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04 juin 2004

Olivier Lecler, Directeur Général Adjoint de Boursorama, ENSAE 1992

" Varier le plus possible les expériences, sans crainte des ruptures culturelles"

Un début de parcours classique à l'Insee

Commençons par mon parcours et ma formation. Je suis entré à l’ENSAE en 1990 après avoir fait l’Ecole Polytechnique. Je suis donc sorti de l’ENSAE, dans le corps de l’Insee, en 1992 comme administrateur et je suis rentré à l’Insee où j’ai passé au total 4 ans.

J'ai commencé par deux ans à la comptabilité nationale où je m’occupais des secteurs dits « à comptabilité complète »: institutions financières, assurances, comptabilité de l’Etat, les administrations publiques d’une façon générale et les Grandes Entreprises Nationales, les fameuses « GEN » (je vous passe la liste, mais citons à titre d'exemple Air France). Ces deux années m’ont beaucoup plu intellectuellement parce que la comptabilité nationale est une belle construction, que l’on utilise dans de nombreux domaines sans toujours en connaître la genèse : pourquoi et comment on utilise tel ou tel concept, d’où cela vient et quelles réflexions il peut y avoir derrière. Construire un modèle qui essaie d’appréhender l’ensemble de l’économie, c'est cela qui me paraît assez remarquable. J’ai en plus eu la chance d’arriver à un moment clef qui est le changement de base – la base 1990 à l’époque – ce qui rendait le travail très intéressant parce qu’il y avait toute une réflexion sur l’évolution des cadres conceptuels de la comptabilité nationale, mais également sa mise en œuvre. C’est un point que je voudrais souligner : la conception est une chose, mais il ne faut pas négliger non plus la gestion pratique de « comment on fait ? ».

Après ces deux années à la comptabilité nationale, je suis passé au département de la conjoncture, dirigé alors par Alain Chappert Là, je suis arrivé dans quelque chose de tout aussi intéressant, mais de vraiment très différent : il s’agissait non plus de construire le chiffre, mais de l’utiliser pour construire le discours économique, puisque j’étais en charge de ce que l'on appelle la "synthèse conjoncturelle". C’est un poste où l’on participe aux quatre Notes de Conjoncture annuelles, où l’on apprend beaucoup de choses par nature : le bouclage du scénario macro-économique de court terme, mais également l’élaboration des "Dossiers", ces études opérationnelles techniques dont nous lancions alors la publication dans la Note de Conjoncture. Il fallait arriver à faire travailler des gens qui n’étaient éventuellement pas du service, des chercheurs par exemple, puis transformer leur travail pour le rendre intelligible pour le grand public. Ce n’était pas évident, mais très intéressant.

De l'administration au privé, une première "rupture culturelle"

Au bout de deux ans, je me suis posé la question de mon parcours professionnel, passé et à venir. Je venais de faire quatre années à l’Insee, j’avais donc deux options. La première consistait à continuer et à choisir une option « lourde » pour faire une carrière entière d’administrateur, à l’Insee ou dans d’autres administrations, éventuellement plus financières. L’alternative était d’essayer de partir dans le privé et de voir comment je m'y intégrais.

J’étais intéressé par la banque parce que c’était un secteur que j’avais suivi lorsque j’étais à la comptabilité nationale. Et puis il y a eu le hasard : j’ai été amené à discuter avec des gens de la Société Générale, ce qui, après une longue réflexion qui n’a pas été simple, m’a amené à me dire « je vais tenter le coup, je vais passer dans le privé ». Je suis donc parti à la Société Générale où je me suis retrouvé à la Direction Financière. J’y ai passé au total trois ans et demi, de mi 1996 à la fin 1999.

