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16 janvier 2004

Entretien avec Arnaud AMSELLEM (CESS 1996), State Street Global Advisors

Publié par François HADA | N° 23 - London Calling

Variances : quelles sont les raisons qui t’ont poussé à t’expatrier à Londres ?
Arnaud Amsellem : Les raisons qui m’ont poussé à aller travailler à l’étranger sont multiples mais je pense que le mélange de curiosité et d’opportunités en Grande Bretagne ont fait basculer le choix en faveur de l’expatriation. En 2000, j’avais déjà travaillé plus de trois ans dans la finance en France et l’idée de faire une tentative a l’étranger commençait doucement à faire son chemin dans mon esprit.
Durant le printemps 2000, j’ai eu deux propositions intéressantes. L’une pour un poste de trader pour compte propre dans une société de bourse à Paris, l’autre en tant que gérant quantitatif dans une grande société de gestion américaine à Londres (State Street Global Advisors).

D’un coté, en tant que trader, j’avais toute liberté de mettre en place les idées qui me passaient par l’esprit et une rémunération potentiellement très élevée mais j’étais tenu au secret le plus absolu : j’aurai donc eu très peu de contact avec le monde extérieur. De l’autre, la rémunération et l’indépendance était moindres mais il s’agissait d’un des leaders mondiaux de la gestion (avec des encours en conséquence). Ce qui signifiait l’accès à toute l’information que je désirai, des outils quantitatifs avancés, un environnement professionnel international et j’avais l’occasion de tenter ma chance à l’étranger. Bref, de quoi apprendre pendant encore plusieurs années.

J’avoue avoir hésité pendant plus d’une semaine, d’autant que dans le cas d’une expatriation les facteurs personnels jouent un rôle prépondérant. Même si le poste à Paris était professionnellement plus risqué, il était également plus stable personnellement : pas de coupure avec les amies et la famille, pas de déménagement et pas de coût d’apprentissage dans un environnement inconnu.

A Londres, en revanche, il fallait tout reconstruire dans une ville où je ne connaissais quasiment personne et j’étais embauché par une entreprise américaine en contrat local : le retour en France était donc difficile dès le départ. Au bout d’une semaine de réflexion et d’âpres conversations avec mon épouse, nous avons fini par décider de partir. L’opportunité était bien réelle et elle ne se représenterait peut être jamais. Il fallait donc saisir sa chance…

V. : Comment s’est passée ton installation à Londres ?
A.A. : Je dois reconnaître que l’installation en Grande-Bretagne n’a pas été aisée. Outre la barrière de la langue, les formalités administratives sont nombreuses et la conduite à gauche vous rappelle à tout instant que la France est de l’autre coté de la Manche. Je vis à Londres depuis plus de trois ans maintenant et je ne me sens véritablement chez moi que depuis l’année dernière. Les raisons peuvent paraître étranges, vu de l’extérieur, mais la vie en Grande-Bretagne est radicalement différente de la vie en France.

Tout d’abord, Londres est un mélange culturel extrêmement varié. Dans le métro, il n’est pas rare de voir son voisin de gauche lire un journal allemand, celui de droite des documents en espagnol, d’entendre une conversation en japonais à l’autre bout du wagon et de percevoir non loin de là un fort accent américain. Cette diversité se retrouve à tous les niveaux et surtout dans la « city » où la proportion d’étrangers dépasse de très loin la moyenne nationale.

Chez State Street, cette logique est poussée a l’extrême dans la mesure où il n’y a pas d’anglais dans l’équipe dont je fais partie. La responsable est norvégienne, deux autres gérants sont américains, l’assistant de gestion est écossais (ne lui dites jamais qu’il est anglais…) et je suis français. Cette disparité crée un heureux mélange et nourrit des discussions sans fin sur les avantages et inconvénients de vivre dans tel ou tel pays.

D’un point de vue professionnel ce « melting pot » culturel crée une grande disparité dans l’approche des problématiques de marché. Sans vouloir faire de généralisation facile, je dirai que les anglo-saxons ont une approche extrêmement pragmatique : tout peut s’analyser en terme de rapport coût sur profit. Les français eux, et notamment ceux issues des grandes écoles d’ingénieurs, tendent à théoriser les problèmes ce qui dans la « city » est une qualité particulièrement recherchée. Au global, cela crée une grande complémentarité et permet de répondre aux besoins d’un éventail de clients très hétéroclite.

