Comment évaluer quantitativement l’impact des fonds structurels européens sur les territoires français ?
A l’heure où le gouvernement met la priorité sur les relocalisations, avec l’objectif de revitaliser les bassins d’emplois les plus fragiles, il est intéressant de s’interroger sur l’efficacité économique des fonds qui sont directement alloués aux politiques territoriales.
Les fonds structurels européens au titre de l’objectif 2, destinés aux territoires en reconversion économique et sociale des zones en difficulté structurelle (1), représenteront pour la période de programmation 2000-2006 la somme de 7,3 milliards d’euros, soit 284 euros par personne résidant dans les zones concernées. Ils s’ajoutent à 33 milliards d’euros alloués aux contrats de plan Etat-région qui concernent les politiques territoriales au sens large. Ces deux types de fonds doivent être coordonnés pour financer des projets de développement économique local.
La logique des fonds structurels repose sur le raisonnement suivant : certains territoires se développent plus rapidement que d’autres, au point qu’ils attirent les activités économiques (en particulier les nouvelles) en laissant dans les autres des activités en déclin (agricoles ou industrielles). En vertu du principe de cohésion, les territoires en reconversion économique doivent bénéficier de soutien. L’évolution spontanée de l’économie vers la polarisation des activités laisse entendre que la concentration des activités est plus efficace économiquement que la répartition uniforme sur l’ensemble du territoire. Il y aurait donc un arbitrage entre efficacité économique et équité géographique. La politique de cohésion serait donc le moyen privilégié de conservation de l’équité.
Je laisserai de côté la question de savoir s’il est pertinent de privilégier l’équité sur l’efficacité pour me concentrer sur la question suivante : peut-on savoir si la politique territoriale des fonds structurels atteint ses objectifs ?
Mon propos sera donc essentiellement méthodologique, avant de traiter le fond en dernière partie. L’angle qui est choisi ici est celui de l’évaluation macroénomique, chiffrée, d’une politique publique. Il ne sera pas question de l’évaluation qualitative, qui est complémentaire : par enquêtes et entretiens sur le terrain, l’approche qualitative est plus concrète mais plus locale. Elle permet de tirer des conclusions parfois plus tranchées mais moins extrapolables. Elle est certainement plus adaptée à l’évaluation des procédures de mise en œuvre qu’à l’impact d’une politique publique.
Les difficultés méthodologiques, conceptuelles et pratiques, de l’évaluation
L’objectif est assez simple à définir : les montants dédiés à tel territoire permettent-ils de dynamiser le tissu économique dudit territoire, par exemple par l’augmentation de l’emploi, la création d’entreprises, l’attractivité démographique ou la croissance de la production ? Répondre à cette question se heurte pourtant à de nombreuses difficultés.
Premièrement, on ne dispose pas forcément des données qui reflètent correctement les moyens et les objectifs. Puisque les fonds structurels concernent des espaces en reconversion, généralement localisés, il faudrait pouvoir travailler au niveau infra-régional. Or les données sont peu nombreuses et concernent essentiellement des questions démographiques (recensement). Même au niveau régional, l’utilisation de certains concepts habituels, comme le PIB, est très délicate : les problèmes techniques posés par le calcul du PIB (par exemple la répartition de la valeur ajoutée dans les services) sont amplifiés au niveau régional. Néanmoins, malgré ces limites, le PIB reste le moins mauvais indicateur de convergence économique entre régions.
Deuxièmement, l’impact économique n’est pas localisé sur le seul territoire où les fonds sont injectés : les gens ne consomment pas forcément sur leur lieu de travail, etc. Il y a là un problème de « spillover » : les effets peuvent faire boule de neige, avoir une influence au-delà des frontières d’une zone donnée, ce qui demanderait de traiter les questions d’échelle de façon très sophistiquée.
Troisièmement, l’impact des politiques territoriales est généralement long à se faire sentir (infrastructures…) ; or les études sont souvent réalisées sur une dizaine d’années seulement ; que dire alors de l’ambition de mesurer l’effet à mi-parcours du programme 2000-2006 ?
Quatrièmement, et c’est là le problème majeur de l’évaluation des politiques publiques, on ne sait jamais ce qu’il se serait passé en l’absence de politique (on ne dispose pas de groupe témoin). Dit autrement : dans une région donnée ayant connu une évolution économique donnée, on ne sait pas ce qu’il convient d’attribuer aux fonds structurels et ce qu’il convient d’attribuer à d’autres facteurs. En particulier, dans le contexte du rattrapage, si toutes les régions les plus pauvres ont tendance à rattraper, et si c’est justement vers elles que sont dirigés les fonds, alors on ne saura pas ce qui est dû aux fonds et ce qui revient à d’autres facteurs.
