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17 avril 2007

Mieux gérer la richesse humaine dans l’entreprise : un métier pour l’ENSAE ?

Publié par Pierre Bismuth (1968) | N° 28 - Ressources Humaines, Richesse Humaine

Plusieurs signes démontrent le manque de sérieux dans la gestion à long terme de la richesse humaine de l’entreprise : le management désastreux des crises, les licenciements massifs, les impasses classiques en fin de carrière pour des cadres expérimentés, la discrimination au recrutement qui existe a tous les niveaux, les scandales dans la rémunération des responsables sont des exemples de mauvaise gestion des ressources humaines. Les économistes, pour des raisons diverses, hésitent à s’investir dans ces domaines mais ils y seront conduits pour démontrer le bien fondé d’approches qui protégent mieux le long terme (article récent de Daniel Cohen dans Le Monde : la rémunération des hauts dirigeants est-elle juste ?).

[NDLR : Pierre Bismuth est Senior Advisor-Human Resources à Schlumberger Limited]


Les Ressources Humaines sont un domaine aujourd’hui peu présent dans les études économiques et ne bénéficient pas de l’attention que la Finance ou le Marketing reçoivent de toute part. Elles ne sont pas suffisamment prises au sérieux par les analystes financiers et l’expression un peu ridicule Directeur des Ressources Humaines (DRH) résulte d’un effort désespéré de ne plus employer l’appellation Personnel et de caser à tous prix le mot humain.

La difficulté première de cette fonction Personnel ou Ressources Humaines est de se positionner dans l’entreprise en fonction stratégique. Si le DRH – nom adopté par la majorité de la profession – n’a dans l’équipe de direction qu’un rôle d’exécutant dans la gestion de l’entreprise, il devient rapidement un super administrateur, un ou une assistant(e) social et le représentant de la Direction auprès des syndicats et des employés. Pire que tout, il perd auprès du CEO le rôle éthique qui devrait être sa raison d’être. Un article particulièrement virulent de Keith H.Hammonds décrit de manière caricaturale toutes les faiblesses de la profession (Why I hate HR ?).

Dépasser la fonction de gestionnaire

En revanche, lorsque la fonction est respectée à l’intérieur de l’entreprise, tous les niveaux de management sont mobilisés autour d’objectifs clairs qui couvrent bien les aspects à court terme et à long terme des ressources humaines. C’est très naturellement que la fonction se trouve intégrée dans la stratégie de la compagnie. Mais cette fonction doit à tout moment mériter ce respect en démontrant sa capacité à écouter, inspirer des changements et agir rapidement.

La gestion du Personnel fourmille de sujets passionnants. Comment choisir une culture, une politique de recrutement et de formation et surtout par quel chemin passer : comment repérer les talents et comment leur proposer des évolutions de carrière qui les fidélisent et les stimulent ?; comment mettre au point un système de rémunération à la fois compétitif et éthique ? Ces choix doivent à tout moment tenir compte du point de vue des actionnaires, des salariés et des clients et de plus convaincre le management. Il est aujourd’hui tout à fait possible de formaliser ces approches. Les données disponibles sont abondantes et leur analyse est rapidement faite grâce à la puissance des systèmes en service. Lorsque le DRH réussit à saisir en temps réel cette information, à l’analyser objectivement et à éclairer les décisions prises chaque jour dans une compagnie, il devient crédible et justifie naturellement sa place dans l’équipe de management. Pour compléter cette capacité d’analyse des problèmes et des besoins, il est essentiel bien sûr de développer des qualités de jugement et de contacts personnels.

Choix et développement d’une culture d’entreprise

Une grande compagnie est une communauté internationale avec des règles de fonctionnement, un ou plusieurs langages, des modes de transmission du savoir et des valeurs (c’est le mot utilisé en général) qui sont des engagements à long terme sur certain principes. La partie la plus stratégique de la gestion humaine d’une compagnie est de définir cette culture et de la faire évoluer en se donnant des horizons de 10 ou 20 ans. Cette volonté doit être traduite en une politique persévérante de recrutement et de formation.

