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09 octobre 2008

L'environnement et les Ensae

Publié par Hervé Guyomard (1986), Directeur scientifique à l'Inra | N° 34 - Les métiers de l'environnement

L’exploitation de la nature est-elle aujourd’hui excessive au point de menacer la survie même de la planète ? Les plus optimistes feront remarquer que les craintes malthusiennes exprimées par le passé ne se sont pas réalisées. Ils feront confiance au progrès technique et compteront sur les possibilités de substitution entre capitaux naturels et fabriqués pour, en quelque sorte, faire reculer les limites de la nature.
Même s’il convient de refuser tout catastrophisme, on fera néanmoins remarquer que les preuves de la surexploitation des ressources naturelles et de dommages environnementaux excessifs s’accumulent. En d’autres termes, le nombre de clignotants environnementaux au rouge est chaque jour plus élevé.
En dépit des discours officiels, les mesures visant à réduire, si possible corriger, les effets contraires des activités économiques sur l’environnement et les ressources naturelles ne sont pas à la hauteur des problèmes à résoudre, à l’échelle de la planète comme à celle des différents pays et régions. Les règles du jeu sont inadaptées au sens où les incitations et/ou les contraintes sont largement insuffisantes, ne serait-ce que pour stabiliser la « situation environnementale » à son niveau actuel. Pour reprendre l’expression de G. Rotillon, professeur d’économie de l’environnement à l’université de Paris X, « si le développement durable a gagné la bataille des idées, il reste encore à le traduire en actes ».

Traduire le développement durable en actes

Nul, du moins je l’espère, ne contestera l’impérieuse nécessité d’abord de maitriser, ensuite de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). L’impact des émissions d’origine anthropique sur le climat est aujourd’hui avéré et quantifié. Les modèles climatiques utilisés aujourd’hui pour mener des études prospectives en ce domaine comportent certes des marges d’incertitude non négligeables.
Néanmoins, à une stabilisation de la concentration de l’atmosphère en GES à hauteur de 445 parties par million d’équivalent CO2 (ppm eq CO2), correspondrait « le plus probablement » une évaluation de la température moyenne du globe de 2 degrés Celsius avec une probabilité de 90% de se situer dans la fourchette [1,5° C., 3,0° C.]. Les travaux du GIEC (Groupe d’experts intergouvenermental sur l’évolution du climat) montrent que les risques liés à une telle élévation de la température seront très sérieux.
Et, comme souligné dans le rapport Stern, il est moins coûteux de réduire le plus rapidement possible les émissions à l’origine du réchauffement climatique plutôt que d’avoir à gérer, à terme aujourd’hui rapproché, des évolutions climatiques non maitrisées ; la dissymétrie des risques attachés aux incertitudes de modélisation mentionnées ci-dessus ne fait que renforcer cette nécessité et dans ce contexte, une réduction de 50% au moins des émissions de GES à l’horizon 2050 est un objectif particulièrement ambitieux, voire irréaliste au vu de la situation « politique » actuelle ; il est pourtant indispensable.

La problématique environnementale ne se réduit pas, hélas, au seul changement climatique. A hauteur égale, figure la préservation de la biodiversité : un oiseau sur huit, un mammifère sur quatre, un tiers des amphibiens et plus des deux tiers des plantes peuvent aujourd’hui être considérées comme étant en péril…et le réchauffement climatique ne fera qu’allonger la liste des espèces animales et végétales menacées (le quatrième rapport du GIEC estime ainsi qu’un accroissement de la température de 2% relativement à la moyenne 1980-90 augmenterait de 20 à 30% le nombre d’espèces animales et végétales soumises à un risque accru d’extinction.
Tout aussi préoccupante est la question de l’eau, sur le double plan quantitatif et qualitatif. L’équation est simple et le constat quasi unanimement partagé : la croissance démographique et économique à l’échelle de la planète dans les prochaines décennies (nous serons 9 milliards en 2050, avec une augmentation de la population plus forte d’ici 2030) s’accompagnera d’une demande en très forte hausse d’eau douce pour l’agriculture, l’industrie et la consommation finale, et par suite par des pénuries d’eau accrues, notamment dans les pays les plus pauvres de l’Afrique subsaharienne, par une dégradation de la qualité de la ressource, et des risques augmentés de conflits dans les pays voisins partageant la ressource.

