Les chaires : premier pas vers la sauvegarde d’une capacité de recherche de pointe
Christian Gouriéroux (1972), Directeur du Laboratoire Finance-Assurance du CREST et co-responsable avec Pierre Picard de la chaire ‘Assurance et Risques Majeurs’ de la Fondation du Risque revient pour Variances sur le fonctionnement des chaires et leur rôle pour dynamiser la recherche.
variances – Peux tu revenir sur la raison qui a conduit au développement des chaires ?
Christian Gouriéroux : La raison première est un problème accru de concurrence avec l’étranger. Les chercheurs confirmés partaient de plus en plus souvent enseigner dans les universités anglo-saxonnes où ils étaient beaucoup mieux rémunérés. Quelques départs diminuent rapidement la capacité à assurer un nombre important de cours de bon niveau. Pendant longtemps, on a pu masquer cette situation née du départ ou du simple manque de professeurs et de postes attractifs via l’appel à des professionnels qui officiaient ponctuellement comme professeurs associés, Guillaume Gorge étant de ceux-ci.
Mais même s’ils ont le niveau technique et font des cours de qualité, ils ont un travail à côté et ne peuvent passer du temps supplémentaire à encadrer les étudiants doctorants. Cette situation improvisée a longtemps permis de masquer la difficulté chronique dans laquelle se trouvait l’enseignement supérieur en finance. Cela finissant tout de même par se savoir, la qualité du recrutement a commencé à en pâtir, en particulier à l’international. Après quelques temps, le niveau des étudiants, puis le niveau des thésards et en définitive le niveau de la recherche et des labos à Paris commençait à souffrir de ce manque d’attractivité.
Ces départs étaient liés à la fois à un problème financier et à un problème de lien avec les entreprises. En dehors de quelques professeurs médiatiques ou connus comme des consultants réputés, les entreprises connaissent peu les universités ou les écoles et hésitent à s’en rapprocher. C’est un problème qui n’existe pas aux Etats-Unis où même les filiales américaines de ces entreprises françaises entretiennent des relations approfondies avec les universités locales…
v – Nous reviendrons en détail sur les mécanismes, mais a-t-on d’ores et déjà inversé la tendance ?
C.G. : Les départs massifs d’universitaires datent d’il y a une demi-douzaine d’années ; l’inversion, on peut l’espérer pour dans quelques années, mais pas tout de suite. Pour le moment il s’agit déjà de garder ceux qui sont là et de fixer un socle de doctorants pour renouveler le vivier local. Confrontés au même problème, les Suisses ont réagi plus tôt et ont commencé la même chose que ce que nous sommes en train de faire, il y a 4-5 ans. S’ils commencent aujourd’hui à faire venir des professeurs étrangers renommés, cela ne suffit pas encore pour former un nombre suffisant de doctorants et parvenir à rééquilibrer leurs filières…
Sauvegarder l’attractivité de la recherche parisienne
On se heurte ici directement au problème de la pyramide des âges universitaire de la place de Paris… Les professeurs encadrant sont âgés et ne sont pas remplacés, en partie faute de postes attractifs suffisants. Le milieu concerné étant assez petit, un petit nombre de personnes fait rapidement un gros pourcentage. On compte à peine une quinzaine de professeurs confirmés capables d’encadrer efficacement des jeunes et ayant du temps pour cela. Or la relève est très touchée par les départs. A l’exception des mathématiques financières, moins soumise à la concurrence et où Paris reste une place scientifique très solide de ce point de vue, tous les domaines plus appliqués, comme la finance d’entreprise (corporate finance), ont connu d’importants exodes.
