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09 octobre 2008

Gérer un projet dans le secteur de l'eau

Publié par Guilaume Pétriat (2004), Ingénieur d'Affaire, Project Manager, Degrémont-Suez | N° 34 - Les métiers de l'environnement

La construction d’une station de traitement d’eau répond à un besoin de qualité de la ressource eau, mais corrige aussi une répartition inégale de cette ressource sur la planète. A ces préoccupations environnementales mondiales s’ajoutent des préoccupations locales, politiques ou culturelles. Dans ce secteur, optimiser la gestion technique et financière d'un projet présente des défis tout à fait originaux.


Au cours de mes deux années à l’ENSAE, les cours de macroéconomie et d’économie de l’entreprise m’ont durablement marqué mais le cours d’économie du développement est celui qui m’a le plus surpris. Le côté expérimental de ce dernier me plaisait, cependant la difficulté de mesurer le résultat de ses applications en termes de bien-être des populations visées rendait ces théories un peu frustrantes. C’est au cours d’un stage à l’Agence Française de Développement, appliqué à l’évaluation des différents financements réalisés, que j’ai pour la première fois été sensibilisé aux problèmes d’accès à l’eau.

A la sortie de l’ENSAE, guidé par le besoin d’être concret, le goût de travailler en équipe et l’envie d’aller à l’étranger, j’ai postulé auprès de Degrémont-Suez, une des deux grandes entreprises françaises (et mondiales) de traitement de l’eau.

Depuis trois ans et demi, je participe à la gestion de projets de construction en phase dite d’« exécution », c’est-à-dire après la signature du contrat qui nous lie avec un client. Après un V.I.E. de 18 mois en Inde sur un chantier près de Madras, je suis chef de projet et à cette occasion, j’ai géré des affaires en Algérie et au Qatar.

L'eau: une ressource inégalement répartie

Le traitement de l’eau, même soumis aux impératifs de rentabilité au sein d’une entreprise privée, est une réponse à des préoccupations environnementales. La construction d’une station de traitement d’eau répond à un besoin de qualité de la ressource eau, mais aussi et de plus en plus corrige une répartition de cette ressource sur la planète qui correspond de moins en moins à la répartition des populations. Le défi que représente les évolutions récentes de notre environnement impacte donc directement le secteur du traitement de l’eau, qui s’adapte aux nouvelles exigences de développement durable. Mais l’évolution souhaitable de ce secteur ne dépend pas seulement des entreprises privées, elle est soumise à la demande des clients.

Depuis plusieurs dizaines d’années, le phénomène d’exode rural conjugué avec l’augmentation de la population mondiale, particulièrement dans les pays en développement, a pour conséquence une augmentation de la taille et de la concentration des habitants dans les villes. Les besoins en eau s’en trouvent immédiatement accrus. Cette pression démographique met en danger les nappes phréatiques, quand elles existent, qui ne se renouvellent plus assez rapidement et s’assèchent, partout dans le monde.
Cette nouvelle donne est une opportunité et un défi pour le secteur du traitement d’eau : des projets de stations de plus en plus nombreux et de plus en plus gros apparaissent.
En soi, l’augmentation de la taille des projets représente un défi. Ces projets demandent des études et des ressources humaines de plus en plus nombreuses, ce qui rend plus difficile pour ces entreprises de « lisser » leurs ressources dans le temps : l’impact d’une victoire ou d’un échec dans la signature d’un gros projet est en effet de plus en plus important pour ces entreprises, qui doivent embaucher sans pourtant se mettre en danger dans l’hypothèse où, d’ici quelques années, aucun gros projet ne venait prendre le relais.

Le traitement de l'eau: un défi environnemental

Ces gros projet n’en restent pas moins des défis très intéressants à relever pour ces entreprises, car d’une part ils sont amenés à se multiplier à l’avenir, et d’autre part des caractéristiques techniques nouvelles entrent en jeu : par exemple en terme d’encombrement, les stations de traitement s’inscrivant de plus en plus sur des surfaces très limitées dans des villes ou leur périphérie.
Ces nouveaux projets redéfinissent aussi le positionnement des entreprises de traitement d’eau. De fait, seules quelques entreprises mondiales ont la taille suffisante pour répondre aux plus gros appels d’offre. Les nombreuses entreprises locales, quant à elles, tendent à se partager le marché des projets locaux de taille plus petite et faisant appel à des technologies éprouvées depuis longtemps.
Enfin, ces nouveaux types de projets changent aussi le mode de financement des entreprises de traitement d’eau à l’international : habituées aux financements aidés par les pays développés (via la Banque Mondiale ou d’autres organismes), en Afrique en particulier, ces entreprises ont de plus en plus pour clients des Etats (en particulier au Moyen-Orient) qui ont les moyens de payer directement leurs projets de construction. L’exigence de ces clients s’en trouve souvent accrue.

