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06 décembre 2007

Profession voyageur, la suite

Lieu de travail : quelque part entre Pékin et Beyrouth

Cela fait à présent neuf mois que j'ai quitté la France et je m'apprête enfin à entrer en Iran, après de longues semaines passées à attendre mon visa. Après la Malaisie, j'ai visité Singapour, Bali, l'Inde, le Pakistan avant d'arriver en Turquie (faute de visa iranien), où je me trouve en ce moment. Pendant ces quatre mois, j'ai eu l'occasion de faire face à mes premières difficultés, de découvrir les problèmes administratifs que réserve un voyage de long terme, de bénéficier des avantages d'avoir appris une langue étrangère locale mais peu courante sous nos latitudes et d'avoir pu nouer des contacts plus proches avec des cultures très différentes parfois vilipendées en occident.

Un hôpital à l’hygiène douteuse

En matière de santé, la grande majorité des voyageurs est assez insouciante. Nombre d'entre eux ne sont pas assurés en raison des tarifs prohibitifs pratiqués par les rares assureurs acceptant de les couvrir sur de très longues durées et certains d'entre eux n'ont pas même une trousse de premiers soins (antiseptiques, pansements, antalgiques, antibiotiques et autres seringues propres). De mon côté, j'étais équipé, mais étais loin de réaliser à quel point un problème en apparence bénin pouvait mal tourner.
Tout a commencé lorsque mon frère, avec qui je voyageais en Inde, a commencé a se sentir passablement mal dans un village de sept mille habitants au centre de l'Inde. Pas un hôpital à moins de 70 km, dans un endroit où il faut douze heures pour parcourir deux cent kilomètres. Il etait 22h, mon frère avait des douleurs à l'abdomen qui faisaient songer à une appendicite, nous étions inquiets. Quelques coups de téléphone à la compagnie d'assurance plus tard et après avoir trouvé un 4x4 pouvant nous amener à Bhopal où se trouvait l'hôpital le plus proche, il était sous perfusion d'antibiotiques. Les médecins indiens lui ont finalement trouvé une infection au rein et au colon, ainsi qu'un calcul rénal, ce qui expliquait son état de faiblesse générale. En ce qui concerne l'hôpital en lui-même, les standards d'hygiène étaient douteux (je n'ai jamais vu une paire de gants), les cafards nombreux et le personnel peu formé (ils ne savaient pas qu'il y avait une deuxième échelle de température sur le thermomètre, également graduée en degrés Celsius). Les médecins souhaitant tout de même l'opérer, j'ai fini par rappeler la compagnie d'assurance, leur expliquant qu'il serait souhaitable qu'ils nous emmènent a Delhi où nous nous sommes finalement retrouvés dans un hôpital moderne. Mon frère est à présent rétabli, mais je dois admettre avoir été inquiet et surtout m'être demande ce que j'aurais fait si j'avais été dans le même cas, mais seul et sans médicaments ni assurance.
Quelques semaines plus tard et dans un registre beaucoup plus anodin, la combinaison de l'épuisante canicule pakistanaise (48 a 50 degrés sans ventilateur faute de capacité de production électrique suffisante) et de conditions sanitaires douteuses ont fait que j'ai eu quelques problèmes de santé. Je ne pouvais plus m'alimenter correctement et me suis progressivement affaiblit. J'étais également fatigué après huit mois de voyage, barrière psychologique que beaucoup de voyageurs rencontrent. Qui plus est, mon visa iranien tardait a arriver. J'ai donc fini par prendre un vol pour Istanbul, en Turquie, où j'ai passé la première semaine à ne rien faire sinon profiter d'une ville ultramoderne qui, en arrivant du Pakistan, relevait plus de la science-fiction qu'autre chose et à discuter avec un photographe français revenant du nord de l'Irak et travaillant sur la question kurde. Je suis à présent en pleine forme, mais ai retenu la leçon.

Un passeport devenu louche

L'épisode de l’attente de mon visa iranien me permet d'aborder un autre volet des problèmes plus ou moins insoupçonnés qui peuvent survenir dans un long voyage : les multiples complexités et imbroglio administratifs.
J'avais deux possibilités pour quitter le Pakistan : traverser l’Iran à l’aide du fameux visa, ou rallier la Turquie via l'Asie Centrale (Kirghizstan, Ouzbékistan, Turkménistan, Azerbaïdjan) en contournant éventuellement l'Iran. Les visas de ces pays sont chers, la bureaucratie lourde et la police corrompue (la règle a Tachkent semble être de changer de trottoir lorsque l'on voit un policier), mais c'est une région peu explorée et donc a priori intéressante. C'etait sans compter sur le fait que je n'avais presque plus de pages dans mon passeport et que j'allais le terminer avant la fin de mon voyage. J'ai donc contacte l'ambassade de France au Pakistan, qui m'a expliqué qu'il était possible de renouveler mon passeport, moyennant un extrait de naissance, 3 semaines d'attente ainsi que les fameuses photos au bon format. Voyager en Asie Centrale sans passeport étant une mauvaise idée, j'ai renoncé, d’où mon décollage pour Istanbul la moderne. Dans le cas de l'attente d'un visa iranien, que j'aurais du demander longtemps à l'avance, comme dans celui du nombre de pages limité restant dans mon passeport, il s'agit d'erreurs de débutant. J'ai compris la leçon une fois de plus.
Toujours dans le domaine administratif, mon passeport est à présent scruté aux frontières : bardé de visas et tampons en tout genre, à la netteté parfois douteuse, gondolé par la sueur, avec une photo sur laquelle j'ai l'air plus âgé et difficilement lisible en machine, je suis devenu naturellement louche. De manière générale, il faut toujours être présentable à une frontière : un pantalon, une chemise, bien rasé, souriant, aimable. On me pose cependant des questions sur le pourquoi de mes voyages multiples tandis que les yeux des douaniers font d'incessants aller-retours entre ma photo et mon visage : "You live in France, but you travel a lot?". J'attends avec beaucoup de curiosité ma prochaine entrée sur le territoire américain...