Le rapport Stern et le rôle des économistes

Le défi environnemental ainsi présenté apparaît plus qu’immense et ceci d’autant plus qu’il se double de deux autres défis au moins, d’une part celui de l’approvisionnement énergétique à la fois sur un plan quantitatif qu’en termes d’accès à des ressources très inégalement réparties sur la planète, d’autre part celui disons de la capacité de la planète à nourrir ses habitants. L’image apparaît d’autant plus sombre qu’il est difficile d’imaginer une régulation mondiale ne serait-ce que satisfaisante des ressources énergétiques ou des échanges agricoles, encore moins des biens non marchands tels que la réduction des émissions de GES et la préservation de la biodiversité mondiale.

En dépit du constat alarmant, pour ne pas dire plus, dressé ci-dessus, on se gardera de tomber dans le pessimisme le plus noir. Ceci parce que le constat est, à l’exception de quelques voix heureusement de moins en moins nombreuses, partagé et l’impérieuse nécessité de l’action reconnue. En d’autres termes, un peu en contradiction avec les propos de G. Rotillon rappelés en introduction à cet article, le développement durable commence à se traduire en actes concrets, aussi bien au niveau des acteurs (consommateurs et industriels) qu’au niveau de la recherche / développement ou des politiques publiques.
C’est ainsi que pendant (trop) longtemps, les entreprises ont concentré leurs efforts en matière de responsabilité sociale et environnementale sur les impacts industriels directs ; désormais, elles se préoccupent tout autant de l’impact environnemental de leurs produits en intégrant l’environnement non seulement dans les façons de faire mais aussi dans les stratégies d’offre de produits et de services. Au-delà des sigles et les acronymes (performance extra-financière de l’entreprise, investissement socialement responsable, etc.), le souci d’un développement industriel durable et responsable est croissant, même s’il est encore clairement insuffisant.

Incertitudes, biens publics, absence de marchés : un champ complexe

Nul doute que les économistes de l’environnement et des ressources naturelles ont joué, avec d’autres, un rôle majeur dans la prise de conscience et l’intégration croissante du « fait environnemental » dans les décisions privés des acteurs et les politiques publiques. L’impérieuse nécessité de l’action en matière environnementale est à la fois un devoir et une réelle opportunité pour les économistes et les statisticiens, en premier lieu les ENSAE.

Comme le notent Bontems et Rotillon, « les conditions dans lesquelles se déroule l’analyse économique appliquée à l’environnement sont rudes. Absence de marchés, donc de prix, fortes incertitudes, irréversibilités, conflits d’usages entre générations différentes, conséquences sur le très long terme, telles sont quelques-unes des caractéristiques de nombreuses questions environnementales ». Et c’est précisément parce que les conditions sont rudes qu’il y a impérieuse nécessité d’investissement et réelle opportunité. L’économie des ressources naturelles et de l’environnement couvre en effet un domaine très large qui inclut la modélisation, théorique (modèles de croissance avec prise en compte de l’environnement et des ressources naturelles dans une perspective de développement durable) et appliquée (modèles macroéconomiques, modèles d’équilibre général calculable, modèles sectoriels, modèles couplés associant modules économiques et modules biophysiques ou climatiques, etc.) ; l’évaluation des actifs naturels et des effets externes, négatifs et positifs, domaine dans lequel les méthodes sont nombreuses mais encore imparfaites, chacune avec des avantages et des inconvénients ; des aspects de tarification publique ; des approches juridico-économiques par exemple dans le cadre d’application du critère de la responsabilité civile ou du principe de précaution ; ou encore des questions relevant du très long terme, de l’actualisation et des arbitrages intergénérationnels ; etc.

Audits et systèmes d'information

Les ressources naturelles et l’environnement sont aussi affaire d’information, à la base des possibilités d’organisation de leur gestion et/ou de leur financement. Ce besoin se situe aussi bien au niveau individuel des consommateurs et des entreprises qu’à l’échelle agregée d’un pays et de la planète. Ainsi, au niveau des entreprises, outre les domaines plus classiques du traitement comptable des dépenses liées à l’environnement ou de l’information financière sur les passifs environnementaux s’ajoute aujourd’hui, par exemple, la comptabilisation des quotas d’émissions de GES. Demain, un mécanisme analogue à celui des quotas d’émissions de GES en place dans l’Union européenne depuis 2005 pourrait voir le jour dans le domaine de la biodiversité.

Tous les secteurs d’activité sont concernés : agriculture, transport, bâtiments, mais aussi la grande distribution ou encore les secteurs de la banque et de l’assurance : la protection de l’environnement et la gestion durable des ressources naturelles exigent en effet des moyens financiers nettement supérieurs aux seules ressources des pouvoirs publics et tout, ou presque, est encore à faire : le financement de l’environnement est encore très largement à inventer.

Autrice

Hervé Guyomard (1986), Directeur scientifique à l'Inra

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