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09 octobre 2008

La statistique publique délocalisée à Metz dès 2011 ?

Le mercredi 3 septembre, les agents de la statistique publique ont appris la nouvelle par dépêche AFP : la création d’un « Pôle National de la Statistique » à Metz, composé d’effectifs franciliens, visant à compenser la fermeture des casernes dans le cadre d’un plan d’aménagement du territoire. Depuis, le personnel de la statistique publique (Insee et services statistiques ministériels) se mobilise pour demander de revoir cette partie du projet, qui pénalise l’attractivité des métiers de la statistique publique et risque de peser sur sa qualité et son efficacité


Le discours du Président de la République aux élus Mosellan début septembre, leur promettant la relocalisation rapide de plusieurs milliers d’emplois publics, dont 1 500 statisticiens, fait suite à l’élaboration d’un plan d’aménagement du territoire dont les jalons ont été posés pendant l’été.
Chronique d’une délocalisation annoncée
Le 21 juillet, une circulaire du 1er Ministre annonce un important programme de délocalisation de services d’administration centrale vers l’Est de la France pour compenser la fermeture de nombreuses casernes. Ce programme devrait concerner à terme 10 % des effectifs parisiens, soit 5 000 emplois et être engagé dès 2009. Le 21 août, Hubert Falco, secrétaire d’État à l’aménagement du territoire dévoile un premier projet complet de « mesures d’accompagnement territorial liées aux restructurations de Défense ». La mesure 8 de ce projet confirme le transfert de 5 000 agents franciliens sur 6 ans et envisage au premier chef de « regrouper sur un site les fonctions études et statistiques de l’État ».

Le mercredi 3 septembre, Jean-Philippe Cotis, Directeur de l’Insee, diffuse à tous ses agents une lettre dans laquelle il indique ces éléments de contexte difficile et informe qu’il a accepté, avec Jean-Pierre Duport vice-Président du CNIS, de « faire un rapport au gouvernement avant la fin de l’année, afin de préciser ce que pourraient être les contours d’un pôle messin, qui préserve au mieux les intérêts de la statistique publique ».
Les agents concernés ont tous réagi, d’abord à travers une Intersyndicale large de la statistique publique s’opposant à cette mesure dans un tract. Les personnels de la statistique publique se sont ensuite rapidement fédérés et organisés en créant un « Comité de Défense de la Statistique Publique » chargé de travailler avec l’Intersyndicale au nom des agents. Réunis en Assemblée Générale dans les différents sites (Insee mais aussi ministères), ils ont voté, tous services et toutes catégories d’agents confondus, une motion d’opposition à la délocalisation, motion qui sert de support à une pétition largement signée (encadré 1).
Cette décision de délocalisation a été prise de manière précipitée, alors qu’elle ne correspond à aucune des recommandations proposées lors des différents audits récents de l’Insee par ses pairs européens, par l’inspection des finances, par le FMI, ni même lors de la Révision Générale des Politiques Publiques.

Encadré 1
Pétition Insee contre la délocalisation à Metz de la statistique publique
Nous, personnels de la statistique publique, protestons contre la décision arbitraire, précipitée et non concertée de délocaliser des postes du système statistique public (Insee : DG, DR, et CNI, SSM parisiens et régionaux).
Nous ne sommes pas disposés à accepter une décision brutale dont les bénéfices ne sont pas démontrés et qui représentent un danger pour la production de statistiques et d’études de qualité.
Pour ces raisons, nous ne sommes pas disposés à laisser des gouvernants entraver les acteurs de la statistique publique dans l’accomplissement de ces missions, indispensables au débat démocratique.

