Courants de femmes, un projet de développement innovant
Trois anciennes de l’Ensae reviennent d’Afrique de l’Ouest, où elles ont réalisé un projet ambitieux : aider les associations féminines à entrer dans le monde de la communication (pour en savoir plus, connaître plus en détail les associations africaines soutenues, lire les carnets de routes de l’aventure et des portraits de femmes exceptionnelles, retrouver Courants de femmes sur www.courantsdefemmes.org)
Depuis peu, l’Afrique s’ouvre aux nouvelles technologies. A son rythme, certes. Mais les cybercafés fleurissent jusque dans les petites villes, et la population découvre avec enthousiasme ce nouveau mode de communication. Malgré la lenteur actuelle des connexions, Internet est vu comme un outil de développement économique et d’émancipation politique, et comme une chance à saisir par tous ceux qui souhaitent faire avancer la situation des pays africains.
Peu de femmes peuplent les petites salles informatiques. Pourtant, leur rôle dans la société africaine est unanimement reconnu comme facteur de dynamisme économique, d’initiative et de stabilité sociale : beaucoup placent en elles leurs espoirs de développement du Continent. Le tissu associatif qu’elles ont mis en place démontre leur capacité à s’organiser, à inventer des réponses aux difficultés qu’elles connaissent et à assurer l’entraide et l’écoute dans la société.
Permettre aux associations de femmes africaines d’avoir accès à l’outil informatique, c’est leur donner la capacité d’initiative et l’ambition dans la réalisation des projets qui leur sont propres, l’autonomie dans leurs rapports avec leurs partenaires et une ouverture politique et culturelle. C’est également encourager les échanges entre différentes associations, la constitution de réseaux plus larges et plus influents, et la communication avec les pays du Nord.
Une association créée en mars 2003
C’est dans cet esprit que Clara Delavallade (2003), Blandine Ledoux (2003), Claire Naiditch (2003) et Lucile Rivera ont créé Courants de Femmes en mars 2003. L’objectif de l’association est de transmettre un savoir-faire qui permette aux éléments les plus dynamiques de la société civile africaine de s’émanciper et de réaliser plus efficacement leurs projets. Il s’agit également de dresser un tableau fidèle du tissu associatif féminin ouest africain, à l’intention des Occidentaux qui connaissent mal le dynamisme de cette société.
Mettre en place le premier projet de Courants de Femmes fut un travail de longue haleine. Après avoir créé l’association sur le plan juridique, nous sommes partis à la recherche de partenaires aussi bien logistiques que financiers. Ainsi, nous avons reçu une aide décisive de l’ASTEC et de la Junior Entreprise de l’Ensae, mais également de la Fondation de France et des universités Paris I et Paris V. Par ailleurs, Apple Afrique et d’autres entreprises nous ont apporté un soutien matériel important. Courants de Femmes compte également plus de 150 membres, dont la générosité et l’enthousiasme ont rendu possible la réalisation du projet.
La préparation incluait également la création du site de Courants de Femmes, exécuté en grande partie par Nacim Benabdelmoumène (2003), qui est toujours notre webmaster. Et surtout, nous avons pris contact depuis Paris avec des dizaines d’associations africaines désireuses de travailler en partenariat avec Courants de Femmes.
Six mois en Afrique
Entre novembre 2003 et mai 2004, nous nous sommes rendues successivement au Sénégal, au Mali, au Burkina Faso et au Bénin. Nous avions décidé de travailler dans plusieurs villes dans chaque pays, tout en privilégiant particulièrement les capitales. Ainsi, nous avons passé entre trois semaines et un mois à Dakar, Bamako, Ouagadougou et Cotonou. Entre chacune de nos étapes, nous voyagions en car, en train, en bâché ou encore en taxi collectif, ce qui nous a permis de perfectionner notre apprentissage de la patience… Nous avons été accueillies par des familles d’amis, des familles d’amis d’amis, des voisins d’amis, des femmes membres d’associations avec lesquelles nous travaillions, des familles d’anciens Ensae…
Pendant six mois, notre activité a consisté à rencontrer et échanger avec des associations de femmes, à recueillir des informations sur leurs activités et à assister à certaines d’entre elles, telles que des cours d’alphabétisation fonctionnelle, des séances de sensibilisation sur les thèmes des MST, des formations autour du droit des femmes ou des activités économiques solidaires.... Nous rédigions alors des reportages sur toutes les organisations rencontrées, immédiatement mis en ligne sur notre site.
Une deuxième phase consistait alors, pour les associations qui le souhaitaient et qui disposaient de matériel , à donner des cours d’informatique et de bureautique, à enseigner le maniement d’Internet et du courrier électronique, et enfin à former à la création de sites Internet. Si la plupart étaient demandeuses pour suivre ces formations, nous devions prendre en compte le niveau de compétence, la qualité du matériel informatique mais surtout la motivation des personnes concernées par la formation, en insistant sur l’importance de l’actualisation du site.
