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15 septembre 2003

Les services du courrier: entre concurrence et mouvement

LE CONTEXTE DE L’ACTIVITE POSTAL

Les spécificités postales
Opérateur de réseau, c'est-à-dire opérateur soumis aux règles « classiques » de l'économie des réseaux en matière de régulation et de principes d'interconnexion, La Poste n'en dispose pas moins de certaines spécificités dues à son infrastructure et à la nature des flux qui y transitent.
Une partie de l'infrastructure est « humaine » dans le sens où c'est le facteur qui constitue le tronçon terminal du réseau. Ce point pose évidemment problème car la barrière à l'entrée qu'il constitue est intangible, donc difficile à appréhender, et relativement facile à surmonter pour un nouvel entrant. Inversement, La Poste reste le dernier grand opérateur de réseau disposant d'une «surface humaine»: bien qu'il soit difficile d'en déduire un avantage concurrentiel, les implications de cette différenciation n'ont sans doute pas été assez examinées.

Le second point est sans doute l'importance du temps. Par rapport à la plupart des réseaux où transitent des flux électroniques, où la quasi - instantanéité est la règle, le rapport temps-distance est un paramètre fondamental de l'organisation du réseau postal.

Les « recettes stratégiques de 1"opérateur»
Historiquement, le réseau postal a fondé sa croissance sur la correspondance (la lettre) en se construisant trois sources fondamentales «d'avantages concurrentiels »:

- la capacité à traiter de grandes masses d'objets, à jouer à plein la recherche d'économies d'échelle, a permis de disposer d'une organisation capable de collecter, orienter et distribuer plus de 20 milliards d'objets par an, avec une qualité convenable,

- une organisation très capillaire, notamment pour la distribution, permettant en quelque sorte de disposer d'un média capable de toucher une audience de 24 millions de foyers, de manière différenciée pour chaque auditeur,

- le monopole, qui a permis de disposer jusqu'à ces derniers temps d'un épais portefeuille de clients captifs, ceux-ci ne mettant l'organisation postale que faiblement sous tension, du fait de l'absence d'une offre alternative importante.

Ces avantages concurrentiels sont, comme nous les verrons, susceptibles d'être remis en cause, ou au minimum, de ne plus se révéler efficaces dans l'avenir. Ils ont cependant permis à La Poste pour sa branche opérateur de réseau 1, d'asseoir une position de leader sur une grande partie de ses marchés. Cette suprématie s'exprime cependant plus en terme de marchés qu'en capacité d'innovation et de structuration de ces marchés.

La relation à l’État et à la collectivité
Si ces sources d'avantages concurrentiels sont un facteur explicatif de la position et de l'organisation actuelle de La Poste, deux autres aspects sont tout aussi essentiels pour comprendre le comportement actuel de l'opérateur: la relation aux instances réglementaires et l'aspect technologique. La longue histoire de La Poste se confond avec la construction de la nation et explique sans doute les particularités des relations entre la tutelle et l'opérateur. Il n'est pas déraisonnable d'ailleurs de penser que La Poste occupe une place particulière dans l'inconscient collectif et détient une légitimité forte en qualité de service public.
De tout temps, La Poste a facilité les échanges de biens, d'informations et de flux financiers en utilisant les technologies au fur et à mesure de leur apparition (par exemple, l'aéropostale). Elle l'a fait en fournissant des accès de proximité (proches en terme de géographie et de simplicité d'accès) et des services complémentaires comme la gestion de l'épargne. Enfin, la sphère non marchande a occupé une place de plus en plus forte dans l'activité: d'une certaine manière, La Poste fournit un service de symboles et de points de repère à la collectivité, renforçant les liens avec le nation, mais aussi les contraintes dont les accès de fièvre à chaque fermeture de bureau sont une illustration.

La nature de ces missions rend probablement plus complexe les relations avec l'État que pour les autres opérateurs de réseau. L'État est à la fois un client (la collecte de ressources financières), une tutelle réglementaire et un actionnaire soucieux de faire porter par La Poste une partie non négligeable de la mission d'aménagement du territoire et de droit à l'information, par le biais de subventions octroyées à l'opérateur La Poste.

La relation à la technologie
Au fil de son histoire, l'opérateur a toujours su utiliser les technologies et les mettre à la portée de tous (PME, grand public ... ) à l'intérieur de son périmètre d'activité fondé sur le besoin d'échanges sous toutes ses formes. Cependant, les années 70 marquent un tournant. La formidable explosion des NTIC (Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication) dans cette période a essentiellement profité à l'opérateur de télécommunication: la séparation entre les deux branches de l'ancienne administration de PTT est sans doute une des raisons qui a conduit l'opérateur postal à se désintéresser de ce champ et à se replier vers une raison d'être plus réduite: l'acheminement et la distribution des lettres et de petits colis. Cette évolution a d'ailleurs été suivie par la plupart des opérateurs postaux étrangers.

