu'il est bon de démarrer tout de suite. La couverture maladie est aussi un sujet très important à prendre en compte avec le nouvel employeur. Le système américain est très différent du français, négociez bien la couverture de votre famille !

En ce qui concerne l'installation elle même, appartement, voiture, etc. il est bon de se procurer un maximum d'attestations (de préférence traduites en anglais) de votre ex﷓employeur, de votre ex﷓assurance voiture (grosse différence dans la prime d'assurance). À votre arrivée l'accès au crédit vous sera très limité, il faut construire ce que les américains appellent un «credit history», compter aux moins deux ans pour avoir une history décente. Au départ payez cash, c'est très efficace pour avoir de bonnes réductions. La première démarche qu'il vous faudra accomplir est l'obtention d'un « social security number ». Sans ce numéro rien n'est possible. Les démarches pour l'obtenir sont rapides et faciles. Vous devrez aussi repasser votre permis de conduire, le permis international ne vaut pas aux USA.

En 1995 nous nous sommes installés a Newport Beach située en Californie au sud de Los Angeles. Nous sommes restés là huit mois ce qui nous a permis de découvrir notre nouvel environnement. Deux choses frappent immédiatement le nouvel arrivant : on ne peut rien faire sans prendre sa voiture et il y a 150 chaînes sur la télé (5 seulement sont regardables c'est donc la même chose qu'en France !) Après ces premier mois nous avons déménagés à Tucson en Arizona où nous sommes restés plus de deux ans. Nous avons découvert cet État avec enchantement, de la frontière du Mexique jusqu'au Grand Canyon. Nous avons rencontré beaucoup de personnes par le biais de la communauté française, parler français est une des méthodes efficaces pour rencontrer d'autres expatriés ou des Americains parlant français, il y en a ! L'accueil des Américains a été très chaleureux en Arizona. Nous avons eu deux bébés pendant cette période, ils ont la double nationalité automatiquement. Depuis 1998 nous sommes installés en Floride dans la baie de Tampa.

Du point de vue professionnel, les différences avec la France ne sont pas spectaculaires, spécialement dans l'encadrement. De ce point de vue l'adaptation a été très facile. Les méthodes de travail sont très similaires. Ce qui est différent c'est le cadre légal dans lequel on évolue, on ne parle pas de comité d'entreprise ou autres structures existant en France. Une chose est très différente aussi par rapport à la France, les congés payés (autre chose importante à négocier dans le contrat de travail). Typiquement un nouvel employé a 2 semaines de congés par an pendant les 5 premières années. Le maximum après 10 ans est 4 semaines. En Floride j'ai participé au démarrage du progiciel SAP pour la société SUG (Superior Uniform Group) qui produit toute sortes de vêtements, uniformes, tuniques d'hôpital, costumes, etc.. L'adaptation de SAP à l'industrie de la confection a été une expérience très enrichissante.

En résumé, une expérience aux Etats-Unis est quelque chose que je recommande à quiconque cherche à voir un peu ce qui se passe en dehors de l'hexagone. C'est à la fois enrichissant, nouveau, dépaysant mais aussi familier (spécialement depuis que sur le Web on peut écouter France﷓Info en direct). La vision que les Américains se font de la France est un mélange de sympathie et d'indifférence, voire d'agacement. La société américaine est très tournée vers elle même mais les Américains sont des gens très chaleureux. Le pays lui même est superbe, les grandes villes sont fascinantes et les immenses paysages sont extraordinaires.

So let's go folks but don't forget your roots!

Cédric SARAZIN (90)

Céciric a travaillé pendant 3 ans au Japon juste après la sortie de l'Ecole.

Juste après mon diplôme en 90, je suis parti à Tokyo dans le cadre d'un VSNE ; puis je suis resté après comme employé pour un total de 3 ans. Au départ, avec 3 ans de Chinois à L’ENSAE, je cherchais des entreprises envoyant des coopérants en Chine ; j'ai trouvé Bull qui cherchait quelqu'un pour sa joint﷓venture à Tokyo. Le courant est passé, le job était intéressant, je me suis donc retrouvé au Japon un peu par hasard.

Ma première impression du pays a été la chaleur : c'était en août et il faisait vraiment très chaud. La nature n'est pas facile au Japon ; des étés chauds et humides, des automnes parsemés de typhons, un hiver froid ; seul le printemps est sympa, juste avant la saison des pluies !

En arrivant je n'ai pas ressenti de forte difficulté, même si au début la langue était un rempart. Mais je pouvais déjà presque lire grâce à mes études de Chinois (directions de rue , menus ... ). J'ai quand même pris 4 mois de cours intensif de Japonais, toute la journée. C'était nécessaire pour le travail même si à l'époque peu d'étrangers faisait l'effort d'apprendre le japonais, pensant que l'Anglais était suffisant.

J'ai donc commencé le travail 4 mois après mon arrivée ce qui a été un grand avantage ; quand tout est nouveau, on a du mal à faire face. Là j'ai pu reconnaître le terrain, assimiler les aspects culturels quand j'ai commencé à travailler, j'étais plus sûr de moi.

Dans le travail, les Japonais ont à la fois une grande rigueur et une très grande flexibilité dans l'approche des problèmes. Mais ce qui m'a le plus impressionné c'est leur esprit de compétition et la concurrence que les entreprises se livrent. Ils sont impitoyables avec leurs concurrents et tellement civils avec les membres de leur groupe.

Au retour en Europe j'ai dû me réadapter, surtout que j'avais appris à travailler au Japon qui était ma première expérience professionnelle. Depuis, j'ai travaillé quelques années en France, puis à nouveau à l'étranger, beaucoup moins loin cette fois, à Bruxelles pendant 5 ans.

Le principal conseil à un jeune ENSAE candidat au départ ? Partir ! C'est une expérience très enrichissante sur le plan personnel et professionnel, même si on a la fausse impression qu'on ne va pas pouvoir utiliser ou développer ses compétences pointues d'ENSAE à l'étranger.

Autrice

Pierre DEUSY-FOURNIER (88)

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