Gilles MICHEL (1979), Directeur des Plates-Formes, des Techniques et des Achats de PSA Peugeot Citroën, membre du Comité Exécutif.
Variances – Quels souvenirs vous laissent vos années à l’ENSAE et pourquoi avez-vous choisi d’y faire vos études ?
Gilles Michel – En venant à l’ENSAE je souhaitais approfondir ma connaissance du fonctionnement économique et des politiques associées. C’était la suite naturelle des choix que j’avais déjà effectués à Polytechnique en suivant la majeure économie.
Je garde de ma scolarité à l’ENSAE le souvenir de débats politiques et économiques intenses entre élèves. Nous étions à la fin des années 1970, le programme commun était enterré mais les discussions autour des nationalisations ou de l’efficacité économique de l’Etat étaient vives. La présence de nombreux élèves étrangers attisait également les débats sur les politiques de développement économique.
Des débuts d’économiste du développement
V – Vous commencez votre carrière à l’ENSAE, comme assistant en macro économie, puis partez rapidement à la Banque Mondiale. Pouvez-vous revenir sur votre début de carrière ?
GM – Je n’ai eu qu’un seul poste dans l’administration, mon premier, mais il m’a laissé un souvenir fort : enseigner est stimulant, exigeant et très satisfaisant lorsque l’on arrive à transmettre des connaissances.
En parallèle, j’ai fait des recherches en économie du développement et la Banque Mondiale m’a proposé de rejoindre une nouvelle équipe. Le prestige de l’institution était alors réel et je suis donc parti 4 ans à Washington pour travailler avec Kemal Dervis, aujourd’hui administrateur général du PNUD, qui venait de créer une équipe très internationale d’une trentaine de personnes pour travailler de manière transversale sur les politiques industrielles d’ajustements structurels (systèmes d’investissements, imports, exports, formation, etc.). J’ai ainsi pu nourrir pendant quatre ans mon appétit pour l’économie, le développement et l’industrie en travaillant sur les politiques industrielles en Afrique, en Amérique Latine et en Yougoslavie.
V – Mais vous en partez pour revenir en France, dans le privé, dans l’industrie. Un changement radical !
GM – Je ne voulais pas rester à vie aux Etats-Unis et la Banque Mondiale offrait des postes très spécialisés. Le retour s’imposait donc avec l’envie d’être plus opérationnel. Le travail au contact des industriels m’avait donné du goût pour cela. Des diverses pistes ouvertes, Saint-Gobain me proposait la perspective la plus attrayante : un premier poste d’analyste, ce que je maîtrisais, pour mieux partir ensuite dans l’opérationnel. J’ai donc commencé par travailler dix-huit mois à la direction des études économiques du groupe puis encore dix-huit mois au contrôle de gestion de la Branche Céramiques Industrielles.
J’ai ensuite pris la direction d’une usine de 2 000 personnes dans le Sud de la France. Un monde de machines, de relations sociales (rudes) de production et de clients... Exactement ce que je souhaitais car c’est vraiment cela l’industrie ! J’avais 33 ans, il fallait mener une importante restructuration et remettre l’usine sur pied en suscitant l’adhésion des salariés, qui était loin d’être acquis. Ce fut une expérience humainement passionnante, car c’est là que j’ai découvert le management, formidable révélateur de sa propre personnalité, de ses forces et de ses faiblesses, exercice auquel d’ailleurs nous ne sommes pas assez bien préparés dans nos écoles.
Après ces 15 ans comme directeur d’usine et divers autres postes, je suis retourné aux Etats-Unis en 1997 pour devenir Président Directeur Général d’une filiale de Saint-Gobain à Indianapolis, Ball Foster Glass Co. Nous venions de racheter cette filiale et toute la tête de l’entreprise était partie à la concurrence : le challenge était à la fois industriel (réussir l’intégration dans le groupe et rentabiliser la filiale), managérial (s’imposer à la tête d’une entreprise n’est jamais facile) et personnel (un patron français au Middle-West américain). Difficile mais passionnant !
Pendant tout ce début de carrière, j’ai apprécié le regard que donne l’ENSAE. Un regard différent de celui des autres ingénieurs, plus analytique, plus nourri de réflexions économiques et financières, plus systémique. Ces atouts s’avèrent très utiles pour prendre du recul au quotidien lorsqu’il s’agit de gérer une prise de commande ou de réorganiser une ligne de fabrication.
De l’industrie des céramiques à l’automobile
V - Qu’est ce qui vous a mené à un changement professionnel de Saint-Gobain à PSA Peugeot Citroën?
