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15 septembre 2003

Les empreintes de la famille d'origine: au-delà de la table de mobilité

Nous publions ci-dessous une synthèse du mémoire lauréat du «Prixdu meilleur groupe de travail», décerné cette année par notre association à François Bouton, François Clanche, Sarah Marniesse et Solemn Thomas pour des travaux réalisés sous la direction de Nicolas Herpin et Daniel Verger (Ensae 77).


Depuis les années 60, on a établi clairement à partir de la désormais célèbre table de mobilité le fait que la catégorie socioprofessionnelle d'un individu dépendait fortement de celle de son père, et notamment qu'elle la reproduisait souvent. Mais il existe d'autres empreintes sociales qui sont imprimées à un individu par sa famille d'origine.

Tout d'abord, nous avons prolongé par deux moyens différents l'analyse de la manière dont la trajectoire socioprofessionnelle d'un individu est influencée par les caractéristiques de sa famille.

Dans un premier temps, grâce aux données par fratries issues d'une partie annexe de l'enquête de l'Insee sur les Actifs Financiers 1991, nous avons montré qu'assurément les individus étaient contraints par d'autres empreintes familiales que leur seul milieu socioprofessionnel d'origine, tout au moins déterminé au niveau de la nomenclature utilisée (PCS à un chiffre légèrement modifiée). En effet, des tests

du chi-deux ont fait apparaître clairement que le seul modèle multinomial de détermination de la PCS des individus masculins par celle de leur père avec indépendance et qui distribution de la loi de détermination pour tous les individus issus d'un même milieu socioprofessionnel (et notamment indépendance des PCS entre frères) ne saurait expliquer de manière satisfaisante les résultats obtenus. Les décalages entre les effectifs observés de groupes de PCS par fratries et les effectifs obtenus à partir du modèle font essentiellement apparaître que deux frères se dirigent vers la même PCS ou une PCS «de nature proche » plus souvent que ne le propose le modèle. Ceci semble justifier l'idée que ces deux frères ont subi une même influence qui ne transparaissait pas dans leur seul milieu socioprofessionnel d'origine, même s'il est évident que ce résultat est très dépendant du degré de finesse de la nomenclature utilisée.

Plus précisément, il apparaît que les phénomènes « d'ascension » ou de « régression » sociale significative sont rarement le fait d'un «fils prodigué» mais plutôt d'une fratrie entière. Il faut noter également que deux modèles de sortie du milieu agricole s'opposent: le modèle de sortie par la PCS « employé » et le modèle de sortie par la PCS «ouvrier». En effet, il est «fréquent» relativement au modèle de référence utilisé que deux frères deviennent simultanément ouvriers ou qu'ils deviennent simultanément employés et relativement rare que l'un devienne ouvrier et l'autre employé. On aurait pu également penser que (relativement) rares seraient les familles de père agriculteur où les deux frères deviendraient eux mêmes agriculteurs, selon le modèle d'accès à cette profession par l'héritage du patrimoine professionnel. On constate qu'il n'en est rien, ce qui ne signifie pas forcément que ce phénomène n'existe pas, mais peut-être plutôt qu'il est compensé par un phénomène de mobilité simultanée semblable au précédent.

Ensuite, nous avons montré que l'empreinte de la famille d'origine et de la belle-famille des individus se manifestait aussi dans leurs changements de statut juridique (salarié ou indépendant) en cours de carrière.

Ainsi, le passage du salariat à l'indépendance coïncide souvent avec la transmission de tout ou partie du patrimoine professionnel des parents ou des beaux-parents. Plus généralement, il correspond souvent soit à un phénomène de «contre-mobilité» - retour à sa catégorie socioprofessionnelle d'origine après passage par un métier salarié (cette période pourra souvent être considérée comme une période d'apprentissage, en qualité d'ouvrier ou d'employé) -, soit à une accession au même métier que ses beaux-parents (dans ce dernier cas, il est parfois difficile de distinguer ce qui était la motivation initiale: le mariage ou l'héritage? Peut-on dans ce dernier cas parler d'«empreinte familiale»?). L'empreinte de la belle-famille apparaît notablement moins forte que celle de la famille d'origine.

Par ailleurs, les passages de l'indépendance au salariat sont souvent le fait d'ouvriers, qui sortent le plus souvent de l'indépendance à l'issue d'un échec professionnel, dû soit à leur moindre capital matériel, soit à leur moindre capital humain.

La seconde partie porte sur le poids de l'environnement familial dans la formation du couple à partir des « calendriers de passage à l'âge adulte » de l'enquête Jeunes de 1992.

Année par année, entre 16 ans; et l'âge de l'enquête, le jeune était amené à dire s'il avait formé un couple, avec ou sans mariage, ou s'il avait rompu une union. La première constatation et que seuls 50% des jeunes se sont mis en couple avant 25 ans, et 70% à 30 ans * Quant au mariage, il ne concerne que 5Mco des jeunes interrogés. Il existe un écart important entre l'âge de mise en couple des hommes et celui des femmes: à 22 ans, la moitié des femmes se sont mises en couples, alors que l'âge médian pour les hommes est de 24,,4 ans. Pour ce qui est du mariage, l'écart est encore plus grand: 26 ans contre 29.

