Londres, une ville britannique ?
Londres, une ville britannique ? Je n’en suis pas sûr. Européenne alors ? J’hésiterais aussi. Une promenade à travers le centre-ville laisse une impression très cosmopolite, et les statistiques le confirment : quelques 300 langues sont parlées par la moitié des minorités britanniques qui sont concentrées dans Londres. L’Asie, l’Afrique, les Amériques et les pays européens, ceux de l’Est inclus, sont tous bien représentés, et la moitié des 28 millions de visiteurs par an afflue du monde entier. Il n’y a rien d’anormal au fait de dîner dans un restaurant indien à côté de deux businessmen japonais et suédois en train d’être servi par un Polonais ou un Marocain – le tout in english évidemment. A peu près 7 millions de personnes vivent à Londres, dont 25% nées « overseas » (donc pas en Grande-Bretagne) – et quelques 20 millions se trouvent à une distance d’une heure et demi en transport. La ville la plus proche en taille et structure de population est probablement New York.
Le traditionnel quartier financier occupe une bonne partie des employés londoniens, mais qu’une petite minorité y vit aussi. C’est dire que le week-end, la City of London ressemble à une ville-fantôme - heureusement qu’elle est de loin la plus petite des dix communes du centre. Le charme des « swinging seventies » y est encore perceptible et la structure urbaine fait qu’à bien des endroits on a l’impression de se trouver dans une ville de taille moyenne. La plus immédiate et agréable surprise pour quelqu’un venu de Paris est probablement que l’on n’ait pas besoin de craindre de se faire renverser par une voiture en traversant la rue. Les conducteurs britanniques guettent le moindre mouvement des passants et leurs cèdent très volontiers la route. Et la même attitude prévaut quand une place assise se libère dans le Tube, comme on appelle le métro de Londres, - politesse anglaise oblige.
Londres est une mégalopole à taille humaine à bien des égards. Et je passe sur la myriade de possibilités pour se divertir – la population relativement jeune, la moitié a entre 16 et 44 ans, fait qu’elles sont pleinement utilisées. Enfin, le savoir-faire culinaire a fait des progrès au point de susciter une méditation de l’économiste Paul Krugman sur « supply, demand and English food » (voir son site web). C’est dire que Londres dispose d’un formidable pouvoir d’attraction. Le flux de Français vers Londres a significativement augmenté ces dernières années. Le lycée français Charles de Gaulle, situé à South Kensington, un quartier huppé dans la partie ouest du centre-ville, peine, avec ses 3 300 élèves actuels, de faire face à l’afflux croissant du continent. Les Anglais ont-ils eu raison d’avoir craint que le tunnel sous la Manche n’est qu’une invitation aux envahisseurs? En tout cas, les Français ne sont pas les seuls à arriver.
Après une longue période de déclin jusqu’au début des années 1980, la croissance rapide de la population de la ville depuis les mesures de libéralisation de l’ère Thatcher suscite maintenant des craintes. Le flux d’immigrants rencontre une forte opposition par les habitants établis qui, souhaitant arrêter les projets des promoteurs immobiliers et préserver les espaces verts, s’expriment à travers les votes « against » dans les comités communaux de planification. En même temps, des estimations indiquent un manque de 93 000 logements par an à Londres et la région du Sud-Est. Les plans du gouvernement prévoient la construction annuelle de 62 000 logements, mais seulement un peu plus de la moitié ont été construits en 2001.