Il y a aujourd’hui un groupe de professeurs de 60-67 ans qui prolongent leur activité et permettent en cela le maintien d’un personnel enseignant suffisamment vaste et reconnu. Ils ne peuvent véritablement s’arrêter si l’on souhaite assurer un maintien des structures. Il y a derrière eux très peu de 55-60 ans et encore moins de jeunes quinquas. La relève est aujourd’hui composée de quelques jeunes quadras et surtout de trentenaires, plus nombreux, mais encore trop peu expérimentés pour attirer des élèves des quatre coins du monde et les former efficacement. Si l’on se penche sur les moins de 30, on voit le reflet de la crise de recrutement de ces dernières années avec un creux de candidats doctorants (le CREST ne parvenant même pas à distribuer toutes ses bourses de thèse en finance).
v. – Qu’est-ce que tout ce nouveau système apporte à la recherche et aux chercheurs ?
C.G. : Pour les chercheurs, le système n’apporte pas encore grand chose au niveau des rémunérations. Ceux qui souhaitaient arrondir leurs fins de mois le pouvaient déjà en étant ponctuellement consultants. En revanche, cela modifie profondément leurs conditions de travail, car cela apporte de l’argent aux laboratoires ainsi qu’un rapport direct aux entreprises. Celles-ci sont de plus en plus soucieuses d’intégrer dans leurs recrutements des thésards ou des personnes passées par des parcours de thèse après leur école ; elles font montre d’une attention plus soutenue sur le marché du travail, ce qui rehausse l’attractivité des études longues. On constate d’ailleurs une légère hausse de la demande de bourses Cifre et du nombre de doctorants formés par ce biais en finance appliquée.
Des chaires de ‘fonctionnement’ pour aider les laboratoires
Le laboratoire que le CREST a monté depuis quelques années avec Dauphine et EDF (chaire Calyon-EDF, en dehors de la Fondation du Risque) est typique de ce que peut apporter une chaire. Une grande pluralité de profils se retrouvent autour d’elle, des chercheurs EDF, des thésards, des chercheurs universitaires, le tout pour construire non pas des outils pouvant servir directement à EDF, mais pour parvenir à faire émerger des idées et des start-ups. Dans ces domaines, les entreprises ne peuvent pas se créer toutes seules à partir d’une bonne idée tant les besoins techniques sont lourds et nombreux.
Dans le cadre des chaires, les entreprises n’apportent pas nécessairement des thèmes de recherche spécifiques, même parmi les plus appliqués ; ce sont plutôt les chercheurs qui les connaissent par leurs échanges internationaux. En revanche, les entreprises apportent un soutien logistique, technique et financier, et permettent d’aborder les sujets de façon différente.
v. – Pourquoi développer des chaires en plus des laboratoires existants ?
C.G. : Ce n’est pas la même chose et les chaires font partie intégrante des laboratoires, même si elles sont à cheval sur plusieurs institutions. Elles s’inscrivent au cœur des politiques de chaque laboratoire. Elles en font partie et ne doivent pas se penser en concurrence avec eux. Dans le fonctionnement quotidien de la recherche, ce sont toujours les laboratoires qui sont importants et ont une visibilité internationale : les chaires sont des cristallisations ponctuelles d’intérêts convergents dans un contexte institutionnel très spécifique.
Le laboratoire Finance-Assurance du CREST, par exemple, est très impliqué (avec l’Ecole Polytechnique) dans la chaire AXA de la Fondation du Risque, très impliqué également (avec Dauphine) dans la chaire Groupama (toujours dans la Fondation du Risque) et impliqué également, quoique moins, dans la chaire Santé de cette même fondation. Le laboratoire est par ailleurs très impliqué dans la chaire Calyon-EDF (Finance et développement durable), qui n’appartient pas à la Fondation du Risque, mais est sous le patronage de l’Institut Europlace de Finance (IEF). Des structures comme la Fondation du Risque ou l’IEF avaient été montées pour l’accueil et la gestation des premières chaires, la majorité ayant impliqué en bilatéral des banques ou assureurs et des labos.
Les assureurs ont été les premiers à réagir, les banques ne se décidant que dernièrement. C’est sans doute une des raisons qui font que, en dehors de la Société Générale qui s’investit aussi dans la Fondation du Risque, le tour de table de cette dernière est essentiellement composé d’assureurs. Ceci peut s’expliquer, les assureurs étant de plus en plus confrontés à des logiques et des problèmes d’ordre financier et se voyant perdre potentiellement l’un de leurs atouts concurrentiels.
