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27 mars 2003

Catherine ALLONAS-HUBERT (1981) Directeur financier, SOCAPI (groupe Crédit Mutuel - CIC)

Avec l’expérience, la raison gère de mieux en mieux l’instinct et les émotions ; mais elle ne les remplace jamais.


Après mes études secondaires dans un lycée en Moselle, j’ai hésité entre des études de médecine et de mathématiques. Si j’aimais les mathématiques et les matières littéraires, je détestais en revanche la physique. Aussi l’ENSAE me semblait-elle être particulièrement bien adaptée à mes goûts : une solide formation de statistiques et probabilités, couplée à une réelle formation économique. J’allais pouvoir lire les pages économiques du Monde en comprenant mieux les mécanismes et le sens des mots !

TOUT SAUF LA SÈCHE THÉORIE

Mes années à l’ENSAE ont été agréables. J’aimais la diversité des talents de mes camarades de promotion. Les cours de conjoncture de J. MERAUD (ENSAE 51) et de théorie des probabilités de JL. PHILOCHE (ENSAE 64) m’ont particulièrement intéressée : cela me semblait coller à une réalité plus tangible. J’ai été également passionnée par le cours d’économie générale de M. LARNAC en première année, et notamment son cours sur la monnaie. Il partait de la notion de troc, pour arriver, avec un grand enthousiasme et une logique parfaite, à la notion moderne de monnaie, pour poursuivre sur les contreparties de la masse monétaire. Je penchais peut-être déjà vers la finance, cette matière apparemment immatérielle, mais bien réelle derrière les chiffres.

PASSIONNANTE GESTION D’ACTIFS

En sortant de l’école, je suis entrée au Ministère des PTT, en tant que chargée d’études auprès du directeur de l’Action Commerciale, puis l’année suivante, je suis allée au Crédit Agricole, où je suis restée 8 ans et demi. Dans le département de gestion des valeurs mobilières de la Caisse Nationale de Crédit Agricole, j’ai d’abord été responsable d’un domaine intitulé " Economie et Statistiques ", libellé peu révolutionnaire pour une ENSAE, mais qui me convenait bien. Avec mes deux collaborateurs, je suivais la conjoncture des principaux pays industrialisés sur lesquels les gestionnaires de portefeuilles (en OPCVM principalement) avaient vocation à investir. L’économiste de marché a pour rôle d’alimenter la réflexion du gérant d’actifs, en proposant des scénarios et en les argumentant afin de le convaincre. Il lui fournit des outils d’aide à la décision : séries statistiques, prévisions macroéconomiques et financières à un horizon e 6 mois - –1 an. Les gérants d’obligations et d’actions sont abreuvés d’informations. Lorsqu’un indicateur est publié, il est utile pour le gérant de l’inscrire dans une chronique plus longue, afin qu’il puisse l’analyser rapidement et moduler éventuellement ses scénarios sur les marchés financiers. Toutes ces prévisions se fondent sur des modèles économétriques développés par l’INSEE ou par d’autres instituts de conjoncture. Il ne s’agissait pas, pour la conjoncturiste que j’étais, de développer moi-même des modèles, mais plutôt d’effectuer un travail de synthèse, qui nécessite de connaître les mécanismes et les interactions des grandes variables économiques entre elles. Des tentatives de quantifications sur des sujets plus spécifiques (l’évolution du cours de l’or par exemple !) peuvent compléter l’éventail des outils is à la disposition de l’investisseur. Mais le comportement du spéculateur est rarement robuste. Après quatre années dans ce poste, la tentation d’une opérationnalité plus grande dans ma fonction m’a fait basculer vers le métier de gérant de portefeuilles. J’ai débuté par la gestion d’une nouvelle Sicav destinée aux jeunes, investie à 60 % en obligations (pour l’aspect sécuritaire) et à 40 % en actions internationales (pour prendre en compte le dynamisme des jeunes !). Puis je me suis vue confier la gestion d’autres OPCVM actions à vocation française ou internationale. Ce métier m’a toujours passionnée : je l’ai démarré en 1986, juste une année avant le Krach de 1987. Cette expérience un peu difficile à vivre m’a beaucoup appris : notamment qu’après les phases de panique, les marchés savent toujours redevenir rationnels, qu’il faut donc avoir le courage d’en profiter. Devenue ensuite responsable de l’équipe des gestionnaires d’OPCVM actions, avec sept collaborateurs, j’ai tenu à continuer à gérer quelques portefeuilles en direct. On comprend mieux les préoccupations de ses pairs lorsqu’on les partage. Et puis c’est en restant proche des marchés qu’on les appréhende le mieux. C’est ainsi que je gérais notamment moi-même quatre milliards de francs sous forme de FCP d’actions, de deux Compagnies d’assurances avec lesquelles le Crédit Agricole avait des relations privilégiées : Prédica sa filiale d’Assurance-vie et Groupama. C’est ici que j’ai commencé à aborder, mais de loin encore, les problématiques de la gestion financière dans une Compagnie d’Assurance. L’intérêt pour cette matière, le souhait aussi de pouvoir gérer dans une optique plus longue sans être soumis à la pression de la performance à court terme (comme c’est trop souvent le cas pour les OPCVM), m’ont naturellement conduite à privilégier, lorsque j’ai quitté mon poste au Crédit Agricole, une Compagnie d’Assurance. D’autant que celle-ci était filiale d’une banque et me permettais de rester en contact avec le monde bancaire.