Nombre de signatures enregistré mercredi 16 septembre à midi : 800 agents

ENSAE ParisTech : Metz ou Palaiseau ?
A priori, cette décision ne remet pas en cause le projet de regroupement du CREST et de l’ENSAE à Palaiseau et le rapprochement avec les départements d’économie et de mathématiques appliquées de l’X. Mais comment en être certain compte tenu de l’improvisation et de la légèreté du gouvernement sur ce dossier ?
Il convient de rappeler que le projet ParisTech est nécessaire pour assurer la viabilité de l’école et augmenter sa visibilité. Même s’il n’est, pour l’instant, pas remis en cause, la désorganisation de la sphère statistique publique française fait néanmoins en tant que telle courir des risques importants à l’école.
Le projet de déménagement de l'école pourrait être modifié et l'ENSAE suivrait l'Insee à Metz. Dans ce cas, tous les liens tissés avec les autres institutions d'enseignement supérieur et de recherche tomberont et la pérennité de l'ENSAE au sein de ParisTech sera menacée : rappelons que le déménagement à Palaiseau de l'ENSAE est nécessaire pour aider l'école à se développer et maintenir sa position de leader sur les métiers de la finance et de l'assurance. Un autre danger du déménagement de l'Insee consiste en un éloignement physique trop important entre l'école et une grande partie des chargés de TD ou d'enseignement : s'ils devaient partir à Metz, l'ENSAE (mais aussi l'Ensai – car il est difficile de faire l'aller retour Metz-Rennes dans la journée) perdraient une grande quantité d'enseignants de premier choix.
Les élèves de l'ENSAE ne se résument pas, loin de là, aux seuls administrateurs, mais la qualité du recrutement du corps de l'Insee est un signal d'attractivité de l'école pour les élèves non fonctionnaires de l'X et indirectement pour l'ensemble des admis. Les critères de choix déterminants pour les élèves sont les débouchés professionnels et la qualité de la formation. Or le départ d’une « partie importante » du système statistique public loin de la capitale administrative expose l’ENSAE à ces deux risques.

Une baisse de la qualité des recrutements
Ce déménagement va nuire à l'attractivité de l'ENSAE en dévalorisant à la fois les métiers statistiques et les métiers économiques auxquels l'Insee donne accès.
D'une part, il va nuire aux perspectives de mobilité entre la Direction Générale de l’Insee (DG) et les Services Statistiques Ministériels (SSM), qui font la richesse d’une carrière dans la statistique publique. Ce faisant, il affecte directement l'intérêt d'une carrière à l'Insee.
D'autre part, en déplaçant le centre de gravité de l'Insee loin de la capitale, il va amenuiser les possibilités de mobilité des administrateurs au sein de la haute fonction publique d'Etat. En particulier, le déménagement diminue la légitimité de l’ENSAE à former des élèves à l’évaluation des politiques publiques. Il s’agit d’une filière en développement, stratégique pour l’ENSAE dans le cadre du master commun avec l’X et Sciences-Po.
La désaffection immédiate des X et des normaliens pour le corps de l’Insee sera une conséquence inéluctable de la baisse d’attractivité des carrières dans le système statistique et économique public. La dévalorisation de l’Insee entraine celle de l’ENSAE. Elle menace ainsi directement la qualité du recrutement de l’école et donc la réputation du diplôme.

L’encadrement et la formation en question
L’ENSAE est une école à forte identité dont la spécificité repose sur sa spécialisation en économie quantitative, la finance et l'assurance en étant des branches particulières. Cette spécialisation, qui contribue massivement à la qualité de ses enseignements, doit beaucoup à la proximité de l'Insee et du service statistique public (SSP), en termes d’enseignements, de personnel encadrant, d'accès aux données et de problématiques soulevées. Perdant ce lien avec l’Insee, l'ENSAE perd de sa spécificité par rapport à d’autres formations.

Départs accrus vers le privé
La délocalisation de l’Insee à Metz aurait, outre des conséquences sur les situations personnelles des employés, des retombées fort négatives sur l’avenir du SSP.
A court terme, il s’agira pour nombre de cadres de l’Insee de partir seuls ou de contraindre leur conjoint à quitter son emploi en région parisienne pour chercher du travail à Metz. Compte tenu de la conjoncture difficile de la région, reconnue par le gouvernement et les élus locaux, il est probable qu’une part importante des cadres de l’Insee choisisse plutôt de renoncer à leur propre emploi afin de préserver leur cadre familial. Une telle situation risque de conduire de nombreux cadres du SSP à se tourner vers des solutions d’emploi alternatives, augmentant fortement les tensions sur un marché du travail restreint.
L’éloignement géographique, associé à une déstructuration du service statistique public engendrée par une réorganisation à la va-vite, serait alors la cause d’une fuite rapide des cadres de l'Insee, en particulier vers les secteurs de la banque et de l’assurance, traditionnellement employeurs de diplômés de l’école bien qu’actuellement dans une conjoncture défavorable. Mais ils se tourneront aussi vers les métiers du conseil, les instituts de sondage, l’analyse macroéconomique, etc. En plus d’une désorganisation transitoire, inévitable lors d’une relocalisation de plus d’un tiers des effectifs d’une organisation, le déménagement aura ainsi des conséquences de long terme, potentiellement dramatiques, sur la qualité de l’encadrement à l’Insee.