Cette question est d’autant plus délicate sur un sujet comme les fonds structurels en France, où d’autres politiques publiques de plus grande ampleur sont menées simultanément : il est admis qu’en France, l’essentiel de la convergence entre région est imputable à la redistribution induite par les mécanismes de transferts nationaux. Les politiques territoriales proprement dites, sans être négligeables, mobilisent des fonds bien plus modestes.
Cependant, ces limites qui rendent difficile voire impossible la mise en œuvre de modèles sophistiqués (cf. encadré), n’empêchent pas la recherche de données de cadrage qui font singulièrement défaut lors des débats sur l’efficacité des fonds.
Les résultats souvent décevants de l’évaluation des fonds structurels
Les difficultés ci-dessus expliquent le faible nombre d’études visant à évaluer l’impact quantitatif des fonds structurels (en particulier pour l’objectif 2). Celles qui existent conduisent parfois à des résultats divergents. Les publications de la Commission présentent une appréciation positive sur l’efficacité économique de la politique régionale, mais un certain nombre d’études indépendantes révèlent de leur côté qu’il existe une réelle difficulté à évaluer la réalité de l’impact positif de la politique structurelle sur le développement régional.
Malgré tout, on peu dégager les conclusions suivantes : les fonds structurels n’ont pas permis de progrès substantiels vers la convergence entre les régions de l’Union. Les phénomènes de convergence constatés au niveau national s’expliquent plus par des politiques macro-économiques, structurelles ou sectorielles efficaces que par l’apport de la politique de cohésion.
En ce qui concerne plus particulièrement l’objectif 2, l’efficacité économique de l’aide européenne apparaît trop faible pour être mesurable. Même si les possibilités d’évaluation quantitative s’avèrent particulièrement limitées, on peut constater que les zones concernées par l’objectif 2 ont plutôt tendance à voir leur retard s’aggraver par rapport à la région de référence.
D’autre part, l’efficacité des fonds apparaît variable selon les pays : ainsi la même quantité de fonds structurels versés au titre de l’objectif 2 aurait un impact plus faible sur la convergence en France que dans certains autres pays. Enfin, la qualité de la coordination entre les fonds européens et les fonds nationaux est encore plus délicate à saisir par des études macroéconomiques. Les études sont de fait très peu nombreuses. Il apparaît que l’effet des fonds structurels pourrait être amplifié par les cofinancements nationaux et régionaux.
L’utilité d’une approche géographique fine des territoires concernés
L’étude au niveau régional de l’activité économique et des fonds alloués permet au moins d’étudier quelles ont été les régions les plus dynamiques économiquement depuis 1990 (versement des premiers fonds structurels) et s’il y a un lien entre leur dynamisme et les montants des fonds régionaux qu’elles ont reçus (sans préjuger d’une causalité).
On note des disparités entre régions quant à la capacité à créer des emplois : par exemple, parmi les régions qui connaissent une forte croissance démographique, certaines comme Pays de la Loire parviennent à fournir des emplois à cette population alors que d’autres, comme Languedoc-Roussillon, créent comparativement moins d’emploi.
Par ailleurs, les créations d’emploi ne sont pas toujours liées à des gains de productivité : parmi les régions fortement créatrices d’emploi, certaines parviennent à combiner des gains de productivité (Bretagne par exemple) alors que d’autres (comme Provence-Alpes-Côte d’Azur) créent des emplois au détriment de la productivité, ce qui fait que la richesse produite n’est pas forcément plus levée.
Enfin, les régions qui reçoivent le plus de fonds ne sont pas forcément celles qui connaissent le plus fort rattrapage économique. Cela ne signifie pas forcément que les fonds sont inefficaces : la situation des régions aidées aurait pu être pire sans les fonds. Par ailleurs, une région peu aidée n’a pas de raison de connaître une mauvaise croissance économique.
Cependant, une telle approche régionale présente un inconvénient majeur : la division administrative régionale (la seule permettant de mobiliser des données de production) regroupe dans la même unité géographique (la région) une métropole régionale parfois très dynamique avec des espaces industriels en reconversion et des zones agricoles en difficulté. Cela brouille à la fois le diagnostic sur le dynamisme des régions et sur l’impact des fonds, dont les montants peuvent être substantiels rapportés aux zones éligibles mais faibles rapportés à la région entière.
C’est pourquoi nous proposons une analyse à un niveau géographique plus fin. Même s’il est très délicat d’évaluer l’impact quantitatif des fonds engagés sur la vitalité des territoires concernés, on peut cependant au moins utiliser des indicateurs simples pour étudier l’évolution comparée des zones éligibles (celles qui peuvent recevoir des fonds structurels) et des zones non éligibles depuis la mise en œuvre des politiques régionales européennes.
