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16 avril 2007

Le « prêt viager hypothécaire » ou l’accession inversée

Publié par Claude Taffin (1974) | N° 26 - Immobilier et Logement

Dans la plupart des pays où le choix du statut d’occupation du logement existe réellement, celui de propriétaire a la faveur des ménages et il bénéficie souvent des encouragements des pouvoirs publics. Aux motivations d’ordre psychologique ou social s’ajoutent des raisons purement économiques. L’accession est en effet plus rentable que la location lorsque les déménagements ne sont pas trop fréquents. Cela tient principalement au fait que le statut de propriétaire jouit d’un avantage fiscal considérable, la non-imposition des loyers fictifs, que seul un niveau élevé des droits de mutation réduit à néant en cas de forte mobilité.

Or on sait bien que la mobilité résidentielle décroît très fortement avec l’âge et qu’en particulier, au-delà des premières années de retraite, vers 75 ans, elle devient quasi nulle. L’adage selon lequel le statut de propriétaire constitue le meilleur complément de retraite qui soit se vérifie alors.

Financer les coûts de la propriété une fois à la retraite

Si la dépense courante de logement se limite aux charges une fois les emprunts remboursés, le propriétaire occupant doit faire face aux travaux d’entretien, voir d’aménagement que peuvent nécessiter son vieillissement. Mais comment les financer ? Bien souvent, il ne pourra plus recourir à un emprunt ordinaire. A moins de quitter son logement pour en acheter autre moins cher, le propriétaire qui souhaite extraire des liquidités de son logement ne dispose que de solutions comportant des désagréments : la location partielle, la vente en viager ou le démembrement de propriété.

Une autre solution existe. Mieux connue sous son appellation américaine de « reverse mortgage », c’est un prêt non affecté gagé sur la résidence principale et non remboursable avant le décès du propriétaire occupant. De ce fait, il est préférable de le nommer « lifetime mortgage » ou « prêt viager hypothécaire », comme le préconise le rapport remis l’an dernier au gouvernement (1). Plusieurs pays d’Europe continentale, ainsi que le Japon, s’interrogent sur l’intérêt d’introduire cet outil encore peu répandu et cantonné aux pays anglo-saxons mais auquel le vieillissement de la population et l’accroissement de la proportion de propriétaires laissent entrevoir un fort développement potentiel.

La solution du prêt viager hypothécaire

Le prêt viager hypothécaire est un prêt consenti par un établissement financier à une personne physique propriétaire de son logement. Une inscription hypothécaire de premier rang est exigée et l’emprunteur doit s’engager à conserver le logement comme résidence principale, l’entretenir convenablement, l’assurer (contre l’incendie, etc.) et être à jour de ses obligations fiscales.

Le capital prêté peut être libéré sous trois formes (éventuellement combinées) : une somme versée en une fois, une ligne de crédit, ou des versements périodiques d’une durée fixe ou viagère. Sauf déménagement ou non-respect de ses autres obligations, le prêt, capital et intérêts, n’est remboursé qu’in fine, après le décès de l’emprunteur. Ses héritiers peuvent conserver le logement ou le vendre. Dans les deux cas, la dette est plafonnée à la valeur du logement par le jeu d’une garantie qui constitue un élément essentiel de ce type de prêt.

Pendant la durée du prêt, le montant de la dette croît généralement plus rapidement que la valeur du logement puisque les intérêts cumulés s’ajoutent au capital emprunté. Si l’emprunteur vit suffisamment longtemps, il arrive donc un moment où la dette dépasse la valeur du bien. Dans les premières versions du prêt, introduites au Royaume-Uni dans les années 1980, le remboursement était alors exigé, entraînant des situations très douloureuses. C’est pourquoi les prêts sont désormais assortis d’une garantie obligatoire : lors du dénouement du prêt, le montant dû par l’emprunteur ou ses héritiers ne peut dépasser la valeur du logement et l’apparition d’une « negative equity », situation dans laquelle le montant de la dette dépasse la valeur du gage, ne rend pas le prêt remboursable.

Un risque spécifique pour le prêteur

Du point de vue du prêteur, ce risque de « dépassement » constitue un risque d’une nature nouvelle. Il combine en effet deux risques « classiques », le risque sur la longévité de l’emprunteur, géré par les assureurs, et le risque sur le taux d’intérêt, familier des financiers, mais également un risque sur la valeur du logement lors du remboursement du prêt. Ce dernier est beaucoup moins bien maîtrisé.
D’abord, en l’absence de marchés à terme de ce risque, on ne peut disposer, comme sur les marchés de taux, de prix à terme ou de volatilités implicites susceptibles de faciliter l’anticipation.

