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16 janvier 2004

De nouveaux outils de gestion du risque de Crédit

Publié par Thomas SPITZ (ENSAE 2000), Head of Credit Derivatives Trading, Crédit Agricole Indosuez | N° 23 - London Calling

Le risque de crédit peut se définir comme le risque de perte consécutif à un événement de crédit. Selon cette définition, on trouve deux grandes classes de risque de crédit :
· Le risque de défaut d’une contrepartie (qui se traduit par l’incapacité de l’emprunteur à faire face à ses engagements). Par ailleurs, l’occurrence du défaut induit un risque lié au taux de recouvrement de la créance (le pourcentage de la valeur au pair remboursée au créancier).
· Le risque de dépréciation de la qualité de signature d’une entité (qui se traduit par un accroissement du risque lié aux opérations effectuées avec cette entité et donc par une détérioration de la valeur des instruments de crédits de cette entité).

Ces risques sont présents aussi bien dans le cadre des activités de prêts traditionnels (prêts bancaires, dettes obligataires) que dans celui des opérations dérivées toujours plus nombreuses (un swap de taux par exemple effectué avec une contrepartie en défaut nécessitera son remplacement au Marked to Market – valeur de marché de l’opération – en cas de défaut de la contrepartie).

La tarification du risque de crédit s’est en outre pendant longtemps effectuée de manière très hétérogène d’un marché à l’autre : L’appétit des investisseurs pour une signature dictait le pricing d’une nouvelle émission obligataire. Souvent considéré comme un produit d’appel, l’octroi et le prix de prêts bancaires à une société étaient (et restent encore) largement dictés par des considérations relationnelles avec ses banques (et le désir de celles-ci de se voir octroyer des mandats pour des opérations plus rémunératrices – fusions et acquisitions, émissions de nouvelles obligations etc…) ; ceci entraînant une sous-tarification du risque de crédit associé. Quant au risque de contrepartie il n’est la plupart du temps pas prix en compte si ce n’est par l’octroi de limites d’expositions sur les produits dérivés pour chaque contrepartie.

Cette inefficience du marché du crédit étant renforcée par le manque de liquidité de la plupart des produits de crédit. La conséquence de cette inéfficience et de ce manque de liquidité du marché du crédit a été jusqu’à la fin des années 90 une gestion rudimentaire du risque de crédit par les différents intervenants. Pour les banques cela s’est traduit par une gestion traditionnelle et parfois insuffisante de leurs encours crédit (les premiers textes réglementaires publiés par le Comite de Bale en 1988 avec le fameux ratio Cooke illustrent les méthodes rudimentaires de gestion du risque de crédit a contrario des risques de taux et de changes). Dans le même temps les investisseurs institutionnels (assureurs, fonds etc..) n’avaient à leurs dispositions que le marché obligataire comme source d’investissement dans le crédit (émissions corporates, souvent illiquides et concentrées sur certains émetteurs/secteurs).

L’apparition et le développement des dérivés de crédit depuis le milieu des années 90 et plus particulièrement depuis trois ans pour les produits structurés et exotiques a complètement transformé la gestion et la perception du risque de crédit : Du Credit Default Swap, permettant le transfert synthétique (ie sans transfert d’actifs) du risque de crédit d’une société au Synthetic Collateralised Debt Obligations (CDO, produits synthétiques répliquant la performance d’un portefeuille de risque de crédit) les dérivés de crédits ont permis de (re)penser la gestion du risque de crédit.

Les dérivés de crédit au cœur de la mutation du métier bancaire
Les crises successives, l’apparition de contraintes nouvelles (réglementaires, économiques et actionnariales) et l’émergence des dérivés de crédit ont amené à une nécessité de rentabiliser les lignes de crédit des banques et d'en optimiser l'allocation.
Schématiquement, la gestion du risque de crédit peut s’effectuer de la manière suivante :
· Une approche bottom-up qui recense les expositions de la banque, estime chaque probabilité de défaut individuelle ainsi que la fonction de perte du portefeuille dans son ensemble (cf. graphique 1) ;
· Un pricing ajusté au risque de chaque crédit et de son impact sur le portefeuille global;
· Une approche top-down qui alloue les limites crédits aux différentes lignes métiers en prenant en compte la rentabilité économique de celles-ci.
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Le portfolio manager a dès lors la possibilité de piloter les expositions de la banque à travers des outils de mesure adéquats. Ainsi, la notion de Capital Economique Marginal (CEM) permet, par exemple, de comparer la rentabilité économique de nouvelles opérations. Une analyse en terme de CEM doit faire apparaître des effets de diversification (cf. graphique 2) et de concentration (un nouveau crédit accordé à une entité sur laquelle la banque a déjà une exposition importante doit requérir un capital plus important). Ce type d’approche dite RAROC (Risk Adjusted Return on Capital, méthode de tarification du risque de crédit dont le principe est de mettre en regard de chaque transaction un montant en capital économique suffisant) prend tout son sens dès lors que l’on dispose d’outils suffisamment sophistiqués pour gérer, couvrir et diversifier le risque de crédit

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Les dérivés de crédit permettent de réaliser les opérations (de couverture, de diversification) améliorant le profil économique (ou réglementaire) du portefeuille. Par exemple à travers des CDS le portfolio manager peut couvrir les surexpositions de son portefeuille ou au contraire prendre une exposition sur des entités sous représentées (pas de relation commerciale) afin d’en améliorer la diversité ; les deux opérations peuvent être réalisées simultanément (credit switch) entre deux banques ayant des portefeuilles de clients très différents. A travers une opération de synthetic CDO le portfolio manager peut couvrir un montant important de risques (plusieurs milliards d’Euros de nominal) et bénéficier de prix attractifs en proposant aux investisseurs un portefeuille diversifié (cf. graphique 3). On parle de Balance Sheet CDO.