Là, ce fut un très bon poste de transition : je restais sur un poste en "central", pas trop sur le terrain, ce qui est plutôt bien lorsque l’on vient de l’administration. Dans le même temps, c’était l’entrée dans un univers totalement différent, celui de l’entreprise privée et qui plus est d’une grande banque française. Beaucoup de découvertes donc, mais aussi beaucoup de curiosité et d'intérêt intellectuel parce que j’y ai appris beaucoup de choses. Je m’occupais essentiellement des aspects "développement" de l’entreprise. Développement interne d'abord avec le suivi d’un certain nombre de gros projets sous l’angle financier et stratégique : s’assurer des grands équilibres d’un projet, qu’il ne dérape pas, qu’il a du sens. Mais je m’occupais aussi de développement externe, et dans ce domaine j’ai beaucoup appris sur l’analyse de la croissance externe, avec des éléments plus « corporate » et surtout plus orientés vers la finance d’entreprise. Ce sont des choses que je n’avais pas forcément acquises avant, en tous cas pas de façon pratique.

J’ai également participé à l’un des moments intéressants de la Société Générale – difficile, mais très intéressant – qu’a été l’opération de rapprochement avec Paribas, puis l’arrivée de l’offre de BNP sur Paribas et son rachat. C’était au milieu de mon poste et cela a vraiment été une période passionnante.

Une transition en interne vers Fimatex

Comment cela s’est-il terminé, fin 1999 ? Je suivais, parmi mon portefeuille d’entités de la Société Générale, l’entreprise Fimatex qui était encore une petite activité de courtage en ligne pour particuliers – je dis cela sans intention péjorative. Le marché s’est mis à exploser complètement à peu près à ce moment-là, à partir de la mi 1999. Les choses ont commencé à aller très vite avec l’engouement pour les nouvelles technologies et la bulle Internet : l’explosion du marché aidant, Fimatex s’est vu regardée par des analystes financiers qui ont pris leur calculatrice et ont dit de cette petite entité qu’elle valait quelques centaines de millions d’euros. Dès lors, nous avons commencé à nous interroger sur l’intérêt qu’il pouvait y avoir pour la Société Générale à coter une petite entreprise comme celle-ci en Bourse : en connaître la valeur, mais aussi lui donner les moyens de se développer. Le marché du courtage en ligne était appelé à se développer et il fallait donc que les entreprises désireuses de se battre sur ce segment aient les moyens financiers de le faire. Après réflexion à la Société Générale, la décision a été prise d’introduire Fimatex en Bourse.

C’est à ce moment-là que je suis passé côté Fimatex pour être directeur financier et préparer l’introduction en Bourse de cette société, au nouveau marché. Je suis arrivé en novembre 1999, l’introduction en Bourse ayant finalement été réalisée en mars 2000, suivant un « timing » parfait : si vous vous souvenez bien, le marché connaissait alors ses plus hauts historiques. Une semaine après l’introduction en Bourse de Fimatex, le marché commençait à flancher, c’était donc tout juste!

Fimatex est une filiale de Société Générale. Le passage vers Fimatex s’est donc fait comme une mutation en interne à la Société Générale, mais le fait est qu’aujourd’hui je suis sous contrat de travail avec Boursorama, anciennement Fimatex, et non avec la Société Générale. C’est un point important parce que Boursorama est une filiale certes, mais qui n’est pas détenue à 100% par la Société Générale, qui est cotée en Bourse et a son existence propre, même si il existe un actionnaire majoritaire.

Le métier passionnant de Directeur Général Adjoint d'une société cotée en Bourse

Depuis maintenant un an et demi, je suis Directeur Général Adjoint de Fimatex, devenu en 2002 Boursorama. Je suis chargé d’une part de superviser les aspects financiers et les aspects dits de secrétariat général d’autre part : juridique, contrôle interne et un certain nombre d’autres fonctions spécifiques à un établissement de crédit. D’autre part je suis chargé de superviser l’International, que je dirige : on est en France, mais on est également en Allemagne, au Royaume-Uni et en Espagne depuis peu de temps. Le suivi de ces activités en particulier représente un gros travail.

