Le prix ALM 2002
Le 19 décembre dernier, Aude GUILHAMON (ENSAE 2001) recevait le prix du meilleur mémoire ALM 2002 décerné par l'Association Française des Gestionnaires Actif-Passif (AFGAP), pour sa thèse d'actuariat sur les CDO. Comment ne pas lui rendre honneur : elle le vaut bien.
Tout de que vous avez toujours voulu savoir sur les Collaterized Debt Obligations
Les dérivés de crédit ont émergé comme les nouveaux instruments qui ont rendu négociables sur un marché les créances consenties par les établissements financiers (crédits à la consommation, immobiliers, cartes de crédit revolving et bien d'autres). Dans un contexte marqué par des faillites récentes d'acteurs du marché non forcément spéculateurs, les autorités de régulation scrutent à la loupe les modèles d'évaluation des risques que retiennent les banques, tant pour calculer leur ratio prudentiel - ratio normatif dont le respect les oblige à consommer d'autant plus de fonds propres que leurs actifs sont risqués, que pour guider leur allocation interne de capital.
L'enjeu principal de cette thèse était la valorisation d'un instrument dérivé, le CDO - Collaterized Debt Obligation - avec pour pièce maîtresse la modélisation du risque de défaut, et s'appuyant en particulier sur le modèle à intensité stochastique de Duffie et Garleanu. Ces travaux ont mis en exergue une application fort intéressante de ce modèle au calcul des diversity scores. Enfin, dernière étape si cruciale avant la livraison d'un nouveau modèle, la phase de calibration a exposé différentes techniques permettant d'estimer les paramètres du modèle de défaut. Précisons que la touche finale de cette thèse est la réalisation du modèle sous langage C++.
Le comité de Bâle a concentré son attention sur les instruments dérivés, et en particulier sur les dérivés de crédit, qui donnent aux établissements financiers la faculté de transférer à d'autres agents le risque de crédit, soit en revendant le risque de défaut à une contrepartie tout en gardant la propriété des créances, par le biais d'un "Credit Default Swap", soit en vendant un portefeuille de créances à une structure ad hoc, un "Special Purpose Vehicle", qui à son tour émettra des titres de meilleur rating que les créances initiales en diversifiant ses actifs.
Le montage aboutissant à l'émission de ces titres est une opération classique de "titrisation", décrite dans le schéma ci-dessous.
Schema d’un cash CDO en dollar:
Les titres sont répartis en tranches de qualité de signature croissante, appelées dette junior (equity), mezzanine, et senior, cette dernière pouvant atteindre le rating suprême AAA.
Du cœur du modèle …
L'approche de Duffie et Garleanu consiste à considérer le processus de défaut comme une variable aléatoire pouvant effectuer des sauts, qui traduisent les migrations de rating, suivant un modèle à intensité stochastique.
On cherche à définir une « intensité » d’arrivée de défaut λ(t), telle que l’intensité au cours du temps varie avec la qualité du crédit, et que les corrélations des changements de qualité de crédit des débiteurs soient reflétées par celles des variations de leurs intensités de défaut. On définit donc la pré-intensité, pour le temps d’arrêt t, comme un processus stochastique λ tel que pour tout t précédant t, l’intensité d’arrivée de défaut vaut λ(t) et :
Les temps de défauts d'un débiteur ont une pré-intensité λ vérifiant une équation différentielle stochastique de la forme:
qui fait intervenir un mouvement brownien standard W et un processus de sauts J. On parle de processus affine fondamental de paramètres (k,θ,σ,μ,l). Les paramètres peuvent être ajustés de nombreuses manières pour contrôler l’évolution du risque de défaut avec le temps.
Pour passer à l'étude d'une population de N émetteurs, on exploite le fait que sous certaines conditions, un modèle affine fondamental peut s’écrire comme la somme de modèles affines indépendants. En supposant la proportionnalité entre les paramètres d'une composante commune et ceux des composantes individuelles de chaque émetteur, on se ramène à l'étude de N+1 processus d’intensité indépendants.
Il est en outre possible d'élargir ce principe au risque multifactoriel, en décomposant la pré-intensité en plusieurs processus affines indépendants (pour intégrer notamment les risques liés au secteurs et à la région), de manière plus ou moins compliquée selon les hypothèses faites.