En combinant les données de recensement et le critère d’éligibilité au niveau communal, on peut comparer deux France : celle des communes éligibles à l’objectif 2 et celle des communes non éligibles (ni objectif 1 ni objectif 2). On peut alors mesurer si les zones éligibles ont vu leur situation relative s’améliorer ou se dégrader entre 1990 et 1999.
Les zones éligibles couvrent 72 % du territoire métropolitain et elles regroupent environ 45 % de la population. En terme d’évolution comparée, les territoires non zonés, qui connaissaient un taux de chômage nettement supérieur à celui des territoires zonés en 1990 (11,9 % de la population active contre 9,7 %) ont vu leur situation empirer moins fortement que cette dernière dans la décennie 1990 (+1,5 % contre +2,4 %) sans pour autant rattraper la moyenne nationale du taux de chômage.
Notons cependant que le dynamisme démographique est beaucoup plus faible dans les territoires zonés : le taux de variation de la population y est de seulement 1,1 % (contre 5,4 %), avec un faible solde naturel et un solde migratoire négatif. Le taux d’activité étant stable, il en résulte que l’amélioration relative du taux de chômage dans les territoires zonés s’est faite via cette atonie démographique et non via un meilleur taux de création d’emploi (+2,3 % contre +3,6 %).
Pour relier ces informations aux montants des fonds structurels, disponibles au niveau régional, on peut procéder à un exercice original mais fructueux : étudier quelles sont les disparités régionales au sein des territoires zonés, en agrégeant les communes éligibles par région. Cela présente plusieurs avantages : les nouvelles « régions » ne contiennent pas les métropoles dynamiques ; ce niveau est un bon compromis d’échelle, car il regroupe les communes limitrophes, entre lesquelles il y a certainement des effets de spillover. On obtient alors les résultats suivants :
1) Les « régions » qui souffraient le plus du chômage en début de période ont reçu davantage de fonds structurels par habitant entre 1990 et 1999. Un des principaux critères d’attribution des fonds de l’objectif 2 semble donc respecté au niveau régional.
2) L’évolution de la situation du chômage entre 1990 et 1999 n’est pas du tout corrélée aux montants de fonds structurels engagés (voir le graphique). De ce constat, on ne peut pas en déduire directement une pure inefficacité des fonds, car il est possible qu’en l’absence de politique de cohésion, les régions les plus défavorisées en 1990 auraient vu leur situation empirer plus que les autres.
3) Il y a une divergence régionale des taux de chômage. Globalement, la situation s’est d’autant plus dégradée qu’elle était mauvaise au départ.
En conclusion, on peut retenir deux éléments :
1. Tout d’abord, sur le plan méthodologique, il est très délicat, voire impossible, d’évaluer quantitativement de manière agrégée l’efficacité des fonds structurels en France, pour des raisons d’ordre statistique, de niveau d’échelle géographique et parce que les montants des fonds restent modestes en regard d’autres politiques publiques dont il est difficile de séparer les effets.
2. Il est néanmoins possible d’éclairer la situation économique des régions concernées par les fonds structurels relativement au reste du pays, en mobilisant des données à un niveau géographique suffisamment fin. Il apparaît alors que, même si les fonds structurels vont dans l’ensemble vers les territoires qui sont les plus en difficulté, ils ne suffisent pas à enrayer leur déclin par rapport aux autres territoires moins défavorisés.
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(1) Les fonds structurels au titre de l’objectif 1 visent à promouvoir le développement et l'ajustement structurel des régions en retard de développement dont le PIB moyen par habitant est inférieur à 75% de la moyenne de l'Union européenne. En France, ils ne concernent que la Corse, c’est pourquoi cet article ne traite que de l’objectif 2.
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Des méthodes sophistiquées difficiles à mettre en oeuvre
Parmi les méthodes utilisées pour mesurer l’impact des fonds structurels, on distingue :
1) les modèles structurels, de la Commission européenne notamment, qui modélisent le comportement de l’économie afin de pouvoir faire des variantes pour estimer quelle aurait été la situation en l’absence de fonds : modèles de type input-output (« Beutel »), modèles d’offre (« Pereira ») et modèles mixtes (« Hermin » et « Quest ») ;
2) les modèles économétriques de convergence entre régions, à partir de la méthodologie de Barro et Sala-i-Martin ;
3) les modèles causals, visant à comparer une population qui a reçu un « traitement » (ici les régions éligibles aux fonds structurels) à une autre qui ne l’a pas reçu, et qui sont très peu utilisés dans le domaine des fonds structurels.
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