Jean-Louis Gérondeau
Jean-Louis Gérondeau (1967)
Membre du Directoire du Groupe Zodiac
Variances – Jean-Louis, peux tu revenir sur les raisons qui t'ont fait choisir l'Ensae à la sortie de l'X et sur tes années d'école ?
Jean-Louis Gérondeau – J'avais 20 ans à la sortie de l'X et je me sentais plutôt attiré par la recherche économétrique. Je me suis donc naturellement tourné vers l'Ensae pour y suivre des enseignements de recherche opérationnelle mais aussi, et cela faisait partie de mes motivations, y bénéficier d'un enseignement diversifié ouvrant sur des réflexions plus proches des réalités économiques. Ce furent de passionnantes années de découvertes et d'ouverture soutenues par des enseignants tels que Maurice Allais, Edmond Malinvaud ou encore Raymond Barre …!
Parallèlement à ces études qui stimulaient mon goût pour l'exploration intellectuelle, je commençais à travailler pour subvenir à mes besoins quotidiens : toujours dans l'administration, tout d'abord au service économique du ministère des transports, puis à la direction de la prévision, pour finir … par une année de service militaire au centre interarmées de recherche opérationnelle. Etudiant à l'Ensae, salarié dans l'administration, il me fallait une activité complémentaire : j'enseignais à l'école des Ponts et Chaussées … et j'y trouvais la motivation, diplôme de l'Ensae en poche, de partir suivre le Teacher Program de Harvard. J'y ai rencontré ma révolution culturelle !
Après des années d'enseignements "classiques", je découvrais la pédagogie à l'américaine fondée sur des raisonnements exploratoires et le goût du concret. Cette révolution américaine me fit probablement comprendre que j'aimais au moins autant les raisonnements intellectuels que leur confrontation à la réalité du terrain. Cette dualité m'a accompagné tout au long de ma carrière et m'a souvent permis d'allier réflexions stratégiques et goût du risque et de l'innovation.
Moi, le fils de fonctionnaires, naturellement destiné à l'administration et à la recherche, je découvrais que la passion d'entreprendre, d'innover, et de faire était une facette incontournable de ma personnalité. Et je suis rentré chez McKinsey !
La passion d’entreprendre et d’innover
V. – Comment se passe cette immersion dans le monde du conseil et pourquoi y restes-tu seulement trois ans ?
J-L.G. – Même si j'ai beaucoup appris chez McKinsey, j'ai très vite senti que le conseil ne satisfaisait pas vraiment mon goût d'entreprendre. Avec quelques autres collaborateurs, je me suis tourné vers les PME et j'ai cherché un moyen de rentrer dans une entreprise de cette taille pour être confronté aux réalités quotidiennes, qui, si elles ne stimulent pas toujours l'art de la réflexion pure, apportent les satisfactions incomparables du "faire". Et Zodiac est apparu !
V. – Pourquoi Zodiac ?
J-L.G. – Zodiac était en 1973 une société au bord du dépôt de bilan, gérée par le service contentieux du Crédit Lyonnais. A 30 ans, grâce à la confiance que me témoignait Didier Domange, je devins le directeur général de cette société en charge (urgente) de son redressement. C'était tout à la fois grisant et terriblement lourd pour un "jeune" de cet âge.
J'ai choisi sans état d'âme le risque du virage professionnel, tout en l'abordant avec humilité et raison. Cela s'est traduit par une stratégie en étapes successives, probablement influencée par ma manière de penser "ingénieur" : ainsi, redresser l'activité, refaire du financement et rétablir la confiance furent les trois objectifs auxquels je m'attelai avec autant d'acharnement que de volonté de réussir. Cette aventure a commencé en 1973 avec 400 personnes et un chiffre d'affaires de 8 M€ …
V – Aujourd'hui, soit 35 ans plus tard, Zodiac compte 15 000 personnes et génère 2 Md€ de chiffre d'affaires. Comment s'est passé cet extraordinaire développement ?
J-L.G. – Passées les premières années de rétablissement, Zodiac a abordé la décennie 80 avec la volonté stratégique de se développer significativement en associant deux démarches complémentaires : une stratégie de rachat et la poursuite du développement international entamé aux USA. Cela s'est traduit par des investissements en Afrique du Sud, en Australie, en Allemagne … et par le rachat d'Aérazur, le concurrent de Zodiac dans le monde du dirigeable durant les années trente. Ce rachat fut déterminant pour Zodiac car Aérazur avait entamé une diversification dans l'aéronautique qui rendait cette société particulièrement attractive à nos yeux.
Et Zodiac est apparu !
V – Pourquoi l'aéronautique ?
J-L.G. – Je crois qu'autant il est important de diversifier ses activités, autant cela doit être fait en combinant le goût du risque et la sécurité des faits : en respectant ce principe nous avons cherché à nous diversifier dans des activités connexes à notre activité de l'époque, les bateaux gonflables et les loisirs maritimes. Notre objectif était double : trouver des activités proches de nos métiers d'origine et investir des créneaux de marché sur lesquels il était possible d'espérer atteindre une position de leader.
Une démarche logique et exploratoire, comme celles enseignées à l'Ensae, nous a tout d'abord amenés à réfléchir à d'autres activités de loisirs pratiquées en saisons complémentaires, soit l'hiver … donc le ski. Cette hypothèse n'a pas su nous convaincre; nous avons alors développé une démarche inverse en partant de nos produits (les gonflables) et non de notre marché (les loisirs) … et Aérazur s'est imposé comme l'entreprise aux produits connexes (parachutes, toboggans, ...) qui nous permettait d'aborder le marché des équipements aéronautiques, de s'y développer … et d'en devenir un des leaders. Ce qui pour moi reste l'étape ultime de toute stratégie de diversification. Je suis fier et heureux de pouvoir dire : objectif atteint !