…à la valorisation du CDO
Les principaux phénomènes à prendre en compte, outre le défaut, sont celui du recouvrement des créances, et de l'absorption des pertes, éventuellement des bénéfices, par le Special Purpose Vehicle.
On suppose que le fraction de recouvrement en cas de défaut est en espérance constante au cours du temps, et que les fractions de recouvrement correspondant aux différents sous-jacents sont indépendantes et uniformément distribuées. On constate empiriquement que c’est la distribution des titres de la tranche senior, les senior unsecured bonds, qui est la plus proche de la distribution uniforme. Sous certaines hypothèses, la valeur initiale d’une obligation de maturité t s'obtient en fonction de la pré-intensité λ affine de l’émetteur, du taux zéro-coupon de maturité t, et de t. On en déduit finalement la valeur des flux du CDO jusqu’à la maturité.
L'absorption des pertes et des bénéfices par le véhicule obéit aux règles dites de prioritisation. Les porteurs de la tranche senior reçoivent en priorité les intérêts, et les éventuels bénéfices, tandis que la tranche junior absorbe les premières pertes. Il existe plusieurs méthodes de prioritisation (suivant qu’il y ait ou non un remboursement anticipé du capital) mais toutes respectent ce principe fondamental qui garantit les ratings de chaque tranche.
Le modèle à intensité stochastique a été appliqué au calcul du diversity score. Il consiste à remplacer un portefeuille de N actifs, avec une corrélation r, par un portefeuille dit de comparaison ayant la même distribution de perte globale et comprenant S actifs identiques et indépendants. S est appelé diversity score. Cette méthode a d’abord été proposée par Moody’s qui ne donne bien évidemment pas au public ses méthodes de calculs. Cependant Schorin et Weinreich (1998) ont introduit une méthode combinatoire basée sur des probabilités de défaut historiques. En remplaçant les probabilités historiques par celles déduites de la fonction de répartition calculée grâce au modèle à intensité stochastique de Duffie et Garleanu, on peut valoriser un CDO avec une grande économie de temps de calcul.
Sans oublier la calibration
Le calibrage de ce modèle représente une étape très délicate, les observations de défaut étant rares. Trois approches ont été explorée : la première utilise les probabilités de défaut cumulées données par Moody’s pour calibrer le modèle en fonction du rating ; la seconde applique une méthode des moments généralisés aux prix d’obligations d'un secteur particulier, pour estimer les paramètres du modèle (discrétisé) en omettant les sauts, mais est moins satisfaisante quant aux résultats ; la troisième est une calibration du modèle en temps continu intégrant les sauts, qui utilise la méthode GMM spectrale. Cette dernière voie, qui paraît très prometteuse, reste ouverte à l’investigation.
Les résultats du modèle sont cohérents avec les prix de marché. Pour un CDO contenant des obligations ratées B-BA, attribuées à 80% à la tranche senior, et à 10% à la mezzanine, les spreads obtenus correspondent à un rating AAA pour la première, et BA pour la seconde, ces spreads se dégradant avec la corrélation. Inversement, une meilleure diversification, conjuguée avec une faible collatérisation, accentue l'amélioration de la tranche senior.
On le voit, ces travaux ont atteint leur premier objectif, celui de développer un modèle de valorisation des dérivés de crédit, alternatif aux références actuelles (KMV, CreditMetrics ou CreditRisk+). En outre, ils permettent aux établissements financiers d'éclairer leurs choix d'allocation de capital, et offrent un outil d'évaluation de leur profitabilité.
Eric RALAIMIADANA (CESS-MASTERE 1996)
Parcours :
Après l’ENSAE, Aude GUILHAMON a fait un Master en Finance et Economie à la London School of Economics et est maintenant en VIE à Londres chez Crédit Agricole Indosuez (recherche économique sur les taux d'intérêt). Lors de la remise de son prix, Aude GUILHAMON a tenu à associer publiquement à son succès Laure JUVANON (ENSAE 2001), co-auteur du mémoire de GT (Groupe de Travail) qui a servi de base aux travaux ayant été récompensés. Laure JUVANON travaille depuis sa sortie de l'ENSAE à la Direction Financière de EDF.
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