Un impact sur la qualité de la statistique publique
Dans le cadre de ses missions, le SSP assure traditionnellement une couverture importante du territoire. Plus des deux-tiers des effectifs sont déjà localisés en région (voir tableau). Néanmoins, la présence de la DG et des SSM à proximité de la capitale administrative correspond à une nécessité fonctionnelle. Sans compter les difficultés opératoires pour la tenue de réunions rassemblant quotidiennement des personnes venant toute la France, ce déménagement soulève des questions d'efficacité des politiques publiques.
La bonne marche du système repose sur l’interaction des producteurs de statistiques et d’études avec de très nombreux partenaires, tels que les unités opérationnelle des ministères, les chercheurs, les partenaires sociaux, les siège des grandes entreprises, etc.
Le déplacement à Metz mettra à mal des synergies qui se sont créées au fil du temps : les technologies de communication modernes ne sauraient remplacer intégralement la proximité géographique. Il déstabilisera un écosystème fragile dont l’efficacité du modèle a été confirmée par tous les audits récents de l’Insee. Il diminuera la qualité et la pertinence de données et d’analyses nécessaires au débat public démocratique et à l’activité de nombreux secteurs économiques.

Nous reconnaissons la nécessité d’un plan d’aménagement du territoire ambitieux pour le Nord-Est. Néanmoins, la délocalisation d’un millier d’agents de la statistique publique ne semble pas à la hauteur des enjeux économiques locaux, la statistique publique ne disposant manifestement pas d’effets d’entraînement, notamment en raison d’une faible externalisation de ses activités. Au regard de ces bénéfices incertains, les coûts financiers, organisationnels et humains de la délocalisation du système statistique public semblent disproportionnés.
Nous appelons donc l’ensemble des diplômés de l’ENSAE à s’intéresser à cette question et à appuyer notre démarche de défense de la qualité et de l’efficacité du service statistique public.

Romain Aeberhardt (2003, Dépt. Études Économiques d’Ensemble)
Xavier Boutin (2004, Dépt. Études Économiques d’Ensemble)
Sébastien Roux (1996, Crest)
Fabien Toutlemonde (1999, Dépt. Comptes Nationaux)
Membres du Comité de Défense de la Statistique Publique

Encadré 2
Chiffres et documents pour en savoir plus

1. Effectifs de la statistique publique en 2007
Ensemble Services centraux Services régionaux
et départementaux
Insee 5 723 1 793* 3 930*
Ministères 2 539 1 421 1 118
Insee + ministères 8 262 3 214 5 048
* y compris personnel du GENES et du CEFIL, non compris les élèves (élèves administrateurs, élèves attachés, contrôleurs en formation).
Liens internet vers :
La circulaire François Fillon du 21 juillet 2008
http://www.diact.gouv.fr/IMG/Fichiers/ACTUALITES/EN%20BREF/Circulaire%20n%205318%20SGG%20du%2025%20juillet%202008.pdf
Le dossier de presse Hubert Falco du 16 septembre 2008
http://www.diact.gouv.fr/IMG/Fichiers/ACTUALITES/COMMUNIQUE%20PRESSE/16.09.08_-_Dossier_presse_H._Falco_bilan_restructurations.__cle0ee7ae.pdf
Tracts de l’intersyndicale de la statistique publique
http://cgtinsee.free.fr/dossiers/delocalisation/metz.htm

Auteur

Egalement diplômé de Sciences-Po (section Recherche en Sciences Politiques) en juin 2000, je travaille à temps partiel pour l'OCDE avant de rejoindre en aout 2000 le Département de la conjoncture de l'INSEE, puis en mars 2004 la Dares au Ministère du Travail (Mission d'Analyse Economique).
Entré au Conseil de l'ASTEC en juin 1999, j'y suis rédacteur en chef de Variances de janvier 2001 à janvier 2004. En 2004, j'invente et réalise la 1ère édition de l'Alumni's Cup. J'ai également pris part à la formation d'ENSAE Solidaire, association que je préside depuis mars 2004. Voir les 15 Voir les autres publications de l’auteur(trice)

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