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09 octobre 2008

Assurance et catastrophes naturelles en France

Publié par Pierre Michel (1993), Directeur Catastrophes Naturelles en France, CCR | N° 34 - Les métiers de l'environnement

La France, métropole comme outre mer, est exposée aux catastrophes naturelles. En 1982, le législateur a mis en place un régime assurantiel d’indemnisation or, en quelques décennies, le coût des événements n’a cessé d’augmenter. Ouvertures sur un champ en plein renouvellement où les enjeux économiques, techniques et environnementaux sont appelés à converger.


La France, métropole comme outre mer, est exposée aux catastrophes naturelles. Dans les cas les plus graves, ces phénomènes peuvent entraîner décès et dommages corporels, favoriser épidémies et préjudices écologiques en chaîne, plonger de nombreuses personnes dans des difficultés financières importantes, que ce soit par la destruction de leurs habitations, la perte de leurs biens ou la disparition de leurs sources de revenus. Ils infligent parfois aux entreprises des pertes économiques majeures.
Le législateur a mis en place, en 1982, un régime assurantiel d’indemnisation, dit « Cat Nat », dont le mécanisme sera expliqué plus bas. Or, en quelques décennies, le coût des événements n’a cessé d’augmenter.
Prenons l’exemple des inondations: aucune des treize premières années du régime n’a enregistré de coût supérieur à 370 millions d’euros actualisés à 2007. Mais au cours de l’année 1995, le coût s’est élevé à 480 millions d’euros. En 1999, il est monté à 650 millions – en 2002, à 710 millions – en 2003, à 790 millions.
Et encore ne s’agit-il ici que du strict point de vue de l’assurance des dommages aux biens (des particuliers et des entreprises), sans inclure les dommages aux cultures et élevages hors bâtiments, les coûts économiques non assurés ni les préjudices humains.
L’année 2003 accumule d'ailleurs d'autres records : on se souvient de la canicule qui a frappé la France et de son bilan humain désastreux. Cet épisode a aussi eu un impact sur certaines habitations bâties sur des terrains de type argileux en provoquant un assèchement anormal du sol par endroits, suivi par une ré-humidification rapide à l’automne. Sous l’angle du régime Cat Nat, l’indemnisation des fissures occasionnées aura coûté de l’ordre d’un milliard d’euros actuels (plus 220 millions additionnels exceptionnels).
Pour compléter le bilan de l’année 2003, il faut ajouter quelque 300 millions à la charge de l’assurance des élevages et cultures, ainsi que 620 millions dans le cadre de l’indemnisation publique des calamités agricoles.
En additionnant inondations et sécheresse, l’année 2003 aura donc coûté près de 3 milliards d’euros actualisés aux assureurs – y compris leurs réassureurs – et aux fonds publics au titre des dommages aux biens matériels et productions agricoles.

ENCADRE:
UN MECANISME ORIGINAL POUR LE FINANCEMENT DES DOMMAGES

La loi du 13 juillet 1982 « relative à l’indemnisation des victimes des catastrophes naturelles » s’inscrit dans la mise en œuvre du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, dans lequel « la Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales ». Elle fonde le régime familièrement appelé Cat Nat.
Dès lors qu’une personne, physique ou morale, a choisi d’assurer ses biens matériels situés en France, elle est automatiquement couverte contre les effets directs des catastrophes naturelles sur ces mêmes biens. L’obligation d’assurer les conséquences des catastrophes naturelles s’étend, sous certaines conditions d’ordre technique, à la garantie des pertes d’exploitation des entreprises.
L’assureur ne peut prévoir aucune exclusion ni limite différente de celles relatives à la garantie de base. Toutefois, l’indemnisation des dommages provoqués par les catastrophes naturelles doit faire l’objet d’une franchise au moins égale à un plancher fixé réglementairement.
L’assureur n’a donc pas d’autre choix, s’il travaille dans la branche « dommages aux biens » en France, que de couvrir les conséquences des catastrophes naturelles. Qui plus est, il est tenu de prélever, en contrepartie de cet engagement, une surprime réglementée, égale aujourd’hui à 12 % de la prime de la garantie de base (le pourcentage est différent pour les risques automobiles). Dans la mesure où c’est l’équilibre entre l’étendue et le tarif de la garantie de base que l’assureur ajuste afin de réaliser ses objectifs financiers et commerciaux, on peut considérer que les obligations imposées par le régime Cat Nat introduisent une perturbation, en positif ou en négatif, de cet équilibre.
Une garantie 'illimitée'
Le législateur, reconnaissant cet état de fait, a proposé aux assureurs une solution optionnelle de réassurance leur permettant de transférer une fraction importante du risque spécifique Cat Nat à un opérateur solvable, à un prix déterminé conformément aux mécanismes usuels du marché.
C’est ainsi que l’entreprise publique de réassurance CCR a été habilitée à engager la garantie de l’Etat, ce qui lui permet de proposer aux assureurs de prendre en charge intégralement le coût des sinistres Cat Nat au-delà d’un certain seuil, restant à leur charge. Cette réassurance est usuellement qualifiée d’« illimitée », alors même que, de toute évidence, les sinistres seront toujours d’un montant fini, parce qu’elle ne spécifie pas de plafond a priori dans la définition de sa capacité.
Aujourd’hui, en pratique, une majorité d’assureurs travaillant sur le marché français choisit d’acheter les couvertures de la CCR. Cela a favorisé, jusqu’à présent, le fonctionnement serein du régime Cat Nat.
Relevons que ce régime :
- ne couvre pas les dommages immatériels (sauf, comme indiqué plus haut, la perte d’exploitation),
- ne couvre pas non plus les dommages corporels,
- ne couvre pas davantage les dommages aux productions agricoles, comme les cultures ou les élevages hors bâtiments,
- ne concerne que des biens pour lesquels une personne, physique ou morale, a volontairement choisi de souscrire une police d’assurance de dommages,
- ne fonctionne pas en présence d’un événement d’origine non naturelle, par exemple une catastrophe technologique ou un acte de terrorisme,
- ne joue qu’en présence d’un événement répondant aux critères légaux et administratifs de la catastrophe naturelle.