La recherche de la diversité est un exemple qui illustre bien ce point. Toutes les compagnies internationales savent que la diversité culturelle et des genres est aujourd’hui une composante essentielle d’une culture de grande compagnie. Pourtant les progrès sont lents et l’examen de la composition sociologique du haut management dans les plus grandes compagnies démontre qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire. Cette volonté d’intégrer des hommes et des femmes de toutes nationalités à tous les niveaux demande de la part du DRH et du management une recherche continue dans le recrutement ainsi qu’ un suivi minutieux des vagues successives de nouveaux arrivants.

Avec les brusques délocalisations qui ont eu lieu récemment pour des raisons de compétitivité essentiellement, le débat sur le devenir de l’entreprise est devenu crucial. On ne peut bâtir durablement une entreprise fortement présente à l’international avec différentes classes d’employés, ceux qui appartiennent a la culture dominante et « les autres ». C’est une question fondamentale aujourd’hui pour toutes les grandes compagnies internationales, qu’elles soient Américaines, Européennes ou Asiatiques. Sans un certain degré d’ouverture culturelle à tous les niveaux, y compris bien entendu au plus haut, l’entreprise ne sera pas crédible au niveau international.

Evaluer les performances et identifier les talents

Un des risques majeurs que prend une compagnie est souvent dans le choix de ces dirigeants. L’évaluation de la performance et du potentiel qui se pose à toutes les étapes de la progression de carrière est loin d’être un problème trivial. La grille classique d’évaluation est primaire et biaisée culturellement. Le succès relativement récent des méthodes d’évaluation dites « à 360 degrés » modifie progressivement les règles du jeu : il faut non seulement convaincre ses « chefs » de ses qualités et de ses compétences, mais aussi ses collègues et ses subordonnés. Développer un système souple et rapide d’accès qui soit respecté dans l’entreprise par les utilisateurs et qui permette intelligemment de différencier les cadres en fonction de leurs compétences, leurs points forts et points faibles et leur potentiel est une tâche fondamentale pour le DRH. Ce sont ces systèmes qui de plus en plus permettent au management de construire un plan de succession. Les décisions finales sont heureusement prises sur des relations personnalisées mais les premières sélections dans les grandes entreprises sont fortement influencées par les systèmes existants d’évaluation de performance et de potentiel.

Dans ce domaine, le DRH est d’abord le gardien de l’éthique du système et de son utilisation et non pas un simple exécutant. Nicolas Méary nous explique dans son article comment il a fait de l'évaluation des formations son métier et son domaine d'expertise. Gérer efficacement les investissements en formation et en management du savoir est devenu un atout essentiel pour les compagnies.

Fidélisation et stimulation des talents

Pour fidéliser ses talents, l’entreprise se doit de bien gérer deux aspects fondamentaux : offrir des chemins de carrières stimulants et avoir un système de rémunération compétitif et équitable.

Les deux sujets sont très exigeants en matière de saisie et de traitement d’information. Pour bien gérer les carrières il faut en arriver à ce que chacun puisse avoir une visibilité raisonnable sur ce qui lui est ouvert et puisse exprimer en temps réel ses préférences. C’est aujourd’hui techniquement possible et si l’entreprise le désire, elle peut créer un espace de communication où la discussion sur les carrières est continue et ouverte.

La réflexion sur les chemins de carrière utilise des raisonnements qui rappellent la théorie des jeux ou les parties d’échec. La stratégie qui consisterait à ne pas prendre de vrais risques sur un individu qui est brillant (que ce soit sur le plan technique ou du point de vue du management) est catastrophique, car elle peut mener à la démotivation ou au départ. En revanche, prendre des vrais risques sur un individu sans être prêt à l’aider à se rétablir en cas d’échec n’est pas réaliste. Gérer un plan de succession demande à chaque moment une approche où toutes les alternatives sont étudiées. L’alternative est de s’en remettre en cas de pépins systématiquement aux chasseurs de tête ce qui est une stratégie coûteuse et à grands risques.

Pour être compétitif en rémunération, il faut disposer d’enquêtes, comparer intelligemment avec l’extérieur, viser le positionnement des salaires internes en tenant compte du marché et des performances individuelles. L’équilibre doit être maintenu entre le souci de compétitivité, le respect d’une certaine équité et en même temps le besoin de reconnaître les performances exceptionnelles.