DE LA FINANCE À LA BANCASSURANCE

C’est ainsi qu’en septembre 1992, je suis entrée à SOCAPI, la Compagnie d’Assurance-vie et de capitalisation des banques du Groupe CIC. Ici, j’ai commencé comme Directeur Financier adjoint, en charge de la mise en place d’une diversification actions (les actifs détenus n’étaient alors qu’obligataires)



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Figure n°1 :


et de l’équilibre actif-passif. A cette époque, les contrats commercialisés étaient principalement des contrats offrant un taux minimum garanti attrayant sur une période de 8 ans au moins, qui nécessitaient d’être adossés presque exclusivement à des actifs obligataires. La diversification actions, en l’absence de réserves car la Compagnie était jeune, ne pouvait qu’être progressive. L’éclairage nécessaire sur les conséquences bilantielles pour la Compagnie, de la constitution d’un portefeuille actions, nous a conduits à développer un modèle de gestion de bilan. Ce modèle permet notamment de mesurer les conséquences, sur les grands indicateurs de la société, d’une diversification actions. Celle-ci a été fructueuse pour la Compagnie puisqu’elle nous a permis de développer un matelas de réserves prudentielles garantissant dans le futur un bon niveau de rendement servi à nos assurés. Une année plus tard, je devenais directeur financier (alors baptisé directeur des Investissements) de la Compagnie. Avec quinze collaborateurs, la direction financière est organisée de manière très classique : un pôle qui traite des problématiques d’adéquation actif – passif, du pilotage des risques financiers et des calculs de provisions techniques à caractère financier, et un pôle de gestion des actifs. L’adéquation actif – passif est d’une importance primordiale pour la Compagnie. Bien menée, elle doit être opérationnelle et déboucher sur la mise en place de stratégies de couverture visant à immuniser la société à la fois contre les risques de marché, les risques de liquidité, les risques techniques. Elle doit également éclairer les gérants d’actifs dans la conduite de leurs investissements. Le pôle " gestion des actifs " recouvre les placements de taux, les actions et l’immobilier. SOCAPI gère presque 100 milliards de francs d’actifs, principalement en produits de taux. L’immobilier n’était pas dans mes responsabilités initiales. Le GAN, dont nous étions filiale, assurait la gestion de notre patrimoine immobilier. En 1997, SOCAPI en a repris la responsabilité et me l’a confiée. Le patrimoine immobilier s’élève à 1,5 milliards de francs ; il est réparti de manière équilibrée entre le bureau et l’habitation. J’ai tenté d’y mettre un peu de rationalité, en essayant de promouvoir des critères objectifs dans la prise de décision : la composante personnelle (goût pour un quartier ou une localisation) y est souvent encore trop forte et fait encore trop passer au second plan les notions de retour sur investissement. Mon rôle, en tant que directeur, est de fixer des buts et des objectifs, d’orienter mes collaborateurs dans leurs travaux, de motiver l’équipe et de contrôler les résultats. Couvrant un domaine varié, je ne dois pas me disperser. C’est pourquoi j’essaie de retenir l’essentiel et de déléguer le plus possible. Je ne conçois pas de travailler sans m’impliquer totalement dans ce que je fais. J’aime développer des choses, enrichir l’analyse, être maître d’œuvre sur des sujets techniques, en faisant faire à de plus jeunes plus techniciens que moi. J’aime le travail bien fait mais me suis toujours crue plus bosseuse que réellement brillante ou talentueuse. Mon mode de management ? Je peux vous répéter ce que disent de moi mes supérieurs hiérarchiques : " une main de fer dans un gant de velours ", " avec vous, la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille ". L’affectif est là, très présent, trop sans doute, couplé à l’exigence et au perfectionnisme. J’ai sans doute manqué de rondeur dans le passé et ne me suis pas entendue avec tous les collaborateurs. Aujourd’hui, avec l’âge et l’expérience, je suis devenue plus souple. Je pratique la gestion participative. Tout le monde a le droit de savoir pourquoi on fait ceci et cela, tout le monde a le droit de s’exprimer sur le programme de travail de l’équipe. Il faut savoir donner à ses collaborateurs des projets motivants, savoir les reconnaître et les valoriser.

LA VERTU DE L’ÉCLECTISME

Nulle en tout ou nulle en rien, comme vous voudrez. L’éclectisme est ma seule vertu. Je n’ai pas de violon d’Ingres particulier mais je pratique plusieurs sports : le ski, le squash et la natation. Je suis abonnée à l’opéra et j’aime les grands classiques : La Bohême, Rigoletto, La Tosca, La Traviata, Cosi FanTutte, etc. J’aime le décor simple et pur de l’Opéra-Bastille plus que le Palais Garnier. Le week-end, j’essaie de me trouver deux heures pour moi toute seule et écouter un opéra en lisant le livret. Je trouve que l’opéra " élève ". Il est l’une des formes d’art la plus complète. J’aime beaucoup aussi la littérature. S’il me reste quelques minutes après le déjeuner, je cours à la FNAC ou au rayon librairie du Printemps ou des Galeries Lafayette. Les critiques littéraires, du Monde, du Figaro, des Echos que je lis comme la récréation après la nécessaire lecture professionnelle, guident mes choix. Je cède à la séduction de la nouveauté, même si rares sans doute sont les livres qui passeront leur temps. Je reviens aussi à des classiques tels que Balzac, Aragon, Faulkner,… En dehors des vacances, les livres courts, forts et poétiques ont ma préférence, ils me permettent de vivre une autre vie pendant quelques heures de mon week-end. J’aime offrir des livres aux gens qui comptent pour moi car c’est un engagement très personnel. Rien ne me laisse indifférente. Puis-je finir là-dessus ?

Propos recueillis par
PIERRE MORICHAU (ENSAE 1967)

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