Il est maintenant remarquable que l'expression «courrier électronique», où le mot courrier est en première place, évoque immanquablement le métier des opérateurs de télécommunications et en aucun cas, des liens avec une quelconque légitimité postale.

Cette attitude a conduit l'opérateur postal, jusqu'à ces dernières années, à avoir unevision de la technologie exclusivement focalisée sur la productivité et la réduction des coûts dans ses opérations de traitement des flux, mais pas comme un moyen d'offrir des services nouveaux ou plus de valeur ajoutée à ses clients.

OPERATEIJR POSTAL AU PRESENT… ET AU FUTUR

Le rapport au client
Comme beaucoup d'entreprises, la focalisation sur le client est devenue une priorité, la réforme de l'opérateur de 1991 ayant en partie permis de clarifier les rôles de chaque partie. L'opérateur est bien conscient qu'à terme, la détention d'un portefeuille de clients captifs est une condition de survie, mais qu'il devra trouver autre chose que le monopole pour les garder. L'intensité de la concurrence dans le secteur postal est sans doute l'une des plus fortes si l'on compare aux autres réseaux, du fait de l'inexistence de barrières à l'entrée fondées sur une infrastructure physique.

Mais se focaliser sur le client est, il faut bien le reconnaître, plus facile à dire qu'à faire. La mise en place d'une force de vente importante depuis quelques années, la segmentation en cours de notre clientèle , et le développement d'une filiale centrée sur le conseil sont les étapes vers la meilleure connaissance des besoins et donc vers une plus grande satisfaction des clients.

Le chemin qui reste à parcourir est cependant encore très long, notamment en terme de comportements et de culture interne. Le choc des logiques civique2 ,industrielle et marchande a une ampleur forte, parfois visible à l'extérieur lors des conflits.

La concurrence
Une des règles essentielles de l'économie postale est la péréquation tarifaire, permettant à tous d'accéder à un service équivalent, quelque soit le lieu d'origine ou de destination. Cette règle amène évidemment des insatisfactions de la part des « cotisants » à la péréquation tarifaire, c'est-à-dire les entreprises fortement émettrices, à l'image d'autres réseaux.

Un des faits nouveaux de ces dernières années est l'apparition d'une concurrence sur tous les maillons du process, permettant ainsi aux «cotisants» de donner une concrétisation à leur insatisfaction. Cette implantation se fait à la frontière du monopole, voire dans certains cas à l'intérieur du fait d'une interprétation abusive des règles. La difficulté à élaborer au niveau européen des principes communs, dans le cadre du livre vert en est une illustration.

Les tensions entre une logique tarifaire de péréquation et les orientations des marchés sont et seront de plus en plus fortes: elles poseront à terme la question de l'existence du monopole et des contreparties qui lui sont liées.

Du fait des spécificités du réseau postal que sont le rapport à la distance et les faibles barrières à l'entrée, la notion de « réseau ouvert » prend tout son sens et pose une question fondamentale pour l'avenir de l'opérateur. Toute la logique actuelle étant fondée sur la recherche d'économies d'échelle afin de maintenir le coût du service à un niveau accessible à tous, il ne saurait être question pour l'opérateur de perdre des flux essentiels pour son équilibre financier.

Mais les flux internationaux, ainsi que la demande des grands clients, devraient rapidement amener des tensions fortes entre les deux logiques affirmées par l'opérateur: l'équilibre financier par la réduction des coûts sur son champs d'activité traditionnel, d'une part, et la satisfaction du client d'autre part. La réponse donnée à cette question, avec évidemment en toile de fond les missions relevant du service public, est vitale pour l'opérateur.

La relation à lÉtat

Les relations avec l'État sont normalement régies par le contrat de plan, qui a été signé au cours du second semestre 199,4. Au-delà de la difficile question de la rémunération par l'État des prestations fournies par les services financiers de La Poste, des points importants ont été définis:
• une meilleure prise en compte de la satisfaction de la clientèle dans les paramètres de contrôle de la réalisation du plan,

• uneouverturevers une différenciation tarifaire sur le secteur non-réservé, selon les catégories de clientèle qui offre une relative marge de manoeuvre à l'opérateur,

• des précisions en terme de développement de services liés à la technologie. La mission fixée par la Loi de 1990 fait référence à la notion de « courrier sous toutes ses formes » et le Contrat de Plan de 1994 apporte quelques précisions complémentaires sur les marges de manœuvre dans le développement de services liés à la technologie.

Ce contrat de plan ne résout pas tous les problèmes, notamment la forte contrainte liée à l'aménagement du territoire. Ce point est d'ailleurs au centre de l'argumentation fournie par les instances européennes pour débouter les agents d'assurance français et leur plainte contre La Poste.

Au moment où suppression du monopole et mécanisme de privatisation sont enclenchés au niveau des postes européennes, les différences entre pays vont peser très lourd dans la bataille.