Le travail des associations de femmes
Les femmes africaines sont particulièrement actives dans la société civile et leur dynamisme touche les secteurs clés du développement que sont :
- l’éducation (cours d’alphabétisation en langue nationale et en « français fondamental », lutte contre la déscolarisation des filles, financement d’une partie des frais de scolarité),
- la santé (planification familiale, informations sur la contraception, sensibilisations sur le paludisme, les MST et surtout le sida, lutte contre l’excision),
- l’environnement (ramassage et traitement des déchets, pratiques d’hygiène élémentaires, recyclage des sachets plastiques)
- et le droit des femmes (vulgarisation du droit auprès de la population, traduction des textes de loi en langue locale, pression sur les pouvoirs publics afin qu’ils fassent progresser le statut de la femme, centres d’aide juridique pour répondre par le droit aux violences dont les femmes sont victimes).
A tous les niveaux, les femmes s’organisent en associations. Les groupements de femmes au sein de quartiers ou de villages ont souvent une caisse commune, qui bénéficie à l’une des femmes à tour de rôle (tontine) pour répondre à des besoins ponctuels (scolarisation d’un enfant, soins de santé, cérémonie familiale, achats...). Elles possèdent souvent un champ collectif sur lequel elles cultivent quelques légumes, vendus sur le marché.
Les associations s’appuient souvent sur des « organisations intermédiaires ». Ces dernières sont généralement localisées dans les villes et financées par des organisations du Nord (coopérations, ONG…). Leur but est d’aider les groupements de femmes à mieux s’organiser et à obtenir des subventions. Elles mettent également en œuvre des projets directement destinés à améliorer les conditions de vie des femmes. Les organisations intermédiaires proposent ainsi des sensibilisations et des cours d’alphabétisation aux femmes les plus démunies. Elles mettent également en place des systèmes de micro-crédit permettant de développer les activités génératrices de revenus des femmes : couture, teinture, coiffure, cultures maraîchères, artisanat...
Et maintenant ?
De Dakar à Cotonou, nous avons ainsi pu rencontrer quelque 120 associations de promotion féminine. Près d’une trentaine d’entre elles ont suivi nos formations à la programmation html. Une vingtaine de sites d’associations ont ainsi pu être créés grâce à ces formations et pourront être gérés et mis à jour par les associations elles-mêmes.
De retour en France, l’agenda de Courants de Femmes est si chargé que l’association s’est élargie et dotée d’un Conseil d’Administration. Il s’agit d’une part d’assurer un suivi et un contact permanent avec les associations rencontrées, et d’autre part de diffuser les informations recueillies auprès d’un large public. Nous restons en contact avec les associations africaines afin de prolonger le travail de formation effectué sur place, les aider à utiliser ces nouveaux outils et à actualiser leur propre site. Cette phase de consolidation des acquis est fondamentale, et se révèle très fructueuse. Nous souhaitons les mettre en relation entre elles ou avec des associations européennes œuvrant dans le même domaine, pour qu’elles puissent échanger leurs expériences et envisager des partenariats.
Nous avons également participé à différentes manifestions (Salon de l’Etudiant, forum inter-associatif), et avons déjà pris des engagements pour des conférences dans les universités Paris I et Paris V, à l’Ensae, à l’IUT de journalisme de Bordeaux. Enfin, nous organiserons des expositions photos qui expliquent l’ensemble du projet Courants de Femmes. Nous avons en outre commencé la réalisation d’un documentaire. Nous pourrons présenter le film d’ici quelques mois et nous chercherons à le diffuser.
Enfin, nous souhaitons mettre sur pied un autre projet qui pourrait prendre une forme différente dans la durée, le nombre de destinations et le nombre de participants. Ce projet permettrait de garder contact avec les associations, organiser des formations avec celles qui n’avaient pas pu en bénéficier, par manque de temps ou de moyens, consolider les formations ayant eu lieu au cours de ce premier projet, et étendre l’action de Courants de Femmes dans d’autres pays ou d’autres villes… Courants de Femmes est ainsi en lien étroit avec ENSAE Solidaire, afin de prolonger son action avec les anciens de l’Ensae qui s’y intéressent. Espérons que, désormais, vous en faites partie !