Economies d’énergie et réduction des émissions carbone

La rareté des ressources énergétiques crée une demande croissante des clients en matière d’économie d’eau et de gestion économique des ressources (énergétiques, chimiques…). Les stations de traitement d’eau sont par exemples concernées par la récupération d’énergie mécanique ou thermique, par le biais du biogaz récupéré pendant la digestion des boues ou de mécanismes transformant l’énergie cinétique des courants d’eau de la station…
De la même manière, la demande croissante des clients en matière de réduction des émissions de CO2 impacte, le cas échéant, le design des stations de traitement.

A ces préoccupations environnementales mondiales s’ajoutent des préoccupations locales. Les projets de construction sont parfois soumis à des tensions locales (dans des Etats en guerre par exemple) ou à des aléas politiques (en Inde, il est arrivé que l’eau à traiter soit bloquée près d’une année en amont du fleuve par un Etat en désaccord avec son voisin, retardant ainsi la réception de la station par le client). Il arrive aussi que le design de la station de traitement doive s’adapter aux spécificités culturelles du pays : par exemple en Inde, l’eau usée, même après avoir été traitée, étant toujours « impure », il a fallu la rejeter très en amont du fleuve afin qu’elle se mélange avant de la récupérer plus bas pour en faire de l’eau potable.
Ces situations de tension géopolitique ou de problèmes culturels, liées à la rareté croissante de la ressource en eau, sont amenées à se multiplier à l’avenir.

Les limites des entreprises privées, le rôle des clients

Les entreprises privées recevant l’essentiel de leurs revenus de leurs clients, la priorité est donnée à l’exécution des contrats, du mieux possible mais en gagnant de l’argent. Certes l’image de l’entreprise, son engagement pour le développement durable peut orienter ses choix de technologie pour un projet, si le coût à payer ne met pas en péril son équilibre financier, mais il est évident que la première impulsion doit venir en amont, du client qui impose les meilleures solutions pour l’environnement dans le contrat, et accepte donc de payer pour cela : le traitement des boues, souvent toxiques, est un bon exemple. C’est donc un sujet politique.

Dans le traitement de l’eau, trois grands métiers peuvent être distingués : la construction, les services et les équipements. Dans le métier de la construction, un projet en phase d’exécution, c’est la réalisation et/ou la réhabilitation d’une station de traitement d’eau : eau potable produite à partir d’eau douce ou salée, eau d’arrosage ou irrigation produite à partir d’eaux usées (municipales ou industrielles), avec le cas échéant le traitement des boues associées.
Au niveau de l’organisation du projet, l’entreprise de traitement d’eau intervient dans les études du procédé de traitement d’eau (équipements et plans guides des bâtiments), dans l’achat et l’installation des équipements nécessaires pour le traitement et dans la mise en route de la station ; les travaux de génie civil sont donnés à un sous-traitant ou un partenaire de consortium, et plus rarement à un groupe dont nous sommes les clients. Gérer un projet dans ce cas, c’est réaliser la station de traitement d’eau décrite au contrat dans les délais contractuels, tout en optimisant son équilibre financier. Je vais rapidement développer ces notions, avant de détailler les grands ensembles de stratégies adoptées.

Optimiser l’équilibre financier dans le cadre contractuel
Le contrat signé avec un client est un engagement fort, tant du point de vue technique que budgétaire. Le contrat est en général réputé 100 % conforme à un cahier des charges et aux textes réglementaires en vigueur localement, hors déviations proposées et acceptées lors de la signature du contrat. Quant au budget, il est la plupart du temps forfaitaire, sans ajustement possible. Ainsi le risque est-il grand, dans les cas où le cahier des charges est très contraignant (comme au Moyen-Orient), de découvrir après signature du contrat des spécifications qui sortent des standards de l’entreprise et qui n’avaient pas été identifiées. Ces spécifications particulières peuvent concerner tant le matériau de certains équipements que leur marque lorsque, pour ceux-ci, le pays hôte comporte une liste de fournisseurs approuvés. Pour limiter un risque, après l’avoir identifié, de grandes ressources doivent être dépensées en ingéniosité et en négociation avec le client pour le limiter, car le client est dans son droit d’imposer une application stricte du contrat et du cahier des charges.

Le chef de projet est responsable, vis à vis de sa hiérarchie, de la situation financière de son projet, qui se traduit par divers indicateurs dont les prévisions de marge (nette) à la fin du projet et d’avancements annuels au cours de l’exécution du projet.
Dans le cadre décrit ci-dessus, tout moyen de réduire les coûts sans jamais compromettre la qualité de la réalisation est une préoccupation constante. Cela se traduit par la recherche d’une optimisation technique poussée de la station, par l’imagination de solutions nouvelles dans l’achat de prestations et d’équipements, par une allocation des ressources réfléchie et mise à jour et un contrôle des dépenses constant.
La sécurisation de la marge est une des conséquences, au niveau du projet de construction, de l’effort nécessaire de transparence des entreprises sur leur situation financière. Afin de limiter l’ampleur des surprises, le chef de projet a un devoir d’anticipation. Un risque financier (conséquence par exemple d’une prestation probable anticipée mais non budgétée, d’un conflit avec le client, un partenaire ou un sous-traitant) doit ainsi être provisionné, à hauteur de son impact estimé aussi finement que possible (car toute provision ampute la marge nette à fin de projet), et le plus tôt possible. Le même raisonnement vaut pour les améliorations (obtenues via un avenant au contrat, une optimisation des achats d’équipement ou un dossier de réclamation solide).