Ensuite, l’historique disponible sur l’évolution des prix de l’ensemble des logements est insuffisant pour que l’on puisse en extraire des lois de comportement fiables : quarante années au plus de données annuelles, en France comme aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. La difficulté est accrue par la nécessité de disposer de données fines pour permettre une segmentation géographique.
Qui plus est, on observe que les logements détenus par les souscripteurs de prêts viagers hypothécaires se dévalorisent régulièrement par rapport à la moyenne, en raison d’un sous-entretien fréquent : après moi le déluge, puisque le bien ne restera pas dans la famille ! La brièveté de l’historique, la faible diffusion de ces prêts ainsi que les défaillances du dispositif d’évaluation, handicapent la mesure de cet effet.

Comment est géré ce risque complexe ? Au Royaume-Uni, le marché prévaut. Aux Etats-Unis, au contraire, le gouvernement fédéral a organisé et contre-garantit une assurance contre ce risque via la Federal Housing Administration (la FHA, dont le FGAS français s’est inspiré, apporte aussi une garantie pour certains prêts à l’accession à la propriété). Cette assurance est financée par des primes payées par les emprunteurs. Elle couvre les prêts qui respectent certaines conditions : plafonnement du montant du prêt et des frais de dossier, obligation de recours à un conseil extérieur, etc. Ces prêts garantis représentent plus de 90 % du marché.

La nécessité d’une intervention de l’Etat est discutée

L’intervention de l’Etat a-t-elle favorisé le développement du produit ou a-t-elle au contraire étouffé la concurrence ? Les avis sont partagés sur ce point.

Le lancement du prêt fédéral aux États-Unis a permis aux prêts viagers hypothécaires de surmonter en partie deux lourds handicaps : leur mauvaise réputation et leur coût élevé. Produits complexes destinés à des personnes âgées parfois vulnérables, ils avaient en effet donné lieu à des pratiques douteuses de la part de prêteurs, courtiers ou autres vendeurs intéressés par l’utilisation des sommes ainsi rendues disponibles. C’est pourquoi l’octroi de
l’assurance fédérale est subordonné au recours à un conseil indépendant avant la signature du prêt. Ce conseil vise principalement à expliquer à la personne âgée les caractéristiques du produit et les risques encourus, ainsi que les autres options qui lui sont ouvertes.

Au Royaume-Uni, les principaux prêteurs ont établi un « code volontaire de bonne conduite », par lequel ils s’imposent quatre obligations : transparence des caractéristiques juridiques du prêt, transparence des coûts, assistance à l’emprunteur par un juriste indépendant du prêteur, plafonnement de la dette à la valeur du logement.

Le coût des prêts viagers hypothécaires, c’est à dire à la fois leur taux d’intérêt et les frais de dossier, est élevé, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, ils présentent un risque plus élevé que celui des prêts au logement classiques. Si le risque de défaut de l’emprunteur est en principe nul, en revanche, la dette croît dans le temps au lieu de décroître. Ensuite, la durée du prêt est aléatoire et le plafonnement de la dette à la valeur du logement est d’autant plus coûteux qu’il s’agit d’un risque encore mal maîtrisé.

Ces seuls facteurs suffiraient à justifier que le taux d’intérêt des prêts viagers hypothécaires, généralement fixe au Royaume-Uni et variable aux Etats-Unis (à l’inverse des prêts à l’accession), soit sensiblement supérieur à celui de prêts à l’accession. Par ailleurs, les coûts administratifs, juridiques et fiscaux liés à la conclusion du prêt et à la prise d’hypothèque sont significatifs. Enfin, le faible nombre des prêts accroît le poids des coûts fixes (formation, informatique, commercialisation, éventuellement titrisation).

Le coût des prêts hypothécaires viagers est présenté de diverses manières selon les cas : ils peuvent être plus ou moins intégrés au taux d’intérêt, ce qui rend les comparaisons malaisées. Dans tous les cas, ils viennent sérieusement amputer le montant empruntable, lequel dépend de la valeur du bien (plafonnée dans le cas du système fédéral américain) et de l’âge de l’emprunteur. Ainsi, aux Etats-Unis, pour une personne âgée de 75 ans dont la maison est évaluée à 100 000 dollars, dans le système fédéral, pourtant le plus généreux, les frais atteignent 10 000 dollars et le montant du prêt est de 60 000 dollars environ (2).

