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10 avril 2005

Conférence : quelle Europe construit-on ? Des services publics pour de nouvelles solidarités

Tous les mois, les Anciens de l'Ensae organisent des conférences sur des thèmes d'actualités, qui font débat. Depuis la rentrée, elle intègre la formule des petit-déjeuners. Le calendrier des prochaines rencontres et le compte-rendu des conférences passées sont disponibles sur le site de l'association (www.ensae.org).
Le 3 juin dernier, l’Europe était à l’ordre du jour avec Philippe Herzog (1964), député européen, vice-président de la commission économique et monétaire du Parlement européen.

« Relance de la Constitution européenne, modification des limites géographiques et politiques de l'Union,... les évolutions sont très rapides et les interrogations sont nombreuses sur l'avenir et le sens de la construction européenne à la veille du renouvellement du Parlement.

Construite pour garantir la Paix sur le continent mais à partir des outils économiques, plus faciles à mobiliser, l'Europe traverse indubitablement une crise de croissance historique. Cette crise concerne autant la nature du projet européen que les moyens de le mener à bien.
Services publics (EDF), Politique industrielle (Alstom, Aventis), Europe Sociale,…
Les outils économiques peuvent-ils être à nouveau mobilisés pour aller plus avant dans l'intégration? Est-ce envisageable de la part d'institutions à la pointe du réformisme depuis le milieu des années 1980?

D’où venons nous ?

Les SIG, services d’intérêt général, sont considérés comme une dimension essentielle du modèle de société européen. Face aux défaillances du marché , on considère que des services sont essentiels, pour la liberté d’action de chaque individu, pour la vie collective, sociale et le
développement. Ceci est le choix d’autorités publiques, qui peuvent confier ces services à des entreprises publiques ou les déléguer à des opérateurs privés. Ceci s’est opéré au travers de l’histoire dans un cadre national. En France, le service public demeure une incarnation de l’Etat, mais ce n’est pas toujours le cas ailleurs (cf les public utilities anglosaxons
et les daseinvorsorge allemands).

Une approche théorique est utile. Elle ne pourra toutefois ignorer que derrière l’arbitrage rendu se cachent des choix éthiques fondamentaux (quel critère de choix public appliquer ?) et des choix économiques (quels critères de rationalisation, de tarification, etc.).

Les 25 dernières années se caractérisent par des mutations conjointes de la société et des services publics (urbanisation, explosion des communications,…). De nouveaux entrants ont fait leur apparition dans un contexte de mondialisation, les états réagissant de manière un peu
improvisée. On peut citer la vague de libéralisation et de dérégulation aux Etats-Unis et au Royaume-Uni qui a lancé le mouvement ( ATT, BT..). Il y a aujourd’hui, au Royaume-Uni, un mouvement de re-régulation (inspiré de l’économie des réseaux) mais il n’y a aucune évaluation d’ensemble faisant un bilan critique (positif ou négatif) de ces expériences. Le niveau de connaissance publique dépasse rarement le « on dit ». De même, ce sujet ne fait l’objet d’aucun débat public dans l’Union Européenne et a fortiori en France.

Est ce que l’Union assume son rôle ? Certes, au nom du principe de subsidiarité les états membres demeurent souverains, mais les problèmes de complémentarité entre états apparaissant, un besoin de règles unifiées se fait sentir.

Un cadre européen non satisfaisant

Tant que l’Europe était un marché commun, il n’y avait pas de problème à ce que des choix nationaux différents coexistent. Mais dés lors que l’ouverture des frontières se fait dans le cadre d’un marché unique, les échanges transfrontaliers changent de nature et il faut assurer que le cadre national et le cadre européen soient compatibles. A cela s’ajoute la nécessité de faire émerger des « bonnes pratiques » dans les pays nouveaux adhérents dont la qualité des services essentiels laisse à désirer.

L’ouverture implique de définir les missions : service universel, obligations d’interconnexions, d’approvisionnement… Or, il y a une insécurité juridique de base dans les traités : l’Union n’ a pas compétence en la matière, ce sont les Etats ! Aucune définition des SIG n’existe dans le cadre européen. Un certain nombre de principes sont inscrits dans les règles du marché intérieur (liberté d’établissement et de prestations de service qui mettent implicitement fin aux monopoles) mais de ces règles naissent des contradictions frappantes.

Ainsi il existe une contradiction forte entre liberté de circulation (ouverture des réseaux aux prestataires de service des pays tiers) et liberté de choix des Etats membres. Les Etats découvrent que l’on ne peut faire sans régulation d’intérêt général et la pression monte pour que certains secteurs soient régulés : eau, transport urbain,… Pour les industries de réseaux (télécom, énergie, transport, poste), des directives sectorielles contraignent à la libéralisation et à l’ouverture des marchés.