Dès lors, il n’est guère étonnant que les prix immobiliers ont évolué fortement, que les enfants habitent plus longtemps chez leur parents, le flat-sharing est plutôt la règle - et non pas uniquement le fait des twenty something, et que les immigrés habitent des lieux qui feraient abhorrer le reste de la population. Les prix immobiliers contribuent de beaucoup à ce que, selon l’enquête annuelle d’UBS, Londres soit la cinquième ville la plus chère au monde (à titre de comparaison, Paris se situe à la 14ième place). Seule une partie des établis est contente. Avec un taux de propriété de logement relativement élevé – l’évolution des prix fait qu’il est, même sur un horizon de quatre ans, plus rentable d’acheter et de rembourser un crédit que de louer -, une part des propriétaires bénéficie de la hausse dans l’immobilier (de près de 20% par ans depuis 1995) et, les Britanniques étant des romantiques de la campagne, saisit la chance pour partir. Un sérieux inconvénient de cette situation sont les salaires du secteur public qui n’ont pas suivi l’évolution générale. Le résultat est que les écoles londoniennes, la police, les pompiers, le Underground, et les municipalités peinent à recruter et à retenir leur personnel, et les services publics en souffrent.
L’actuel maire de Londres, Ken Livingston, a été le premier à être élu directement par les habitants de la ville depuis que le gouvernement Thatcher avait abolit le Greater London Council en 1986 à la tête duquel se trouvait … le même Red Ken. Oui, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, Londres n’avait pas de structure de pouvoir d’ensemble efficace pendant quatorze (sic!) ans. Depuis l’an 2000 à la tête de la Greater London Authority, un nouveau régime de gouvernance urbaine inspiré des mairies américaines, Livingston fait beaucoup pour accélérer la construction de logements - mais plus de logements pourrait bien signifier une croissance démographiques encore plus forte. Avec les conséquences que l’on imagine sur le système de transport dont les problèmes constituent déjà maintenant une des principales préoccupations du maire. Sa ténacité à imposer la congestion charge, un forfait prélevé aux automobilistes dans une zone circonscrite du centre de Londres, semble avoir efficacement réduit le fléau des bouchons quotidiens. Elle est aussi la seule source financière, avec celle des parcmètres, que le maire contrôle lui-même.
Il reste l’épineux problème du réaménagement du Underground– qui est l‘unique dépense à laquelle le maire peut destiner l’argent précieusement collecté, avec, en revanche, un rendement politique certain en cas de réussite. Sans rentrer dans les détails de l’épopée qui se déroule entre la mairie et le gouvernement à ce sujet, il est probable que le rénovation va arriver bientôt, même si elle n’est pas pour demain. Après la longue période d’attente c’est un progrès et le flegme britannique contribuera à ce que les choses vont bien se passer. Un autre témoin des effets des anciens blocages politiques est Canary Wharf, maintenant l’emblème de la prospérité de Londres dans les anciens docklands à l’est de la ville, mais construit, à l’origine, sans structure de transport – et avec, en suivie, la catastrophe que l’on imagine. Ce n’est qu’après l’arrivée du Tube que ce quartier, qui ressemble à bien des égards à la Défense parisienne, est devenu le très dynamique deuxième secteur de la finance à côté de la traditionnelle City. Ceux qui viennent à Londres pour travailler dans la finance ont une forte chance de s’y retrouver. Ils pourront alors quotidiennement admirer, en sortant de la Jubilee Line, la ligne-joyaux du métro londonien, l’immense bouche de sa station de Underground conçue par Sir Norman Forster - une cathédrale moderne sous terre.
En dépit des problèmes, plus de personnes que jamais viennent et ... y restent. Comme l’indique la une d’un des derniers numéros du The Economist, « The world is moving to London ». Les raisons ? Pour faire bref, on peut citer un groupe d’étude de la London School of Economics, « Londres est la seule ville en Europe où un travail peut vous faire gagner plus de 1 millions £ par an, et où un immigré illégal peut arriver le matin et avoir un travail l’après-midi ».