Ces petits désagréments mis a part, tout se passe pour le mieux : d’extrême Orient en Asie mineure, j'ai vu toujours plus de réalisations humaines et naturelles fabuleuses, j’ai rencontré toujours plus de voyageurs incroyables (rentrer d'Inde en tuktuk/rickshaw après avoir fait l'aller à vélo depuis Brighton en Angleterre ne semble pas en choquer certains, tout comme pédaler à travers l'Afghanistan par les temps qui courent…).
Surtout, j’ai fait beaucoup plus de rencontres passionnantes avec les locaux. Concernant ce dernier point, l'Inde et le Pakistan ont été pour moi l'occasion d'approcher un pays étranger de manière très différente. A mon arrivée en Inde, j'avais été accueilli par mon frère qui, habitant à Pondichéry depuis plusieurs mois, parle couramment Tamoul et s'est habitué à n'avoir aucune barrière linguistique. Ajoute à mon propre intérêt pour les langues, nous avons logiquement acheté une méthode d'Hindi, lorsque nous nous sommes diriges vers le nord et avons commencé à apprendre la langue. Par ailleurs, l'Ourdou parlé au Pakistan est extrêmement proche de l'Hindi. C'etait donc une excellente occasion de faciliter mes pérégrinations futures au Pakistan.
La seule réaction des gens est en elle-même une récompense : mélange de surprise et de bonheur devant un touriste étranger qui fait l'effort d'apprendre la langue, avec parfois un changement net d'attitude a la clef. Je me souviendrai longtemps de ma dernière soirée à Rawalpindi, ville jumelle d'Islamabad située à 5 kilomètres de sa sœur. Je me suis retrouvé dans le quartier des spécialistes de pièces détachées à me faire promener d'atelier en atelier par des pakistanais à l'incroyable hospitalité, ravis de rencontrer un étranger avec lequel ils pouvaient communiquer, pour ceux qui ne parlaient pas anglais. En particulier, l'un d'entre eux refusait de me parler au début et semblait me regarder avec méfiance. Je lui ai adresse la parole dans mon Ourdou parfaitement effroyable et la situation a change du tout au tout. Il souhaitait savoir entre autre ce que je pensais de l'Islam et nous avons eu une discussion très agréable (bien que relativement simple, en raison de ma pratique limitée de la langue). Je pense que de part et d'autres bien des préjugés sont tombes.

Que tombent les préjugés

Du cote desdits préjugés, il est intéressant de constater qu'ils existent des deux cotes, parfois de manière caricaturale, et se mêlent a une incompréhension profonde de la culture et de la situation de l'autre.
Entre une touriste américaine, enseignante dans un lycée, m'expliquant que la première fois qu'elle avait entendu l'appel à la prière elle avait paniqué et s'étonnant des nombreux problèmes qu'elle rencontrait dans son périple (alors qu’elle marchait en short et en débardeur) et un indien ou pakistanais supposant que la totalité des touristes portant un sac à dos vivent dans des palais luxueux et peuvent se permettre de distribuer des billets de 50 euros autour d'eux, la différence n'est pas si grande.
Ce que je trouve plus inquiétant dans cette situation, c’est que là où les indiens ou pakistanais n'ont pas forcément eu la possibilité d'aller à l'école (moins de 50 % des pakistanais savent lire), nombre d'occidentaux ont des diplômes universitaires et ne parviennent pas malgré cela à comprendre qu'ailleurs les usages peuvent être différents. Les préjuges concernant le monde musulman en particulier peuvent être assez tenaces et simplistes, alors qu'entre le Pakistan ou l'on ne voit pas de femmes dans les rues (c'est pour le moment le seul pays que je déconseillerais formellement a une voyageuse seule) et la Malaisie, pays riche où elles tiennent les magasins et travaillent, il y a un monde de différence.
J'aime particulièrement cette citation du voyageur persan Alberuni (973-1048) a propos de l'Inde : « Les hindous diffèrent de nous en toutes matières et usages. Cela à un degré tel qu’ils font de nous, nos robes, nos us et coutumes, les épouvantails dont ils effraient leurs enfants. Un degré tel qu’ils nous déclarent fils du diable et ne cessent de clamer que nos pratiques vont à l’encontre de ce qui est correct et bon. Pour être tout à fait juste avec tout le monde, je dois avouer que de tels dénigrements de l’étranger ne sont pas réservés à nous, perses, et aux hindous mais qu’ils sont communs à tous les peuples les uns envers les autres. »

Aux confins de la Turquie, en territoire kurde, aux portes de l’Iran, l’Irak et du Turkménistan, je suis à présent impatient d'entrer en Iran et de voir de mes propres yeux ce qu'il en est. Impatient aussi d'effectuer les deux dernières étapes de mon parcours à travers l'Asie, vers la Syrie et le Liban. Il me reste un peu moins de trois mois avant la fin de mon CDD de voyageur et je commence déjà à penser au retour, prévu mi-octobre: je rêve même de baguette, de plateau de fromage, et de saucisson sec...

Autrice

David Sibaï (2004)

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