La politique de la concurrence : un deuxième type de contrainte

Ce domaine est de la compétence exclusive de la commission (il n’y a ni codécision, ni législation). Il est d’ailleurs étonnant qu’on ait délégué complètement à la commission cette faculté d’établir des règles avec des principes qui n’ont jamais fait l’objet de définition législative. En l’absence de cadre légal, les nombreux litiges nés de l’insécurité juridique ne trouvent pas de solution satisfaisante auprès de la Cour de justice et la Commission doit le plus souvent trancher et faire le droit, ce qui est contraire à son mandat. On sent bien qu’il est nécessaire de légiférer sur les définitions : qu’est ce qui est économique, quel est le champ de la sécurité sociale, quelles sont les compétences régaliennes des Etats ?

En résumé, la concurrence avance mais inégalement selon les secteurs. L’Union oblige les Etats à se préoccuper de l’efficacité des services, mais c’est tout. L’Union pourrait avoir une responsabilité pour définir des principes communs, clarifier et distinguer ce qui dépend du Marché et du Service public. D’où la nécessité de légiférer. Le processus de Lisbonne a mis au cœur de l’interrogation non pas le principe de concurrence mais le problème de la
compétitivité européenne. L’argument économique peut intervenir dans le débat en faveur de SIG efficients au niveau européen. Cette démarche réconcilierait l’argument social et l’argument économique. Le projet de Traité constitutionnel qui retient l’objectif de cohésion sociale et territoriale, le livre blanc de la Commission qui retient le principe de primauté des SIG sur la concurrence sont de réelles avancées.

Les contradictions demeurent cependant, notamment avec un projet de directive services qui ouvre la porte à une concurrence entre les droits nationaux (voulant imposer la règle du pays d’origine) et n’invite pas à la définition concertée de normes européennes.

Où allons nous ?

Aujourd’hui, il faut marcher sur deux pieds : accomplir des réformes intérieures et mener une action sur le plan européen, afin de moderniser et promouvoir les services publics. La situation des nouveaux pays entrants est à examiner. Qu’y voit-on ? Les pays de l’Est palcent leurs espoirs dans les Investissements directs étrangers. Mais les obstacles sont multiples. La solvabilité étant faible, le marché intérieur est trop petit pour permettre à plusieurs acteurs de s’y implanter. Il y a donc des situations de monopoles naturels à réguler. En parallèle, la fonction publique est mal formée. Sous-payée, traditionnellement peu efficace, elle est entièrement à reconstruire. Enfin, la nécessité de rentabiliser les investissements couplée à une gestion décentralisée des SIG conduit à des inégalités monstres, par exemple entre grandes villes et zones faiblement urbanisées.

Quelle stratégie pour les missions et l’organisation ?

De nombreux problèmes sont à résoudre. Face au rôle croissant des collectivités territoriales comment doivent se repositionner l’Etat et les entreprises publiques ? Si l’introduction de concurrence interne n’est pas forcément un mal en soi pour certaines entreprises publiques, la « désintégration » demeure un risque majeur. Il existe une volonté « idéologique » de casser des monopoles intégrés et d’introduire des marchés de détail ou de gros. Or, on ne sait pas réguler des ensembles désintégrés… Ce débat mériterait d’être mené, hélas il est ignoré en
France.

Une redéfinition des missions des « Services Publics » français est absolument nécessaire. Comment gérer des entreprises publiques dont une part beaucoup plus faible de l’activité relève des SIG (par exemple seulement 10% du CA de la Poste relève des missions…). Cette redéfinition est rendue absolument nécessaire par le cadre européen : les aides publiques ne sont pas interdites, mais elles ne seront possibles qu’au prix d’une telle clarification.
Il faut choisir le degré de décentralisation souhaitable (nécessaire pour améliorer le service, mais dangereux par les inégalités potentielles s’il n’y a pas de péréquations suffisantes), les modes de financement (cotisations d’opérateurs, aide publique, etc.), bâtir des partenariats entre public et privé, etc.

Quel est l’agenda communautaire ?

Le livre blanc présente un agenda de travail en 7 points pour 2004-2006 :

1) Législation avec la Constitution à venir ;
2) Définir un cadre légal traitant la question des compensations financières (dilemme du consommateur – contribuable face au financement) ;
3) Construire un cadre d’organisation (public, privé, mixte), qui définiraient notamment les partenariats public-privé ;
4) Mener une politique de comparaison et d’émulation à l’échelle européenne et mettre en place l’évaluation des politiques communautaires ;
5) S’attaquer au chantier de la santé et des services sociaux ;
6) Travailler à la révision des directives sectorielles, en essayant de ramener une certaine cohérence entre politique externes / internes ;
7) Examiner la cohérence entre les choix de l’Union pour les SIG et la politique commerciale extérieure.

En conclusion, la vague de globalisation-libéralisation a secoué fortement les politiques en matière de service spublics et soulève des questions dont les réponses sont encore largement ouvertes. Il faut bâtir une société civile européenne qui ait la volonté de faire avancer ces sujets.
Quant au cas précis de la France, il y aurait beaucoup à dire sur sa « présence » sur le terrain européen. Il est aujourd’hui nécessaire de mieux s’intégrer dans des réseaux européens pour être plus influents, et bâtir aussi une représentation de meilleure qualité.
[…] »

Compte-rendu de l’intervention de Philippe Herzog par Benoît Bellone (2000)

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