Récemment la rémunération variable ou dite « à risque » est devenue très pratiquée et la comptabilisation des stocks options, sujet chaud d’actualité, utilise les formules Black-Scholes ou la binomiale. Souvent mal comprises, ces formules font l’objet de toutes sortes de débat à différents niveaux de l’entreprise mais elles ont au moins le mérite de rétablir une certaine vérité des coûts des systèmes de rémunération. Pendant longtemps des entreprises ont distribué abondamment des options sans aucune comptabilisation.

Une voie possible pour l’ENSAE ?

Depuis maintenant trois ans, la gestion humaine de l’entreprise est un cours en option pour les étudiants de 3eme année. Ils sont une vingtaine environ chaque année à choisir cette option et leur présence aux 5 conférences est régulière, sauf si un cours d’économétrie ou un examen surgit au même moment (ce qui arrive régulièrement). Dans tous les cas, on note chez les élèves une suspicion forte, au départ, sur les « bonnes intentions » des entreprises, accompagnée par un manque réel d’information sur la marche de l’entreprise et ses critères de décision. C’est inquiétant pour des étudiants qui sont sur le point de se présenter sur le marché du travail.

L’intérêt des élèves pour ces questions est prometteur : l’esprit de la formation ENSAE s’applique aussi bien à ce domaine qu’il s’applique à la Finance. Le choix de sujets de mémoire est d’ailleurs intéressant : la prise de risque dans les carrières, la discrimination au recrutement, une enquête sur L’ANPE, la gestion humaine dans l’humanitaire, la pratique des stages et des contrats temporaires, la gestion de la diversité dans l’entreprise, la gestion humaine dans la fonction publique, la rémunération des CEO, etc.

Une ancienne élève aujourd'hui engagée dans la vie professionnelle à l'étranger m'a écrit un mot d'encouragement qui résume bien, je trouve, ce que l'on pourrait attendre d'un tel enseignement à l'ENSAE et les compétences que les ENSAE pourraient apporter dans cette activité :

« ... certaines entreprises ont besoin de personnel compétent dans ce domaine. Il s’agit pour elles d’être efficaces et de remplir cette fonction primordiale d'une manière raisonnable et raisonnée (je parle en connaissance de cause). Il y a des circonstances particulières et des situations parfois difficiles à gérer. Cela est d’autant plus facile à faire que le cadre général est souple et qu’il permet d’organiser, d’analyser et de gérer un système d’information le plus vaste et complexe possible.

Les problématiques soulevées par l'analyse des ressources humaines concernent tous les jeunes diplômés dans leur premier emploi. Quand on sort de l'école, les informations dont on dispose ne sont pas toujours suffisantes pour affronter les situations, quelles qu'elles soient, aussi bien positives que négatives. Etudier ces questions permet aux élèves de mieux appréhender le monde de l'entreprise, de se forger une idée, un aperçu pratique et un avant-goût de ce qui les attend . »

Tout un programme.

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L’Avancement hiérarchique des femmes en France

Un exemple qui illustre bien l'intérêt de faire travailler les praticiens avec les chercheurs en Sciences humaines est l'étude faite sous l'égide de la Commission Européenne sur Women in Science and Technology: the business perspective (le rapport est disponible sur http://publications .eu.int/).
Vingt compagnies internationales et 5 chercheurs (dont Laure Turner de L'ENSAE) on travaillé sur ce sujet tout à fait d'actualité [NDLR : voir par ailleurs l’article sur « Ensae au féminin » dans ce même numéro]. Cette expérience passionnante a mis en évidence en particulier l'extraordinaire importance pour la société dans son ensemble et les entreprises en particulier de trouver des solutions acceptables aux carrières doubles qui sont devenues la norme et non plus l'exception.

Sur ce sujet, les élèves avaient de leur côté fait une représentation graphique astucieuse du phénomène dit du 'plafond de verre". On y voit la progression des femmes vers des voies ... sans issues.

Autrice

Pierre Bismuth (1968)

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