Stratégie, organisation et management
Pour une entreprise de réseau comme La Poste, l'adaptation permanente de son organisation est une question de survie. La démarche entreprise depuis quelques années, avec la refonte de ses échelons territoriaux, et une déconcentration plus forte des responsabilités répond à ce souci.

Ce changement est cependant loin du terme. Il est en fait issu d'une lente évolution, d'une vision de l'organisation centrée sur le « tuyau » à une vision centrée sur les marchés. Afin de se mettre dans une perspective de satisfaction du client, il ne s'agit plus de faire entrer les besoins exprimés dans un process de production indifférencié ma s d'adapter une démarche inverse. Par exemple, pour le marché de la messagerie, le choix retenu est la construction d'une partie de ce process dédié à ce marché. La séparation local/national, la logique de service au récepteur, pousse à la séparation du maillon terminal, de l'interface qu'est la distribution du courrier par le facteur. Mais la logique d'intégration des coûts pousse inversement à l'intégration maximale du process: la réflexion sur l'interface n'est donc pas achevée.

Enfin, il faut reconnaître que l'opérateur de réseau postal est loin d'être devenu une entreprise en réseau, de même qu'une entreprise particulièrement réactive! Un des choix d'adaptation retenu est actuellement le développement de filiales centrées sur des maillons du process ou sur des savoir-faire spécifiques.

La dématérialisation des échanges
Comme dans toutes les autres postes du monde, La Poste suit attentivement les évolutions susceptibles de toucher le cœur même de son activité. Les échanges électroniques sont une réalité, mais les réponses possibles à cet enjeu sont multiples.

Toutefois deux stratégies de positionnement sont possibles: développer un réseau électronique ou développer des interfaces électroniques. Le choix de La Poste s'oriente plutôt vers la seconde. Il ne saurait être question de développer des activités connexes sans une innovation fondamentale. Contrairement à beaucoup d'autres opérateurs, La Poste ne souhaite pas devenir un opérateur de réseaux de télécommunications car elle ne pourrait rien apporter de fondamentalement nouveau dans ce domaine.

En revanche, La Poste entend investir l'ensemble de son périmètre d'activité données en terme de services. Sa raison d'être, conférée par l'histoire, est de faciliter les échanges de biens, d'informations, de données pour ses clients pour leurs besoins de communication, de transaction, de logistique et de paiement

L' Opérateur postal a donc pour ambition de développer progressivement des interfaces électroniques, et/ou complémentaire de son interface « traditionnelle » afin de capter des flux dans son process de collecte, d'acheminement et de distribution de courrier sous toutes ses formes. Elle le fera à partir des compétences qu'elle estime détenir mieux que les autres, c'est-à-dire :
- une connaissance du client final, du récepteur du process, en terme de géographie, d’accès et de comportement de ce dernier,
- une capacité inégalée à marier dans la transaction le flux physique, l'électronique, le paiement et... l'humain,
- une compétence et une légitimité permettant, à partir des valeurs de confiance, de sécurité portées par La Poste de développer, son action autour de la sécurité des transactions.

Hervé Petit, ancien élève de l'ENSPT'T, travaille au sein du service stratégie à la direction du courrier de La Poste

Institut de Recherche sur les Sociétés Contemporaines (IRESCO)
59-61, rue Pouchet, Paris l7~-e - Tél: 40 25 10 25. Fax: 42 28 95

UIRESCO fédère une dizaine d’équipes de recherche du CNES (Cerses, Csu, Gedisst, Grass, Gsrl, Iepe, Lasmas, Lsci, Laios, Mage et Mdv). Si la sociologie est dominante, sont aussi représentées l'économie, l'histoire, la géographie, l'anthropologie, la psychologie sociale. Les domaines étudiés à l’Iresco concernent aussi bien des questions d'actualité comme I~emploi et le chômage, la ville, les politiques sociales, que des interrogations concernant les rapports hommes-femmes, les questions d'éthique ou l'évolution des pratiques religieuses... Ces équipes ont développé des compétences d'analyse statistiques et de terrain (par exemple à partir d'enquêtes en entreprise). Toutes collaborent à des degrés divers à des enseignements universitaires de DEA. Les coopérations internationales sont développées et l'Iresco reçoit des chercheurs étrangers. Les services Communication et valorisation scientifique., Impression Bibliothèque de sociologie, sont ouverts à l'ensemble de la communauté scientifique.

Françoise Laminan et Robert Salais, directeurs de l'IRESCO.

LE COURRIER EN CHIFFRES

Le courrier, c'est en France:

- 58 Mds FF de chiffre d'affaires en 1993,,

- 23 milliards d'objets et 90000 tournées de distribution ;

- un réseau de 17000 points de contact et une centaine de nœuds (centres de tri et de répartition);

- 2184 commerciaux constituant vente spécialisée « courrier ».

1 La Poste est également l'un des plus grands intermédiaires financiers français, au moins pour le grand public.
2 La Poste est, pour beaucoup plus que les opérateurs des autres secteurs, un des fondements de la nation française.

Autrice

Hervé Petit
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