Les retraites : un nouvel «eldorado» pour la consommation
On le sait, le nombre de personnes âgées de plus de 50 ans va connaître une progression très forte dans les décennies à venir.
On n'ignore plus non plus aujourd'hui que le revenu par tête des retraités atteint en moyenne un ordre de grandeur équivalent à celui des actifs (selon les dernières estimations, il serait même supérieur de 5 % à 70%. si l'on calcule en unités de consommation). Pourtant, le poids économique global de cette population est bien trop sous estimé de même que ses influences en termes de consommation et de modes de vie. C'est pourquoi, depuis plusieurs années et avec d'autres, le Credoc cherche à sensibiliser les partenaires économiques au marché croissant que cette population représente et à ses caractéristiques propres.
LE REVENU MOYEN DES RETRAITES VA CONTINUER À CROÎTRE
C'est par l'arrivée d'une génération de retraités disposant de droits complets aux retraites complémentaires que le niveau moyen des retraites a fortement progressé au cours de la dernière décennie. Ces « jeunes » arrivants se sont peu à peu substitués aux plus anciens qui ne disposaient pas de droits aussi avantageux. Sans simplification
abusive, on peut retenir que la « coupure» entre ces deux groupes d'âge se situe aujourd'hui entre 75 et 80 ans. Ainsi un retraité de cet âge disposant d'une pension complète touche environ 1000 F de plus par mois que son congénère ayant également exercé une carrière complète, mais âgé de plus de 85 ans. Cette différence est considérable et crée en quelque sorte une démarcation entre de jeunes retraités plutôt riches et de vieux retraités plutôt pauvres (statistiques du Cerc et du Sesi).
Les mêmes causes fabriquant les mêmes effets, le glissement des générations fera qu'en dix ans le seuil aura reculé, voire disparu. Nous aurons alors des plus de 80 ans jouissant de revenus bien supérieurs à ceux dont disposent aujourd'hui les personnes de cet âge.
L'arrivée progressive de femmes disposant de leurs propres pensions jouera également dans le sens de l'amélioration du niveau de vie des retraités. N'oublions pas que la généralisation du travail féminin et l'arrivée du deuxième salaire dans les couples ont été les facteurs essentiels d'augmentation du pouvoir d'achat des ménages français au cours des dernières décennies. Cette petite révolution est encore devant nous en ce qui concerne les retraités! Comprenons bien que le raisonnement mené ici ne l'est pas en termes de pouvoir d'achat de la pension individuelle (point de vue de l'actuaire), lequel connaîtra certainement une érosion tendancielle dans les années à venir, mais en. termes de niveau de revenu disponible par ménage (point de vue du socioéconomiste). On est plus riche en disposant de deux pensions, fussent elles entamées par application des mesures récentes ou à venir (comme l'application à taux plein sur les retraites des taux de cotisation d'assurance maladie) qu'en vivant à deux sur une unique retraite !
Ces mécanismes, certains pour les dix années à venir, continuerontils à jouer pour les décennies suivantes? En effet, ces dernières seront marquées par les difficultés les plus vives pour financer les régimes de retraite. La réponse à cette question dépend pour une large mesure des arbitrages politiques qui seront effectués à ce moment là et de la vitesse de mise en place des « fonds de pension » qui viendront compléter les retraites, qu'elles soient principales ou complémentaires.
LES RETRAITES SONT SOUS CONSOMMATEURS
Aujourd'hui, les retraités sont « sous consommateurs», c'estàdire que, à revenu identique aux actifs, ils consacrent une moindre proportion de leur argent (environ 5%) aux dépenses de consommation. Si les retraités se mettaient à rattraper ce « retard », cela réinjecterait environ 50 milliards de francs dans la consommation, ce qui est tout à fait considérable (presque huit fois la majoration conjoncturelle de l'allocation de rentrée scolaire décidée à l'automne 1993 et renouvelée en 199,4). Déjà très abstrait en soi, ce calcul direct aboutit à un résultat vraisemblablement excessif car les retraités utilisent une partie de l'argent qu'ils ne consomment pas à aider financièrement leurs enfants et leurs petits enfants, les uns parfois aux prises avec le chômage et les autres, avec le financement de leurs études destinées justement à leur permettre d'éviter... le chômage. Nous avons assisté, au cours des années récentes, à une inversion des transferts intergénérationnels. Aujourd'hui, ce ne sont plus les enfants qui aident les parents mais très majoritairement le contraire, les parents et les grandsparents qui aident les enfants et les petitsenfants (enquête CNAVTS à paraître). Cependant, on peut affirmer que, compte tenu de leur position dans le cycle de vie, les retraités pourraient tout à fait se contenter d'un taux d'épargne inférieur à celui des actifs et ceci d'autant plus que les nouvelles générations de retraités sont bien plus souvent propriétaires de leur logement que cela n'était le cas pour leurs prédécesseurs.
Cette sousconsommation des retraités, si elle se maintenait sur moyenne période, pourrait avoir des conséquences macroéconomiques assez sensibles à mesure que le poids global de leur revenu sera amené à progresser. En effet, depuis que l'on observe un frein du recours au crédit de la part des classes d'âge actives inquiètes face à l'avenir et peu enclines à anticiper des progressions de leur pouvoir d'achat ' nous ne disposons plus de groupes de «surconsommateurs» (les actifs) capables de rééquilibrer la propension moyenne à consommer.