Les catastrophes naturelles

Au juste, qu’est-ce qu’une catastrophe naturelle au sens du régime Cat Nat ? Les dommages doivent avoir eu pour « cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel » (loi du 13 juillet 1982). Il appartient aux préfets de départements de transmettre au ministère de l’Intérieur des demandes de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. En général, après sinistre, les assurés saisissent leurs maires qui, à leur tour, établissent les dossiers de demande de reconnaissance qu’ils adressent aux préfets.
Les demandes sont examinées par une commission, qui s’appuie sur les rapports d’organismes scientifiques (tels que Météo-France, parmi bien d’autres) pour rendre un avis sur le caractère anormal ou non de l’intensité de l’événement naturel. La notion d’anormalité a été établie progressivement par la commission elle-même au fur et à mesure qu’elle accumulait de l’expérience dans ce domaine. Bien entendu, les critères diffèrent selon la nature du phénomène considéré.
Sur examen de cet avis, l’état de catastrophe naturelle est reconnu ou refusé par un arrêté des ministres ou secrétaires d’Etat en charge de l’Economie, du Budget, de l’Intérieur et, le cas échéant, de l’Outre-Mer. En pratique, les arrêtés concernent des communes entières. Ils sont publiés au Journal Officiel et précisent le nom des communes concernées, les dates de début et de fin de l’événement et le type de phénomène : inondations et coulées de boues, retrait-gonflement des argiles, séisme, etc.
Le système présente une particularité : le législateur a mis en place, pour les tempêtes, un régime distinct de celui des Cat Nat. Si celui-ci passe aussi par l’obligation faite aux assureurs d’inclure la garantie dans les polices de dommages aux biens, il fonctionne d’une manière spécifique qui, notamment, ne repose pas sur le mécanisme des arrêtés interministériels.
Toutefois, la loi du 13 décembre 2000 « d’orientation pour l’outre-mer » dispose que « les effets du vent dû à un événement cyclonique pour lequel les vents maximaux de surface enregistrés ou estimés sur la zone sinistrée ont atteint ou dépassé 145 km/h en moyenne sur dix minutes ou 215 km/h en rafales » sortent du régime spécifique Tempête pour retomber dans le régime Cat Nat.

FIN DE L'ENCADRE

UN LIEN DIRECT AVEC LA PREVENTION
Sans entrer dans le détail d’un système complexe (voir encadré), retenons-en ici un trait saillant : son articulation avec la notion de Plans de Prévention des Risques Naturels Prévisibles (PPR). Il s’agit de règles de prévention et de protection contre les risques naturels, prescrites par les préfets et devant, dans un délai déterminé, être approuvées par le ministère de l’Ecologie.
D’une manière extrêmement simplifiée :
- si un bâtiment est érigé dans une zone pourtant déjà classée inconstructible, l’assureur n’est pas tenu d’appliquer la garantie Cat Nat, et
- dans une commune dépourvue de PPR, la franchise réglementaire applicable à l’indemnisation des Cat Nat est multipliée par un coefficient variant de 2 à 4 lorsque le même phénomène naturel survient de manière répétée.
Ces dispositions constituent des incitations, pour les maires, à prescrire des PPR et, pour les administrés, à les respecter.
Un constat parfois effectué est que le régime Cat Nat a bien fonctionné de 1982 à nos jours, mais que son économie est en train de changer sous la pression de l’augmentation du coût des catastrophes naturelles. De plus, son caractère incitatif à la prévention pourrait sans doute être renforcé, au prix de certains ajustements. C’est pourquoi un projet de réforme est à l’étude au sein des pouvoirs publics, en consultation avec les différentes parties prenantes.