Le montant susceptible d’être prêté dépend principalement de l’âge de l’emprunteur, du taux d’intérêt et de l’anticipation de la hausse du prix des logements. En raison de son caractère viager, le prêt est d’un montant d’autant plus faible que l’emprunteur est jeune. Il ne s’adresse de fait qu’à des personnes d’un âge élevé : l’âge moyen des emprunteurs est voisin de 75 ans. Il existe un âge minimum théorique, de 62 ans aux Etats-Unis, inférieur au Royaume-Uni (60 ans, parfois 55).

Si les prêts viagers hypothécaires ont connu un essor relatif en 2003, c’est grâce à la combinaison d’une forte hausse des prix immobiliers et au bas niveau des taux d’intérêt. Dans l’absolu, leur diffusion reste pourtant très modeste : 26 000 nouveaux prêts au Royaume-Uni et 37 000 aux Etats-Unis. Les nombreux garde-fous, conseil obligatoire, garantie contre le risque de dépassement et taux fixe au Royaume-Uni ont pu en outre lever certaines réticences nées des déboires connus par les premiers emprunteurs. Il reste cependant beaucoup d’obstacles d’ordre culturel qui expliquent aussi en grande partie pourquoi le prêt viager hypothécaire ne s’est pas développé en France.

Pourquoi ne s’est-il pas encore développé en Europe continentale ?

Malgré l’essor du crédit à la consommation, même parmi les personnes âgées, les ménages européens restent inégalement enclins à s’endetter, et souvent moins que les britanniques ou les américains. Des raisons morales jouent sans doute. Le régime fiscal, qui encourage fortement l’endettement hypothécaire aux Etats-Unis, n’y est certainement pas étranger non plus.

En France notamment, l’hypothèque est vécue comme une épée de Damoclès qui menace en permanence le statut tant désiré de propriétaire, de sorte qu’un mécanisme concurrent, la caution mutuelle, lui est préférée, même à coût égal (et même si, au final, celle-ci ne permet évidemment pas d’échapper aux conséquences d’un défaut de paiement). Du point de vue des prêteurs, le crédit, même hypothécaire, présente un caractère personnel beaucoup plus que réel. La qualité de la garantie hypothécaire joue un rôle moindre et le revenu de l’emprunteur un rôle plus large que dans les pays anglo-saxons. Par ailleurs, sauf rares exceptions, le crédit à la consommation par un prêt hypothécaire n’existe pas dans tous les pays, alors qu’il est courant dans les pays anglo-saxons, même parmi les personnes âgées.

Ces différences d’attitude et de pratique paraissent des arguments plus solides à l’absence de prêt viager hypothécaire en France que l’attachement vis-à vis du logement et le désir de le transmettre en héritage, qui semblent exister tout autant chez les anglo-saxons. L’âge au décès est suffisamment élevé désormais pour ôter son intérêt à la transmission physique du logement à des héritiers directs déjà logés. Au contraire, la possibilité d’apporter une aide financière aux enfants, petits-enfants ou autres membres de la famille constitue un atout du prêt viager hypothécaire et une utilisation des fonds citée par un emprunteur britannique sur quatre.

Aux plans démographique et économique, la détérioration inéluctable du ratio du nombre d’actifs par retraité n’a pas encore fait sentir son plein effet : les premiers « baby-boomers » n’atteindront l’âge moyen des souscripteurs de prêts viagers hypothécaires, soit 75 ans, qu’en 2020. Les personnes de cet âge relèvent actuellement des « classes creuses » de l’entre-deux-guerres, davantage déficitaires en France qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni. Il est donc encore trop tôt pour que les facteurs démographiques aient un effet visible sur la demande de prêts viagers hypothécaires.