LA CONSOMMATIONDES
Les marchés les plus typiques des retraités sont ceux de l'alimentation (et notamment de la viande, des graisses, du vin, du cidre ... ), des produits d'entretien, des services traditionnels (coiffure, blanchisserie, réparation des vêtements, services médicaux, journaux en abonnements). Les dépenses de vacances et de sorties sont très importantes pour les classes d'âge inférieures à 70 ans, mais elles sont relativement faibles ensuite. Pour expliquer cette structure particulière de consommation, se mêlent des effets classiques de génération et de cycle de vie qu'il n'est d'ailleurs pas toujours aisé de séparer clairement. Ces effets traversent d'ailleurs la population des retraités ellemême. Ainsi fautil distinguer ce que l'on appelle parfois « troisième» et «quatrième» âges, qui n'ont pas les mêmes comportements. En ce qui concerne l'alimentation, par exemple, les plus jeunes sont séduits par les produits surgelés, les eaux minérales et les fromages, tandis que les plus âgés sont très attirés par les articles de boulangerie, les fruits et les légumes frais.
La consommation des retraités des années à venir comporte des aspects prévisible: extension des départs en vacances après 70 ans, par exemple... et d'autres qui le sont moins (comportement des plus de 80 ans qui constitueront un nouveau marché plutôt solvable et dont il est difficile de prévoir les comportements). La diffusion des nouveaux biens se heurte à des obstacles culturels, passé un « certain » âge, qu'il faut correctement identifier pour pouvoir les surmonter. Ceuxci ont trait par exemple à une moindre attirance de principe à l'égard de la nouveauté, à une différence dans la prise en compte du temps: un objet de consommation de cinq ans d'âge est réputé vieux et virtuellement périmé chez un 2530 ans, alors qu'il est tout récent chez un plus de 60 ans; l'«obsolescence psychologique » est donc moins rapide avec l'âge. Cela s'exprime généralement par l'argument souvent avancé du « refus du gaspillage».
Pourtant, lorsque l'innovation est adaptée aux besoins de ces tranches d'âge, elle n'a aucune raison de ne pas pouvoir se diffuser. Pour en accélérer le cours, on devra rechercher des procédures d'accoutumance et mettre en place de véritables politiques marketing appliquées aux populations d'un certain âge. Cela n'est pas aujourd'hui suffisamment fait.
L’ENJEU DES SERVICES DOMESTIQUES DESTINES AUX PERSONNES ÂGÉES
Il est particulièrement fréquent aujourd'hui d'affirmer que les nouveaux services destinés à aider les personnes âgées constitueront un puissant gisement de croissance de la demande et de création d'emplois pour les années à venir.
Du portage des repas à domicile à la vente de certains plats cuisinés industriels, des systèmes de téléalarme aux alternatives médicales et sociales au placement en institution, ces services sont en effet très nombreux. Mais s' Is constituent un potentiel indéniable, il faut prendre conscience, là aussi, de freins culturels (et pas seulement économiques) à leur développement. On le ait bien trop rarement.
Lorsque l'on propose un nouveau service aux personnes d'un certain âge, leur réticence est souvent très fréquente, avec pour réponse la plus usuelle: « Je n'en ai pas besoin.» Que cache cette réponse apparemment si simple? Leur point de vue est bien souvent en réalité:
« Je veux me débrouiller tout seul » ou même: «Je dois me débrouiller tout seul ». Un conflit potentiel oppose en effet souvent ces personnes à des gens plus jeunes - fréquemment leurs enfants - qui pensent qu'elles ne sont plus en mesure de tout faire toutes seules, ou bien qu'elles ont les moyens financiers de se faire aider.
L'incompréhension est culturelle: ce qui pour certains est considéré comme un progrès - pouvoir externaliser la satisfaction d'un besoin - est perçu par les autres, les principaux concernés, comme une atteinte à leur sphère privée. En effet, le service, lorsqu'il se substitue à l'auto production, crée une dépendance à l'égard d'autrui et à l'égard du système économique et social. De ce point de vue, l'extension de la sphère marchande nous rend tous de plus en plus interdépendants. Évidemment, cette concession à autrui est mieux acceptée lorsqu'elle apparaît comme le prix à payer pour jouir soi-même d'un accroissement de son rôle social (c'est le cas d'es femmes qui doivent concéder une grande partie de leur fonction maternelle pour réussir leur vie professionnelle). Ainsi, à tout moment, dans notre société, un étrange combat oppose une tendance à externaliser la satisfaction des besoins qui permet la croissance de l'économie et une réticence culturelle, un réflexe de protection de chacun pour défendre son autonomie, gage de préservation de son identité et de sa liberté. Il se trouve qu'assez souvent ce sont les jeunes générations qui poussent dans la première direction et les plus anciennes dans la seconde. Cette tendance constitue, si elle n'est pas contrecarrée, un frein réel à la diffusion de ces nouveaux services.
Ainsi, par la progression de leur nombre et par celle de leurs revenus, les retraités sont l'avenir obligé de la consommation. Les industriels, les distributeurs, les publicitaires en prennent conscience petit à petit. Quels changements par rapport à l'époque, si récente, où ce marché était négligé, voire méprisé! Il ne sera pourtant pas aussi facile de le séduire. Décidément, nous voici bel et bien entrés dans un nouveau temps de la société de consommation!
Robert Rochefort (Ensae 79),
directeur du Credoc
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