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De nouveaux produits d’investissements
Outre la gestion bancaire du risque de crédit, les dérivés de crédit transforment actuellement les stratégies d’investissement des investisseurs institutionnels. Alors que la gestion traditionnelle du Buy and Hold (acheter un titre et le détenir jusqu’à maturité) a montré ses limites durant les crises successives de 1998 et 2000/2002, les CDS proposent aux investisseurs d’étendre leur gamme d’investissement : Tout d’abord en leur permettant d’accéder à des signatures n’ayant jamais émis de dettes sur le marché obligataire augmentant ainsi la diversification de leurs portefeuilles ; également en facilitant la prise de positions shorts (il est traditionnellement très difficile de shorter une obligation alors que l’achat de protection avec un CDS est très simple à effectuer) ; enfin en augmentant la liquidité sur le marché du crédit, les CDS ont facilité des gestions plus dynamiques du risque crédit.
De plus, les dérivés de crédit ont permis de développer sur le marché du crédit des produits structurés comme on en trouve sur les marchés actions par exemple. Il est ainsi possible de construire des produits dont le profil de risque est très leveragé (les First to Default) ou au contraire très dilué (une tranche d’un CDO synthétique).

Un First-to-Default est un produit dans lequel l’investisseur prend une exposition sur un panier de noms mais ne s’expose qu’au premier défaut. Le levier apporté par une telle structure permet à l’investisseur de choisir des noms de bonne qualité (Investment Grade) et de recevoir en échange une prime élevée (un multiple de le prime de risque moyenne du portefeuille). La prime payée dépend des sous-jacents choisis, de leur nombre et de la corrélation de défauts entre eux (plus la corrélation est faible plus la prime sera élevée).

Le marché des CDOs a lui aussi connu de nombreuses évolutions depuis les premiers Balance Sheet CDO qui servaient aux banques à couvrir leurs expositions. Les CDO d’arbitrage constituent une catégorie en forte croissance. Ces produits permettent d’exploiter pleinement la différence entre probabilités historiques et implicites de défaut d’un emprunteur : la probabilité implicite de défaut (celle déduite du spread de crédit de marché) peut être 3 à 6 fois supérieure à la probabilité historique (celle résultant d’études statistiques sur les données historiques de défaut et utilisée par les agences de notation). Ainsi, une tranche de CDO dont la notation est fonction de la probabilité historique paiera un spread fonction de la probabilité implicite de défaut : le rendement offert par la tranche sera donc supérieur au rendement des investissements crédit classiques de rating équivalent.

Les CDOs d’arbitrage les plus traités sur le marché sont adossés à un portefeuille de référence constitué d’obligations et prêts Investment Grade ou High Yield. La liquidité et la profondeur du marché des CDS a favorisé la création de nouveaux modèles de pricing : il est désormais possible de proposer à l’investisseur une tranche de CDO d’arbitrage sur mesure répondant parfaitement à ses objectifs de gestion (auparavant, il était nécessaire d’adosser entièrement le risque de crédit de l’actif du CDO en plaçant toutes les tranches). Dans ce cas, l’investisseur a une totale liberté de choix des crédits du portefeuille sous-jacent et de la subordination de la tranche, en fonction de ses contraintes risque/rentabilité.

Par ailleurs, on assiste actuellement à l’émergence d’une nouvelle génération de CDOs d’arbitrages adossés à des Asset-Backed Securities (pour profiter d’un effet de levier sur des actifs très stables) ou a des tranches de CDOs synthétiques d’arbitrage (pour obtenir un effet de levier encore plus important, on parle de CDOs de CDOs).

Enfin les méthodes de gestion de ces produits se développent, le portefeuille de référence pouvant être : statique, « Lightly-managed » (quelques substitutions possibles, dans le cadre d’une gestion défensive du portefeuille de référence), « Fully-managed » (gestion active des crédits sous-jacents par un Asset Manager, dans le respect de critères prédéfinis).

Conclusion
L’essor des dérivés de crédit s’observe dans la croissance de la volumétrie de ces produits. De moins de 500 millions de dollars en 1998 les montants étaient estimés à 2 300 milliards en 2002. D’un produit essentiellement interbancaire on est passé à un instrument de gestion est d’investissement utilisé par la plupart des acteurs du marché du crédit tels que les assureurs et réassureurs et les fonds et Hedge Funds qui bénéficient de nouveaux produits d‘investissement aux profils de risques diversifiés.
Dans le même temps, la plupart des régulateurs étudient l’impact de ces nouveaux produits sur leurs marchés respectifs en s’inquiétant parfois du manque de transparence du marché du crédit. En effet il reste de vastes champs d’études sur ce marché encore jeune. En particulier, les problématiques de modélisation et de couverture des produits exotiques de crédit sont encore en phase de recherche et le développement de produits hybrides (crédit/taux, crédit/action…) promet de belles heures à la recherche financière.

Autrice

Thomas SPITZ (ENSAE 2000), Head of Credit Derivatives Trading, Crédit Agricole Indosuez

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