De l'utilité (ou pas) des statistiques pour touver son logement
J’ai reçu (et la faim autant que la modestie m’ont obligé à accepter) le diplôme de l’ensae il y a exactement 40 ans ... quand les parents des étudiants actuels avaient encore leurs dents de lait. Aujourd’hui, quand un étudiant parle de statistique, ,je sais à peine de quoi il est question. Mais quand je parle d’indice de prix à un professionnel de l’immobilier, c’est lui qui me prend pour un savant ! Il y a donc, pour les vieillards, un rôle à jouer : celui d’arche de l’ancienne et de la nouvelle alliance, comme disait Claudel quand il était une lecture obligatoire pour les taupins.
Le marché de l’immobilier donne lieu à une énorme production de statistiques, où seuls les indices de prix intéressent réellement le grand public (donc les journalistes comme moi). Pourtant les professionnels savent, mais ne crient pas sur les toits, que « les transactions précèdent les prix » ce qui signifie en clair qu’en observant la première série statistique on peut prévoir l’évolution de la seconde. Ce n’est pas sans importance sur un marché où la conjoncture influence fortement les décideurs, qui en retour influencent fortement la conjoncture. Il y a par tradition deux marchés : le neuf et l’occasion. Sur le marché du neuf, il y a un point de repère prépondérant : le prix de revient. Le promoteur ne peut accepter de négocier que sa marge nette, qui est très inférieure à 10% du prix de vente ; c’est un grand effet de levier par le crédit qui rend le métier rentable ... et périlleux. Sur le marché de l’occasion, le vendeur n’a pour plancher que son prix d’achat, qui est ordinairement ancien donc faible ; encore peut-il perdre à la revente, sans pour autant risquer la disparition comme le promoteur. Sur le marché de l’immobilier ancien d’occasion, c’est donc le rapport offre/demande qui conditionne largement le prix. Or les décideurs sont largement influencés par les indicateurs de conjoncture, dont au premier plan les indices de prix : quand la hausse semble installée dans les indices, les vendeurs attendent le dernier moment pour se jeter à l’eau tandis que les acheteurs se pressent. Inversement, quand il y a de la baisse dans l’air (comme actuellement) les vendeurs deviennent nerveux et les acheteurs font les difficiles. Ce sont donc bien les statistiques qui régentent, avec un effet cumulatif même quand « le marché n’est pas spéculatif » (disent les notaires), un marché dont le chiffre d’affaire annuel se compte en centaines de milliards d’euro.
Dans ce monde fort peu scientifique, mais certainement pas négligeable, il y a trois sortes d’indices : bruts, redressés et hédonistes. Des décideurs majeurs ignorent la différence (je ne moucharderai personne).
les indices bruts
Pas besoin d’être diplôme de l’ensae pour comprendre que c’est le prix moyen des biens sur le marché. Il y a trois indices : les biens mis en vente (qui ne l’étaient pas pendant l’année précédente), les ventes (effectivement réalisée pendant l’année) et les stocks (qui étaient déjà en vente l’année précédente). Il n’y a pas deux biens immobiliers identiques et de nombreux facteurs influencent le prix. On comprend facilement qu’il suffit d’ouvrir le bureau de vente d’un immeuble de luxe pour faire monter la moyenne des mises en vente, même si les prix de chaque type de bien sont inchangés.
Un professionnel a une idée qualitative de la conjoncture. Un agent immobilier sait bien s’il doit s’agiter pour trouver des biens à vendre, ou s’il doit faire de la publicité en masse pour trouver des acheteurs ; il sait aussi combien de temps une affaire « normale » reste en vitrine. Si c’est quinze jours, le marché flambe ; si c’est six mois, le marché est maussade. C’est une information qu’il ne donne à personne. S’il « sait » que la conjoncture est porteuse, une baisse de l’indice de prix trahit une baisse de la qualité de l’offre nouvelle. Les promoteurs sont pessimistes sur le créneau du luxe ... mais il peut aussi y avoir pénurie de beaux terrains constructibles ! Rien n’est simple ... On peut tout de même tirer un enseignement de l’évolution d’un indice biaisé.
On peut aussi observer que le stock est plus cher ou moins cher que les nouvelles mises en vente. Il est intuitif que les biens affichés trop cher tardent à se vendre ; on s’attend donc à ce que le stock soit toujours plus cher que les mises en vente. Pas si vite ! Les professionnels le savent tous : l’appartement le plus facile à vendre d’un immeuble, c’est le plus cher ! C’est la « villa sur le toit » avec terrasse, vue panoramique, etc. On peut l’afficher à n’importe quel prix. Certains promoteurs refusent même de la vendre tant qu’il subsiste un aléa dans le chantier : au dernier moment, ils imputeront tout dépassement de coût de construction, singulièrement dans les fondations, sur ce bien facile à vendre. Quant à croire que toute baisse de standing équivaut à une baisse de conjoncture, c’est infantile : il y a toujours une demande pour le bon-marché (mais pas pour la camelote surévaluée) donc un promoteur responsable en produit autant qu’il peut.
les indices redressés
On apprend à l’école qu’on améliore la représentativité d’un indice en le pondérant selon un critère corrélé à la grandeur à représenter. Pendant une vingtaine d’années, les notaires parisiens ont produit un indice de prix des logements anciens redressé par le parc de logements existants (connu par les recensements de population). Comme il y a une forte corrélation entre la valeur du logement et son emplacement, on améliore l’indice en pondérant la moyenne des prix de transaction par le nombre des logements existant dans l’arrondissement où à été observée la transaction. Ainsi, si le marché de la Goutte d’Or soudain s’agite, tandis que le Trocadéro s’engourdit, on évite de comptabiliser une baisse de la moyenne.