30% des jeunes interrogés (37% des hommes et 22% des femmes) n'ont encore jamais connu de mise en couple à la date de l'enquête. Leur « célibat» correspond globalement à deux cas de figure: d'un coté on trouve un report volontaire de la vie en couple dû à des études longues, de l'autre des difficultés subies pour former une union, qui correspondent souvent à de très bas niveaux d'étude et à des structures familiales d'origine incomplètes (parents décédés ou inconnus, divorces).

Les jeunes qui se mettent en couple le plus tôt (avant 21 ans) sont très majoritairement des femmes, et surtout le fils et filles d'ouvriers et ceux dont les parents n'ont pas ou peu de diplômes, surtout quand ils sont d'origine étrangère. À l'inverse, le mariage précoce est très rare chez les filles de diplômés du supérieur. Quand la mise en couple ne s'accompagne pas d'un mariage (cohabitation), les fils de diplômés du supérieur sont volontiers précoces, mais pas leurs filles. En général, quand il y a mariage, la CS des parents pèse beaucoup, surtout chez les garçons, alors que la simple cohabitation est plus sensible au niveau de diplôme des parents.

Le divorce des parents accélère la mise en couple des filles, et leur remariage celle des garçons. Le fait d'avoir une mère au foyer dissuade le fils d'aller cohabiter jeune, alors que la cadette de famille est prompte à se mettre en couple. La précocité des mariages a diminué entre 1963 et 1967, ce qui été seulement en partie compensé par la légère augmentation de la cohabitation précoce.

Si l'on compare les jeunes qui se marient lors de leur première mise en couple (30% des couples, 50% des

mariés) avec ceux qui, avant de se marier, vivent au moins un an avec leur futur époux (cohabitation prénuptiale, 26% des mariés), on constate que le premier scénario est typique des catégories populaires et des bas niveaux de diplômes. On remarque aussi que les fils issus de foyers de divorcés passent plus volontiers par la cohabitation prénuptiale.

Parmi les jeunes ayant déclaré s'être mis en couple, 72% n'ont jamais connu de rupture à la date de l'enquête, 23% une seule et 5% seulement deux ou plus.

La stabilité est très grande chez ceux qui se sont mariés dès leur première mise en couple, et plus encore chez ceux qui ont connu une cohabitation prénuptiale: moins de 5 % de ces unions ont été rompues à la date de l'enquête. Chez ceux qui n'ont connu aucune de ces trajectoires rapides vers le mariage, on remarque que la présence de la mère au foyer et le divorce des parents augmentent la stabilité des filles, mais que leur remariage la diminue. Les filles connaissent enfin moins de ruptures quand elles vivent dans des villes de 5 à 20000 habitants.

Les quelques personnes qui ont connu de nombreuses ruptures se répartissent équitablement entre hommes et femmes. Chez les femmes, les trajectoires heurtées correspondent souvent à de nombreux déménagements et à l'habitation dans la région parisienne. Quant aux hommes, le mariage les «prémunit» contre ce risque d'instabilité forte.

La dernière partie de l'étude met en regard les âges de fin d’étude, de départ du foyer parental (« décohabitation»), d'accès à un premier emploi, aux étapes déjà étudiées de mise en couple et de mariage. On constate tout d'abord le « classicisme » de la majorité des trajectoires individuelles où la fin des études précède l'emploi, lui même antérieur à la décohabitation, puis à la mise en couple et éventuellement au mariage, l'ordre étant le même dans les, deux sexes. Il apparaît cependant que ces étapes sont plus « resserrées » dans le temps chez les femmes que chez les hommes, qui auraient donc une jeunesse plus longue.

Si le « classicisme » des calendriers est dominant, il existe bien évidemment des comportements « atypiques »: 22 %des jeunes se mettent en couple avant la fin de leurs études, et 33% avant d'avoir leur premier emploi. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à « brûler les étapes », et les « déviances » sont plus fréquentes pour cohabiter que pour se marier.

Du fait de leur âge de fin d'étude, ce sont les fils et filles de cadres et de diplômés du supérieur qui bouleversent le plus souvent les calendriers. Mais même à âge de fin d'étude ou de premier emploi égal, on constate que les fils et filles d'ouvrier refusent les mises en couples précédant l'emploi, surtout quand il n'y a pas mariage. En fait, les fils et Filles de cadres peuvent à la rigueur cohabiter avant d'avoir un emploi, mais l'attendent pour se marier, alors que les fils et filles d'ouvriers peuvent éventuellement se marier sans emploi - car ils acquièrent par le mariage la sécurité qui leur manque - mais certainement pas cohabiter.

La transmission intergénérationnelle ne se limite pas à une transmission de statut professionnel à statut professionnel et, même quand c'est le cas, elle n'est pas forcément transmission à l'identique, ni transmission immédiate. L'histoire de la jeunesse, du passage à l'âge adulte, est aussi le résultat d'un processus, d'un héritage, héritage à la fois du statut socioprofessionnel des parents et de la structure familiale.

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