Ce travail est évidemment passionnant, parce qu’il représente toute la vie d’une société cotée en Bourse, qui a eu les moyens de se développer, ce qui veut dire que nous avons fait de la croissance externe avec notamment deux grosses acquisitions. Nous avons ainsi racheté à la mi 2002 le site Boursorama – nous avons changé notre nom en France pour nous appeler maintenant Boursorama SA, mais le nom Fimatex est toujours utilisé, en Allemagne par exemple. Début 2003, nous avons par ailleurs fait l’acquisition de Self-Trade qui était un de nos vrais concurrents, sinon le principal concurrent de Boursorama en France. Nous avons de ce fait eu en 2003 tout un travail de fusion des deux sociétés qui est aujourd’hui terminé.

Notre principale activité est le métier de courtier en ligne, qui génère 93% de nos revenus. A côté de cela, nous avons une activité dite de media, qui consiste à exploiter la partie publique du site Internet Boursorama, celle à laquelle vous avez accès sans être client de Boursorama et sur laquelle nous faisons de la publicité qui en constitue l’essentiel du revenu. Cette partie publique du site Internet nous sert également de moyen de recrutement marketing : nos clients viennent pour l’essentiel par le biais du site Internet qui est notre meilleur atout et notre meilleur moyen de communication vers les particuliers.

Ce qu'apportent les changements de trajectoire professionnelle

J’ai eu deux grandes « ruptures » culturelles : le passage de l’administration à l’entreprise privée, puis celui de la Société Générale à Boursorama. C’est une vraie « rupture culturelle » parce que c’est passer d’une grande maison aux revenus récurrents à une petite société comme Boursorama pour qui les revenus ne sont pas du tout aussi établis. Concrètement, nous sommes passés par une période qui a été difficile, comme elle l’a été pour l’ensemble du secteur du courtage en ligne. Nous avons assez peu de revenus récurrents : au 1er janvier, je ne peux pas dire avec certitude de quoi seront faits les revenus de l’année à venir de Boursorama, même si j’ai quand même quelques idées sur la question ! Cet aspect là change le point de vue et la culture d’entreprise, c’est certain.

Pourquoi j’ai changé par deux fois de route, pourquoi m'être essayé à ces « ruptures culturelles » ? Il y a d’abord des moments où les opportunités se présentent, où le hasard intervient. Je ne m’étais pas forcément dit au départ que j’allais changer d’univers professionnel au bout d’un laps de temps donné : le hasard, le cours des choses y ont été pour beaucoup. A posteriori, c’est vrai que je suis plutôt content de cet état de fait : quand j’ai démarré ma carrière, je ne savais pas bien dans quel univers et dans quelle culture d'entreprise j’avais envie d’évoluer, c’est donc une bonne chose pour moi que d’avoir pu expérimenter trois univers qui ont leurs caractéristiques propres et distinctes. Rétrospectivement, j’en suis content, cela m’a permis de voir ce qui me plaisait ou non. Sans compter que cela m’aidera pour le futur, puisque chaque expérience m’a donné des repères qui me permettront de faire des choix professionnels mieux éclairés.

Que retenir de ces années de formation initiale?

Pour l’avenir, je n’ai pas de vision "à quinze ans"! Pour l’instant je suis chez Boursorama, ça se passe très bien, j’y fais des choses passionnantes et très variées. J’y suis très bien et pour le reste, on verra bien ! Je peux juste dire que mon avenir professionnel sera très certainement dans le secteur bancaire et financier au sens large. Dans ce contexte professionnel là, les enseignements de l’ENSAE m’ont beaucoup servi – outre durant mes années à l’Insee – à la Société Générale parce que je suis arrivé avec un bagage qui n’est en fait pas très "commun". A la Direction Financière de la Société Générale, les gens, curieusement, étaient assez peu scientifiques de formation. Ils avaient davantage un profil bancaire classique. Pour faire simple : de type Sciences Po au départ, ils avaient souvent été sur le terrain dans d’autres activités de la banque avant et avaient une très bonne connaissance du métier, ce qui n’était pas du tout mon cas. Mon apport, mon biais si vous voulez, était d’apporter une approche des problèmes utilisant un certain nombre d’outils techniques et économiques.

