L’ NTERVIEW EXCLUSIVE DE DENIS KLESLER
L’ NTERVIEW EXCLUSIVE DE DENIS KLESLER
PRÉSIDENT DE LA FEDÉRATION FRANÇAISfES DES SOCIETES D’ASSURANCE
M. Kessler, on pensait le débat entre répartition et capitalisation définitivement enterré en matière de retraite complémentaire. Or, une étude de l'Observatoire des Retraites semble avoir remis le feu aux poudres. Quelle est votre position ?
Au moment où l'on apprenait que les régimes de retraites complémentaires connaîtraient en 1995 un déficit de 10 milliards de francs, l'Observatoire des Retraites, organisme dépendant de ces institutions, a en effet cherché à lancer une polémique dépassée sur les avantages respectifs des techniques de la répartition et de la capitalisation face aux évolutions démographiques. La technique de la répartition pure ne permet d' anticiper ni les variations de la fécondité, ni les variations de la mortalité. Elle conduit, par construction, à en reporter la charge sur les générations futures de cotisants. En revanche, la technique de la capitalisation permet de tenir compte dès aujourd'hui de l'évolution de la mortalité; en outre, elle est, par définition, immunisée contre les variations de la fécondité, principale cause de la baisse du rendement des régimes par répartition. Les vingt années de baby boom, suivies de trente années de fécondité très faible, aboutiront en effet, dès 2005, à une forte dégradation du ratio de dépendance: le nombre des actifs baisse, le nombre de retraités augmente. Ce phénomène incontestable, est à la base de toutes les analyses depuis la publication, par le gouvernement, au printemps 1991, du Livre Blanc sur les retraites. Voilà les faits.
La capitalisation a laissé de mauvais souvenirs dans l'esprit des Français...
C'est que la France a connu dei" époques d'hyper-inflation correspondant au financement par l'État des deux guerres mondiales. Ce n'est pas la capitalisation quia ruiné les épargnants mais l'État qui a choisi de monétiser sa dette. Le retour à une telle situation sera-t-il possible demain ? C'est peu probable. La construction européenne et l'émergence d'une monnaie unique, auxquelles nous sommes favorables, constituent des facteurs de stabilité politique et économique. En tout état de cause, et c'est essentiel, la technologie financière s'est considérablement améliorée ces dernières années. Les nouveaux outils mis à la disposition des gestionnaires limitent considérablement les risques pour les crédirentiers de voir leurs revenus grignotés par l’Inflation. Quand seront créés les fonds de pension, les placements, sources de revenus des rentes, seront diversifiés, notamment géographiquement, et la part des actions, beaucoup moins sensibles que les obligations à l'inflation, sera conséquente. Enfin, il faudra que les fonds de pension obéissent à des règles prudentielles très strictes car ils représenteront le contrat financier le plus long qui ait jamais existé.
Les auteurs de projets de fonds de pension mettent en avant tour à tour la perspective du déséquilibre démographique croissant entre actifs et inactifs, les besoins en fonds propres des entreprises françaises et la faiblesse de la capitalisation boursière de la place de Paris. D'éventuels fonds de pension auraient-ils vocation à résoudre simultanément tous ces problèmes?
Les fonds de pension sont en effet une nécessité à la fois sociale et économique. Ils répondent d'abord et avant tout à la légitime inquiétude des Français face à l'avenir de leurs retraites. La répartition à atteint ses limites: tout le monde soi qu'elle ne permettra plus aux salariés d'être couverts comme par le passé. Aussi est-il nécessaire d'inciter les Français à préparer financièrement leur retraite par capitalisation, qui viendra compléter celle servie par les régimes de répartition. En somme, il faut compenser par l'épargne la chute du taux de fécondité que connaît la France, comme tous les pays de l'OCDE.