Le chef de projet est responsable des résultats financiers de son projet, qui sont ensuite agrégés à d’autres pour donner le résultat annuel de l’entreprise. A ce sujet, il est donc l’interlocuteur privilégié de son management, dont l’attention portée est grande tant sur la marge nette du projet, que sur l’avancement financier du projet en fin de chaque année que dure sa réalisation. Surtout quand cette entreprise est cotée en bourse… Ainsi le chef de projet met-il à jour, tous les mois, la prévision d’avancement de ses coûts et de celui des ses recettes, et doit-il donner force justifications quand il revoit ces indicateurs à la baisse…
Une remarque : une variation de la marge du projet a aussi un impact sur l’avancement financier, ces deux sujets sont donc liés.

Intégrer des niveaux de stratégie différents

Vis à vis du client, la relation vise avant tout à instaurer la confiance. Même si la réputation de l'entreprise donne une bonne base, un projet est aussi une affaire d’être humains qui demandent à être rassurés et confiants.
En parallèle, il est aussi important de jalonner constamment, par des courriers et discussions, toute opportunité de réclamation ou d’avenant au contrat au cours de la réalisation du projet, ainsi que tout accord obtenu du client sur l’un de ces sujets ou sur les activités qui leurs sont liées ; dans le but d’obtenir son approbation sur d’éventuelles réclamations ou avenants futurs. Cette stratégie permet aussi de protéger autant que possible le projet vis à vis d’exigences déraisonnables ou de rigidités d’un client qui pourraient mettre en péril l’équilibre financier du projet.

Vis à vis des partenaires, en particulier dans les affaires en consortium, un impératif est de ne jamais rompre le dialogue, même lorsqu’il est difficile. En parallèle, enregistrer par écrit les accords et concessions faites au long de la réalisation du projet est une nécessité. Cela permettra de résoudre plus rapidement les litiges qui ne manqueront pas d’apparaître entre nous (sur des problèmes de fourniture, de retard…). D’une manière générale, les désaccords doivent être abordés dans les discussions le plus tôt possible, et non à la fin du projet devant un médiateur ou un tribunal, dont la décision risque d’être davantage aléatoire.

Vis à vis des fournisseurs, la stratégie est plus facile à cerner. Les commandes que nous passons, surtout pour la fourniture d’équipement, doivent nous protéger autant que possible contre les retards de livraison (par des pénalités) et contre des défauts de fabrication (garanties).

Vis à vis des collaborateurs, les relations sont probablement plus compliquées mais aussi les plus intéressantes et riches. L’équipe travaillant pour un même projet est composée d’une grande variété de métiers : logisticiens, comptables, juristes, chauffeurs, techniciens, ingénieurs, secrétaires, prestataires extérieurs, acheteurs, superviseurs de chantier, etc.… A cela s’ajoute l’aspect multiculturel et international pour les projets réalisés hors de France. Toutes ces personnes travaillent, soit à temps partiel soit à plein temps, pour un projet dont la réalisation dure plusieurs années. L’objectif est que ces collaborateurs se sentent bien au sein de l’équipe et dans leur fonction, qu’ils soient motivés, solides et compétents. Pour cela, le souci d’honnêteté, de les respecter et d’être équitable dans le traitement de chacun (salaire, avantages, reconnaissance) est une constante dans l’esprit du chef de projet, depuis l’embauche du collaborateur et/ou pendant toute la durée du projet.
A l’étranger, les relations humaines sont très consommatrices de temps. Mais la force de l’équipe et sa solidité étant un atout considérable pour la conduite du projet, en particulier sur un chantier de construction, il est normal que le chef de projet y consacre une partie de son énergie et de son temps.

Dans le domaine du traitement de l’eau, et plus spécifiquement dans le métier de la construction, le chef de projet s'apparente au chef d’orchestre : à l’interface de multiples métiers, qu’il oriente et dirige dans le cadre de son projet. L’aptitude à travailler en équipe et l’honnêteté intellectuelle sont des qualités phares de ce métier. Ainsi un ENSAE peut-il nettement compenser son éventuel manque de culture technique par sa capacité d’analyse et d’abstraction, la compréhension des problématiques financières liées à son projet, la faculté à les anticiper, les maîtriser et à en rendre compte. La diversité des cours à l’ENSAE et leur rigueur prépare assez bien, à mon avis, à l’exercice de ce métier passionnant.

Autrice

Guilaume Pétriat (2004), Ingénieur d'Affaire, Project Manager, Degrémont-Suez

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