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La grève contre les cochons
Début décembre, nous travaillons à Fatick et décidons d’aller passer un week-end à Mbour, une ville côtière du Sénégal. Pour cela, il nous faut prendre un car rapide, bondé comme il se doit. Au bout de 20 km, le bus fait une halte pour charger une dizaine de cochons sur le toit. Ils sont hissés à l’aide de cordes, hurlants, et bien ficelés au-dessus de nos têtes. Puis nous repartons pour nous arrêter 500 mètres plus loin, pour charger à nouveau une vingtaine de cochons. Mais les passagers qui avaient accepté la première halte n’ont plus l’air d’apprécier : ils refusent que le chauffeur charge autant de cochons dont le poids déséquilibre le bus. Ils se mettent donc en grève et descendent du car, empêchant le car de continuer sa route, c’est la « grève contre les cochons » ! Il faudra plus de deux heures de négociations avec le chauffeur et la menace de faire appel à la police pour que celui-ci accepte de décharger les cochons ! Entre temps, la nuit est tombée mais aucun passager ne s’est désolidarisé et n’a accepté de monter dans l’un des autres cars qui nous ont dépassés. Les grévistes ont donc fini par triompher et nous arrivons à Mbour dans la nuit noire…
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APAF – Muso Danbe
Appui à la Promotion des Aides Familiales – La dignité des Femmes
Bamako – MALI
apafmusodanbe@afribone.net.ml
« Muso Danbé » signifie « Dignité de la Femme ». L’association, dirigée par Mme Urbain, s’est mise en place dans le but d’humaniser le cadre de travail des aides familiales (ou « bonnes ») et de chercher à leur établir un statut socio-juridique.
État des lieux
De nombreuses jeunes filles, âgées de 14 à 20 ans, venues de villages maliens, béninois ou togolais, sont embauchées comme aides familiales dans les villes maliennes. La grande majorité d’entre elles n’ont jamais été scolarisées et arrivent totalement isolées et démunies au service de leurs employeurs. Beaucoup sont victimes d’une surcharge de travail et de sous-nutrition et sont souvent méprisées, frappées et insultées par leurs patrons.
Un syndicat de défense des droits des aides familiales
L’APAF peut être assimilée à un syndicat de défense des aides familiales.. Elle met en contact les jeunes filles et leurs employeurs afin d’établir un contrat de travail où le salaire et les tâches de la jeune fille sont définis précisément. Un salaire et un âge minimums ont été fixés par l’association.
Les jeunes filles ayant trouvé un contrat par l’APAF peuvent alors suivre tous les soirs les cours dispensés par l’association : formation au métier d'aide familiales, classes d’alphabétisation en bamanan, défense de leurs droits, soutien psychologique et juridique, reconversion socioprofessionnelle (teinture, couture, cuisine, élevage, commerce… et mise à disposition d’un petit financement), santé de la reproduction, hygiène alimentaire et sanitaire, planning familial, droits et devoirs en tant que citoyennes maliennes, aide aux filles-mères, lutte contre l'excision…
Un bilan positif
Lors de sa création, l’APAF a dû faire face au refus des employeurs d’utiliser ses services car ils craignaient une intrusion dans leurs pratiques domestiques. Cependant, ils se sont rendus compte que, si les filles embauchées via Muso Danbé bénéficiaient certes de droits, leur travail était aussi de meilleure qualité et il était plus facile de leur faire confiance.
Aujourd’hui, l’APAF doit faire face à un excès de demandes. Il se présente en moyenne dix jeunes filles pour une quinzaine de demandes d’employeurs par jour ! L’association commence maintenant à se tourner vers les jeunes hommes pour les faire employer.
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Mariage collectif – Lougsi, Burkina Faso
Au mois de mars, nous avons assisté à un mariage collectif organisé par le WiLDAF (Femmes, Droits et Développement en Afrique, association de promotion des droits de la femme agissant dans de nombreux pays africains), à Lougsi, un village situé à quelques kilomètres à l’ouest de Ouagadougou au Burkina Faso. L’enjeu était de taille : à la suite de nombreuses sensibilisations menées par des associations de promotion féminine sur l’importance du mariage civil, 63 couples de tous âges (dont trois bigames) ont souhaité passer devant Monsieur le Maire.
Le mariage civil revêt une importance toute particulière pour les femmes car il leur accorde les droits spécifiques prévus par le code de la famille ainsi que l’impartialité des tribunaux. Par exemple, quand le couple est marié devant la loi, la procédure de divorce place les deux époux dans une situation d’égalité, ce que la femme ne peut obtenir dans un mariage traditionnel.
Pour l’occasion, des chapiteaux avaient été dressés sur la place du village, le principal abritant, non sans peine, les quelque 130 futurs époux. De tous âges, parfois accompagnés de leurs enfants, les couples étaient en costumes de ville, en habits traditionnels ou en vêtements de tous les jours. Tout le village était réuni pour entendre prononcer 63 fois la traditionnelle phrase « Au nom de la loi, je vous déclare unis par le mariage », souvent suivie d’un jovial « et voilà ! ». Des cris de joie ont fusé quand une jeune mariée, déjà grand-mère, s’est enhardie à embrasser tendrement son vieux mari sur la joue...Ce mariage collectif a ainsi permis d’améliorer la situation de 66 femmes…
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