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29 juillet 2010

Compétitivité des pays de la zone euro

Publié par Christophe Blot & Marion Cochard (2005), économistes à l’OFCE | N° 37 -

En 1999, 11 pays décidaient de partager la même monnaie et de confier leur politique monétaire à une banque centrale indépendante dont l’objectif principal est de garantir la stabilité des prix au sein de la zone euro. De la Grèce jusqu’à l’adhésion récente de la Slovaquie, 5 pays ont depuis rejoint l’Union, concédant à leur tour une partie de leur souveraineté. Parmi les gains attendus de l’union monétaire, la suppression des monnaies nationales est supposée réduire les coûts de transaction (coûts de couverture et de conversion) des opérations transfrontalières ; l’adoption d’une monnaie commune accroîtrait la transparence et donc la concurrence, ce qui favoriserait la convergence des prix entre les Etats membres et améliorerait l’efficacité productive au sein de l’espace économique. En contrepartie, les Etats se privent de l’arme du taux de change comme instrument de politique économique et renoncent donc aux dévaluations compétitives. Ces stratégies permettaient effectivement à un pays de modifier ou d’influencer son taux de change afin de gagner en compétitivité et espérer ainsi accroître ses parts de marché, notamment au détriment de ses plus proches partenaires commerciaux. L’unification monétaire devait normalement mettre un terme à ces stratégies non coopératives en marquant l’engagement des Etats membres à renforcer la coordination de leurs politiques économiques. Pour autant, si les variations de taux de change nominal ont bel et bien disparu au sein de l’Union, les taux de change réels1 fluctuent toujours, non seulement au gré des variations de l’euro vis-à-vis des monnaies des pays non membres de l’Union, mais également du fait des écarts de prix relatifs entre pays membres de la zone euro. Dix ans après le début de l’Union, un premier bilan peut être dressé sur l’évolution de la compétitivité ainsi que sur les performances des pays de la zone euro en matière de commerce extérieur et de croissance. S’il apparaît que l’adoption de l’euro a bien permis de réduire la volatilité des taux de change réels, les indicateurs de compétitivité des Etats membres n’ont pour autant pas suivi les mêmes trajectoires. Reflétant des stratégies de croissance divergentes, la situation en termes de parts de marché à l’exportation montre qu’une redistribution des cartes s’est opérée à l’intérieur de la zone euro.

I-Compétitivité

La création de la monnaie unique a réduit les disparités de compétitivité au sein de la zone aux divergences des dynamiques de prix propres à chaque pays. De 1999 à 2003, cela s’est traduit par des évolutions de compétitivité-prix2 des différents pays de la zone relativement similaires, guidées par l’évolution de l’euro (graphique 1). De la création de l’euro à fin 2000, l’ensemble des pays de la zone ont ainsi gagné en compétitivité grâce à une dépréciation de leur monnaie de 20 %. A partir de 2001, le rebond de la monnaie unique a pesé à nouveau sur les prix à l’export des partenaires européens et conduit à une dégradation globale de la compétitivité de la zone jusqu’en 2003. Au cours de ces 4 années, pourtant, certains pays de la zone ont déjà su mieux tirer leur épingle du jeu. C’est en particulier le cas de la France, qui a su tirer parti de la dépréciation de la monnaie unique, puis amortir son rebond. Loin des idées généralement véhiculées sur cette période de mise en place des 35 heures, l’évolution de la compétitivité a été bien plus favorable en France que chez la plupart de ses voisins européens, grâce à une modération salariale et d’importants gains de productivité. A l’inverse, la dérive des coûts salariaux italiens couplée à l’atonie de la productivité s’est traduite par le début du décrochage de la compétitivité italienne, qui n’a cessé de se dégrader depuis la création de la monnaie unique.