Aux plans économique et financier, en répondant au problème de la retraite, les fonds de pension permettent de stabilise l'épargne à long terme et de satisfaire les besoins en fonds propres des entreprises. Il faut prendre conscience de la véritable révolution qui se dessine sous nos yeux: après avoir vécu pendant trente ans une économie d'endettement, nous sommes entrés dans une économie de fonds propres, ce que les Américains appellent la « cash in advance economy ». plupart des grands projets sont mondiaux, les cycles s'accentuent, les concurrences s'aiguisent, les nouvelles technologies sont de plus en plus gourmandes d'investissements : tout cela exige des capitaux stratégiques qui reposent sur u épargne longue et stable. Les fonds de pension représentent donc un projet économique essentiel dont on ne peut q regretter l'arrivée tardive en France. Rappelons que la capitalisation boursière représente 55 % du Produit National Brut aux Étais- Unis, 95 % au Royaume- Uni, contre 26 % seulement en France.
La place de Paris est-elle suffisamment développée pour absorber les investissements d'éventuels fonds de pension Elle se développera parallèlement aux fond de pension. Plus d'investissements entraîneront plus d' émissions et une plus grande volatilité.
L'assurance vie individuelle a connu ces dernières années un essor considérable. Ne peut-on pas craindre une saturation de la capacité d'épargne des ménages ? Quelles seraient les clés du succès des fonds de pension face à des produits individuels très attractifs ? Le développement des uns ne se ferait-il pas obligatoirement au détriment des autres ?
L'assurance vie connaît en effet depuis quelques années une croissance forte qui devrait être encore de l'ordre de 20 en 1994, représentant un chiffre d'affaires d'environ 400 milliards de francs. Elle exprime l'inquiétude des Français fa à la précarité des régimes sociaux, au chômage, à l'instabilité de la famille... Son essor actuel dans notre pays perme la France de rattraper son retard. Si les flux sont importants, l'encours de l'assurance vie, 1600 milliards de francs, re te encore faible rapporté au patrimoine financier des Français qui est de 12 300 milliards de francs.
Pour répondre à la deuxième partie de votre question, les produits de l'assurance vie n'entrent en aucune façon en concurrence avec ce que seront les fonds de pension. Ni leur finalité, ni leur fiscalité ne sauraient être comparables. Les fonde pension répondent à un besoin de retraite: ils déboucheront donc sur le versement de rentes et, comme les pension servies par la répartition, ils obéiront à une fiscalité de revenu différé (exonération de charges fiscales et sociales l'entrée, imposition à la sortie au titre de l'impôt sur le revenu). Quant à l'assurance vie, elle permet de transmettre un patrimoine à ses descendants ou de constituer un capital à un âge donné: elle ressort à une fiscalité de l'épargne.
En débouchant sur une rente, les fonds de pension gardent donc une finalité spécifique qui n'a rien à voir avec le fait constituer un patrimoine, que de très nombreux produits d'épargne permettent déjà de faire.
Les fonctionnaires, par le biais de la Préfon, notamment, bénéficient déjà d'un système facultatif leur permettant d constituer un supplément de retraite en franchise d'impôt. Il existe par ailleurs, au sein des entreprises, des régime similaires mais à adhésion obligatoire (dits « articles 83 »). Comment expliquez-vous que ces mécanismes n'aient pas connu le considérable succès qu'on promet par ailleurs aux fonds de pension ?
Je ne crois pas que personne ait jamais promis un succès « considérable » comme vous le dites aux fonds de pension. s'agit seulement d'offrir, à ceux qui le souhaitent, la possibilité de préparer leur retraite dans des conditions fiscales sociales incitatives. Les dispositifs qui existent aujourd'hui et auxquels vous faites allusion ne sont pas négligeable L'idée est de permettre leur généralisation, Rappelons aussi qu'ils sont facultatifs.
Peut-on valablement défendre la sortie en rente s'agissant d'un supplément de retraite servi au titre du «troisième pilier », qui pourrait servir par exemple à financer une acquisition immobilière sans compromettre les revenus sen par ailleurs par la Sécurité sociale et les régimes complémentaires de lAgirc et de lArrco? La nécessité de gérer 1 fonds à long terme en est-elle la seule justification?