Les notaires produisaient un indice redressé par arrondissement et par trimestre ; une fois l’an, ils produisaient un indice non-redressé par quartier (rappel : il y a quatre quartiers par arrondissement). L’utilisateur est alors soumis au cruel dilemme du statisticien : pour approcher de la vérité, il préfère l’indice le plus fin, mais alors la statistique repose sur un nombre moindre d’observations, d’où une moindre fiabilité !
Remarque pour ceux qui ont le bonheur de payer l’ISF : dans cette profusion de chiffres (par quartier, par arrondissement ou pour la ville entière) on peut choisir l’indice qui a le moins monté pour évaluer la valeur de son patrimoine immobilier. Il faut seulement éviter de changer d’indice trop ostensiblement et trop souvent. Bon à savoir : les prix montent dans les beaux quartiers avant les mauvais, mais ils baissent aussi avant. Au début d’une période haussière, quand on habite Saint Germain des Prés (le quartier le plus cher de Paris) on est tenté de passer de l’indice par quartier à celui de Paris tout entier. Quand la conjoncture s’infléchit, on le regrette. Certains politiciens peuvent impunément s’abstenir de réévaluer leur patrimoine immobilier, mais ce n’est pas statistique.
La comparaison des deux indices, brut et redressé, donne donc une idée de la tendance qualitative et des anticipations des promoteurs (qui se trompent rarement, même si ça humilie les scientifiques !)
les indices hédonistes
Les notaires franciliens produisent depuis quelques années(avec l’aide de l’inséé) un indice de prix trimestriel qui est encore meilleur : il couvre toute la région, pas seulement Paris, et il est hédoniste. On sait que de très nombreux facteurs influencent le prix d’un logement. On sait même les mesurer : il est couramment admis que l’absence d’ascenseur diminue le prix d’un appartement de 10% par étage. Au cinquième étage, un appartement sans ascenseur ne vaut que la moitié du prix du même avec ascenseur. Toutefois, la décote est quasi-nulle au premier étage.
On peut mesurer l’impact d’une caractéristique quand on dispose d’un grand nombre d’observations : dans Paris intra-muros, on enregistre ordinairement quarante mille transactions par an ; chaque logement qui change de propriétaire est décrit par le notaire dans un formulaire comportant plus de cent articles. Ce qu’on ne sait pas bien, c’est si l’impact de l’ascenseur est le même à Paris, à Nice et à Dunkerque. Ce n’est pas sûr du tout : à Paris, il est interdit de construire plus de deux étages sans ascenseur ; en province, c’est trois ; on pourrait en déduire que l’ascenseur est moins désiré en province qu’à Paris. Si l’impact était le même, on pourrait produire des indices hédonistes dans toutes les villes en utilisant les mesures faites à Paris et dans quelques grandes villes.
L’indice hédoniste ne vaut que par son évolution. Il ne traduit que le prix par m² d’un appartement « de base », qui n’existe pas forcément (mes collègues journalistes ont du mal à avaler ça) ; à Paris, à titre purement indicatif, c’est un trois-pièces en étage intermédiaire, de standing moyen, dans un environnement moyen (ni vacarme d’autoroute, ni vue sur la Tour Eiffel) ; ces définitions sont très subjectives ; estimer qu’un appartement vaut le prix de l’appartement de base est un jugement de valeur permis à l’expert, mais interdit au statisticien. L’impact d’une caractéristique peut aussi évoluer dans le temps : il y a vingt ans, un appartement de luxe dans le centre de Paris était invendable sans parking. Maintenant, c’est le parking qui est invendable.
L’indice hédoniste ne donne donc pas une idée de la valeur d’un logement, sauf si l’on connaît sa valeur exacte à une date passée (par exemple la dernière fois qu’il a changé de propriétaire). Partant de l’indice hédoniste et de ses coefficients, on devrait pouvoir estimer la valeur d’un logement existant et décrit en détail, mais cet usage n’est pas disponible pour le grand public ; les notaires se le réservent. Les indices brut et redressé pouvaient servir à valoriser approximativement un logement. Un chiffre « parlant » rassure plus les utilisateurs qu’un chiffre désincarné, mais il ne faut pas le forcer à parler sous la torture car alors il dit des bêtises.
beaucoup d’indices pour rien
Les indices de prix de l’immobilier, « les vrais prix de l’immobilier dans mille villes de France » comme titrent périodiquement les magazines en couleur sur papier glacé, sont un véhicule commode pour les commentateurs intelligents. Comme les cours de la bourse, la météo et les résultats des courses hippiques, on peut les disserter tous les jours pendant des heures. Mais à quoi ça sert ?
Si vous croyez qu’après avoir lu un tel magazine, vous pouvez faire une bonne affaire immobilière dans une ville que vous ne connaissez pas, vous allez au devant d’une grosse désillusion. Un très grand promoteur immobilier national me disait un jour : « quand mon permis de construire n’est pas attaqué par une association de quartier, je sais que j’ai choisi un mauvais site ». Ça rend modeste. « Le statisticien comme l’économiste a pour mission d’éclairer le décideur, mais pas de le remplacer » ; ah, comme c’est bien dit ! Mais il doit aussi se loger, le statisticien, donc décider si un prix est correct ...
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