C’est à partir de 2003 que les évolutions de compétitivité deviennent extrêmement disparates au sein de la zone euro. Le décrochage italien connaît une accélération, tandis que les autres pays de la zone tentent de contenir la forte appréciation de l’euro. Par la maîtrise de ses coûts salariaux, une productivité toujours dynamique, et d’importants efforts de marge de la part des entreprises exportatrices, la France parvient ainsi à amortir largement les fluctuations de la monnaie unique : de 2003 à 2008, la compétitivité prix française ne se dégrade que de 4,6 %, tandis l’euro enregistre une hausse de 30 % par rapport au dollar. Mais surtout, c’est la réorientation radicale de la stratégie de croissance allemande qui met fin à cette homogénéisation relative des compétitivités européennes dès le début des années 2000. Pour restaurer une compétitivité érodée après la réunification, l’Allemagne a réactivé le cercle vicieux de la désinflation compétitive au sein de la zone euro. Privée de l’instrument du taux de change, l’Allemagne s’est résolument distinguée de ses partenaires européens en choisissant d’adosser sa croissance à son commerce extérieur via une stratégie de maitrise des coûts lui permettant de résister à l’appréciation de l’euro. Cette stratégie s’amorce dès 1999, avec des exonérations d’impôts qui favorisent le développement d’emplois précaires et à temps partiel. Cette politique de baisse des coûts salariaux s’accélère ensuite en 2002, par le moyen d’accords de branche dans un premier temps, puis par l’ensemble de mesures contenues dans les réformes Hartz sur le marché du travail en 2003. Cette stratégie s’est poursuivie, en 2007, par une hausse de la TVA de 3 points, partiellement compensée par des baisses de cotisations sociales. Cette politique s’est traduite par une chute de 10% des coûts salariaux unitaires entre 2002 et 2008, tandis qu’ils se stabilisaient en France. Cette stratégie allemande a essentiellement pesé sur les principaux concurrents de l’Allemagne, à savoir ses partenaires de la zone euro, dont les spécialisations sectorielles et géographiques sont très proches de la spécialisation allemande. Le graphique 2 montre l’évolution des compétitivités intra-zone euro, et illustre bien la perte de compétitivité intra-zone qu’ont accusée tous les pays de la zone euro suite à cette divergence allemande. Dans un contexte de forte appréciation de l’euro, l’Allemagne est ainsi le seul pays de la zone à être parvenu à améliorer sa compétitivité, au prix d’une compression sans précédent des salaires. Dans le même temps, tous les pays de la zone ont vu leur compétitivité se dégrader : modérément pour la France qui a amorti une grande partie de l’évolution du change, beaucoup plus dramatiquement pour l’Italie.

II. Commerce et parts de marché à l’exportation : redistribution des cartes

Si l’évolution des mesures de compétitivité-prix est très insuffisante pour rendre compte de l’évolution des soldes commerciaux et des parts de marché de nombreux pays de la zone euro3, elle apporte néanmoins un éclairage important. Les divergences observées en matière de compétitivité se sont donc en partie répercutées sur les performances des pays de la zone euro en matière de commerce extérieur.