Insérer le tableau ci-dessous sur 2 colonnes avec son titre
Le PIB des 10 premières villes européennes (en Mds $US)
1. Londres 236,2 6. Berlin 73,6
2. Paris 131,9 7. Hambourg 67,9
3. Milan 110,5 8. Munich 67,7
4. Madrid 97,7 9. Barcelone 64,3
5. Rome 68,5 10. Stockholm 54,9
Source : Barclays Private Clients, May 2002 report; une évaluation par tête ferait figurer Londres à la même place
Un secteur financier qui ne domine pas que la ville
Dans les années 1990, un chef de gouvernement européen avait prédit que “la City de Londres sera menacée de déclin si la Grande-Bretagne ne joigne pas l’Euro”. Trois ans et demi après l’introduction de la monnaie unique, la City n’a pas uniquement maintenu ses parts de marchés, mais elle a souvent réussi à les étendre. Sa place est suffisamment importante pour que le puissant chancelier du Trésor ait choisi d’inclure un “City test” parmi les cinq critères utilisés pour décider d’une adhésion à l’Euro. Ensemble, les deux quartiers financiers, la City et Canary Wharf, emploient plus d’un tiers de l’effectif londonien et la petite commune City élabore à elle seule 13% du PIB de Londres ce qui correspond à 2,6% du PIB britannique. C’est dire que le secteur financier domine l’économie de la ville – et pas seulement elle. A bien des égards, Londres détient en matière financière la première, ou une des premières places mondiales.
Insérer le tableau ci-dessous sur 3 colonnes avec son titre
Part de marchés financiers internationaux
En % RU RU EU Japon France Allem. Autres
1995 2001
Prêts bancaires transfrontaliers (mars 2002) 17 19 10 9 6 9 47
CA d’actions étrangères (janvier–août 2002) 61 56 26 - - 3 15
Trading en devises (avril 2001) 30 31 16 9 3 5 36
CA de dérivées
- devises (janvier-août 2002) 12 7 32 3 7 13 39
- over the counter (avril 2001) 27 36 18 3 9 13 21
Revenu net de prime (1999)
- Assurance maritime 24 19 13 14 5 12 37
- Assurance aviation 31 39 23 4 13 3 18
Obligations internationales (2001)
- marché primaire 60 60 … … … … …
- marché secondaire 70 70 … … … … …
Dans le monde des entreprises, la présence d’étrangers frappe, que ce soit au niveau des établissements ou du personnel. Par exemple, en 2002, sur les 674 établissements de crédit, 490 avaient leur siège social en dehors du pays et 90 autres n’étaient pas en propriété britannique. Le nombre de succursales et filiales de banques étrangères est plus élevé qu’à New York et Paris. Et en dépit d’une tendance décroissante sur la dernière décennie, 52% des actifs bancaires en Grande-Bretagne appartiennent à des banques d’autres pays. Concernant les entreprises françaises, plus de 1450 de leurs filiales se trouvent à Londres, tous secteurs confondus.
Il y a aussi plus de chefs d’entreprise étrangers de premier plan qu’en Allemagne, en France ou aux Etats-Unis. Et cela reste vrai dans une certaine mesure pour le secteur public. J’imagine mal en France autant d’Américains, Espagnols, Canadiens, Brésiliens, Italiens, Français, Allemands faire partie du personnel par exemple des autorités de la surveillance financière, de la concurrence, voire du Trésor qu’en Grande-Bretagne (seul le Foreign Office pratique une politique plus restrictive).
Une évolution récente dans le secteur financier est la perte, pour des raisons de coût, de back offices vers les centres régionaux du Royaume Uni, l’Asie et l’Irlande, et maintenant de façon croissante aussi de fonctions centrales comme la gestion et les affaires juridiques. Ces pertes semblent être compensées dans une certaine mesure par une augmentation des front offices avec le renforcement de la concentration sur les marchés financier européens.
Mais malgré la forte position de Londres, les quelques 350 institutions financières qui récemment répondaient à une enquête de la puissante Corporation of London, le gérant les affaires communale de la City, n’ont pas hésité à attribuer à Paris la première place pour le cadre de vie et de travail, avant New York, Londres et Frankfort.
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