Commerce international et développement
Un lien essentiel et contesté
En 1701, dans ses « Considérations sur le commerce avec les Indes orientales », Henry Martyn1 conteste les monopoles des «Compagnies» et défend la liberté de commerce, expliquant qu’elle accroîtrait le volume des échanges, au bénéfice de la nation. Adam Smith développe l’idée dans « La Richesse des Nations » (1776). Mais c’est bien sûr David Ricardo qui, dans ses « Principes de l’économie politique » (1817), «démontre », contre la pensée dominante de l’époque, les bienfaits du commerce international avec sa théorie des «avantages comparatifs»2. La théorie sera ensuite élargie par John Stuart Mill, Heckscher et Ohlin, Samuelson3…
Pourtant, en dépit des efforts britanniques pour l’imposer4, le libre-échange est resté une théorie pendant la plus grande partie du XIXème siècle, la pratique ayant plutôt été le protectionnisme. Il réapparaît après la seconde guerre mondiale, avec la création du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) en 1947, qui posait des règles au protectionnisme ambiant avec l’objectif avoué de le réduire, et surtout la création de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC, en anglais WTO) en 1995. L’OMC a un rôle double. D’une part, c’est un cadre de négociations pour une plus grande libéralisation du commerce international (dans un sens large, incluant les services, mais aussi la protection des investissements et l’accès aux marchés publics). Plusieurs cycles de telles négociations ont eu lieu à Singapour (1996), Genève (1998), Seattle (1999), Doha (2001), Cancún (2003), Hong-Kong (2005), et Genève (2009). L’OMC est aussi une instance d’arbitrage, qui tranche les différends commerciaux entre Etats membres5.
La croissance du commerce international ne fait pas question. Entre 1960 et 2008, sa valeur a été multipliée par 117, dépassant 16000 milliards d’USD l’an passé, avec un rythme annuel moyen de croissance de 10,4 % (avec une nette accélération depuis 2003). Sa structure a aussi évolué. La part des pays pétroliers a fortement baissé entre 1980 (20,8 % du total) et 1998 (5,0 %), avant de remonter avec la hausse générale des matières premières (12,5 % en 2008). Mais l’évolution la plus spectaculaire est celle de la part de l’Asie, d’abord avec l’émergence des « quatre dragons » (Corée, Taïwan, Hongkong et Singapour), puis plus encore de la Chine. Les exportations chinoises étaient de 600 millions d’USD en 1960; elles ont atteint 1430 milliards en 2008, multipliées par 2400. La «part de marché» de la Chine est ainsi passée de 0,5 % à 10,6 %. En fait, ces exportations ont véritablement décollé à partir de 1990.
Les expériences des « dragons », de la Chine, et aujourd’hui du Vietnam ou de l’Inde tendraient à confirmer empiriquement l’intuition de Ricardo. Il est clair que la montée des exportations de ces pays, permise par une exploitation de leur avantage comparatif le plus immédiat, l’abondance d’une main d’oeuvre peu coûteuse, a fortement contribué à leur décollage économique. L’apport du commerce international dépasse cependant l’»effet volume» de conquête des marchés par un avantage sur les coûts. Trois points méritent d’être soulignés. En Asie, la croissance des échanges extérieurs a été, en introduisant une nouvelle compétition avec des acteurs étrangers, un facteur décisif dans la «modernisation» des économies, impulsant un énorme effort d’investissement mais aussi l’introduction de nouvelles pratiques de gestion des entreprises. Elle a, deuxièmement, poussé à une intégration régionale (cf. la montée du commerce intra-branche) qui a certainement contribué à un apaisement des tensions dans la région (notamment entre Taïwan et la Chine continentale). Troisièmement, les structures sociales ont été bouleversées partout, mais surtout en Chine : émergence d’une classe moyenne ouverte au monde extérieur (en termes de modes de consommation, mais aussi de modes de vie), migrations massives des campagnes vers les villes exportatrices, et rôle capital dans l’effondrement de facto du modèle social communiste chinois (mais avec un impact encore très modeste sur le modèle politique).