A cet égard, l’évolution des soldes commerciaux est un premier révélateur de ces écarts de performance. La position allemande s’est renforcée puisque l’excédent commercial est passé de 3,2 % du PIB en 1999 à 8,1 % en 2007. Avec la crise financière et la chute du commerce international, les soldes commerciaux se sont fortement ajustés. Il est cependant prématuré de tirer des conclusions à partir des évolutions constatées en fin d’année 2008 et début 2009. Malgré une spécialisation géographique et sectorielle assez proche, la situation française s’est, dans le même temps, renversée, passant d’un excédent commercial de 1,0 % du PIB en 1999 à un déficit de 2,1 % en 2007. Les trajectoires suivies par l’Italie et l’Espagne ont été plutôt en ligne avec celle de la France, témoignant à nouveau d’une exception allemande plus que française. Si la hausse quasi-continue du prix du pétrole explique en partie la dégradation des soldes commerciaux, elle ne peut de toute évidence pas rendre compte de l’exception allemande et de la divergence observée entre des pays dont la dépendance énergétique est assez proche. D’autant que dans le cas de la France, une part importante du déficit commercial s’explique par une dégradation du solde des opérations réalisées avec les autres membres de la zone euro. En 2008, le déficit visà- vis des pays de l’UEM s’élevait à 37 milliards pour un déficit total de 54 milliards alors qu’en 1999, les exportations de biens vers la zone euro dépassaient les importations de 5,3 milliards. L’évolution des parts de marché4 des pays de la zone euro reflète également cette situation et l’importance de la dynamique intra-zone. Au lancement de la monnaie unique, les écarts de performance ont été assez faibles. Certes, l’Allemagne a semblé mieux tirer profit de la faiblesse de l’euro et de l’amélioration de sa compétitivité mais, dans l’ensemble, les pays de la zone euro ont amélioré ou stabilisé leur part de marché entre 1999 et 2001. Les divergences sont cependant apparues dès que la monnaie unique est entrée dans une phase d’appréciation. La stratégie allemande basée sur l’amélioration de sa compétitivité- coût lui a permis de maintenir globalement sa position alors que l’Italie, la France et dans une moindre mesure l’Espagne ont perdu des parts de marché. Mais, surtout, alors que l’absence de fluctuations de taux de change entre pays membres aurait dû amortir les effets de l’appréciation de l’euro et entraîner une stabilisation des positions à l’intérieur de la zone euro, l’évolution des parts de marché intra zone5 euro montre qu’il en a été tout autrement (graphique 3). L’Allemagne a ainsi gagné près de 15 points de parts de marché à l’intérieur de la zone euro entre 2001 et 2008 alors que les exportations françaises, italiennes et espagnoles progressaient nettement moins rapidement que la demande émanant des autres pays de la zone euro. L’appréciation de l’euro est certes pénalisante à l’intérieur de la zone euro puisqu’elle détourne une partie de la demande des pays membres en faveur des pays non membres. Mais cet argument est sans doute insuffisant pour expliquer une telle redistribution des cartes entre les membres de la zone euro. De toute évidence, la compression des coûts salariaux observée en Allemagne a simultanément déprimé la demande allemande - réduisant les débouchés pour les partenaires de la zone euro - en même temps qu’elle mettait les entreprises allemandes en position de force sur les marchés de la zone euro. Ainsi, alors que l’adoption d’une monnaie commune devait favoriser la coopération entre Etats membres, la stratégie allemande, basée sur la compression des coûts salariaux, s’apparente à une politique de désinflation compétitive6 qui a certes permis à l’Allemagne de mieux résister à l’appréciation de l’euro, mais qui a également pesé sur les performances à l’exportation des partenaires commerciaux de l’Allemagne.

III. Commerce extérieur et croissance : le coût de la compétitivité à tout prix

Souvent parée de toutes les vertus et considérée comme un modèle de compétitivité, la stratégie allemande n’est cependant pas exempte de risques. Premièrement, comme nous l’avons souligné plus haut, cette stratégie s’apparente à une désinflation compétitive et donc à un jeu à somme nulle puisque les parts de marché gagnées par l’Allemagne l’ont essentiellement été au détriment de ses partenaires de la zone euro. On peut néanmoins considérer que cette politique menée depuis 1999 a simplement permis à l’Allemagne de regagner les parts de marché perdues lors de la phase de désinflation compétitive européenne au début des années 1990. Il reste que l’absence de coordination ne peut en aucun cas être un moteur de la construction européenne. En outre, on ne peut exclure le risque d’une surenchère où chaque pays souhaiterait successivement regagner les parts de marché perdues précédemment en s’engageant à son tour dans la course à la compétitivité. Cette stratégie serait évidemment globalement dommageable à l’ensemble de la zone.