Les retraites françaises sont encore relativement confortables par comparaison avec leurs équivalents américains et britanniques. Elles sont aussi plus régulières puisqu’elles ne dépendent pas de la performance des marchés financiers. Enfin, la valeur moyenne des logements en France est nettement inférieure à celle qu’elle est outre-Manche et dans certaines parties des Etats-Unis (Californie et côte Est). Ainsi, le cœur de cible des prêts viagers hypothécaires, à savoir les ménages « house rich, cash poor », est probablement plus limité en France qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni. Cette cible est de toute façon étroite, car la valeur de la résidence principale est partout très corrélée à celle des revenus, aussi bien pour les retraités que pour les actifs. D’ailleurs, lorsque l’Etat fédéral veut caractériser les ménages modestes, il considère non leurs revenus, mais la valeur de leur résidence principale.

Du côté de l’offre, l’absence de pratique des prêteurs, notamment français, en matière de crédit hypothécaire à la consommation constitue un obstacle au lancement de prêts viagers hypothécaires que n’ont pas eu à surmonter leurs équivalents des pays anglo-saxons. Certaines difficultés juridiques, administratives et fiscales (en matière d’inscription hypothécaire notamment), qui n’existent pas dans ces pays, doivent être aplanies avant tout développement de prêts viagers hypothécaires. Plusieurs établissements ont mené des études parfois assez poussées, mais ils ont renoncé en raison de ces obstacles, de la crainte de ne pouvoir atteindre une taille critique avant longtemps et de devoir supporter seuls le coût d’une innovation qui serait ensuite mise à profit par des concurrents.

Libérer la valeur accumulée dans son logement

Produit miracle pour les uns, diabolisé par d’autres, le prêt viager hypothécaire ne peut être jugé qu’au regard des besoins auxquels il est censé répondre.

S’il s’agit, sans autre contrainte, de libérer la valeur accumulée dans la résidence principale, la revente pour acheter un logement moins onéreux est une bien meilleure solution. S’il l’on vise le même objectif, sous la contrainte, de plus en plus forte lorsque l’on avance en âge, de conserver la jouissance du logement, la concurrence se réduit à un crédit, dont l’accès et le remboursement sont difficiles, et la vente en viager.

La vente en viager, que l’on rencontre dans plusieurs pays avec des modalités différentes et une faible diffusion, présente trois inconvénients par rapport au prêt viager hypothécaire : le pénible face à face entre débirentier et crédirentier (le cas de Jeanne Calment est mondialement célèbre) ; le risque de perte en cas de décès prématuré ; l’abandon des éventuelles plus-values ultérieures à la vente.

Compte tenu de l’évolution de l’espérance de vie et de l’âge de départ à la retraite, même si celui-ci est amené à augmenter dans les prochaines décennies, il est parfaitement illusoire d’attendre de la valeur de la résidence principale, amputée de frais peu compressibles, qu’elle puisse jouer un rôle de complément de retraite, à moins de posséder un logement de très forte valeur. En revanche, un prêt hypothécaire peut, à un âge avancé, venir compléter une pension de réversion.

Financer des dépenses de santé liées au grand âge est souvent mentionné aux Etats-Unis. Hélas, lorsqu’il s’agit de faire face aux frais de séjour en résidence médicalisée, le recours au prêt viager hypothécaire est impossible puisque le remboursement est exigé dans tous les cas d’abandon de la résidence principale. Cela pourrait sans doute être corrigé. Le souci de ne pas être financièrement à charge de ses enfants est une préoccupation des personnes âgées, que l’obligation alimentaire existe ou non.

Financer des travaux d’entretien, d’amélioration ou d’adaptation au handicap dans le logement ? Ce motif est cité par près de la moitié des emprunteurs britanniques. On peut débattre de la légitimité d’une intervention financière de l’Etat à caractère général, comme aux Etats-Unis. En revanche, l’idée que, dans le cas de travaux lourds, le prêt viager hypothécaire s’accompagne d’une garantie de l’Etat ou d’une aide spécifique à l’amélioration de l’habitat, pourrait être plus largement partagée.

Alors que l’Etat vient d’être autorisé à modifier par ordonnance les dispositions du code civil relatives aux hypothèques afin, entre autres, de permettre l’apparition du prêt viager hypothécaire, un préalable indispensable va être levé. Mais l’hypothèse d’un soutien financier demeure, lui, hautement improbable.

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(1) « Rapport sur le prêt viager hypothécaire et la mobilisation de l’actif résidentiel des personnes âgées », établi par Jacques Friggit, Nicolas Jachiet, Claude Taffin et Bernard Vorms (juin 2004).

(2) Source : American Association of Retired Persons (2004).

Autrice

Claude Taffin (1974)

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