GM - A mon retour en France en 2000, j’ai pris la présidence d’une des neuf branches d’activités de Saint-Gobain : les céramiques et plastiques et c’est alors que j’ai été approché par PSA Peugeot Citroën. A quarante-cinq ans, j’étais un peu à la croisée des chemins et cette proposition représentait un nouveau défi personnel et professionnel. J’ai finalement choisi de tenter cette aventure et de changer de métier. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
Le secteur automobile présente de très fortes et de très nombreuses spécificités. Tout d’abord, s’il y a bien des investissements rationnels, l’activité reste tributaire d’effets de mode, de passions ou d’émotions, à l’évolution souvent plus rapide que nos cycles de développement. En effet, nous évoluons dans un temps long avec des investissements très lourds. Un projet de nouvelle voiture représente environ 3 ans de travail et entre 500 millions et 1 milliard d’euros d’investissements ; pour une nouvelle usine, il faut prévoir également 1 milliard d’euros d’investissements. Sans oublier que le Groupe PSA Peugeot Citroën est le premier employeur privé de France avec plus de 208 000 collaborateurs dans le monde.
D’autre part, l’industrie automobile évolue dans un contexte de plus en plus concurrentiel, à la fois sur des marchés matures comme l’Europe ou les Etats-Unis et sur des marchés qui demandent une très forte réactivité comme l’Amérique du Sud ou la Chine. Nous devons toujours trouver des moyens d’être plus performants. Enfin, les contraintes techniques et les normes environnementales ou de sécurité qui s’imposent à l’automobile sont très nombreuses et de plus en plus sévères. Elles ajoutent à la complexité du produit.
La maîtrise d’ensemble d’une chaîne de valeur
V – En quoi consiste votre rôle de Directeur des plates-formes, des techniques et des achats chez PSA Peugeot Citroën ?
GM – Au sein du comité exécutif du Groupe, je suis responsable des 17500 collaborateurs des bureaux d’études chargés du développement et de l’industrialisation des nouveaux modèles. Ma direction gère également l’ensemble des achats du Groupe PSA Peugeot Citroën, soit 29 milliards d’euros par an. Cette fonction est particulièrement cruciale dans l’automobile puisque les trois-quarts du coût d’un véhicule sont achetés.
V – Particulièrement exposé aux clients et à la concurrence depuis vos débuts professionnels, sentez-vous aujourd’hui les effets de la mondialisation dans votre activité ?
GM – J’ai vécu la mondialisation comme une montée rapide mais progressive de pays qui ont su développer des atouts concurrentiels et des moyens puissants pour répondre aux attentes des marchés. L’internationalisation des activités était déjà un fait chez Saint-Gobain : pour les céramiques, les Etats-Unis représentaient un tiers du marché, l’Europe 40% (dont 15% en France), le reste étant essentiellement concentré en Asie.
Dans l’automobile, l’ouverture de la Chine, mais aussi le développement de l’Europe de l’Est ou de l’Amérique Latine ont réellement accéléré la mondialisation, en ouvrant de nouveaux pôles de consommation et en créant de nouveaux rythmes pour les marchés.Ces pays ont investi pour répondre à leurs nouveaux besoins et leurs entreprises ont rapidement dépassé le cadre de leurs frontières. Cette ouverture a donc à la fois offert de nouveaux débouchés et fait apparaître de nouveaux concurrents. Chez les équipementiers, par exemple, on assiste à la montée en puissance d’acteurs très performants en Turquie, en Inde, en Chine ou en Amérique Latine, qui se développent d’abord dans leur propre zone puis couvrent des marchés mondiaux.
L’industrie automobile devient globale. Néanmoins, on n’assiste pas à des délocalisations massives de constructeurs car la fabrication rentable d’un véhicule se fait sur sa zone de commercialisation, le transport de véhicules montés étant très cher.
Et l’avenir ?
V – Justement, quel est l’avenir de l’industrie française et européenne ?
GM – La France a évidemment un avenir économique ; mais elle a intérêt à s’en préoccuper rapidement. Sa maîtrise des technologies, son tissu économique dense et sa capacité créative forte sont des atouts considérables dans une économie mondialisée. Mais ses handicaps sont connus et pourront peser dans un contexte économique de plus en plus concurrentiel. En effet, aujourd’hui les consommateurs ne sont plus des « patriotes économiques », ils n’ont pas état d’âme à acheter « étranger ». Il faut donc créer en interne les conditions pour activer tous les ressorts de notre créativité, offrir en permanence des innovations utiles au plus grand nombre tout en diminuant les coûts de production pour rester compétitifs. Le marché européen existe, avec ses spécificités, à la France de le servir en défendant ses positions et poussant ses avantages.
V – Si vous deviez trouver un fil rouge dans votre carrière ou donner un conseil à des ENSAE souhaitant tenter l’aventure industrielle, que diriez-vous ?
GM – Je dirais volontiers qu’il ne faut absolument pas considérer que son diplôme prédestine à une seule fonction. L’ENSAE est une école généraliste de très bon niveau, qui offre de très nombreuses opportunités. Elle permet d’acquérir une solide base de connaissances ne doivent pas être considérées comme un acquis définitif mais bien comme un actif que l’on doit mobiliser pour se retourner ou rebondir, à toutes les périodes de sa vie. Il me semble important de ne jamais hésiter à se remettre en question, à changer, à mobiliser ses compétences sur des nouveaux challenges. Atteindre d’autres horizons est toujours possible et c’est cela qui est passionnant.
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