Le lien entre commerce international et développement est parfois plus ténu. Ainsi, le Brésil est une économie peu ouverte (ratio exportations de biens et services / PIB = 13,4 %), dont les exportations sont soit des matières premières (minières et agricoles) brutes ou transformées, soit des produits industriels à fort contenu technologique (avions, chimie, automobile…), mais rarement des produits à contenu élevé en main d’oeuvre. L’impact des échanges extérieurs sur le développement (pourtant réel depuis une quinzaine d’années) n’est donc que sectoriel (mines et agriculture), et la balance des paiements reste une contrainte, desserrée ces dernières années par la hausse des prix des matières premières.
Par ailleurs, la « globalisation » reste très contestée. L’OMC en particulier est une des principales cibles des « alter-mondialistes ». On peut en fait distinguer deux types de critiques au fonctionnement du commerce international. D’une part, celles de beaucoup de pays en développement6, qui accusent souvent le système actuel de n’être libre-échangiste que quand cela convient aux pays développés : sont ainsi pointées les barrières érigées par les Etats-Unis et l’Union Européenne aux importations de certains produits agricoles, l’insistance mise au contraire sur l’ouverture des secteurs des services (alors que les entreprises des pays émergents seraient des proies faciles pour les géants bancaires ou des assurances des pays développés), et la pression à l’ouverture aux mouvements de capitaux alors que de multiples obstacles freinent ou interdisent les mouvements humains. Les critiques alter-mondialistes sont beaucoup plus radicaux. Ils rejoignent les gouvernements des pays en développement sur le « déséquilibre » des accords commerciaux, mais ils accusent aussi la montée du commerce international d’être responsable d’une part significative du chômage dans les pays développés car elle encourage le transfert d’emplois7 vers des pays émergents où la plupart des droits sociaux ne sont pas respectés ; de ne favoriser dans ces pays que les plus riches et en particulier d’avoir eu un impact très négatif sur l’agriculture et les paysans et, plus récemment, d’avoir un impact négatif sur l’environnement en augmentant considérablement les volumes transportés sur longue distance8.
La crise économique va se traduire en 2009 par une contraction sensible du commerce international en valeur. C’est déjà arrivé dans le passé : en 1982-1983, 1993, et 2001. Mais chaque fois, le rebond a été rapide. Les échanges repartiront aussi en 2010, même si le besoin d’ajustement dans les pays développés (fiscal partout, et aussi des ménages dans quelques pays, et notamment aux Etats-Unis) se traduira sans doute par une progression plus modérée au cours des deux ou trois prochaines années.
1 - Sans lien de parenté connu avec un économiste contemporain.
2 - En l’illustrant avec l’exemple du drap anglais et du vin portugais.
3 - Les trois derniers montrent ainsi que le commerce international devrait faire converger les niveaux de rémunération d’un même facteur de production à travers le monde.
4 - Le Royaume-Uni n’a en fait réussi à l’imposer qu’à sa colonie indienne, par la force et à un coût très élevé pour l’Inde, et très temporairement à quelques pays européens (par exemple à la France entre 1860 et 1870).
5 - Deux exemples : le conflit sur la banane entre l’Union Européenne et certains producteurs latino-américains, tranché par l’OMC en faveur de ces derniers, et le conflit sur les foreign sales corporations américaines, dans lequel l’Union Européenne a fait condamner les Etats-Unis.
6 - On simplifie ici beaucoup : leur position est loin d’être homogène.
7 - Surtout non qualifiés, mais le phénomène touche de plus en plus les emplois qualifiés
8 - L’argument vaut sans doute pour les «cerises chiliennes par avion» au mois de janvier, mais oublie le fait que la plus grande partie du commerce international se fait par bateau, moyen de transport relativement peu polluant.
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