Une fois que l’on a posé la prééminence des laboratoires au quotidien, il faut encore préciser qu’il existe deux formats de chaires. Des chaires « nominatives », attribuées à un professeur pour atteindre des rémunérations de niveau international ; elles fournissent des postes prestigieux et répondent directement au besoin de s’aligner sur les standards internationaux pour faire rester, venir ou revenir des stars au pays.
Assurer une veille pointue au sein des entreprises
A côté, on trouve des chaires « de fonctionnement », dont le but est de donner les moyens de payer des missions, des compléments de salaire, d’organiser des colloques etc. La nécessité est de pousser d’abord à la création de ces dernières, même si s’en contenter serait insuffisant, car elles seules sont à même de fournir un environnement de recherche adéquat, sans lequel aucun poste même bien rémunéré ne serait attractif. Pour le moment, ces chaires sont
gérées par un petit nombre de personnes, déjà trop peu nombreuses pour assurer les cours et les encadrements… Dans un second temps, ce sera sans doute le moment de créer des chaires nominatives pour ceux qui sont partis, mais aussi pour ceux qui sont restés… De ce point de vue, l’exemple de la Suisse doit être médité : elle est aujourd’hui confrontée à un problème de conflit entre les étrangers nouvellement recrutés bénéficiant des chaires au nez et à la barbe de ceux qui étaient restés et qui pourraient s’expatrier pour pouvoir eux aussi être ‘rappelés’… la fuite ne se tarit pas même si le problème initial est résolu !
v. – Quel intérêt pousse les entreprises à se rapprocher de manière institutionnelle des laboratoires et des chercheurs ?
C.G. : Il existait déjà des échanges entre laboratoires et entreprises. Les chercheurs impliqués dans les chaires étaient souvent consultants. Les chaires ne se traduisent donc pas par l’émergence de nouvelles problématiques ou de nouveaux sujets, mais plus par un renforcement de la capacité à discuter et échanger. Il ne s’agit pas pour les entreprises d’avoir des personnels aussi pointus que les chercheurs, mais d’avoir des personnes plus proches de ce niveau et capables de comprendre et d’échanger avec eux, ce qui commençait à ne plus être le cas. L’amélioration du niveau des entreprises doit permettre de réduire l’écart entre chercheurs et services, et permettre à terme une plus grande densité des échanges.
La veille technologique des entreprises était généralement assurée non par des services de R&D au niveau de la recherche internationale, mais à la fois par le recrutement de jeunes à jour des connaissances et par des professeurs consultants. Avec la baisse du nombre de chercheurs et de professeurs, il y a mécaniquement à la fois une baisse du nombre de consultants et une baisse du nombre de cours et donc du vivier de jeunes adaptés à la veille technologique. Cela entraîne une baisse de la capacité des entreprises à assurer leur veille et à renouveler leurs problématiques
De manière générale, les entreprises ne sont pas égales face à ce problème et on note une grande hétérogénéité entre elles. Les connaissances et capacités varient fortement de l’une à l’autre, à la fois en technicité, mais aussi et surtout, ce qui est peut-être plus étonnant, dans la connaissance qu’elles ont de leurs produits ou de leurs risques. Ceci est vrai en dépit de la nouvelle régulation, qui vérifie les expositions au risque et impose un niveau de contrôle minimal (qui a conduit à un resserrement des écarts). En effet, tout ce qui est en dehors du strict champ de compétence des régulateurs, les fonds par exemple, est encore soumis à une extraordinaire hétérogénéité, et même dans leur champ de compétence, les régulateurs ne font que s’assurer d’un niveau minimum…
Cela vaut également pour la maîtrise de l’anglais ou des différents paramètres du monde professionnel (ce qui peut poser des problèmes au moment du montage de projets ou dans la gestion de dossiers administratifs complexes),
ou encore dans leur maîtrise des fonctions et des métiers contemporains.