Et si l'on s'écarte des éléments rationnels de cette fierté, mon plaisir d'avoir donné à Zodiac une position de leader dans l'aéronautique est plus sentimental et irrationnel. En effet, à la fin du XIX° siècle, la société Zodiac offrait aux parisiens de survoler le bois de Boulogne en ballon captif pour 5 francs … et la première moitié du XXème siècle fut plus marquée par les activités aéronautiques que par l'activité marine qui ne connut son plein essor qu'après les années 50. Lorsque j'arrivai à la tête de Zodiac les activités aéronautiques avaient totalement disparu depuis longtemps et la nécessité de trouver de nouveaux champs de développement devenait vitale. L'aéronautique permit d'atteindre cet objectif et de s'y reconstruire une place de leader.
Clin d'œil du destin ou ultime volonté de boucler une boucle symbolique : en 2007, à l'heure où le temps est venu pour moi de tirer ma révérence et de rendre les clefs, les activités marines de Zodiac ont été vendues à Carlyle, et la société est ainsi redevenue une entreprise consacrée à l'aéronautique comme elle le fut il y a 100 ans !
V – Finalement le destin de cette entreprise se mêle étroitement avec ton propre destin professionnel : quel regard tires-tu de ces années et quels objectifs essentiels ont guidé ta vie et tes décisions de chef d'entreprise tout au long de ces trente années ?
J-L.G. – Même si j'ai évidemment fait des erreurs, raté des occasions ou fait probablement parfois des mauvais choix, j'ai le sentiment et la satisfaction d'avoir atteint des objectifs qui ont, à mes yeux, une importance capitale.
Le premier d'entre eux est de maintenir sa société dans un contexte de croissance soutenue et régulière : j'ai réussi à l'aide de stratégies volontaires de développement et de diversification à conserver toutes ces années une progression de 15 % du chiffre d'affaires et de la marge.
Deuxième objectif atteint : lorsque cette progression menaçait de devenir difficile à atteindre, j'ai fait évoluer la stratégie pour investir des créneaux porteurs et y gagner une place de leader.
Enfin, troisième raison de satisfaction : remettre les clefs de l'entreprise Zodiac rendue à son état d'origine après 35 ans de vie commune commencée dans les tourments qui ont failli lui être fatals.
Des valeurs humaines fortes
V – La mise en avant d'un esprit et d'une culture Zodiac très affirmés laissent deviner un management spécifique et la volonté de ta part de créer un projet d'entreprise fondé sur des valeurs fortes
J-L.G. – C'est l'autre versant de ma fierté d'entrepreneur dont témoigne la grande stabilité des équipes de Zodiac. J'ai souhaité développer une forte culture d'entreprise fondée sur des valeurs qui ont su rester celles d'une PME :
- l'humilité qui permet de savoir toujours apprendre des autres et d'accepter l'authenticité de l'échange loin de toute stratégie politique ;
- le réalisme qui privilégie les faits et leur vérité ;
- l'esprit d'entreprendre conjugué en goût du risque, créativité, confiance en soi et délégation ;
- enfin le respect de ce qui fut, ce qui est en train de s'accomplir et ce qui reste à faire.
En y regardant de plus près, ces valeurs sont celles qui pourraient définir tout ingénieur …!
V – Finalement le chef d'une entreprise mondiale leader sur son marché resterait-il avant tout un ingénieur …?
J-L.G. – Oui, à tel point que je n'ai jamais spontanément pu croire aux pourcentages que l'on me présentait. Il m'a toujours fallu comprendre leur sens, analyser leur contexte, repérer leurs sources … l'Ensae a laissé une marque indélébile !
V – Aujourd'hui, devenu membre du directoire de Zodiac, en ayant laissé les responsabilités opérationnelles à ton successeur Olivier Zarrouati, quels sont tes projets ?
J-L.G. – Toujours membre de plusieurs conseils d'administration, actionnaire et membre du directoire de Zodiac, je vais néanmoins consacrer plus de temps au ski, aux voyages et à des projets personnels.
Et je vais regarder comment aider de jeunes entreprises qui se lancent en participant à leur financement. Je développerai ainsi une démarche de business angel que je n'ai eu l'occasion jusqu'à aujourd'hui de ne tester (avec succès) qu'avec mon fils, jeune entrepreneur … serait-ce héréditaire ?
V – Après ce tour d'horizon sur ce qui a construit ces années professionnelles riches en passions et en succès, que souhaiterais-tu dire aux jeunes Ensae ?
J-L.G. – Que l'Ensae est une école d'ouverture qui offre à ses élèves de développer de grandes et multiples qualités utiles et positives pour les entreprises. Je voudrais insister sur la notion de temps : le jeune diplômé a du temps pour trouver sa voie. Beaucoup de choses sont possibles, il est important de bâtir sur ce que l'on a appris, d'explorer sans craindre les risques et d'oser sa différence : chacun doit et peut trouver le chemin de sa propre réalisation.
L'Ensae met en évidence l'existence de nombreuses portes accessibles. Il ne reste plus qu'à les pousser pour aller voir … avec humilité, réalisme, confiance en soi et respect de ce qui est en train de s'accomplir.
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