V. : Quels sont les avantages et inconvénient de la ville dans la capitale britannique ?
A.A. : Il serait injuste de parler de la capitale britannique sans mentionner certains des aspects négatifs qui font que la vie londonienne est très différente de la vie à Paris. Au palmarès des inconvénients, je classerai la cherté des loyers en premier. L’éventail des prix est vaste mais la moyenne est environ deux à trois fois plus élevée qu’a Paris. Le comble est, que pour ce prix, la qualité est généralement déplorable. La réalité est très éloignée de l’image d’Epinal de la petite maison victorienne en briques rouges avec la bouteille de lait déposée aux aurores par le « milkman ». Dans le centre de Londres, les maisons victoriennes sont pour la plupart divisées en petits appartements mal insonorisés et le « milkman » ne passe plus depuis plusieurs années pour des raisons de rentabilité. N’importe quel français ayant passé quelques temps à Londres a toujours de nombreuses anecdotes croustillantes à ce propos.

En ce qui concerne les transports, la situation n’est guère meilleure. Le réseau ferroviaire est vétuste, les retards innombrables et la sécurité douteuse. Le problème a deux origines distinctes. D’une part, la privatisation du réseau qui répartit la gestion de l’ensemble sur plusieurs centaines de sociétés qui elles même utilisent des sous-traitants, et d’autre part le manque d’investissement chronique depuis plusieurs décennies. Une rénovation complète du réseau est un sujet qui revient régulièrement à la une des journaux, notamment suite aux accidents (Paddington, Potters Bar….), mais rapidement la rationalité économique reprend le dessus. Le coût de remise à neuf dépasse de très loin la capacité de financement du gouvernement et la situation ne justifie pas une augmentation d’impôt (du moins dans une logique anglo saxonne).

Au chapitre des problèmes insolubles, la médecine mérite également une mention spéciale. Le « National Health Service » (NHS) est réputé comme une des institutions les plus inadaptées du pays. Se faire opérer d’une apindicite bénigne relève de l’exploit et l’expérience dissuade en général d’essayer à nouveau. Ironiquement, il est possible de se faire opérer par le même médecin mais à titre privé cette fois, et dans ce cas là, le traitement accordé est beaucoup plus proche de ce que l’on connaît en France. Bien évidemment, l’addition est beaucoup plus élevée et entièrement à la charge du patient ou de l’assurance à laquelle il souscrit. Là aussi, le manque de soutien gouvernemental a abouti à une médecine à deux vitesses, dans laquelle seule une fraction de la population bénéficie d’un traitement décent. Le NHS est dans un tel état de délabrement que pour certaines opérations délicates, les patients sont envoyés en France, en Allemagne ou encore en Grèce pour bénéficier de traitements appropriés.

V. : cette ville offre sans doute aussi des avantages ?
A.A. : Je ne voudrais pas laisser les lecteurs sur une note aussi négative. Les problèmes mentionnés ci-dessus sont bien réels mais la capitale anglaise recèle également d’innombrables trésors. La vie culturelle y est extrêmement active. Il y a un vaste choix de musées et les grandes tournées européennes démarrent en général de Londres. Je crois en trois ans avoir visités bon nombre d’entre eux à raison de deux ou trois par mois et je suis loin de les avoir tous vus. Mais l’aspect qui me fascine le plus dans la culture britannique est… Le Pub.

Au cours de mes premiers mois à Londres, je ne comprenais pas l’engouement des anglais pour cette institution vieille de plus d’un millénaire. En effet, quel est l’intérêt, d’aller s’agglutiner dans un endroit qui en général est sombre, surpeuplé après cinq heures de l’après-midi et à l’odeur parfois repoussante (un mélange de cigarette, de bière et de cuisine) pour consommer de la bière que je n’affectionne pas particulièrement. Ceci était en quelques mots l’image négative que j’avais du pub, jusqu’à ce que j’y sois invité un soir, après le bureau, par mes collègues de travail.

Si dans leur vie professionnelle les anglais peuvent paraître froids et distants, ils deviennent, une fois au Pub, l’exact opposé. Je crois avoir appris sur mon entreprise et mes collègues plus en une soirée au pub que pendant mes premières semaines à Londres. Depuis ce jour, j’y retourne beaucoup plus volontiers, et même si le cadre ne me plait toujours pas, j’ai beaucoup appris sur la façon de vivre, d’appréhender les choses et notamment l’incroyable détachement dont les anglais font preuve face aux problèmes quotidiens.

V. : au total, conseilles-tu cette destination ?
A.A. : Jusqu’à présent, mon expérience en Grande-Bretagne a été très positive.
Et bien que la qualité de vie soit moins bonne qu’en France, il faut admettre que, pour quelqu’un attiré par l’expatriation, les compensations sont nombreuses. Dresser une liste est inutile mais l’expérience professionnelle et l’ouverture culturelle sont bien évidemment les principaux facteurs.

En conclusion, je conseillerai à quiconque, attiré un tant soit peu par l’expatriation, de tenter l’expérience de la Grande-Bretagne : ça ne sera bientôt plus qu’à deux heures et demi de Paris en Eurostar (enfin, si pas de retard !!!) et les opportunités professionnelles sont très nombreuses.

Autrice

François HADA

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