NECESSITE ET DIFFICULTES DE LA MODELISATION

Quelle méthodologie faut-il suivre lorsque l’on cherche à estimer l’impact des événements naturels extrêmes ? Outre la collecte de données sur un grand nombre de variables, on doit s’engager dans une démarche de modélisation, la simple exploitation statistique des observations ne pouvant suffire. Pour commencer, on recherchera des descriptions aussi complètes que possible des événements historiques. On tentera de les traduire en coûts actuels, ce qui suppose de tenir compte non seulement de l’inflation, mais aussi de l’accroissement des richesses et plus précisément de leur accumulation dans des zones exposées (par exemple, le Bassin Parisien est plus particulièrement exposé aux crues de la Seine, la région PACA aux crues torrentielles et aux séismes, et ainsi de suite).
L’assureur, pour être plus exact, s’intéressera non seulement à la hausse du niveau général des prix, mais aussi à celle du coût de la construction. Plus subtilement, il intégrera le fait qu’après un événement catastrophique, la pénurie relative de l’offre de matériaux et de main d’œuvre pour la reconstruction des sites endommagés provoque des effets de sur inflation temporaire particulièrement prononcés, facilement au-delà de 20 à 30 %.
Il complétera son analyse en tenant compte des évolutions du taux de pénétration de l’assurance et des conditions des polices : franchises, limites de garantie, couverture des préjudices immatériels comme la perte d’exploitation, etc. Il chiffrera les effets systémiques tels que : le fonctionnement en réseau des agents économiques, reposant sur les flux tendus et augmentant leur interdépendance ; les progrès des matériaux et normes de construction ; le développement des mesures de prévention (pour bien faire, il faut tenir compte de leur application effective ou non sur le territoire considéré).
Une évaluation à partir des catastrophes historiques est insuffisante : il faut s’attacher à caractériser les événements considérés comme possibles aujourd’hui, qu’ils aient ou non été observés, ainsi que la distribution de leur probabilité de survenance.
Bref, même du point de vue partiel de l’assurance, que l’on peut légitimement penser bien circonscrit, quantifiable et fondé sur des séries statistiques longues, l’estimation du coût potentiel des catastrophes extrêmes est entachée d’incertitudes majeures. Toutes ces réserves étant énoncées, voici, pour fixer les idées, quelques chiffres pertinents dans le cas de la France :
 Les tempêtes historiquement violentes Lothar et Martin, qui ont soufflé sur l’ouest de l’Europe du 25 au 28 décembre 1999, auront coûté aux seuls assureurs et réassureurs, au titre des dommages en France, de l’ordre de 8,5 milliards d’euros actuels.
 Un tremblement de terre de grande amplitude dans la région de Nice pourrait entraîner un préjudice économique de l’ordre de 10 milliards d’euros.
 Le coût économique d’une crue centennale de la Seine, survenant aujourd’hui, est estimé selon les experts dans une fourchette de 5 à 10 milliards d’euros. Mettons ce chiffre en perspective : une période de récurrence de cent ans est très loin de caractériser l’événement le plus grave pouvant survenir.
Concédons néanmoins que, s’agissant des périodes de retour élevées, il devient difficile de dire où la probabilité de survenance se situe précisément. En d’autres termes, pour un coût donné, on ne sait pas réellement si la période de retour est plutôt de 100 ans, 250 ans voire 500 ans.

DIFFERENTS DISPOSITIFS AU-DELA DU REGIME CAT NAT

Pour élargir le panorama aux autres sujets environnementaux, plus particulièrement dans le contexte français, il faut mentionner les différents mécanismes en place qui complètent les régimes Cat Nat et Tempête.
Il existe, tout d’abord, un certain nombre de fonds publics. Ce sont des dispositifs de financement non assurantiels, reposant sur des prélèvements obligatoires, dont la gestion administrative, comptable et financière est confiée à la CCR.
- Le Fonds National de Garantie des Calamités Agricoles a pour objet d’indemniser des dommages matériels causés aux exploitations agricoles par des événements non assurables d'importance exceptionnelle dus à des variations anormales d'intensité d'un agent naturel. Il est mis en œuvre par arrêté conjoint des ministres en charge de l’Economie et de l’Agriculture.
- Le Fonds de Prévention des Risques Naturels Majeurs contribue au financement de différentes mesures de prévention et de protection. Il fonctionne sous la tutelle des ministres en charge de l'Economie et de l'Ecologie.
-. Le Fonds de Garantie des Risques liés à l’Epandage Agricole des Boues d’Epuration Urbaines ou Industrielles. A la date de rédaction de cet article, le décret de mise en œuvre de ce nouveau fonds n’était pas encore paru.
Il convient également de mentionner les branches d’assurance, ou du moins les formes d’obligations financières, en rapport avec les problématiques environnementales :
- la responsabilité liée à la contamination des cultures par des OGM,
- la responsabilité environnementale, visant les autres pollutions d’origine humaine,
- les risques pesant sur la santé tels qu’épidémies et épizooties,
- certains risques technologiques, notamment nucléaires.
Sans oublier que le rôle des assureurs et réassureurs en matière environnementale ne se résume pas à la fonction, déjà essentielle, d’indemnisation des dommages survenus. En effet, au-delà de cet aspect, l’industrie de l’assurance au sens large réalise des efforts substantiels en matière d’information, d’études et de soutien financier vis-à-vis des acteurs publics et privés des politiques de prévention et du grand public, mais aussi d’aide aux populations après la survenance de désastres.

Autrice

Pierre Michel (1993), Directeur Catastrophes Naturelles en France, CCR

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