Profession voyageur, suite… et fin
J'ai fini par rentrer. Mon CDD de voyageur s'est finalement terminé, après avoir passé les trois mois qui me restaient au Moyen-Orient, plus précisément en Iran, en Syrie, et au Liban.
Durant ces trois derniers mois, l'envie de rentrer a parfois été forte, voire très forte : quand bien même j'avais réussi à franchir la fameuse barrière des huit mois de voyage (voir Variances 30), je ne pensais pour autant pas moins au retour. La mobilité permanente et le fait que nulle part fondamentalement on ne soit chez soi finissent par peser, et l'on se prend à rêver de la maison. Par ailleurs, après avoir visité quelques milliers de temples, mosquées et autres églises, et vu d'innombrables merveilles de la nature, on finit à son corps défendant par être un peu blasé. Il faut donc changer la manière dont on voyage. J'avais déjà amorcé ce changement en Inde et au Pakistan. J’ai appris l´hindi et l'ourdou (c'est pratiquement la même chose) et j’ai abondamment lu sur les deux pays. Un peu moins touriste, un peu plus ‘grand reporter’... Logiquement, j’ai poursuivi dans cette voie au Moyen-Orient : en substance, on cesse de courir de site touristique en site touristique, pour privilégier le contact avec les locaux et s'intéresser dans le détail au fonctionnement politique et social du pays, quitte à se déplacer très peu pendant quelques semaines. Ainsi, sur mes cinq semaines en Syrie, près de 4 se sont passées à Damas. Les avantages sont nombreux : on finit par faire partie du paysage, on est considéré comme un habitué des cafés du coin, on se retrouve invité chez les gens, on discute, et on apprend.
Jusqu’à faire partie du paysage
Une fois que l'on réoriente son voyage de cette manière, il est important de trouver des interlocuteurs : si en Iran cela s'est avéré difficile – j'ai fini par rencontrer un professeur de littérature anglaise dans un hôtel à Ispahan qui a pu répondre à mes nombreuses questions -, en Syrie cela a été beaucoup plus simple : j'ai suffisamment d'arabe pour lire un article de journal non technique, ce qui me permettait de discuter avec les gens, dont le million et demi de réfugiés irakiens. J'ai également rencontré de nombreux syriens anglophones et francophones. Dans tous les cas, c'est passionnant, et parfois douloureux : il faut avoir vu la détresse et entendu les récits d'un de ces réfugiés qui venait de quitter sa femme et son fils à Bassorah pour comprendre.
Tout cela amène à se poser des questions et à réaliser, dictature après dictature, réfugié après réfugié, que l'on a beaucoup de chance : nous vivons dans un pays libre, et en paix. Cela paraît sans doute naïf mais, à mon avis, c'est une chose de le savoir, une autre de le constater. Je me souviendrai longtemps du dégoût d'un avocat syrien du même âge que moi lorsqu'il parlait de son pays : entre la propagande absurde – la subtilité de slogans tels que « Tu es là pour nous, nous sommes avec toi, car tu es nous. » semblait lui échapper – qui allait de pair avec la répression politique, la police secrète et avec la corruption systématique qui lui avait perdre sa bourse pour la France. Il ne rêvait que d'une chose : partir.
Ces nombreuses discussions amènent également à réfléchir sur la situation des médias occidentaux, qui véhiculent des idées et préjugés divers, voire se trompent parfois lourdement sur des choses élémentaires. Pour prendre un exemple récent et hors du Moyen-Orient, les médias ont abondamment parlé de la « révolution safran » qui avait lieu en Birmanie, en référence à la couleur supposée de la robe des moines. Si en Thaïlande et au Laos ladite robe est bien safran (qui veut dire orange ou jaune verdâtre en français), en Birmanie elle est... rouge.
J'ai terminé le voyage à Beyrouth dans des circonstances particulières, puisque j'ai passé les deux dernières semaines dans ma famille. L'expérience était d'autant plus intéressante que la politique libanaise est extrêmement complexe, difficile à comprendre depuis l'extérieur et qu’elle contient l'essentiel des éléments importants de la région : le Hezbollah financé par les iraniens et qui se bat contre les Israéliens, les Syriens, les Palestiniens, etc. Se faire expliquer ladite politique et la vivre de l'intérieur dans une ville paralysée par la peur – interdiction de faire des photographies un peu partout, impossibilité de se garer en centre ville en raison des voitures piégées, méfiance interconfessionnelle – donne une autre dimension à un séjour dans le pays.
Depuis, j'ai remisé mon sac à dos, mon appareil photo ainsi que ma paire de sandales, et j’ai entamé le processus de réadaptation nécessaire au retour à mon ancien métier. Pourquoi réadaptation? Très simplement parce que le retour est un véritable choc, et je dois admettre que j'ai passé les deux premières semaines à regarder autour de moi l'air un peu hébété, sans véritablement comprendre ce qui m'arrivait. Certains changements sont brutalement évidents : tout le monde parle français autour de moi, je ne parle plus trois langues différentes tous les jours, le trafic est normal, les rues sont propres, l'eau est potable partout, l'ensemble des besoins essentiels de la population semblent couverts. Dans l'ensemble, la France me fait l'effet d'un pays immensément riche – ce que la population ne semble pas toujours réaliser – qui semble fonctionner incroyablement bien.
Un vrai temps de réadaptation
D'autres, en revanche, le sont un peu moins et sont donc paradoxalement plus perturbants : la mode a subtilement changé – je ne pourrais dire comment cependant -, la population est devenue écologiste en l'espace d'un an, le paysage politique a été bouleversé, la SNCF a changé sa tarification, toutes choses qui me donnent l'impression d'être un étranger dans mon propre pays alors que je suis pourtant censé tout maîtriser sur le bout des doigts. Par ailleurs, le fait d'avoir oscillé de culture en culture pendant un an et d'avoir du m'adapter aux coutumes sociales locales à chaque fois fait que j'observe à présent avec intérêt le comportement de la tribu des Francs : j'ai le privilège rare d'être un voyageur français en France. Ce détachement, assez dérangeant au premier abord, car contraire au naturel souhait de réintégration, tend naturellement à se dissiper au fur et à mesure que l'on renoue avec son ancienne vie. J'ai même recommencé à boire de l'alcool – tout le monde me paraît être alcoolique en France, soit dit en passant - à petites doses : je suis ivre après un verre de champagne.
Trois semaines après mon retour, je ne mesure pas encore pleinement toutes les conséquences de ce voyage. Après un an de voyage, je suis toutefois en mesure de répéter et confirmer ce qu'un voyageur sri-lankais rencontré en Chine m'avait dit : « Backpacking should be made compulsory. » J'invite au passage toute personne intéressée par un tel changement de carrière à me contacter : c'est avec plaisir que je répondrai à vos questions. Je suis revenu plus confiant, plus ouvert, avec quelques langues en plus et une farouche envie de continuer à voyager, même si ce n'est que pour des vacances. Parmi les voyages possibles : Istanbul-Islamabad via l'Asie Centrale (mon seul véritable regret), quatre mois en Indonésie pour terminer sur Bornéo, un transafricain Le Caire – Le Cap, un Paris-Istanbul à vélo et une traversée de l'Atlantique ou du Pacifique à la voile. Il est très probable que je n'aurai jamais le temps de faire lesdits voyages, mais… il n'est pas interdit de rêver !
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