Surtout, l’intérêt d’une telle option est loin d’être avéré lorsque l’on compare les résultats en termes de croissance des 4 grands pays de la zone. L’Allemagne a certes gagné en compétitivité et en parts de marché mais, comparativement à la France et à l’Espagne, sa croissance a été décevante (tableau). Alors que sur la période précédant l’UEM, la France et l’Allemagne affichaient des performances comparables, depuis 1999 et avant la crise financière de 2008, la croissance française était en moyenne de 2,2 % contre 1,6 % en Allemagne. Le basculement allemand vers le commerce extérieur est net puisque d’une période à l’autre, la contribution du commerce extérieur est passée de 0 à 0,9 point pour un taux de croissance comparable. En Italie, la croissance est restée très décevante depuis 1992 alors que l’Espagne profitait au contraire d’un boom lié en partie au marché immobilier et qui s’est donc interrompu brutalement en 2008 avec la crise financière mondiale.

La crise a également révélé la fragilité du modèle de croissance allemand, pénalisé par sa forte dépendance au commerce extérieur : les exportations dépassaient 50 % du PIB en 2008. Dans ces conditions, l’effondrement du commerce international observé dans le sillage de la récession mondiale exposait l’Allemagne à un risque de chute d’activité. En glissement annuel, les exportations se sont effondrées de plus de 18 % à la fin du deuxième trimestre 2009. La contribution du commerce extérieur à la croissance expliquait les trois quarts de la chute d’activité et, de fait, l’Allemagne, avec le Japon, fut le pays industrialisé le plus touché par la crise. Néanmoins, on peut imaginer que la position allemande lui permettra également de bénéficier plus rapidement du rebond du commerce international, ce qui pourrait accélérer la reprise outre-Rhin comparativement aux autres pays de la zone euro. Quant à la France, dont le défaut de compétitivité avait jusqu’à la crise souvent été critiqué, sa résistance apparaît aujourd’hui comme une réussite. La demande intérieure reste le moteur de la croissance et, en période de crise, le système social - malgré les réformes qui l’ont amendé - conserve un caractère redistributif permettant la stabilisation des chocs. En dix années d’union monétaire, il apparaît donc que les situations relatives en matière de compétitivité n’ont pas été figées par l’adoption d’une monnaie et d’une politique monétaire communes. Certes, la compétitivité allemande fut parfaitement maîtrisée, ce qui a permis de stabiliser les parts de marché à l’exportation dans un contexte marqué par l’appréciation de l’euro de plus de 50 % depuis 2001. Mais la croissance n’a pas été au rendez-vous. De 1999 à 2009, la croissance allemande n’a été supérieure à la croissance française qu’en 2007 et 2008. La recherche de la compétitivité à tout prix ne peut constituer un modèle de politique économique au sein d’un espace intégré. L’insertion des pays de la zone euro dans le commerce international est certes un élément clé de la croissance, mais elle n’en sera que plus efficace si elle se fait via une politique d’innovation active plutôt que par une course à la baisse des coûts qui déprime la demande interne et la croissance.

1 - Le taux de change réel est défini comme un taux de change effectif nominal ajusté des écarts de prix ou de coût relatifs. Il permet donc de rendre compte de l’évolution de la compétitivité-prix ou la compétitivité-coût d’un pays.
2 - On calcule la compétitivité-prix d’un pays comme son prix à l’exportation, relatif au prix à l’exportation de ses concurrents.
3 - Une analyse plus détaillée des déterminants des exportations et des difficultés à rendre compte de l’évolution des parts de marché après 2000 est proposée par Blot & Cochard (2008) : « L’énigme des exportations revisitée », publiée dans la Revue de l’OFCE n°106.
4 - Les parts de marché illustrent la performance à l’exportation d’un pays face à la demande qui lui est adressée. Cette demande est déterminée à partir de la structure du commerce du pays considéré et en fonction de la part de ses exportations dans les importations de l’ensemble des autres pays.
5 - Ces parts de marché sont calculées à partir des exportations vers la zone euro et de la demande adressée émanant de la zone euro.
6 - Cette idée était déjà défendue en 2006 par Creel & Le Cacheux dans « La nouvelle désinflation compétitive européenne » paru en 2006 dans la Revue de l’OFCE n°98, p. 9-36.

Autrice

Christophe Blot & Marion Cochard (2005), économistes à l’OFCE

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