Toutes traversées par les formidables mutations qu’a connues le monde financier depuis quinze à vingt ans, les banques comme les assureurs sont contraints à une innovation et une réactivité toujours plus grande. En définitive, les thèmes de chacune des chaires sont plus des alibis pour donner une visibilité à des structures et des coopérations que des domaines très stricts. Assez vite, les entreprises sont curieuses de ce qu’il y a dans les domaines voisins…
Il est important de noter qu’une chaire n’est pas une activité de consultant de la même manière qu’un thésard Cifre n’est pas un jeune employé à bon compte. Si les entreprises intègrent cela assez vite, elles ne le comprennent pas toutes immédiatement. Gageons que cela va venir et qu’il faut laisser le temps de s’acclimater les uns aux autres… De même, les universitaires doivent s’habituer à entretenir des relations et des discussions avec ces bailleurs et à ne pas considérer que l’argent leur vient du ciel. Les entreprises attendent une amélioration de leur veille (à la fois sur leurs techniques, l’état de leurs bases de données, la connaissance d’options cachées dans leurs produits), une meilleure visibilité (leur implication dans des papiers ou des congrès assure une image plus R&D) et enfin un accès prioritaire à des étudiants afin de les sensibiliser à la variété de leurs métiers (l’assurance c’est aussi de la finance et les groupes d’assurance ont besoin d’attirer des financiers, mais peinent parfois à concurrencer la crédibilité et l’attractivité des banques sur ce domaine). De manière générale, c’est en discutant qu’on converge sur les sujets.
v. – Dans cet effort, êtes-vous soutenus par le tout nouveau pôle de compétitivité « Finance-Innovation » ?
C.G. : A l’origine, le souci de la défense de place était entendu de manière très stricte au niveau des acteurs institutionnels, puisque les projets retenus étaient focalisés sur les acteurs français localisés à Paris. Petit à petit, la vision se fait plus souple et relève aujourd’hui d’une logique de place moins fermée, ouverte aux acteurs étrangers présents à Paris, même si la Deutsche Bank ou CityGroup par exemple sont de fait peu impliquées dans les financements de laboratoires ou de chaires parisiennes… A la différence des universitaires qui sont plus directement dans une logique planétaire, la logique institutionnelle reste encore très nationale.
Reste que le pôle de compétitivité, qui en pratique apporte un financement d’Etat en plus du financement des chaires par les entreprises, va permettre d’harmoniser les relations et d’améliorer les discussions et les échanges. On peut penser que, dans le cadre de la convergence des métiers entre finance et assurance, cela va faciliter la réactivité des entreprises. Les différents instituts (Institut Europlace, INSEFI, etc.) et fondations (dont la Fondation du Risque) font partie de ce pôle de compétitivité.
Ils sont tous en pleine évolution, l’officialisation du pôle finance-innovation en mai 2007 ayant encore plus bousculé les choses. Si l’on cherche ensuite à démêler les questions de visibilité, il est plus difficile de faire la part des choses. Pour le gouvernement, le pôle est clairement le plus important ; à l’international, la renommée scientifique de la place de Paris est faite par quelques personnes, quelques laboratoires voire quelques équipes professionnelles ou système électroniques (comme le système CAC, de NYSE-EURONEXT), et beaucoup moins par les montages institutionnels. De ce point de vue, le Crest implanté depuis 20 ans profite par exemple actuellement d’une meilleure notoriété internationale que la Fondation du Risque ou que le pôle, encore dans l’enfance. La montée en puissance du pôle, de la fondation ou de tel ou tel institut ne se fera pas simplement par transfert de notoriété. La notoriété et l’attractivité internationale concerneront d’autres aspects et d’autres domaines : gouvernance de place, incubation, lobbying…
La réactivité des chercheurs aux nouveautés est très grande, celle des banques et assureurs est grande, celle des institutions comme le pôle est nécessairement plus lente. La mise en place des réponses institutionnelles pour faire face à un problème prend régulièrement plusieurs années. Les chaires doivent aider à raccourcir cette chaîne de réaction en fournissant des interfaces souples et pouvant potentiellement couvrir la plupart des problématiques.
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