A la Société Générale, j’avais par exemple commencé par travailler sur un bilan des travaux portant sur l’existence ou non d’économies d’échelle dans le secteur bancaire, selon une approche d’économiste, impliquant de l’économétrie. Très ENSAE donc. Là où je me trouvais, il n’y avait que moi qui pouvait regarder cela : mon passage par l’ENSAE me permettait de comprendre et de restituer les idées essentielles des papiers de recherches sur ces sujets.

Mais finalement, c’est mon passage à la conjoncture qui m’a le plus servi dans la suite de mon parcours professionnel. La conjoncture est un apprentissage de la synthèse du chiffre pour en sortir un discours et produire du sens. Ce sont des choses qui m’ont beaucoup servi par la suite à la Société Générale et même ici, à Boursorama. Le métier de Directeur Financier est précisément celui-là, notamment pour sa composante de communication financière : des gens produisent du chiffre, qu’il faut comprendre pour le restituer de manière à ce qu’il fasse sens, pour expliquer quelles sont les perspectives et le champ des possibles.

La comptabilité nationale enfin m’a beaucoup aidé, parce qu’elle propose un cadre conceptuel et comptable très utile lorsque l’on se retrouve aux frontières de la comptabilité d’entreprise. La comptabilité nationale imprime un mode de pensée – même si les concepts ne sont pas les mêmes – qui sert ensuite lorsque l’on est confronté à des problématiques issues de la comptabilité d’entreprise.

Garder un équilibre personnel

Il est très important de garder un équilibre personnel à côté du travail, ce à quoi je veille. Je suis marié, j’ai deux enfants et c’est très important. C’est vrai qu’aujourd’hui j’ai un peu mis en sourdine tout ce qui était activités extra-professionnelles : je fais du sport, des choses comme ça, mais ça s’arrête là à cause de mon emploi du temps professionnel, très prenant. Mais j’y reviendrai sûrement.

Pour terminer, si je devais donner un conseil ou un principe général aux jeunes diplômés de l’ENSAE, ce serait d’essayer, durant les premières années de la vie professionnelle, de varier les expériences le plus possible. Je crois qu’il est assez rare de savoir, au sortir de l’ENSAE, ce que l’on aime faire et ce que l’on a envie de faire. Cela peut arriver, et dans ce cas je trouve cela formidable, mais je pense que souvent on ne sait pas. On n’a pas au départ une idée très claire du monde professionnel, de l’ambiance dans laquelle on aime bien travailler – dans le stress ou non par exemple – du degré d’exposition que l’on va aimer avoir, de ce que l'on aime vraiment faire ou pas – et en particulier est-ce que l’on aime le chiffre ou pas. Autant de choses que l’on ne découvre vraiment que sur le terrain. Le diplôme de l’ENSAE offre un profil intéressant qui ouvre beaucoup de possibilités qu’il ne faut pas hésiter à explorer. Au bout de quelques années, on commence à y voir plus clair et on peut alors s’engager dans une voie en toute connaissance de cause et sans hésitation ni regret, en se disant « c’est là-dedans que j’ai vraiment envie de persévérer ». Je recommanderais volontiers de faire ces expériences tôt, dès le début de la vie professionnelle.

Propos recueillis par Fabien Toutlemonde

Auteur

Egalement diplômé de Sciences-Po (section Recherche en Sciences Politiques) en juin 2000, je travaille à temps partiel pour l'OCDE avant de rejoindre en aout 2000 le Département de la conjoncture de l'INSEE, puis en mars 2004 la Dares au Ministère du Travail (Mission d'Analyse Economique).
Entré au Conseil de l'ASTEC en juin 1999, j'y suis rédacteur en chef de Variances de janvier 2001 à janvier 2004. En 2004, j'invente et réalise la 1ère édition de l'Alumni's Cup. J'ai également pris part à la formation d'ENSAE Solidaire, association que je préside depuis mars 2004. Voir les 15 Voir les autres publications de l’auteur(trice)

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