Seule la rente apporte une réponse au problème de la retraite. D'ailleurs que servent les régimes en répartition sinon d revenus différés ? La sortie en rente offre des avantages essentiels d'ordre économique, financier, social. En étalant s une longue période les versements, elle évite le risque d'une sortie en capital à âge donné qui peut se situer à un moment où la conjoncture financière est défavorable. Elle élargit le choix des épargnants en ajoutant aux nombreux produits d'épargne à sortie en capital déjà proposés, une formule de nature différente, ciblée sur la retraite. Au plan social, elle répond aux incertitudes concernant la durée de vie en fournissant à son bénéficiaire des ressources complémentaires régulières et elle protège, par la réversion, l'intérêt des conjoints. Elle évite ainsi les problèmes posés par la dépendance.
Quelles précautions adopter en matière de surveillance de la gestion technique et financière des fonds de pension ? Faut-il envisager des mécanismes de «réassurance» en cas de faillite d'un fonds?
Les fonds de pension devront impérativement assurer une totale sécurité aux futurs retraités. Le mieux pour cela es d'appliquer le régime prudentiel très strict de l'assurance vie. C'est d'ailleurs ce qu'a prévu, dans sa grande sagesse, la loi Madelin pour les indépendants.
Et que penser d'une éventuelle adaptation des mécanismes d'épargne salariale pour les besoins du financement de retraites?
Ne détournons pas de son objet l'épargne salariale, qui remplît bien son rôle, pour en faire un instrument de retraite forcément mal adapté.
En quoi les assureurs seraient-ils plus qualifiés que les banquiers pour distribuer d'éventuels fonds de pension à une époque où plus de la moitié du chiffre d'affaires de l'assurance vie transite par les guichets d'établissements bancaires ou assimilés ?
Je vous rappelle que les filiales de banques qui proposent des produits d'assurance vie sont aussi des sociétés d'assurances, d'ailleurs membres de la FFSA! Ce n'est donc pas une question de « boutique » mais de métier. Les assureurs dis posent d'une expertise unique dans la connaissance et la gestion des risques de l'existence. C'est leur fonction que dé porter les risques viagers. Ils savent gérer les contrats d'épargne à long terme, et ce, dans le cadre de règles prudentielle très strictes. Les sociétés et mutuelles d'assurances couvrent l' ensemble de leurs engagements par des actifs placés dan l'économie nationale. Elles disposent de la plus grande expertise dans le choix des placements pour obtenir la meilleur é rentabilité des contrats dans des conditions de sécurité maximale.
Que pensez-vous d'un mécanisme qui permettrait aux entreprises de gérer des fonds « internes par inscription au bilan de leurs engagements?
L'important est que la mobilité inter-entreprise ne soit pas entamée et que la sécurité des futures retraites soit assurée,
Projets, propositions et rapports se succèdent depuis des années mais, à ce jour, on n'observe aucune réalisation concrète pour les salariés des entreprises. Le Ministre de l'Économie a pourtant affirmé à maintes occasions son attachement au sujet et la loi Madelin a ouvert des perspectives intéressantes pour les travailleurs non-salariés. Les fond à de pension des salariés ne sont-ils pas l’Arlésienne des années 1990?
Que de chemin parcouru depuis quelques années, quand l'idée même de fonds de pension était battue en brèche par ceux qui, au mépris de toutes les projections démographiques, niant les principes élémentaires de l'équilibre financier de régimes en répartition, nous traitaient de «faux prophètes »! 1994 a été marquée par des étapes importantes, La loi Madelin, qui encourage l'effort facultatif de prévoyance des travailleurs non-salarîés non-agrîcoles, a été votée. La Commis si on des finances de l'Assemblée nationale a adopté, à l'unanimité, une proposition de loi qui détermine le cadre réglementaire et fiscal de ce que pourrait être un système de retraite en capitalisation.
Grâce au TGV, les Arlésiennes d'aujourd'hui sont proches de Paris, même s'il leur faut la plupart du temps changer de train à Avignon..,
Propos recueillis par Nicolas Denis et Laurent Doubrovine
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